Analyse UFAPEC novembre 2020 par A. Pierard

12.20/ Ecole face au covid 19… risques de décrochage scolaire ?

Introduction

Depuis mi-mars 2020, de nombreux élèves ont été déscolarisés, des pans de programmes scolaires n’ont pas été enseignés ni appris, il n’y a plus eu aucun contact, ou si peu, entre trop d’élèves et leurs enseignants. Certains ont pu recréer un lien, revenir en classe en mai et en juin. D’autres sont restés plusieurs mois loin de leur école… et ce n’est pas terminé ! Quel impact sur la scolarité ? Pour ceux qui ont retrouvé les bancs des écoles en mai, ces quelques jours ont-ils été suffisants pour raccrocher ?

Durant le confinement, les références temporelles et spatiales évoluent pour la communauté scolaire. Les élèves travaillent à la maison, ils ont des travaux à rendre dans un temps déterminé, ils organisent leur temps de travail… Tout cela dans les conditions de vie inégales que nous connaissons. Qu’il s’agisse de la présence des parents, des ressources et des compétences pédagogiques de ces parents, des conditions sociales et financières, d’un environnement sécurisant et bienveillant, d’un espace de travail à disposition, d’un ordinateur et d’un accès à internet, etc. Quelle garantie du bien-être nécessaire au travail scolaire dans ce cadre inégalitaire ?

Cette crise est l’occasion de questionner et de valoriser les missions de l’école. Quel est le rôle de l’école ? Emanciper, épanouir l’esprit ou le confiner ? Donner un accès équitable aux savoirs et aux compétences ? Qu’est ce qui doit être enseigné ?

Avec le confinement que nous connaissons, que faire du rôle social de construction du vivre-ensemble et d’une culture collective de l’école ?

Comme le relèvent les enquêtes PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élève) depuis de nombreuses années, le système scolaire en Belgique francophone est inégalitaire. En matière d’inégalités liées à l’origine sociale, la FW-B se classe toujours parmi les systèmes éducatifs où ces inégalités sont les plus marquées, aux côtés de la Communauté flamande, de la France, de la Hongrie et du Luxembourg.[1] Quel respect du droit à l’éducation pour tous ? La continuité des apprentissages a-t-elle pu être assurée durant ces derniers mois ? Confinement rime-t-il avec risque de décrochage scolaire, plus particulièrement pour les élèves en difficultés et les publics fragilisés ?

Il semble important de revoir le rôle de l’école, de renouveler les pratiques pédagogiques pour rattraper les retards et redéfinir les essentiels, comme l’a préconisé la ministre de l’éducation. Mais cela permettra-t-il de raccrocher les élèves de tous horizons et de tous niveaux ? Six mois de crise sanitaire auront-ils fait perdre les wagons d’élèves les plus fragiles ? Comment les récupérer aujourd’hui, avec quels moyens, quelle tactique et quel degré de priorisation ? De nombreux parents nous ont posé ces questions. Tel est donc l’enjeu sociétal de notre analyse : leur ouvrir des pistes de réponses.

Des travaux pendant le confinement : quel maintien du lien à l’école ?

A partir du 16 mars 2020, les écoles ont été fermées (tout en proposant un accueil des élèves pour lesquels il n’y avait pas de solution d’encadrement) et les enseignants devaient donner des travaux aux élèves pour assurer la continuité des apprentissages. La règle la plus importante : pas de nouveaux apprentissages pendant ce premier confinement !

Les travaux avaient pour objectif de permettre aux élèves, tout comme les devoirs en temps normal, de vérifier la compréhension, de s’exercer, de consolider les connaissances, de réviser la matière, de développer la mémoire. Ces travaux étaient-ils suffisants ? Quel lien a-t-il pu être maintenu entre l’enseignant et sa classe ? Entre les élèves d’une même classe ?

  • Ne pas donner d’apprentissages nouveaux

Cette règle, précisée dans la circulaire n°7515[2], permettait d’assurer la continuité pédagogique et de mettre les élèves sur un pied d’égalité et de travailler la remédiation, la consolidation (et le dépassement quand cela était possible), éléments importants du Pacte pour un enseignement d’excellence.

