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La pédagogie Montessori est-elle applicable aux écoles « traditionnelles » ?
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14.17/ La pédagogie Montessori est-elle applicable aux écoles « traditionnelles » ?
Introduction et contexte historique
Maria Montessori, médecin, philosophe, psychologue et pédagogue a impulsé au début du XXe siècle un changement sociétal, à une époque où l’enfant était très peu considéré : elle a placé l’enfant au centre de ses apprentissages.
En 1896, elle est la première femme en Italie à faire des études de médecine complètes. En 1907, elle est chargée de fonder un centre pour jeunes afin de sauver de la rue les enfants d’un quartier ghetto de Rome, San Lorenzo. Ces enfants de 3 à 6 ans étaient livrés à eux-mêmes et grandissaient sans aucune stimulation de l’esprit.
La pédagogie de Maria Montessori est basée sur l’observation d’enfants de milieux culturels variés, ce qui lui a permis de conclure que tous les enfants sont pourvus de capacités universelles leur permettant d’acquérir des connaissances[1]. Pour cette pédagogue, si on veut que l’humanité progresse, l’enfant devra être mieux connu, respecté et aidé ; cette idée est révolutionnaire à son époque.
Favoriser la confiance en soi, l’autonomie, apprendre à faire seul tout en permettant à l’enfant d’évoluer à son propre rythme et en toute liberté, développer l’aide mutuelle, et favoriser le respect du travail des autres, tels sont, entre autres, les souhaits de cette pédagogue. On sait que Montessori était critique à l’égard de l’ordre moral et social d’une société bourgeoise centrée sur l’adulte, qui éduquait ses enfants tout en méprisant leur spécificité. « Si l’on s’appuie sur la présentation qu’elle fait en 1935, dans son livre « L’Enfant », de l’origine de sa théorie pédagogique, cela semble aller bien au-delà, puisque Montessori rallie d’emblée et explicitement la question de l’enfant à un mouvement social de fond ; elle la présente même comme une question sociale avant d’être une question pédagogique[2] ».
En prenant connaissance de ce contexte historique, on est en droit de se demander si les écoles qui se revendiquent aujourd’hui de la pédagogie Montessori ne s’éloignent pas de l’objectif premier de cette pédagogie, qui était de soutenir les milieux défavorisés, en leur donnant une place dans la société, en permettant l’intégration de tous, en luttant contre l’échec scolaire, en donnant plus de sens à l’école, notamment pour les enfants qui sont éloignés des codes scolaires ? Le paradoxe n’est-il pas qu’aujourd’hui, les écoles qui s’inspirent de la pédagogie Montessori sont réservées aux couches socio-culturelles favorisées ?
La volonté de Maria Montessori a toujours été de faire évoluer l’enseignement vers davantage de mixité sociale, et d’adaptation aux besoins et aux rythmes de chaque élève.
Le projet de réforme actuel de notre enseignement, assuré par le Pacte pour un enseignement d’excellence, reprend nombreux principes de Maria Montessori dans son avis n°3 : « Il est impératif de faire évoluer l’école. Malgré l’énorme implication des acteurs de l’école, des enseignants, des directions, des pouvoirs organisateurs, des parents et des élèves, notre système scolaire produit des résultats insatisfaisants tant en termes d’efficacité que d’équité »[3].
Principes fondamentaux de la pédagogie Montessori
Avant tout, pointons ici quelques éléments qui constituent la structure de base de cette pédagogie :
- Le plaisir d’apprendre
- Le Matériel Montessori adapté
- L’enfant reconnu comme individu à part entière, principal acteur de ses apprentissages
- L’éducateur en retrait, qui aide à apprendre
- Le respect du rythme de l’enfant
- Le respect des périodes sensibles, pendant lesquelles l’enfant est intéressé par tel ou tel domaine pour évoluer dans ses apprentissages
- La mixité des âges, les grands aident les plus jeunes (3-6, 6-9, 9-12 ans)
- La coopération entre élèves
- L’importance de bouger
- La possibilité d’auto-correction
- Le respect de règles de la vie en groupe
- La tolérance[4]
Notre pédagogie respecte le rythme de l’enfant, et encourage son autonomie : il apprend à travailler seul. Il y a aussi la notion d’autocorrection : pas d’évaluation, l’enfant n’est jamais mis en échec, et il n’y a pas de jugement posé sur lui. L’enseignant suit avant tout l’intérêt de l’enfant, et le matériel est adapté à son âge[5]. |
Nous ne pouvons pas nier que la conjonction de ces principes forme un tout cohérent, mais ne retrouve-t-on pas nombreuses de ces idées dans d’autres pédagogies, dont principalement les classes verticales, la coopération entre élèves pour certains apprentissages, etc. ? Certains de ces principes sont développés dans le chapitre suivant.
