Analyse UFAPEC août 2019 par B. Loriers

12.19/ La délégation d’élèves, un exercice pour la pratique démocratique à l’école ?

Introduction

A l’heure où la question du vivre ensemble se présente comme un défi majeur pour notre société, cette analyse effectue un « zoom avant » sur la mission d’éducation à la pratique démocratique à l’école. La question centrale est de comprendre en quoi le fait d’exercer la fonction de délégué d’élèves permet de prendre conscience et de s’exercer au fonctionnement démocratique de l’école et plus largement de la société.

Qu’est-ce qu’un délégué de classe et un conseil de délégués ? Lieu de transmission de savoirs et de compétences, l’école a aussi pour objectif de former de futurs citoyens qui ont le sens de l’intérêt collectif. La fonction de délégué est une des pratiques qui permet aux élèves qui le souhaitent de s’exercer aux pratiques démocratiques. Des balises sont nécessaires pour guider cette fonction de délégué. Quels sont les décrets qui l’encadrent ? Quelles sont les conditions pour que la fonction de délégué soit efficace, et quels en sont les freins ? Quels en sont les bénéfices pour les délégués et les élèves ? Les délégués exercent -ils leur droit à la parole au sein du conseil de participation ?

Notre réflexion porte sur l’enseignement secondaire, même si nous observons que l’enseignement fondamental implique souvent des élèves dans la fonction de délégué.

Définition du délégué de classe et du Conseil des délégués d’élèves 

En 1997, le décret Missions[1] définit les missions prioritaires de l’enseignement et intègre les élèves dans le processus démocratique, en prévoyant dans son article 6 que l’école prépare tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures.

Pour l’asbl JEC, Jeune Et Citoyen, le délégué de classe est un élève élu démocratiquement par ses pairs pour les représenter et faire entendre leur voix auprès des autres acteurs impliqués dans la vie de l’école. Représenter et porter la parole de ses pairs s’inscrit dans le souci de la recherche de l’intérêt collectif[2].

Hélène Heyvaert, professeur et adulte-relais pour les délégués de classe, donne sa définition : un(e) délégué(e) est un élève qui doit OSER ! Oser affronter la discussion avec la direction, les autres élèves, oser communiquer ses idées, oser croire en des projets, oser écouter et comprendre d’autres points de vue que les siens. Bref, un élève qui n’a pas juste envie de se révolter mais qui veut donner toutes les chances à ses idées et celles des élèves qu’il représente, de voir le jour à l’école.[3]

En fonction de son mandat, le délégué peut représenter les élèves à différents niveaux : classe, année, degré, section, école, conseil de participation…

Qu’est-ce qu’un Conseil des délégués ? Le décret du 12 janvier 2007 relatif au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable [4] précise que l’ensemble des délégués de classe d’un même cycle ou degré forme le Conseil des délégués d’élèves. Le Conseil d’élèves est un espace de parole destiné à analyser des problèmes relatifs à l’école ou à certaines classes. Il a pour mission de centraliser et de relayer les questions, demandes, avis et propositions des élèves au sujet de la vie de l’école auprès du conseil de participation, du chef d’établissement et du Pouvoir Organisateur. Il a également pour mission d’informer les élèves des différentes classes des réponses données par le conseil de participation, le chef d’établissement ou le Pouvoir Organisateur[5].

Ce décret vient ajouter des précisions quant à la structure des conseils des délégués d’élèves, qui permettent la représentation des élèves dans l’établissement.

  • Art 17 § 2 Chaque conseil des délégués d’élèves établit son règlement d’ordre intérieur. Il se réunit au moins six fois par an.
  • § 3 L’ensemble des conseils de délégués d’élèves se réunit au moins une fois par an pour débattre de questions prioritaires et, le cas échéant, élire les délégués au conseil de participation.
  • Article 18 : Dans chaque cycle ou degré, deux membres de l’équipe éducative au moins sont désignés accompagnateurs du projet « conseil d’élèves ». Ceux-ci participent, à titre d’expert, aux réunions du conseil d’élèves du cycle ou degré dans lequel ils exercent.

Quelles conditions faut-il réunir pour que la fonction de délégué soit efficace ?

