Analyse UFAPEC juin 2014 par A. Floor

12.14/ Etre un super cerveau et être heureux : un défi de société ?

- Dis Madame, je voudrais m’enlever d’être surdoué. 
- Explique-moi mieux ce que tu veux dire. 
- C’est que je veux plus de surdoué, ça m’embête. 
- Et qu’est-ce qui t’embête ? 
- Je veux être pareil que les autres, je veux pas être différent !

 Ludovic, 7 ans et demi

 

Introduction

Annoncer que son enfant est à haut potentiel ou que l’on est soi-même à haut potentiel suscite souvent méfiance et suspicion. Les parents d’enfants ou de jeunes à haut potentiel sont accusés de vantardise et soupçonnés de pousser leur progéniture à la surperformance… Dans certains cas, oui il est vrai qu’il y a abus, nous n’entendons pas le nier. Il y en effet des parents qui concluent un peu vite que leur enfant est HP parce qu’il ne réussit pas à l’école ou qu’il n’y a pas beaucoup de copains. Ou à l’inverse parce que leur enfant est en avance au niveau scolaire, mais au prix d’un travail acharné pour répondre au désir de leurs parents. Pour cet enfant-là, la pression deviendra de plus en plus forte pour maintenir le niveau au détriment de son identité et de ses aspirations profondes.

Ce n’est pas de ces enfants sur-stimulés ou étiquetés trop rapidement HP que nous allons parler dans cette analyse. Nous allons nous pencher sur ceux qui ont été diagnostiqués à haut potentiel et tenter de comprendre pourquoi être doté d’une grande intelligence n’est pas toujours synonyme de grand bonheur. Qu’est-ce que cette intelligence différente induit au niveau relationnel, émotionnel, pour un enfant, un adolescent, un adulte ? Quelles seront les incidences au niveau de son insertion dans notre société ?

Des chiffres

Actuellement, les jeunes à haut potentiel représenteraient 2,5% des élèves soit environ 21.600 jeunes au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles[1]. Dans la brochure « Enseigner aux élèves à hauts potentiels », il y est fait mention d’au moins un élève à haut potentiel[2] par classe et du fait qu’un élève à haut potentiel sur trois sera en échec scolaire et aura besoin d’aide[3]. Or, dans notre contexte socioéconomique actuel, la réussite scolaire conditionne grandement la réussite sociale. Le marché du travail laisse peu de chance et de place aux personnes non ou faiblement diplômées. Les élèves à haut potentiel en échec scolaire, comme les autres élèves en échec scolaire, auront donc moins l’occasion dans notre société actuelle de faire valoir leurs compétences et leurs potentialités s’ils ne possèdent pas le fameux laisser-passer : le diplôme.

Surdoué : une étiquette lourde à porter

Dans notre société de compétition et de performance qui met au premier plan les savoirs et les compétences, être déclaré moins intelligent que la moyenne devient un obstacle difficilement surmontable. Mais être déclaré plus intelligent que les autres est aussi difficile à porter et pour d’autres raisons. Dire que son enfant est à haut potentiel déclenche des réactions très diverses (sourire ironique, intérêt, envie, jalousie…) à tel point que bon nombre de parents en viennent à se taire et à garder pour eux les difficultés générées par cette super intelligence de leur rejeton. Au cours d’un atelier consacré aux Hauts Potentiels lors de la Table Ronde de rentrée de l’UFAPEC[4], beaucoup de parents ont témoigné de cette crainte de partager leur vécu avec leur enfant, de leur isolement et se demandaient s’ils devaient en parler à l’école. Les parents deviennent peu à peu méfiants et choisissent les personnes avec lesquelles ils osent en parler. Et leurs enfants ? Comment vivent-ils avec leur intelligence différente ? Ce n’est pas bien vu par les pairs d’être un « intello » et cela peut de surcroît poser des problèmes en terme d’intégration. L’enfant surdoué a des centres d’intérêt qui laissent les autres indifférents et lui, de son côté, ne trouve pas d’intérêt dans ce qui les passionne (sujets de discussion, activités favorites…) Un fossé se creuse et l’enfant surdoué se retrouve souvent seul, malgré toutes les stratégies qu’il va développer pour se faire apprécier. Il ne comprend pas le rejet qu’il vit et souffre terriblement de ce sentiment d’exclusion.

