Analyse UFAPEC Novembre 2023 par JP. Schmidt

11.23/ Je vais bientôt (devoir) voter… Et alors ?

Un bulletin de vote est plus fort qu’une balle de fusil.
                                                               
Pierre Desproges

Introduction

Le 9 juin prochain, nous nous rendrons aux urnes et ferons notre choix dans l’isoloir installé dans notre commune. Nous voterons pour élire nos représentants au fédéral, à la région, indirectement aussi à la Communauté française, et à l’Europe. Et ce n’est pas tout, les élections communales se tiendront en octobre 2024.
De nombreux parents d’élève de fin de secondaire nous interpellent concernant le futur droit de vote de leur enfant. Certains parents sont démunis pour parler de ce droit, tout en restant neutres, avec leur adolescent en âge de voter pour la première fois.

En effet, dès ses 16 ans, un jeune aura désormais la possibilité de voter pour les élections européennes sans obligation de s’inscrire au préalable[1] et il lui faudra 18 ans pour les autres élections.

Comment appréhender ces moments aussi importants dans notre régime politique tout en sachant que, dans notre Belgique fédérale, le vote est obligatoire ? Comment intéresser les jeunes à la politique pour les inclure dans le processus démocratique, enjeu de notre société d’aujourd’hui et de demain ? Est-ce le rôle de l’école ? Et le rôle des parents dans tout ça ? Et l’éducation non-formelle dispensée par les organisations de jeunesse ? Et le monde politique ? Comment exercer son droit de citoyen quand on a 16 ans ? C’est à ces questions que nous tentons de répondre dans cette analyse.

Le vote, un droit et un devoir

En Belgique, c’est en 1893 que le droit de vote censitaire [réservé à ceux qui payent le cens[2]] est aboli et remplacé par le suffrage universel plural pour les hommes[3](pour les femmes, il faudra attendre les élections de 1949, après le vote d’une loi en mars 1948 leur accordant ce droit.[4]). En faisant court, cette mesure avait pour but de rendre possible le vote de tous. Cette initiative répondait à des revendications principalement de la classe ouvrière et a été portée par des jeunes libéraux progressistes. Cela a permis de jeter les bases d’une société démocratique dans laquelle des valeurs sont inscrites et respectées comme la liberté, l’égalité, la solidarité. Cette démocratie doit être incarnée par des personnes élues par le peuple. De ce fait, les habitants reconnaissent le droit à une assemblée (de personnes élues comme représentants de la nation) de prendre des décisions touchant directement ou indirectement la population.

Concrètement, pour assurer la légitimité des assemblées élues, l'article 62 de la Constitution belge (coordonnée le 17 février 1994)[5] stipule que « Le vote est obligatoire et secret ».

  • Droit de vote obligatoire versus droit de vote non obligatoire

Par son vote obligatoire, la Belgique reste marginale dans les démocraties mondiales. En effet, et pour ne prendre qu’un exemple, en France, le droit de vote n’est pas obligatoire. La France considère le vote comme un droit individuel et donc pas comme une obligation. Sur une carte d’électeur en France, il est nommément inscrit : « Voter est un droit, c’est aussi un devoir civique ». Si l’incitation au vote est présente, on constate, lors des dernières élections françaises pour la présidence, que 65,7 %[6] de la population en âge de voter s’est exprimée. L’abstention est donc de 34,3 %, mais, pour d’autres élections régionales ou départementales, l’abstention s’élève jusque à 50 %, voire davantage.

Comment la France fait-elle face à ces abstentions croissantes ? Mettrait-elle ainsi sa démocratie en danger ?
Pour les partisans du droit de voter sans obligation, refuser de voter c’est déjà un acte politique, c’est un signal aux autorités. Voter c’est d’abord un acte de liberté, un acte volontaire. Pour voter, il faut pouvoir considérer l’homme politique et son projet. Si ce n’est pas le cas, le politique doit se réinventer. Le citoyen reste libre de ses choix.

Le vote obligatoire permet à tous les citoyens de donner leur voix. Pour certains, ce vote est le socle d’une démocratie. Le vote obligatoire force le politique et les différents partis à proposer un projet de vie, un projet de société. La campagne électorale se base donc sur la défense de ce dit projet. Alors qu’en France, les partisans du vote obligatoire soulignent que les campagnes électorales françaises se basent d’abord sur le fait de convaincre l’électeur d’aller voter et, en deuxième lieu, sur le projet à défendre.