Même s’il n’y avait pas d’apprentissages nouveaux, des élèves étaient en demande d’exercices et de contacts avec leurs enseignants. Comme l’explique un professeur de religion d’une école schaerbeekoise : les jeunes aiment apprendre. Le fait qu’on soit ici dans du non certificatif peut leur faire retrouver la joie d’apprendre pour le plaisir et non pas par obligation ou pour avoir une bonne note.[3]

L’absence de visée certificative a eu un effet positif sur certains, car ils ont ressenti moins de stress et de pression. Cependant, cela n’est pas le cas pour tous, car d’autres enseignants ont exprimé un détachement et une perte de contact avec des élèves vu l’absence de points à la clé. Les réactions des élèves ont donc été variées.

  • Gérer son travail personnel

L’appropriation du travail demandé a été différente selon les élèves en fonction des intelligences multiples, des compétences et capacités personnelles, de la gestion de son temps de travail, du cadre de travail et du suivi parental. De plus, certains élèves ont pu se sentir compétents dans d’autres domaines que les apprentissages purement scolaires en jardinant, cuisinant, bricolant avec leurs parents.

Concernant le rôle du parent dans l’épanouissement scolaire de son enfant, celui-ci n’a pas été investi de la même manière par tous les parents, selon leurs obligations familiales et professionnelles, leur disponibilité, leur maitrise des matières enseignées, leurs capacités et compétences personnelles.

Si le parent se doit d’être positif et encourageant pour accompagner les acquis scolaires, guider, stimuler la motivation, encourager l’autonomie et soutenir l’enfant dans ses efforts, cela n’est pas aussi facile pour tous les parents dans la pratique. Nombreux sont les parents qui, malgré la meilleure volonté du monde, s’épuisent en vain à expliquer pour la énième fois à leur enfant le principe de l’équation à deux inconnues alors même qu’ils ne sont eux-mêmes tout à fait certains de l’avoir compris.[4]

Rappelons ici qu’être parent ne donne pas les compétences pour remplacer les enseignants au pied levé. Ce sont certainement les parents ayant un fort capital scolaire et culturel qui sont les mieux armés pour soutenir leurs enfants au niveau scolaire. Cela n’a-t-il pas renforcé l’inégalité entre élèves selon leur milieu de vie ?

  • Tenir compte de la fracture numérique

Les enseignants ont dû, du jour au lendemain, assurer un enseignement à distance. Une des voies privilégiées de contact avec les élèves et de transmission des travaux a été celle du numérique. Les enseignants ont-ils tous été à l’aise avec ce changement auquel ils n’ont pas été préparés ? Quelle capacité d’enseigner à distance sans formation préalable ?

Comment assurer un enseignement à distance avec des élèves ayant des moyens, des outils et des compétences numériques variables ? Tous n’ont pas un ordinateur et un accès internet à la maison. Les élèves ont parfois partagé l’ordinateur familial avec les parents travaillant à domicile ou les frères et sœurs ayant aussi du travail scolaire. D’autres ont utilisé leur smartphone, outil pas forcément le plus approprié pour ce genre de chose.

Comme l’explique la Fondation Roi Baudouin, la fracture numérique couvre trois dimensions, auxquelles sont associées des inégalités marquées. Les personnes avec des faibles revenus (moins de 1.200 euros) et un niveau de diplôme peu élevé (au maximum un diplôme de l'enseignement secondaire inférieur) sont particulièrement à risque. Une situation qui les fragilise dans un monde toujours plus numérisé et qui renforce les inégalités sociales préexistantes.[5]

C’est une fracture à trois dimensions :

  • inégalités d'accès aux technologies numériques (coût des outils numériques et d’un accès à internet) ;
  • inégalités relatives aux compétences numériques (et nécessité d’actualisation perpétuelle de celles-ci vu l’évolution technologique) ;
  • inégalités liées à l'utilisation des services essentiels (démarches administratives en ligne).
  • Maintenir le lien ?

