Analyse UFAPEC Novembre 2023 par A. Floor

12.23/ Les groupes WhatsApp parents-enseignant : un rapprochement positif ?

Introduction

Il arrive que les enseignants proposent aux parents de la classe de faire partie d'un groupe WhatsApp[1] ou d'une autre application de messagerie instantanée afin de partager des informations pratiques, de poster des photos des activités dans et en dehors de la classe, voire des petites vidéos. Cela se produit le plus souvent dans les petites classes : en maternelle et début de primaire. Ce genre de groupe peut aussi être créé à l'occasion d'un voyage scolaire pour donner facilement et rapidement des nouvelles des enfants à tous les parents de la classe. Lors de la période de confinement, les enseignants ont recouru à ce mode de communication pour rester en lien avec les familles et les soutenir, surtout quand il n'y avait pas d’espaces numériques de travail (ENT)[2] dans l'école. Quels sont les avantages de ce mode de communication immédiat et bien connu de la grande majorité des parents ? Dans quelles conditions y avoir recours et à quoi veiller en tant qu'enseignant et en tant que parent ? En quoi ces nouvelles interactions école-parents peuvent-elles avoir un impact sur la relation des parents avec leurs enfants et vice versa ? Est-ce que cette nouvelle manière de communiquer rapproche les familles de l'école et renforce le partenariat école-familles ? Jusqu’où aller dans le partage d’informations ou de publications de photos pour respecter le droit à l’image, le respect de la vie privée de tous les utilisateurs ainsi que le droit de l’enfant ou du jeune à vivre ses expériences sans un regard parental constant ?  

Points positifs

Le recours à cette application mobile de messagerie a trouvé sa source principalement lors du confinement. Dans certains cas, ce sont les enseignants eux-mêmes ou les directions qui ont créé ces groupes pour conserver le lien soit avec les parents, soit avec les élèves. Comme ce type de messagerie est largement utilisé, cela a été le moyen le plus facile pour entrer en contact avec les familles dans l’urgence du confinement, comme en témoigne Christine Toumpsin, directrice de l'Institut Notre-Dame à Anderlecht, section primaire. Les ClassDojo[3] ont pris de l’ampleur pendant le confinement tout comme les groupes WhatsApp au niveau des classes. Quand il y a eu hybridation et travail à domicile, en 1e et 2e primaires, les parents filmaient leur enfant en train de lire et l’enseignant pouvait alors corriger. Pendant le prolongement du congé de Toussaint, il y a des travaux qui étaient faits et les professeurs étaient en lien avec les élèves pour regarder les travaux, les écouter lire, les encourager et les rassurer aussi. Nous allons certainement continuer.[4] Ce témoignage met aussi en lumière l'impact de cette messagerie sur l'apprentissage à domicile dans le contexte bien particulier du confinement où l'école s'était, par la force des choses, exportée à la maison.

Le groupe Whatsapp de classe est un moyen de communication facile pour l'enseignant.e afin d'entrer en lien avec tous les parents de sa classe et les tenir au courant de ce qui se passe à l'école. « Je suis dans le groupe WhatsApp de la classe et je trouve cela sympa, je ne sens aucune pression ni utilisation abusive. Je poste des photos de moments sympas de la classe de temps en temps, j’envoie des rappels ou autres petites infos… Je n’ai jamais eu à déplorer le moindre débordement. Outil qui rapproche, je trouve, et le fait d’y être permet de "réguler" un peu les échanges… », explique Delphine dans un billet intitulé "L'instit'humeurs"[5]. L'application est très pratique aussi pour laisser des messages audios à destination des parents qui ne lisent pas le français ou pour informer et rassurer les parents de l'école maternelle via des photos ou des petits films.

Dans le cadre de son mémoire de bachelor, Auceane Joyce Gusset, étudiante à la HEP-BEJUNE (Suisse) et future enseignante, a étudié différentes pratiques pour développer l'intégration et la communication avec les parents d'élèves (groupe WhatsApp, photo d'activités envoyée au parent de l'élève concerné, activité parents-enfants en classe). L'application mobile de messagerie WhatsApp a été utilisée pendant cinq semaines comme voie de communication et de rappel pour les différents événements ou activités de la classe. L'enseignante était l'administratrice du groupe et l'unique personne à pouvoir y mettre des messages. Le but était d'éviter la surcharge de réponses, la fonction "lu par" a été utilisée pour vérifier la réception et la lecture des informations. En conclusion de cette expérience, les parents ont partagé combien cette application a allégé leur charge mentale concernant les sorties et les activités à ne pas oublier. Et l'enseignante relève que la communication via ce canal lui permet de gagner en temps, en efficacité et en économie de papier. Un seul message et tous les parents sont touchés, sans risque de perte de l'information, comme cela pourrait être le cas avec un papier glissé dans le journal de classe. Cela a également amené un gain de temps sur la vie de classe en diminuant les imprévus qui peuvent perturber ou retarder l’enseignement et les activités scolaires. (…) Rappeler des informations ou fournir des éléments a un effet bénéfique sur les attentes des uns et des autres, car la communication est facilitée et évite des malentendus ou des oublis.[6] Dans cette expérience, le groupe WhatsApp a rempli sa fonction première : donner l'information aux parents, rappeler le matériel à apporter, la tenue vestimentaire souhaitée… Les parents, cependant, n'avaient pas l'occasion d'interagir avec l'enseignante. Ce qui a permis d'éviter que des débats ne s'amorcent ou que l'information essentielle ne se retrouve noyée par des interactions parfois inutiles ou hors sujet.