Ce qui est vraiment novateur chez Maria Montessori, c’est l’attention portée avant tout à l’enfant, qui doit se situer au centre des apprentissages. Autre innovation de la pédagogue : porter attention aux milieux défavorisés… ce qui se révèle être l’inverse dans les écoles actuelles qui se veulent être dans l’esprit Montessori.
La plupart de ces principes sont encore d’actualité, puisque le pacte pour un enseignement d’excellence promeut plusieurs de ces éléments, dont : le renforcement du maternel, la lutte contre l’échec scolaire, le décrochage scolaire, la lutte contre les violences à l’école, la mixité sociale, la diminution de la taille des classes, la démocratie scolaire, et le renforcement de l’enseignement adapté à chaque élève[6].
Quelques principes qui peuvent être appliqués (ou qui sont appliqués) dans les écoles traditionnelles
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L’éducateur en retrait, un principe plus que jamais actuel
Toutes les écoles qui appliquent la pédagogie Montessori promeuvent l’autonomie des enfants et le respect réciproque entre élève et enseignant.
L’enseignant a un rôle de guide, d’accompagnant. Il n’y a pas de hiérarchie entre l’enseignant et l’élève. L’adulte est là pour donner les moyens de faire sortir le potentiel que chaque enfant a en lui[7]. |
Bernard Delvaux, chercheur en pédagogie à l’UCL, fait le lien entre internet et cette notion de l’éducateur en retrait, qui doit être prêt à être interpellé par l’apprenant.
Tout comme Maria Montessori, qui a remis en question l’ordre établi et la légitimité des connaissances, internet induit que les élèves vont moins facilement croire la parole de l’enseignant. « Le maître ne doit plus être un guide menant son suiveur sur le chemin qu’il a tracé, mais un accompagnant évoluant de concert avec celui qui est en quête et choisit son chemin. Dans un tel processus, l’accompagnant, au contraire du guide, est conscient de pouvoir être bousculé, interpellé, mis en question tout autant que l’apprenant[8] ». Maria Montessori promouvait déjà dans les années 1920 l’idée de l’éducation comme accompagnement et non comme transmission de savoirs ; elle fait donc figure de visionnaire.
Je suis la seule institutrice, mais je bénéficie de l’aide précieuse d’une institutrice bénévole qui a aussi suivi une formation à la pédagogie Montessori. Notre souci est de faire comprendre qu’il faut deux adultes pour que la classe « fonctionne » : un adulte qui donne une leçon, et un autre qui observe, et qui veille au bon fonctionnement de la classe, qui veille à ce que tout le matériel soit en bon ordre, que les activités se déroulent dans le calme, et que chaque enfant fasse attention au travail des autres enfants[9]. |
Apprendre à faire seul, à développer son individualité, à regarder le monde dans lequel on est plongé de manière critique, à prendre des initiatives, à s’auto-corriger, etc., ces éléments pédagogiques n’apparaissent-ils pas comme des réponses partielles aux difficultés de notre enseignement traditionnel, où les élèves sont trop peu observés dans leurs spécificités ?
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Respect d’un cadre pour la vie en groupe
Les enfants ont-ils des contraintes en classe ? Nous avons posé cette question à Catherine Cloots, institutrice à l’école Montessori de Tilff.
« Oui ils doivent respecter les règles de vie en groupe, ils ne font pas ce qu’ils veulent : on ne se pousse pas, on ne se frappe pas… Une grande partie de notre gestion de groupe et la vie en communauté sont basées sur le fait que nous apprenons à nos enfants à mettre des mots sur leurs émotions. C’est la base de l’éducation à la paix[10] ».
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Coopération entre élèves
Pour Catherine Cloots, « nous ne sommes pas dans la compétition, mais nos activités sont basées sur la coopération entre enfants, et chacun peut trouver sa place dans le groupe[11] ».