Comme l’explique Agnès Florin, professeure émérite de psychologie de l’enfant et de l’éducation à l’université de Nantes, cette période a valorisé comme aucune autre le rôle de l’école comme bien commun et comme espace de socialisation pour les élèves. L’école n’est pas seulement le lieu d’apprentissage des fondamentaux, elle participe aussi du processus d’appartenance à un groupe social pour l’enfant, processus important pour son développement.[6]

Cette socialisation, ce vivre ensemble n’ont pas pu s’exercer à l’école durant tout le confinement. Envoyer des travaux par mail, organiser une séance de classe virtuelle, échanger par messages sur les réseaux sociaux, est-ce suffisant pour maintenir ces liens si importants entre élèves et avec les enseignants ? Comme le dit Laura, professeur de religion en secondaire : Enseigner est un métier qui ne se prête vraiment pas à la distance sociale. Les élèves n’ont pas travaillé en fonction de leur rythme ; au contraire, les écarts se sont creusés. Les élèves paumés l’étaient encore plus, voire même perdus de vue. [7]

Lors de la réouverture des écoles, il a fallu prendre en compte les retards généraux face à une matière qui n’a pas pu être apprise, mais aussi face aux écarts qui ont pu se creuser entre élèves selon leurs difficultés scolaires et le suivi dont ils ont pu bénéficier à la maison. Comme Frédéric Coché, responsable du service de productions pédagogiques du SEGEC[8], l’explique, il y a d’un côté, les retards concernant l’ensemble de la classe et nécessitant une remise à niveau générale, et de l’autre, l’accroissement des écarts entre les élèves. Pendant le confinement, certains ont bénéficié d’un suivi important de la part des parents, d’autres ont complètement décroché par manque de moyens ou parce qu’ils étaient déjà en difficulté avant la crise sanitaire. [9]

Une reprise partielle[10] : un réel raccrochage à l’école ?

C’est sous l’argument de l’importance du lien et des contacts qu’un retour en classe a été jugé essentiel par des professionnels de la santé et de l’éducation. Il est devenu primordial, pour les apprentissages, mais aussi pour la santé mentale des enfants, de recréer du lien avec les enseignants et les activités pédagogiques, d’éviter la perte de contact avec l’école pendant trop longtemps, particulièrement pour les élèves en difficultés et de mettre en place des dispositifs d’accompagnement psychologique, individuels et collectifs. Une réouverture des écoles ou des services d’accueil et d’accompagnement, quel que soit le moment, devrait concerner en priorité de petits groupes d’élèves qui ont le plus souffert de la fermeture des écoles, ceux pour qui le lien social dans un cadre scolaire est primordial vu un climat familial compliqué, voire dramatique.[11]

La responsabilisation des parents pendant le confinement a renforcé les inégalités scolaires : conditions inégales d’existence, inégalités d’accès et de compétences numériques, maitrise partielle du langage et des codes scolaires.[12] N’est-il pas essentiel de mettre fin à cette externalisation pédagogique sur les parents et de réinstaurer une certaine équité entre élèves en leurs donnant à chacun les moyens nécessaires pour atteindre des objectifs communs ?

Ceci, sans obligation pour tous ces élèves de se rendre effectivement à l’école, afin de recréer des liens positifs avec les apprentissages et susciter la confiance en soi.

L’objectif annoncé par Caroline Désir, ministre de l’enseignement obligatoire, est alors de recréer du lien avec un maximum d’élèves d’ici fin juin. Le plus rapidement possible, les équipes éducatives sont invitées à repérer les élèves qui doivent faire l’objet d’un suivi plus spécifique afin de les faire revenir en priorité, à partir du 25 mai, quelle que soit leur année d’études, pour maximum une heure par semaine. Objectif : éviter de creuser encore les inégalités. [13]

Était-ce suffisant ? Tous ces élèves ont-ils réellement retrouvé les bancs de l’école en mai ou en juin ?