Certains enseignants, personnes-ressources, nous ont suggéré des conditions favorables à cette participation :

  • Une information préalable sur leur engagement : nombre de réunions, durée du mandat, consultations des élèves, des autres délégués…
  • Une formation des élèves à la participation : prise de parole en public, présenter et défendre une idée, bonne connaissance du fonctionnement de l’école (pour notamment interpeller les bonnes personnes), notions de conduite de réunion, de techniques d’animations, gestion de projets, de conflits, travail d’équipe, faculté d’écoute, etc.
  • Des horaires qui conviennent aux élèves : les réunions en soirée sont-elles les plus adéquates pour les jeunes ?
  • Une équipe éducative convaincue par la participation des élèves et respectueuse de leurs avis, ainsi que des adultes-ressources
  • Préparer une véritable campagne électorale avec projets présentés pour éviter de voter pour un élève isolé (prévoir un moment et la logistique)
  • Définir une procédure d’élection qui implique au minimum le libre choix pour l’élève de poser sa candidature,
  • Un droit de vote pour tous (à bulletin secret)
  • Un réel suivi dans les souhaits et décisions émis par les délégués-élèves ;
  • Un local pour que les délégués puissent se réunir…

Dans ce processus démocratique, il revient aux adultes qui gravitent dans et autour de l’école de préciser ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas au sein de l’établissement scolaire, afin d’éviter certaines frustrations[6].

Obstacles

On peut se demander si ces modalités reprises ci-dessus sont réalisables sur le terrain des écoles, souvent limitées en moyens humains, en temps et moyens financiers.

Par ailleurs, pourquoi arrive-t-il que certains adultes éprouvent des difficultés à prendre en compte la parole des délégués d’élèves ? L’enseignant, face au délégué, passe du rôle de transmetteur de savoir à celui d’accompagnateur de la parole. De nombreux adultes sont mal à l’aise par rapport au changement que supposent les processus participatifs. La parole des élèves « effraie » les adultes, les enseignants en particulier, qui ne savent pas « quoi en faire » ou qui ont « peur de perdre leur pouvoir face aux élèves »[7].

Nicolas, un élève de rhéto nous a raconté que dans sa classe, le délégué n’a rien à faire, si ce n’est de distribuer ou ramasser les feuilles pour le prof.[8]

Tous les élèves peuvent-ils se retrouver délégué d’élèves ? Pour l’asbl JEC, tout élève, quel que soit son parcours scolaire, peut prétendre au rôle de délégué[9]. Quoi qu’il en soit, ces profils peuvent varier en fonction de l’importance que l’établissement veut bien accorder à la fonction de délégué. On y retrouve de bons élèves, ceux qui sont les plus populaires, des rebelles... On retrouve aussi à cette fonction de délégué des élèves qui sont sûrs d’eux-mêmes et qui savent se faire entendre, s’exprimer en public. Cela peut involontairement conduire à diminuer la motivation et les possibilités de ceux qui s’expriment moins facilement, en particulier ceux qui auraient le plus besoin de faire entendre leur voix. Comment s’assurer que tous les élèves puissent se présenter à la fonction de délégué ? N’est-ce pas le rôle des adultes-ressources d’aller chercher les plus timides, mais qui pourtant ont des idées ?

Rappelons ici l’importance que l’élève se présente volontairement comme candidat à la fonction de délégué, et qu’il puisse présenter son projet. Nicolas, élève de rhéto ajoute que dans notre classe, le délégué n’est pas candidat, et souvent c’est l’élève dont on se moque régulièrement qui est désigné d’office[10].

Quels sont les bénéfices de la délégation d’élèves ?

La délégation d’élèves apporte-t-elle des avantages, des atouts pour les délégués eux-mêmes ? Si cette fonction est encadrée et exercée de manière efficace, les délégués peuvent apprendre à débattre [11], à formuler des demandes, à prendre leur place face aux adultes et face aux autres élèves, à consulter les élèves, à répercuter les décisions de manière adéquate, à s’accorder et à exprimer leurs opinions respectueusement.

Dans le cadre de leur fonction de délégués, les élèves peuvent aussi travailler le rapport à la norme [12], en interrogeant les règles pour mieux les comprendre, les critiquer, les amender, les modifier, se les approprier et les respecter.