La pédagogie coopérative place l’élève en tant qu’acteur de ses apprentissages. Elle part de l’observation que c’est en expliquant à un autre ce qu’il a compris, que l’élève l’intègre le mieux. « Ainsi après un temps de recherche personnelle, ils travaillent ensemble, échangent leurs stratégies mentales dans un cadre posé par l’enseignant, qui joue le rôle de facilitateur. Une mise en commun avec le reste de la classe et l‘enseignant permet de construire les savoirs, d’intégrer des stratégies pour mémoriser, synthétiser, chercher et organiser sa pensée. Cette pédagogie d’échanges va impliquer de la coopération. Tout au long des apprentissages et de façon transversale, l’enseignant transmet des outils permettant à l’élève de gérer ses états émotionnels et ses interactions avec les autres. Cette méthode pédagogique assure l‘entraide, la liberté de faire, de dire et de penser au sein d’un groupe, tout en garantissant le respect de chaque individu [12]».
Les écueils de la pédagogie Montessori
Aujourd’hui, quels sont les éléments de cette pédagogie qui font débat, qu’en disent ses détracteurs ?
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Ecoles actuelles destinées à un public favorisé
On observe que les écoles qui s’inspirent de la pédagogie Montessori « semblent réservées à un public relativement favorisé, avec en corollaire une absence de mixité sociale[13] », alors qu’au départ la pédagogue a lancé ses recherches dans des quartiers pauvres, pour les enfants de la rue, sans soutien de leurs parents. Cette pédagogie serait-elle aujourd’hui réservée à des familles privilégiées, qui ont les moyens financiers pour payer le minerval, et la connaissance de cette pédagogie ainsi que la disponibilité pour aller dans le même sens à la maison ?
Les écoles Montessori sont des écoles privées, qui ne sont pas reconnues, et qui donc coutent cher aux parents. Nous nous battons à Tilff pour faire changer les choses et pour que notre école soit subsidiée et accessible à toutes les bourses, ainsi qu’aux enfants qui souffrent d’un handicap moteur ou mental. Il faut savoir que souvent, ce sont de grandes entreprises qui paient ces formations aux enfants de leurs employés[14]. |
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Enseignement quasi individualisé, sans cohésion de classe
Cet enseignement se donne en petits groupes, ce qui est très compliqué en démocratie où toute la population doit être instruite.
Catherine Cloots : « Nous avons la chance d’avoir une classe avec peu d’élèves, donc nous pouvons passer tout le temps qu’il faut pour tel ou tel enfant, pour qu’il comprenne qu’il est important à nos yeux[15] ». |
Enseignement individualisé, respect de rythme de chaque enfant… Dans ces conditions, peut-on parler de cohésion de classe ? Pour la pédagogue Françoise Carraud, « certains enfants s’entraident, mais ils font aussi beaucoup seuls. Dans une classe Montessori, les enfants sont vus comme une collection d’individus et non comme un groupe, or l’école est dans le collectif (…)[16] ».
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Le danger des périodes où l’enfant est prêt pour travailler (périodes sensibles)
Les périodes sensibles sont des moments où l’enfant a soif d’apprendre, et tout naturellement, l’acquisition de connaissances se fait dans l’enthousiasme et la motivation. Mais pour certains, la méthode Montessori est « très dangereuse car en attendant que l'enfant veuille bien donner de lui-même sans le contraindre à un rythme commun, la majorité se laisserait aller. L'école ne peut se permettre d'attendre des années pour qu'un enfant apprenne à lire et calculer, et juste, travailler, sous prétexte qu'il faudrait attendre qu'il ait le déclic, et même risquer qu'il ne l'ait jamais[17] ». L’attente de ces périodes dites sensibles ne risque-t-elle pas de poser préjudice à l’apprentissage collectif ? L’attention portée à ces périodes propices aux apprentissages n’est-elle pas plutôt réservée à une pédagogie individualisée, et donc couteuse en moyens humains et matériels ?
Conclusion
Les principes pédagogiques de Maria Montessori, dont la plupart sont développés en annexe, restent encore d’actualité, et nombre de ces idées sont d’ailleurs reprises dans l’avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence[18].
L’approche de la pédagogie Montessori peut encore aujourd’hui faire évoluer nos représentations sur l’enseignement, dans le sens où Maria Montessori place l’enfant au centre de ses apprentissages. Elle a mis de l’espoir dans une réforme de l’éducation de l’homme nouveau, qui doit commencer avec l’enfant, qui en porte le germe. Voilà l’enjeu sociétal de ses actions, qui ont impulsé d’importants changements sociaux à son époque, dans un contexte « où les enfants pouvaient être traités sans respect, insultés, battus, en exerçant un droit reçu de la nature : le droit de l’adulte »[19].
Cette pédagogie constitue un signal pour l’école traditionnelle, qui ne peut prendre en compte le rythme et la spécificité de chaque enfant à cause de classes surchargées, et qui de plus plonge les enfants dans un bain de concurrence anxiogène.