A la lecture de ce dernier témoignage, on peut observer que le paramétrage de la messagerie va induire une communication à sens unique (de l’enseignant vers les parents) et dans un objectif précis de transmission d’informations pratiques. Heureusement, d’autres types de communication sont prévus, tels que des moments de rencontre et d’activités parent-enfant en classe. Dans le cas où le paramétrage autorise les interactions entre parents et enseignant, on voit que la présence de l'enseignant dans le groupe joue le rôle de garde-fou et contribue à éviter la propagation d'informations fausses ou transformées par différents intermédiaires. Cet outil de communication direct permet de rappeler aux parents des informations très pratiques qui contribuent à la bonne marche des activités futures réalisées en classe ou lors de sorties.

Les points d’attention 

Jusqu'où aller dans la nature ou la teneur des informations qui seront diffusées sur ces groupes ? Publier une photo d'un de ses jeunes élèves tout souriant pour rassurer des parents préoccupés par une séparation difficile le matin même, partager aux parents de la classe un petit film d'une activité particulièrement réussie ou qui permet aux parents de mieux comprendre l’objectif de certains apprentissages, tout cela part d'une bonne intention et contribue certainement à intégrer chaque parent à la vie de l'école quel que soit son niveau de connaissance de la langue, de la culture, des codes de l'école ou de disponibilité. Mais qu'en est-il des obligations d'un enseignant en matière de droit à l'image de ses élèves ? L'enseignant aura dû, au préalable, demander l'autorisation de prise et d'utilisation des photos ou des vidéos à une personne titulaire de la responsabilité parentale si l'élève est mineur et, en plus, il lui faudra obtenir le consentement de l'élève mineur ayant atteint l'âge de discernement (entre 12 et 14 ans)[7]. Une fois cette autorisation obtenue, l'enseignant devra également obtenir le consentement pour la diffusion de ces photos et vidéos via le système de messagerie instantanée.

Cette exposition de ce qui se passe en classe ou lors d’activités en dehors de l’école pose aussi la question de la place du parent ; c'est à la fois très attirant de voir son enfant interagir en classe et, en même temps, le parent peut aussi ressentir un sentiment d'intrusion dans un espace qui n'est pas le sien, mais bien celui de l'enfant. Les moyens de communication numérique se sont multipliés dans les écoles et les élèves plus âgés, tout en saluant leur utilité, relèvent d’ailleurs aussi cette ingérence des parents dans leur univers via les plateformes de communication numérique telles que par exemple Smartschool : "On ne peut rien cacher. Il n'y a plus d'intimité". Elle (Lara, 16 ans) juge que sa mère se connecte "trop" à Smartschool. "Souvent, elle me rappelle ce que je dois faire, mes devoirs, mes interros…[8] Cette fenêtre digitale qui s’est ouverte entre les parents et l’école positionne les enfants et les jeunes en permanence sous le regard de leurs parents et peut entraîner une sorte de déresponsabilisation. Nous avions déjà relevé dans notre étude consacrée aux impacts de la communication numérique sur les relations familles-école combien le fait de donner un accès illimité aux parents à ce qui se vit à l'école sortait l'élève de son rôle de courroie de transmission entre l'école et sa famille[9]. A quoi bon raconter ma journée puisque mon parent est déjà au courant de mes points, de mes heures de fourche, etc. ? Et finalement la communication risque de ne plus exister qu'entre le parent et l'école sur le dos de l'élève qui se sent de moins en moins concerné et de plus en plus surveillé. Dans ce contexte, cela devient compliqué pour lui d’avoir un jardin secret et de prendre son autonomie. Dans son article consacré à la vie scolaire sous Smartschool, Soraya Ghali relève d'ailleurs que cette ingérence numérique provoque l'inquiétude de certains adultes : (…) certains parents, enseignants ou psychopédagogues s'inquiètent que ces "possibles outils de contrôle" entravent la construction adolescente - qui consiste aussi à expérimenter les limites à construire un jardin secret, à choisir ce qui est dit ou tu aux adultes.[10]

La tendance est d’ailleurs à une demande de régulation par les utilisateurs de tous ces moyens de communication numérique à l’école. Les enseignants se plaignent d’être sollicités à toute heure du jour ou de la nuit par leurs élèves, les parents, leurs collègues…Les parents reçoivent aussi des notifications à tout moment. Un projet de décret visant à encadrer la connexion et la déconnexion des enseignants pour limiter les risques psychosociaux est d'ailleurs en cours de négociation[11].