Les élèves qui ne sont pas délégués bénéficient-ils eux aussi de la structure de participation que l’école a installée ? Sans aucun doute la délégation d’élèves peut aussi profiter aux autres élèves, puisque leur parole peut être répercutée et prise en compte. De plus, les élèves peuvent mieux comprendre comment fonctionne la participation et la représentation dans l’école, micro-société, par le système d’élections mis en place, les débats que lancent les délégués, les différents conseils installés dans l’établissement, etc. La démocratie scolaire se concrétise et prend son sens grâce au travail régulier des délégués d’élèves, et grâce à la participation de tous les élèves, via leur délégué.

Qu’en dit le Pacte pour un enseignement d’excellence ?

Le Pacte pour un enseignement d’excellence insiste sur le développement d’une dynamique de participation dans chaque école. L’avis n°3 du Pacte insiste sur la nécessité de développer les initiatives suivantes :

  • renforcer le système de délégation d’élèves, en précisant et en harmonisant la règlementation relative aux délégués.
  • donner un cadre légal a? l’existence des organisations représentatives des élèves, a? l’instar de ce qui existe pour les associations de parents[13].

Soutien des parents de l’UFAPEC

Convaincue par l’utilité de la fonction de délégué d’élèves dans le cadre de la participation de tous au sein de l’école, l’UFAPEC a longtemps organisé des formations pour les délégués d’élèves, avant de transférer, en 2010 ces formations à l’asbl JEC, Jeune et Citoyen. Encore aujourd’hui, certaines revendications de l’UFAPEC touchent à l’apprentissage de pratiques démocratiques et du vivre ensemble dans les écoles. Notre Mémorandum de 2019 insiste : L’école est un lieu privilégié où le vivre-ensemble et la formation à une citoyenneté responsable, active, créative et solidaire peuvent prendre corps autrement que dans le cercle familial. En effet, les enfants passent une bonne partie de leur journée dans un contexte social où ils rencontrent d’autres personnes, jeunes et adultes, venant d’autres horizons, ayant d’autres références sociales ou culturelles. L’école doit être un lieu où le respect de chaque personne est prôné[14].

Les délégués d’élèves exercent-ils leur droit à la parole au sein du conseil de participation ?

Le conseil de participation est une instance précieuse, car lieu de participation par excellence, il regroupe tous les partenaires de la communauté éducative, à savoir : pouvoir organisateur, direction, équipe éducative et pédagogique, délégués d’élèves, parents et, éventuellement, des membres représentant l'environnement social, culturel et économique de l'établissement. Il s’agit surtout d’un lieu d’échanges, de consultation et de réflexion, qui porte sur la vie quotidienne à l’école dans toutes ses dimensions. C’est aussi un lieu de construction de projets dans des domaines divers. Les délégués des élèves y ont leur place. Le décret « Missions » de juillet 1997[15] définit les membres du conseil de participation, qui doit comprendre notamment des représentants des élèves. Article 69 § 4. Les représentants des élèves sont élus, en leur sein, après appel aux candidats, soit par l'ensemble des élèves de l'établissement, soit par l'ensemble des élèves du niveau secondaire de l'établissement, soit par l'ensemble des élèves des troisième et quatrième degrés de l'établissement. Le mandat ne peut entraîner ni préjudice ni privilège pour celui qui l'exerce.

Le décret du 13 septembre 2018 concernant les plans de pilotage [16] modifie le décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l'enseignement, et précise que l’école devra identifier les thèmes importants et les actions à mettre en œuvre dans le cadre de la promotion de la citoyenneté.

Toutefois, on est en droit de se demander si cette place est efficace et utile. Les délégués qui siègent au conseil de participation sont-ils toujours écoutés et entendus par les adultes ? Sont-ils considérés par ceux-ci comme partenaires au même titre que les autres ? Les délégués ne sont-ils pas confrontés à une forme de hiérarchie scolaire face à laquelle ils sont impuissants ? Connaissent-ils leur marge de manœuvre ? Disposent-ils de toutes les informations pour prendre des décisions adéquates ? Ces questions sont intéressantes à se poser au sein de chaque conseil de participation, pour que la participation des élèves y soit un atout pour la vie de l’école, une réelle pratique démocratique et pas seulement une obligation décrétale.