Comme l’explique Jean-Pierre Coenen, président de la Ligue des droits de l’enfant, pour les élèves qui ne reviennent pas, les conséquences peuvent être dramatiques. J’ai peur que les écoles ne les attendent pas pour avancer dans la matière l’année prochaine. Les enseignants vont-ils tous tenir compte de la matière qui n’a pas été vue ? Je ne pense pas. On va se retrouver avec beaucoup d’élèves largués. De nombreux élèves n’ont pas donné signe de vie pendant le confinement. C’est notamment pour eux qu’il était important de rouvrir les écoles.[14]

Qu’en est-il des élèves qui n’ont pas été concernés par cette reprise ?

Le confinement a pénalisé plus fortement les élèves de milieu défavorisé et ce sont ces élèves, selon une enquête du SEGEC, qui risquaient de ne pas revenir à l’école tant que l’obligation scolaire stricte n’était pas remise en place. Le SeGEC observe que les écoles maternelles dont l’indice socio-économique est le plus faible (compris entre 1 et 5) enregistrent une moyenne de présence de 37 % alors que les écoles au taux le plus élevé (entre 15 et 20) enregistrent un taux de présence de 71 %. En primaire, le constat est identique, les élèves de première primaire scolarisés dans les écoles à indice socio-économique faible sont nettement moins nombreux que dans les écoles brassant un public plus aisé (50 % d’élèves présents dans la première catégorie contre 80 % dans la seconde).[15]

Cette reprise de mai et juin 2020 n’est donc pas à considérer comme une rentrée scolaire et a, comme le confinement, creusé les inégalités scolaires, en termes de précarité sociale des familles défavorisées et de précarité pédagogique de leurs enfants en difficultés ou plus fragiles. On peut littéralement parler de fracture pédagogique. Cette fracture pédagogique est à lier à la fracture numérique. Elles vont de pair.

Nous pensons comme Marie-Martine Schyns, députée cdH et ancienne ministre de l’enseignement obligatoire, que cette crise a encore accentué l’hétérogénéité déjà importante de notre enseignement. D’énormes différences sont apparues entre écoles et entre élèves d’une même école en termes de présences, dans la classe et à distance. Raccrocher tout le monde représente un énorme défi sur lequel il faudra donc mobiliser un maximum d’intervenants : centres PMS, médiateurs, équipes mobiles, etc. (…) Ce qui est visé, c’est le meilleur respect du rythme de chaque enfant. [16]

Une rentrée différente en septembre 2020 : quelle prise en compte de tous ?

Dès la rentrée de septembre 2020, la ministre de l’enseignement obligatoire et les partenaires (réseaux, syndicats et organisations représentatives des parents et associations de parents) insistent avant tout, en plus de mesures sanitaires strictes pour éviter la propagation du virus, sur les points suivants.

  • La lutte contre le décrochage scolaire et la différentiation des apprentissages :
  • Mettre en place le suivi individuel de chaque élève et personnaliser les apprentissages ;
  • Identifier les prérequis pour chaque année d’études.
  • L’évaluation au service des apprentissages :
  • Organiser des évaluations formatives dès la rentrée comme base pour une remédiation efficace.
  • Une stratégie d’hybridation :
  • Introduire le numérique dans le travail en classe ;
  • Mixer travail en autonomie et avec l’enseignant ;
  • Consacrer un jour par semaine au travail à distance.

Les préoccupations des équipes pédagogiques et des partenaires de l’école (centres PMS, services AMO, écoles de devoirs, maisons de jeunes, etc.), doivent être de faire un bilan des compétences, de prioriser les apprentissages et d’aider les élèves à combler le mieux possible les lacunes et le retard accusé. Ceci dans un travail de réseau étendu et efficace afin de ne pas laisser les enseignants seuls dans la lutte contre le décrochage scolaire.