Conclusion

La communication numérique a fait son entrée dans les écoles et a induit des interactions plus directes avec les parents, mais il y a un certain nombre de revers à la médaille : l'instantanéité des échanges et le risque de mauvaise gestion des émotions des parents, le regard incessant des parents sur leurs enfants et ce qui se passe à l'école. Ce genre de messageries instantanées rapproche les parents de l'école, crée une relation directe avec l'enseignant et présente beaucoup d’avantages pratiques pour l’organisation concrète des activités et de la classe, mais exige aussi la mise en place d'un cadre et d'une charte d'utilisation.

La multiplication des canaux de communication risque aussi de perdre et de décourager les parents. Pour l’UFAPEC, il est indispensable de prendre le temps de la réflexion sur ces différents moyens de communication numérique et ce avec tous les acteurs de l'école (direction et personnel administratif, enseignants et éducateurs, élèves et parents). Jusqu'où communiquer et que communiquer ? Est-ce que tout ce qui se passe à l'école doit être transmis instantanément aux parents ? Avec quelle intention communique-t-on au niveau de la co-éducation et du partenariat école-familles ? Sera-ce purement informatif et pragmatique ? Ou dans l'intention de créer du lien, un climat de confiance avec les parents, en partageant avec eux les progrès, les expériences vécues en classe ? N’oublions pas non plus la richesse des rencontres en chair et en os. Car c'est bien dans un dialogue entre parents et enseignants que peuvent se construire les moyens d'assurer pour l'enfant une parcours de réussite scolaire et d'épanouissement vers une autonomie assumée.

 

Anne Floor

 


[1] Whatsapp est la messagerie la plus couramment utilisée, c’est pourquoi nous la citons nommément. Vu le format de ce texte, nous ne pouvons pas citer toutes les messageries existantes. Nous n’abordons pas ici la question du respect ou non du RGPD par les utilisateurs de ces groupes Whatsapp.

[2] Un espace numérique de travail (ENT) est un portail internet éducatif permettant à chaque membre de la communauté éducative d’un établissement scolaire, d’accéder, via un point d’entrée unique et sécurisé, à un bouquet de services numériques en relation avec ses activités dont une boîte de messages privée permettant la communication avec les parents, les élèves, les collègues. Service général du numérique éducatif – D’Hoine Hedwige – Les outils numériques de communication entre les parents et l’école – janvier 2019. https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/45871_000.pdf.

[3] ClassDojo est une plateforme de communication scolaire en temps réel dont se servent les enseignants, les élèves et leurs familles afin de bâtir des communautés plus soudées, en partageant à la maison ce qui a été appris en classe par le biais de photos, vidéos et messages.

[4] FLOOR, A., Impacts des nouvelles pratiques de communication numérique sur les relations familles-école, Étude UFAPEC 16.20, décembre 2020, p. 36. https ://www.ufapec.be/files/files/analyses/2020/1620-Et3-comm-numerique.pdf

[5] MARBOEUF, L., « Comment WhatsApp a modifié les relations école/famille », in L’instit humeurs, Franceinfo, 29 janvier 2022. Comment WhatsApp a modifié les relations école / famille | L’instit’humeurs | Francetv info

[6] GUSSET, A J., Développer l’intégration et la communication avec les parents d’élèves – Des pratiques au service de la relation parents-corps enseignant (Formation primaire), Haute école pédagogique – Bejune, Delémont, avril 2020, p. 29.

[8] GHALI, S., «  La vie scolaire sous Smartschool », in Le Vif, n°34, du 24 au 30 août 2023, p. 8.

[9] FLOOR, A., op.cit., p. 47.

[10] GHALI S., ibidem.

[11] BERNAERTS, M., « “Un mail le samedi ? Inadmissible » : les professeurs, submergés de mails, demandent à pouvoir déconnecter” », in La libre Belgique du 23 juin 2023. https://www.lalibre.be/belgique/enseignement/2023/06/23/un-mail-le-samedi-inadmissible-les-professeurs-submerges-de-mails-demandent-a-pouvoir-deconnecter-EFGQ26A7CRGCFCJYJ2444PWPII/ 

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