Cette contextualisation est importante, chacun se fera son opinion, toujours est-il que chez nous en Belgique, le vote est obligatoire. Chaque belge en âge de voter doit exercer son devoir de citoyen. Que fait-on avec cela quand on a 16, 17, 18 ans et que l’on vote pour la première fois ou même la deuxième ? Tout en sachant que voter reste un privilège, il existe des pays où des gens se battent et meurent pour y avoir droit.

S’informer des programmes

Voter fait peur aux jeunes. Voter c’est pouvoir donner son avis sur quelque chose d’important, je trouve et c’est une chance, mais on n’est pas assez informés, la jeunesse n’est pas touchée… C’est trop tôt pour que cela nous concerne, on laisse ce rôle aux adultes, à nos parents, car nous les jeunes, nous n’avons pas encore d’impact sur la vie.[7] Le politique ne s’intéresse pas trop à eux et à leurs préoccupations et inversement les jeunes restent loin des préoccupations politiques. La politique ne m’intéresse pas. Ça amène énormément de conflits. Certains ne sont pas assez ouverts d’esprit pour comprendre les idées des autres.[8] D’autres jeunes s’y intéressent, mais ne s’estiment pas légitimes en la matière, car ils n’ont pas, à leurs yeux, d’avis pertinents sur la question. Enfin, une minorité de jeunes s’y intéresse et veut se faire entendre et épluche les différents programmes.

Bien entendu, le vote blanc est possible en Belgique, c’est une manière de marquer son opposition aux partis existants, aux projets proposés ou de se positionner contre le système.

L’école et la famille ont un rôle à jouer pour permettre aux jeunes de se forger une opinion en allant éplucher les différents programmes de parti, en suggérant des discussions formelles et informelles sur la cause démocratique et la possibilité d’aller voter. Dès la troisième secondaire, le cours d’histoire et le cours de sciences sociales abordent ces dimensions de représentations citoyennes. De plus, dans le cadre de l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté, abordée de manière transversale dans notre réseau, ces questions trouvent en priorité toute leur place.

Des partis politiques pratiquent assidument les réseaux sociaux et tout spécialement les applications pour les jeunes afin de se faire connaitre, partager leur programme, mais aussi flatter un futur électorat et l’influencer. Or, le programme politique peut sembler indigeste, ne pas donner envie. Comment le vulgariser sans en perdre l’essence et permettre aux jeunes et aux moins jeunes de se forger un avis ?

Les organisations de jeunesse, par des jeux, des rencontres, accompagnent également les jeunes à pratiquer l’exercice démocratique.[9] L’éducation formelle et non-formelle peuvent donc jouer un rôle important dans l’information politique à donner.[10]

Exercer sa vie de citoyen

Depuis de nombreuses années déjà, les organisations de jeunesse en Fédération Wallonie-Bruxelles[11] s’activent pour faire de nos jeunes des CRACS (citoyens, responsables, actifs, critiques et solidaires)[12]. Des activités sont conçues par et pour les jeunes.

Certaines écoles, suivant en cela le code de l’enseignement, proposent à leurs élèves d’organiser les élections des délégués de classe, d’être présents aux conseils d’école et assurer la représentation aux conseils de participation de l’établissement. Des communes organisent et mettent en place des conseils communaux des enfants[13]. Des possibilités existent. Et même, dans certaines familles, la pratique du conseil de « famille » est éprouvée.

Dans l’avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence[14], une orientation claire est émise « Renforcer la démocratie scolaire » dans le cinquième axe stratégique. L’avis préconise pour les jeunes de pouvoir s’essayer ou s’exercer à une vie citoyenne engagée.

Afin de renforcer et généraliser la démocratie scolaire, le législateur préconise, entre autres, le développement :
- d’une équipe éducative formée à la dynamique de la démocratie scolaire ;

- des espace-temps pour faire vivre la démocratie dans l’enceinte de l’école ;
- d’une dynamique participative au sein même des classes en cohérence avec la dynamique du Conseil de participation.