L’obligation scolaire stricte est essentielle pour raccrocher tous les élèves, et plus particulièrement les élèves fragilisés ou en décrochage. Mais cette obligation scolaire suffit-elle pour toucher tous les élèves ? N’y a-t-il pas un risque d’absences et de décrochage dû aux quarantaines, parfois même utilisées comme prétexte à des absences, et à la peur du virus ? En l’absence d’obligation scolaire, les enseignants les moins soucieux d’égalité auront en effet beau jeu de confirmer que ces parents ne scolarisant pas leurs enfants sont inconscients des enjeux de l’école et des lacunes de leur enfant, et donc en définitive les premiers responsables de leur échec. Au cas où la fréquentation serait obligatoire, le résultat risque d’être semblable : la majorité des écoles ne serait pas poussée à s’interroger sur les mécanismes producteurs d’inégalités, de souffrance… et d’absentéisme.[17]

Comme l’explique Christophe Cavillot, DCO[18], l’obligation scolaire est importante non seulement pour les apprentissages mais aussi pour la question du vivre ensemble à l’école. Souvent, on ramène l’obligation scolaire à la question des apprentissages, mais la socialisation, la construction de soi, le bien-être, l’orientation, ça passe aussi par le groupe-classe. Tous les élèves ont besoin de l’école ! [19]

Christophe Cavillot n’est pas le seul à le constater : Le deuxième problème identifié, c’est le creusement des écarts entre les élèves. Et chez nous, on arrive difficilement à résorber ces écarts qui se sont aggravés avec la crise.[20] Face à ce constat, l’essentiel est de recentrer les apprentissages sur les prérequis, de repenser la progression des apprentissages selon les difficultés de l’élève, de recréer les conditions d’une relation pédagogique positive et d’une motivation personnelle à l’élève[21], de donner et garder le goût d’apprendre, d’aider à prendre conscience et à valoriser ses qualités, forces et compétences.

Célestin, enseignant en 5e primaire, en témoigne : Pendant le confinement, des élèves se débrouillaient sans aide alors que d’autres avaient un réel besoin d’aide. Après avoir suivi une formation sur « Comment enseigner après le confinement », j’ai repris l’école et ma classe différemment pour qu’elle ne soit pas anxiogène. Les éléments essentiels ont été : moins de stress, de la place pour les émotions, moins de pression, une adaptation au rythme des plus lents. Mes élèves sont revenus en classe avec le plaisir d’apprendre et de revoir les copains. De plus, j’ai constaté avec surprise qu’il n’y avait pas tant de manquements que cela, que le fossé n’est pas énorme.[22]

Quel impact des crises sur les apprentissages ?

Notre enseignement a, par le passé, déjà connu des crises qui ont eu un impact sur le milieu scolaire et les apprentissages : la grippe espagnole, les deux guerres mondiales, les grèves des enseignants, etc. Même si l’origine de la crise et le contexte diffèrent, il y a à chaque fois eu de nombreux élèves qui ne sont plus allés à l’école durant une certaine période. Qu’est-ce que ces crises peuvent nous dire sur les effets au niveau de l’éducation et le risque de décrochage scolaire ?

D’un côté, des risques sont reconnus. Grâce aux crises précédentes, comme Ebola par exemple, nous savons que plus les enfants et les jeunes n’iront pas à l’école, au plus leur apprentissage risque d’en souffrir. (…) Pour les enfants les plus vulnérables, l’accès à l’éducation à domicile n’est pas toujours une option.[23]

Frédéric Coché, responsable du service de productions pédagogiques du SeGEC, fait un parallèle avec les vacances scolaires. Plusieurs recherches ont montré que, ne fût-ce qu’après deux mois de vacances, il peut y avoir des reculs de connaissances importants chez les enfants. Or, on parle ici dans certains cas de six mois de rupture avec l’école. On s’attend donc à des retards, même lorsque la matière a été vue à distance.[24]

D’un autre côté, certains relativisent. Oui, il y a des risques de décrochage scolaire, mais ils ne semblent pas beaucoup plus importants qu’en temps normal. Comme l’exprime Bruno Humbeeck, les élèves ne vont pas être moins intelligents parce qu’ils seront restés deux ou trois mois à la maison. Ils risquent simplement d’être moins instruits.[25] Il est donc essentiel d’accorder du temps pour le rattrapage et la mise à niveau.