Quand j’étais petite, mes parents se posaient des questions sur mes interactions avec les autres enfants ; mes centres d’intérêt n’étaient pas vraiment en phase avec ceux habituels à mon âge. J’aimais l’histoire, la littérature. J’avais lu tous les livres de la comtesse de Ségur en 2e primaire et Harry Potter en 3e primaire. (…) Dès la 3e primaire et jusqu’à ma 2e année de secondaire, les rapports avec les autres enfants étaient difficiles. Ils me traitaient d’idiote, car je ne pensais pas comme eux. Ils ne me comprenaient pas. J’ai subi des moqueries, du harcèlement, aussi… J’avais très peu d’amis de mon âge. Je recherche souvent la compagnie de gens plus âgés[5]. (Témoignage d’une jeune fille de 15 ans diagnostiqué HP à l’âge de 10 ans).

La tendance générale va donc plutôt être pour le haut potentiel à cacher qui il est et à essayer au maximum de ne pas se faire remarquer. Les témoignages d’adultes à hauts potentiels sur les forums des associations spécialisées se rejoignent sur cet enjeu majeur de dissimulation et ce dès la toute petite enfance. La différence qu’elle soit intellectuelle ou physique creuse un fossé avec les autres ; la tentation sera grande pour beaucoup d’HP d’inhiber leurs capacités intellectuelles.

J’ai toujours su que j’étais différent des autres, pas « physiquement » s’entend, mais intellectuellement. J’avais conscience de ma précocité sans pour autant savoir de quoi il s’agissait vraiment, je mêlais tellement de choses que je pensais être fou. (… ) ma précocité, tout cela faisait que j’ai tenté tout au long de ma scolarité d’être « comme les autres », fondu dans la masse, voire transparent. Mes résultats scolaires étaient caractéristiques, des notes excellentes suivies de notes médiocres. Mais à la différence de certains (et encore, qui sait ?) j’échouais volontairement à un contrôle sur deux environ. Ainsi, sans efforts, j’ai eu un classement moyen tout au long de ma scolarité[6].

Qu’un enfant à haut potentiel puisse être en souffrance est parfois difficile à imaginer ; lui qui a toutes les chances, qui ne doit pas étudier, de quoi vient-il se plaindre ? Etre à haut potentiel veut en effet dire que l’on a une intelligence qualitativement différente mais ne rime pas nécessairement avec réussite scolaire ou professionnelle. Nous l’avons aussi vu plus haut, la réussite scolaire peut être au rendez-vous, mais l’aspect relationnel n’y est pas et l’enfant ou le jeune se retrouve souvent seul. Par ailleurs, leur intelligence ne se manifeste jamais dans tous les domaines, le système scolaire est parfois trop rigide pour eux et beaucoup de malentendus naissent entre l’élève et l’école. Ils ne seront donc pas nécessairement les meilleurs élèves, ni les plus attentifs. Et l’école est démunie face à ces enfants, on sollicite beaucoup les enseignants pour tous les élèves un peu particuliers : dyslexique, TDA/H, à Haut Potentiel et les enseignants n’ont pas reçu la formation pour cela, comme l’a déclaré un directeur d’école primaire lors de la Table Ronde : Oui le rôle de l’école est important mais vous avez en face de vous des personnes qui ne sont pas formées, qui découvrent avec vous ce qu’est un enfant HP plus tous les autres (dyslexique, dyscalculique…). Mon équipe enseignante est interpellée et cherche des solutions (problème de comportement, ils veulent plus et autre chose…). On ne sait plus quoi faire avec ces enfants-là, on est démunis. Pour certains enfants, on fait des sauts de classe. Mais le décalage affectif et relationnel reste. Et moi en tant que directeur, je suis aussi très démuni. Une enseignante témoignera aussi lors de cette soirée de son ras le bol face à la nuée des HP : Des parents viennent aussi dire « Mon enfant est HP ». Ils en sont convaincus mais l’enfant n’a pas été testé. On a tendance à faire un peu de ce HP tout et n’importe quoi. Parfois il y a ras le bol d’entendre cela. A côté de cet aveu d’impuissance et parfois d’irritation de l’école, la grande majorité des parents présents à notre Table Ronde a également témoigné du mal-être de leur enfant, de leur peur du suicide parfois et ce dans le chef d’enfants très jeunes. Une maman parle de son fils de 5 ans qui lui dit régulièrement qu’il voudrait être mort. C’est un gros point d’inquiétude pour la maman. Moi si j’étais mort, je serais mieux, je serais tranquille. Un autre témoignage : Moi mon fils de 6 ans a dit : j’en ai marre de la vie et j’ai décidé alors de le faire tester.  D’autres parents expliquent que lorsque leur fils était en 3e maternelle, c’était l’horreur à la récré et dans les couloirs au niveau de son comportement, dès que ce n’était pas structuré. Ils se sont alors posé la question HP ou non ? Maintenant qu’il est en 1e primaire, il ne s’ennuie plus. Son comportement s’est amélioré à 50 %.  A 3 ans, il parlait de mourir en se faisant écraser par une voiture. A 4 ans, il philosophait sur le sens de la vie.