Mais aussi de développer les initiatives suivantes :

- instaurer un conseil coopératif et citoyen hebdomadaire de la classe ;
- renforcer le système de délégation d’élèves en précisant et en harmonisant la réglementation y relative ;
- renforcer le travail collaboratif des équipes éducatives ;
- élaborer le ROI de l’établissement et ses modifications dans le cadre d’une dynamique participative associant élèves, enseignants, parents, etc. ;
- valoriser les comportements citoyens dans le cadre des apprentissages ;
- renforcer le conseil de participation en prévoyant au minimum quatre réunions par an ;
- donner un cadre légal à l’existence des organisations représentatives des élèves, à l’instar de ce qui existe pour les associations de parents.

Exercer sa vie de citoyen par le fait d’être un acteur actif de sa vie personnelle assoit sans doute une meilleure approche de la sphère politique au sens noble du terme. S’informer, dès lors, des enjeux démocratiques des prochaines élections coulera, peut-être, de source.

Conclusion et perspectives

Un défi immense attend nos instances démocratiques : informer et entrer en contact avec les jeunes sur leur terrain de discussions et d’intérêts propres à leur âge.

Dans l’émission d’Arnaud Ruyssen citée plus haut, le journaliste avait invité des politiques à débattre avec quatre-vingt jeunes au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Seuls trois politiques ont daigné s’y intéresser. Dommage !
Preuve que le politique a aussi un gros travail à envisager afin de rencontrer cette nouvelle génération de citoyens. Les politiques présents à ce débat ont constaté que les jeunes ne sont pas dépolitisés, ils ont des attentes, mais ne se projettent pas dans les institutions de notre démocratie représentative, car celle-ci leur apparait peu digne de confiance, trop lointaine, déconnectée…
L’école, la famille et les organisations de jeunesse ont donc leur rôle à jouer dans l’information à transmettre aux jeunes sur ce droit important qu’est le vote. Des outils existent ; à chaque partenaire de s’en inspirer.

Étant donné que l’école joue un rôle majeur dans la construction citoyenne et démocratique de chaque élève, l’UFAPEC attend la mise sur pied dans TOUTES les écoles des structures favorisant la participation, participation qui conduit à mettre en œuvre la citoyenneté à l’école. Rappelons que ces structures sont le Conseil de participation, la délégation des élèves et l’association de parents[15].
La famille, elle également, a sa responsabilité afin de permettre à tous ces membres de s’informer, de se former et d’exercer sa citoyenneté.
 
Dans un monde en réelle tension, le chemin est encore long pour arriver à un fonctionnement démocratique universel. Cependant, les enjeux sont fondamentaux. Grâce au fait que nous en avons le droit et que nous pouvons aller voter, nous construisons une société plus juste, équitable et respectueuse de chacun. Ces dimensions sont à transmettre à chaque jeune et à mettre réellement en œuvre au cœur de nos vies.

 

Jean-Philippe Schmidt

 

 


[2] Redevance annuelle due par le tenancier au seigneur

[7] Une jeune du Collège Cardinal Mercier interrogé par A. Ruyssen pour son podcast Le Tournant, 27/9/23 : https://auvio.rtbf.be/media/declic-le-tournant-declic-le-tournant-3087998

[10] Voir notamment Le guide complet pour informer les jeunes sur la démocratie et les élections, https://ressourceselections.be/

[12] Pierard, Alice, Former des cracs, un enjeu d’actualité ?, analyse UFAPEC, 2019, https://www.ufapec.be/nos-analyses/2219-cracs.html

[13] Pierard, Alice, Conseils communaux des enfants et des jeunes, quelle participation citoyenne ?, analyse UFAPEC 2015, https://www.ufapec.be/nos-analyses/2915-cce-ccj.html

[15] Cf. Code de l’enseignement, articles 1.5.3-1 à 1.5.3-15 : https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/49466_019.pd

Vous désirez recevoir nos lettres d'information ?

Inscrivez-vous !
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies pour vous proposer des publicités adaptées à vos centres d'intérêts, pour réaliser des statistiques de navigation, et pour faciliter le partage d'information sur les réseaux sociaux. Pour en savoir plus et paramétrer les cookies,
OK