Comme l’expliquent des experts du Girsef, un trimestre d’apprentissages isolé n’est pas déterminant pour la réussite d’études supérieures ou la recherche d’un emploi.[26] Mais qu’en sera-t-il si l’école doit se faire à distance les prochains mois ? Comment tenir compte de la fracture numérique pour éviter de creuser les inégalités ? Quelle est la capacité des enseignants à accompagner les élèves à distance ?

Christophe Cocu, directeur général de la Ligue des familles, témoigne en parlant des grèves du corps enseignant. J’étais en troisième secondaire au moment des grandes grèves de nonante. On n’a pas été à l’école pendant des mois. Il n’a jamais été question de travail à domicile. Et on n’a pas accumulé un insupportable retard pour autant…[27]

Ce témoignage est à compléter par celui de Régis Dohogne (ancien secrétaire général de la CSC-Enseignement), leader des grandes grèves de 1990 et 1996. Il estime qu’en considérant une scolarité complète, l’impact n’a été que de 0,15%. On ne peut pas dire qu’une génération fut sacrifiée. Les enseignants sont capables de distinguer l’essentiel de l’accessoire et d’accorder plus de temps de rattrapage aux apprentissages plutôt qu’aux évaluations qui sont chronophages.[28]

Les crises peuvent creuser les écarts, mais ils ne sont pas insurmontables si les différences de niveaux sont reconnues positivement, et pas aux dépens des plus faibles. Les élèves devront retrouver un rythme de travail mis de côté trop longtemps, on ne peut attendre d'eux qu'ils redémarrent sur les chapeaux de roues.[29] Il est essentiel de tenir compte des différences entre élèves d’une même classe, une même école, d’une même année scolaire d’apprentissages, de milieux socioculturels et économiques différents.

Qu’est ce qui peut se faire au-delà de l’école pour agir ensemble contre le creusement des inégalités scolaire ? Quelle place est laissée pour le travail des écoles de devoirs et des services d’aide en milieu ouvert pour soutenir les élèves fragilisés ?

Conclusion

Cette crise sanitaire, avec le confinement, la reprise partielle en mai et la rentrée extraordinaire de septembre, la perspective, à l’heure où nous écrivons, d’un enseignement « hybride » pour les 2e, 3e et 4e degrés, est révélatrice du sens et de la place de l’école dans notre société. Les inégalités, déjà présentes dans notre système scolaire, ont été pointées et rendues plus visibles. Profitons-en pour que cette année scolaire soit celle de la lutte contre les inégalités scolaires, le redoublement et le décrochage scolaire.

Nous pensons, à l’UFAPEC, que l’école doit respecter plusieurs balises pour assurer l’égalité de tous les élèves devant les apprentissages, réduire la fracture entre les élèves et leur permettre à tous d’être tirés vers le haut en assurant la continuité des apprentissages dans un lieu sécurisant et mettant en confiance les élèves.

Ces balises font parties des revendications présentes dans notre mémorandum de 2019 :

  • permettre à chaque élève d’avancer à son rythme, suivant un parcours à déterminer et progressif ;
  • identifier clairement les matières constituant des prérequis ;
  • évaluer les compétences de l’élève avant d’en proposer d’autres ;
  • valoriser un accompagnement et une remédiation immédiats et individualisés ;
  • accorder les moyens à tous les élèves pour progresser, indépendamment de la nature de leurs difficultés ;
  • encourager la motivation de l’élève par rapport aux apprentissages, le mettre en projet à travers ceux-ci et favoriser son autonomie, tant vis-à-vis de son parcours d’apprentissage que vis-à-vis de son parcours de vie.
  • augmenter les moyens des structures internes et des organisations
    d’aide à l’accrochage scolaire ;
  • mettre en place des dispositifs de dépistage précoce du décrochage scolaire.[30]

Il y a urgence et les écoles doivent être soutenues dans cette prise en charge de la remédiation et du raccrochage scolaire. Des décisions sont à prendre en haut lieu pour développer des moyens structurels, accompagner les écoles dans cette évolution et aider les enseignants à gérer cette crise au niveau de l’éducation.