Les parents sont inquiets et rencontrent bien des difficultés pour être écoutés dans les écoles : Ce qui est difficile, c’est de trouver des gens réceptifs face à soi. Moi, à l’école, je suis en face de murs. J’ai été voir son prof et je n’ai pas été bien reçue quand j’ai demandé une attention un peu plus particulière pour lui. Comment faire face à cela ? Comment faire comprendre aux gens de faire quelque chose pour mon enfant ?

Un autre parent intervient en disant que le PMS a été un réel soutien et qu’il est intervenu auprès des enseignants pour leur rappeler qu’ils doivent déontologiquement faire quelque chose pour notre enfant, mais les professeurs sont restés des murs. A quoi cela sert de faire passer des tests si, en face de nous, on a des enseignants qui ne veulent rien changer de leur prise en charge ?

Une autre maman témoigne de la remontée de son fils après une rencontre avec son enseignante : En première primaire, cela n’allait pas du tout et comme il est dyslexique, il a pu passer un test de QI. Parallèlement à cela, j’ai assisté à une conférence sur les HP qui était très pratique qui repérait les caractéristiques au niveau de la personnalité. J’ai relevé tous les critères et avec mes papiers, j’ai été chez l’institutrice et on a travaillé autrement. Au mois de mars, on pensait le faire doubler. Il n’en a plus été question après.

Laurence Nicolaï, coordinatrice du CVIM (Centre pour la valorisation des intelligences multiples), s’intéresse depuis longtemps aux HP et les détectait facilement en classe lorsqu’elle enseignait : Ce sont souvent des enfants solitaires qui réfléchissent beaucoup, présentant des difficultés d’endormissement, des troubles de l’apprentissage… Ils sont en souffrance, victimes d’agressivité, de harcèlement de la part des autres enfants. Ils sont stigmatisés, non reconnus dans leur différence et les parents ne se rendent compte de rien. On estime que 5% de la population sont à haut potentiel et seul un tiers s’épanouit sans problème. Ils ont trouvé un outil qui leur permet de s’occuper l’esprit et trouver un équilibre : sport, musique…[7] Il s’avère en effet que les enfants à Haut Potentiel ont besoin de sources d’épanouissement extérieures à l’école. Selon la présidente d’EHP Belgique, Carine Doutreloux, il est important qu’ils fassent des activités où ils ont des défis à relever, où ils reçoivent des messages positifs. Du matin jusqu’au soir, ils entendent tellement de messages négatifs. Comment peuvent-ils se construire une image positive quand ils n’entendent que du négatif sur eux ?