Conclusion

Pour 2020, il est prévu que les deux premiers livres du Code de l’enseignement soit d’application dans nos écoles. Ce code regroupera à terme toutes les règlementations qui concernent notre enseignement. La délégation d’élèves s’y inscrit de manière objective dans un processus de participation scolaire. Ce code n’organise pas de réelle transformation au niveau du contenu, mais il inclut la délégation d’élèves dans la rubrique « participation », au même titre que les associations de parents.

Il semble que la fonction de délégué d’élèves ait besoin d’un cadre pour être efficace, quel que soit le niveau où la délégation est exercée. Par cadre, nous entendons les décrets qui régissent la fonction de délégué d’élèves, mais aussi la règlementation propre à chaque école. Nous avons aussi pointé quelques conditions, modalités nécessaires pour que cette fonction soit efficace : information sur leur engagement, formation, horaires qui conviennent, équipe éducative convaincue, campagne électorale, réel suivi des demandes, etc. Mais dans les écoles, au quotidien, les adultes ressources sont-ils suffisamment sensibilisés et formés pour soutenir les délégués, les aider à mettre un cadre et à trouver des solutions aux difficultés rencontrées par ces délégués ? C’est d’ailleurs une préoccupation du Pacte, que chaque école puisse disposer d’une équipe éducative formée à la dynamique de la démocratie scolaire. Cette préoccupation doit donc être intégrée à la formation initiale des directeurs et des enseignants comme à leur formation en cours de carrière[17].

Notre Mémorandum de 2019 revendique des écoles qui développent davantage le vivre ensemble. La participation des élèves à la vie de l’école est-elle une obligation légale qu’il convient de respecter pour que l’école soit « dans les normes » ? Il s’agit bien plus d’une opportunité pour faire de l’école un lieu de vie, de participation, d’apprentissage du vivre ensemble. Même si nous sommes conscients des défis que peuvent rencontrer les établissements scolaires pour articuler l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté aux autres apprentissages, nous sommes convaincus que cette fonction de délégué ancre les jeunes dans des pratiques démocratiques qui construisent une société juste, respectueuse de chacun dans ses diversités.

 

 

Bénédicte Loriers

 

 


[1] Décret Missions du 24 juillet 1997, mis à jour le 9 octobre 2018  http://www.enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=401

[2] SCHMIDT JP, Délégation de classe, vers une vraie participation citoyenne ? analyse UFAPEC n°18/15 : http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2015/1815-delegue.pdf

[4] Articles 17 et 18 du décret relatif au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des établissements organisés ou subventionnés par la Communauté française du 12 janvier 2007 : https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/31723_000.pdf

[6] Fiche n°21 : Elire des délégués d’élèves au conseil de participation :

http://enseignement.catholique.be/segec/fileadmin/DocsFede/FESeC/Projet_etablissement/fiche21.pdf

[7] Extrait du rapport du groupe de discussion Pacte pour un enseignement d’excellence, La démocratie scolaire : le rôle des équipes éducative. http://www.pactedexcellence.be/wp-content/uploads/2017/07/Rapport-GD-Educateurs-Democratie-mai-2017.pdf

[8] Témoignage de Nicolas, élèves de rhéto, recueilli le 30 mai 2019.

[9] SCHMIDT JP, Délégation de classe, vers une vraie participation citoyenne ? op cit.

[10] Témoignage de Nicolas, élève de rhéto, recueilli le 30 mai 2019.

[11] DERBAIX B., Pour une école citoyenne, éditions la boite à Pandore, Bruxelles – Paris, 2018.

[12] Idem.

[13] Pacte pour un enseignement d’excellence, Avis n°3, p. 309 http://www.pactedexcellence.be/wp-content/uploads/2017/05/PACTE-Avis3_versionfinale.pdf

[15] Décret Missions du 24 juillet 1997, mis à jour le 9 octobre 2018 :  http://www.enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=401

[16] Article 15§4 7° f) du Décret du 13 septembre 2018[16] modifie le décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre afin de déployer un nouveau cadre de pilotage

https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/45594_000.pdf

[17] Pacte pour un enseignement d’excellence, Avis n°3, p. 309

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