Pour prévenir le décrochage scolaire, le maintien du lien avec les parents est important. Les réunions de parents ont tout leur sens en cette période même si elles doivent prendre de nouvelles formes : contacts téléphoniques, visioconférences, réunions dans une salle permettant de respecter les distances. Il est toujours possible de rester en contact avec les parents pour discuter de la scolarité de leur enfant.

Le rôle du parent n’est pas d’enseigner ou de faire l’école à la maison mais, peu importe le niveau de certification et d’instruction, il a toutes les capacités requises pour encourager, soutenir, accompagner la scolarité de son enfant, souligner ses talents et réussites, lui faire prendre conscience de ses forces. Et lorsque le parent ne peut accompagner la scolarité en ces temps de crise sanitaire ? Tout doit être mis en œuvre pour permettre aux écoles, mais aussi aux écoles de devoirs et aux services d’aide en milieu ouvert, pour ne citer que ces deux-là, de prendre le relais pour ne pas laisser seuls les enfants et les parents les plus fragilisés.

L’essentiel est que l’école, et la société dans son ensemble, se centrent sur les prérequis et portent attention aux élèves qui en ont besoin pour lutter contre le décrochage et l’échec scolaire, et pour préserver le droit à l’éducation de tous.

Une vigilance des acteurs scolaires est à maintenir vu ce qui nous attend (en pleine deuxième vague de contamination), surtout pour les publics défavorisés et concernés par la fracture numérique. Comme le souligne, le 28 août 2020, la Fondation Roi Baudoin : Près d’un ménage sur trois avec des faibles revenus ne dispose pas de connexion internet. 40 % de la population belge ont de faibles compétences numériques. Un chiffre qui monte à 75 % chez les personnes avec des faibles revenus et un niveau de diplôme peu élevé.[31] Les écoles doivent aussi en tenir compte dans cette crise sanitaire et dans la mise en place d’enseignements à distance. C’est aussi un enjeu pour une école qui se veut attentive à celles et ceux, parmi les élèves, qui ont un risque de décrocher. C’est en effet ce qui permet de révéler si, oui ou non, l’école veut vraiment la réussite scolaire de tous.

 

Alice Pierard

 

 


[2] Circulaire n°7515 du 17 mars 2020, Coronavirus Covid 19 : décision du conseil national de sécurité du 12 mars 2020 – informations nouvelles.

[3] VAN REETH C., « Coronavirus : comment profs et élèves vivent le confinement », in Le Soir, 23 mars 2020.

[4] COUM D., Faire famille au temps du confinement et en sortir…, YAPAKA, Temps d’arrêt lecture, mai 2020, p. 25.

[6] GRAVELEAU S., « Nous n’avons pas assez donné la parole aux élèves durant cette crise », in Le Monde, 1er juin 2020, https://www.lemonde.fr/education/article/2020/06/01/nous-n-avons-pas-assez-donne-la-parole-aux-eleves-durant-cette-crise_6041418_1473685.html

[7] Témoignage recueilli le jeudi 24 septembre 2020.

[8] Secrétariat général de l’enseignement catholique.

[9] « Prendre les élèves là où ils sont », in Entrées Libres, n°151, septembre 2020, p. 10.

[10] Les écoles ont réouvert à partir du 18 mai afin d’accueillir une partie des élèves dans les établissements scolaires :

  • Dès le 18 mai, les élèves inscrits dans les années certifiantes (6e primaire, 6e et 7e secondaire) ;
  • A partir du 25 mai, les élèves inscrits en 1e et 2e primaire, 2e secondaire, 1e et 2e secondaire de l’enseignement différencié, les élèves identifiés en difficultés, les élèves des classes DASPA et les élèves de l’enseignement spécialisé dont la prise en charge est jugée indispensable ;
  • A partir du 2 juin, tous les élèves de l’enseignement maternel ;
  • A partir du 8 juin, tous les élèves de l’enseignement primaire.