Conclusion

Nous l’avons vu, être à haut potentiel ne rime pas avec facilités dans tous les domaines. Le volet relationnel ne coule pas toujours de source ; l’isolement et le rejet laissent des traces profondes dans la construction identitaire de ces enfants. Les parents sont inquiets du mal-être de leur enfant, ils se tournent vers l’école et lui demandent un accompagnement plus particulier. Or les enseignants n’ont pas été formés pour ce profil particulier d’élève, ni pour les autres « dys » d’ailleurs. La réponse va donc varier en fonction des sensibilités et des volontés des enseignants, des directions… La solution ou les solutions selon certains parents se trouvent aussi en dehors de l’école dans les activités extrascolaires : musique, dessin, sport… Et là se pose la question des parents qui n’ont ni le temps, ni l’argent ni l’énergie pour investir dans l’épanouissement de leur enfant en dehors de l’école, sans parler des enfants qui n’ont pas été diagnostiqués. Pour ceux-ci, parents et enseignants ne comprennent pas ce qui se passe et prennent parfois des décisions d’orientation, de renvois, de redoublement qui risquent d’aggraver encore leur mal-être. Les enfants à haut potentiel qui ne vont pas bien demandent un accompagnement particulier de l’école, des familles et bien souvent les autres parents crient à l’injustice et ne comprennent pas la situation. Est-ce bien le rôle de l’école que de s’adapter à ces enfants ? Ne serait-ce pas plutôt à eux à se plier au fonctionnement de la majorité de leurs pairs ? Comment vont-ils faire pour s’insérer et s’intégrer dans la société si l’école doit changer pour eux ? Est-ce un bon service à leur rendre ?

L’UFAPEC défend un partenariat école-famille qui privilégie le respect de qui est l’enfant avec ses forces et ses faiblesses. Des aménagements pédagogiques, un encadrement particulier des élèves à haut potentiel sont nécessaires et vont dans le sens de l’article 6 du décret Missions du 24 juillet 1997[8].

Dans son mémorandum[9], l’UFAPEC plaide aussi en faveur d’un renforcement du poids du choix pédagogique des parents. En effet, les élèves qui ont des troubles d’apprentissage comme les élèves à haut potentiel ne sont pas considérés comme élèves à besoins spécifiques et n’ont donc pas de priorité lors de l’inscription dans l’enseignement secondaire. Or pour ces élèves-là, le critère du projet pédagogique et l’implication de l’école sont plus importants que le critère de proximité. La priorité doit aussi être mise, et ce de manière urgente et prioritaire, sur la formation initiale et continuée des enseignants. En effet, certains mythes et idées reçues (par méconnaissance des hauts potentiels) survivent et nuisent à une relation pédagogique saine avec l’élève HP. Des phrases telles que « S’il était si intelligent, cela se verrait ! », « Tous les parents pensent que leur enfant est un génie », « Alors le génie, on ne connait pas la réponse ? » démontrent bien la méconnaissance de notre société sur ce que veut dire être à haut potentiel et nous éclaire sur certaines des humiliations qu’ils vivent. N’oublions pas qu’un grand nombre d’enfants à haut potentiel s’épanouissent, sont heureux et bien dans leur peau. Cependant, il faut tenir compte du fait que, comme nous l’écrit Jeanne Siaud-Facchin,l’enfant surdoué est, par constitution, fragile et vulnérable. Incapable d’insouciance, d’indifférence, décalé à l’école et parmi les autres, il connait, très jeune, l’inquiétude et l’anxiété. La construction de son identité est marquée par sa différence. Enfant surdoué, enfant en danger, pourrait-on presque dire. (…) L’intelligence ne doit plus faire peur à ceux qui l’observent. La différence doit être tolérée quelle que soit la nature ou le sens de cette différence[10].

 

Anne Floor

 

 

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[1]Proposition de résolution en vue de reconnaître officiellement les besoins spécifiques des enfants à haut potentiel et d’améliorer leur prise en charge au sein de l’enseignementdéposée au Parlement de la Communauté française, 13 juillet 2012.

[2]Pour une définition plus précise de ce qu’est un haut potentiel, voir annexe 1.

[3]Enseigner aux élèves à hauts potentiels, AGERS, 2013. http://www.enseignement.be/index.php?page=25006&navi=2198lien vérifié le 23/06/2014.

[4]Le compte-rendu de cet atelier sur les enfants à Haut Potentiel organisé par l’UFAPEC en octobre 2012 se trouve en annexe 2.

[5]I. Lemaire, HP : mettre des mots sur les maux, La libre Belgique, 21/10/2013, p. 47.

[7]I. Lemaire, HP : mettre des mots sur les maux, La libre Belgique du 21/10/2013, p.46.

[10]J. Siaud-Facchin, Quand l’intelligence élevée fragilise la construction de l’identité…, http://planetesurdoues.fr/wp-content/2011/03/J-Siaud-facchin.pdf lien vérifié le 24/06/2014.

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