[11] « Ce que disent les experts du Girsef », in Le Soir, 21 avril 2020, https://plus.lesoir.be/295788/article/2020-04-20/ce-que-disent-les-experts-du-girsef

[12] GAUTHIER S., Travail scolaire en temps de Covid-19 : de la responsabilisation des parents aux inégalités scolaires structurelles, Etude FAPEO 2020, p 8. http://www.fapeo.be/wp-content/uploads/2020/07/FAPEO_ETUDE_COVID19_CONTINUITE-APPRENTISSAGES_20200723.pdf

[13] BAUS M., « L’élève en difficulté doit être détecté et rappelé en classe », in La Libre, 30 avril 2020.

[14] BERNAERTS M., « Retour à l’école : des grosses disparités entre les établissements », in la DH, 17 juin 2020, https://www.dhnet.be/actu/belgique/plus-de-la-moitie-des-eleves-sont-reellement-retournes-a-l-ecole-de-grosses-disparites-selon-les-etablissements-5eea56f59978e21bd08a5729

[15] Idem.

[16] BAUS M., « L’accompagnement individuel sera la priorité, dès la rentrée », in La Libre, 19 juin 2020.

[17] « L’obligation scolaire, remède contre les inégalités ? », in Le Soir, 7 juin 2020, https://plus.lesoir.be/305261/article/2020-06-07/lobligation-scolaire-remede-contre-les-inegalites

[18] Délégué aux contrats d’objectifs.

[19] « Les écoles invitées à définir une stratégie de différenciation, de lutte contre le décrochage et d’hybridation », in PROF, le magazine des professionnels de l’enseignement, n°47, septembre 2020, p. 12.

[20] « Les écoles invitées à définir une stratégie de différenciation, de lutte contre le décrochage et d’hybridation », idem, p. 12.

[21] La question de la motivation en temps de crise Covid fera l’objet d’une prochaine analyse.

[22] Témoignage recueilli le mercredi 16 septembre 2020.

[23] VAN BOCKSTAL K., « La situation d’urgence sanitaire risque de se transformer en crise de l’éducation », in Le Vif, 1 mai 2020, https://www.levif.be/actualite/belgique/la-situation-d-urgence-sanitaire-risque-de-se-transformer-en-crise-de-l-education/article-opinion-1283917.html

[24] QUINET J.-M., « Combler les lacunes et réduire les inégalités : le double défi de la rentrée », in Le Soir, 26 août 2020, https://plus.lesoir.be/321021/article/2020-08-26/combler-les-lacunes-et-reduire-les-inegalites-le-double-defi-de-la-rentree

[25] GHALI S., « Dans les classes, le retard scolaire n’inquiète pas vraiment », in Le Vif, 2 juillet 2020, https://www.levif.be/actualite/belgique/dans-les-classes-le-retard-scolaire-n-inquiete-pas-vraiment/article-normal-1306739.html?cookie_check=1602247829

[26] « Ce que disent les experts du Girsef », op cit.

[27] BAUS M., « Difficulté supplémentaire pour les parents, source d’inégalités : l’école à domicile pose question », in La Libre, 26 mars 2020, https://www.lalibre.be/belgique/enseignement/difficulte-supplementaire-pour-les-parents-source-d-inegalites-l-ecole-a-domicile-pose-question-5e7b8596d8ad58163167b6ae

[29] BRONSELAER D., « Tous les élèves doivent passer dans la classe supérieure, voici pourquoi », in Le Vif, 18 avril 2020, https://www.levif.be/actualite/belgique/tous-les-eleves-doivent-passer-dans-la-classe-superieure-voici-pourquoi/article-opinion-1278527.html

[30] Mémorandum UFAPEC 2019, p 17.

Vous désirez recevoir nos lettres d'information ?

Inscrivez-vous !
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies pour vous proposer des publicités adaptées à vos centres d'intérêts, pour réaliser des statistiques de navigation, et pour faciliter le partage d'information sur les réseaux sociaux. Pour en savoir plus et paramétrer les cookies,
OK