Je pense qu’il est difficile pour les écoles traditionnelles de respecter le rythme de chaque enfant, avec des classes surchargées. Il faut aussi un changement complet dans l’approche des apprentissages. Chez nous, l’enfant est au centre[20]. |
La principale réserve soulignée dans cette analyse à propos de la pédagogie Montessori est qu’elle est difficilement applicable aux groupes classes que nous connaissons, car elle fonctionne pour de petits groupes.
D’autre part, cette pédagogie est-elle destinée aujourd’hui aux publics défavorisés, comme le souhaitait son initiatrice ? Cet enseignement demande de nos jours un important effort financier pour les parents, mais aussi de la disponibilité et une bonne dose de connaissances pour pouvoir appliquer aussi cette pédagogie à la maison.
Quoi qu’il en soit, si les principes de cette pédagogie ne sont pas applicables intégralement au sein des écoles « traditionnelles », les enseignants ne pourraient-ils pas davantage s’en inspirer pour changer de paradigme, de modèle, en plaçant l’enfant au centre de ses propres apprentissages, pour qu’il se construise en citoyen responsable, actif et solidaire, pour sa vie entière ? L’implication active des élèves, l’autonomie, les bonnes relations entre pairs, la solidarité dans les apprentissages, le respect de leur rythme, le plaisir d’apprendre, principes de base de la pédagogie Montessori, sont encore aujourd’hui des conditions de succès scolaire. Il ne s’agit plus de maîtriser des savoirs limités, mais de pouvoir apprendre tout au long de la vie. « Et c’est justement quand on les laisse libres de faire un travail qui a du sens qu’on leur donne l’occasion de devenir volontairement actifs à l’école et, plus tard, dans la vie, sans avoir besoin d’un gendarme à leur côté[21] ».
Notre société évolue rapidement, et notre système scolaire, clé de construction de notre société, doit s’adapter et se remettre en question, si toutefois nous souhaitons une société qui favorise la créativité, l’émancipation, le sens critique, l’ouverture au monde extérieur, la démocratie, la tolérance et le vivre ensemble. Pour Maria Montessori, « la tolérance, la capacité à reconnaître que l'autre est à la fois semblable à moi et digne du même respect, se pose à l'échelle des rapports interindividuels comme à l'échelle des rapports entre les civilisations et les religions. (...). Ceux qui, à l'école primaire, apprennent à huit ans à être médiateurs entre leurs camarades seront certainement ceux qui, à une toute autre échelle, apprendront demain à être médiateurs entre les peuples ».[22]
Bénédicte Loriers
[2] CUSSET Yves, Pédagogie et politique. Quelques réflexions à partir d’une remarque de Maria Montessori : https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2006-2-page-107.htm
[4] Quelques-uns de ces éléments sont détaillés en annexe.
[5] Extrait de l’interview de Madame Akif, gestionnaire administrative de l’école Montessori à Tilff.
[6] Lire l’avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence : http://www.pactedexcellence.be/wp-content/uploads/2017/05/PACTE-Avis3_versionfinale.pdf
[7] Idem.
[8] DELVAUX Bernard, Une tout autre école, édition Pensées libres, Louvain-la-Neuve, 2015, p.57.
[9] Extrait de l’interview de Madame Catherine Cloots, institutrice à l’école Montessori Tilff : témoignages recueillis par Bénédicte Loriers le 12 juin 2017.
[10] Idem.
[11] Op cit.
[13] LUONG Julion, Réinventer l’éducation, in Le Soir, 6 avril 2016.
[14] Extrait de l’interview de Mme C. Cloots, op cit.
[15] Voici 4 ans, Madame Akif voulait autre chose que l’école traditionnelle pour sa fille et a fondé l’école Montessori de Tilff avec une autre maman, Anne Famerie (gestion pédagogique). Cette école de Tilff a une seule classe maternelle, de 9 élèves. Nous avons interrogé Madame Akif (gestion administrative de l’école) et Madame Catherine Cloots, institutrice à l’école Montessori Tilff : témoignages recueillis par Bénédicte Loriers le 12 juin 2017.
[16] CARRAUX Françoise, Idées reçues sur les écoles Montessori ; ce qui est vrai, ce qui est faux : http://www.huffingtonpost.fr/2016/08/28/vrai-faux-ecoles-montessori_n_11661124.html
[18] L’UFAPEC est partenaire dans l’élaboration de ce Pacte pour un enseignement d’excellence, notamment par la participation d’un de ses représentants (Pascal van de Werve) au groupe central, ainsi que par de nombreuses consultations des parents.
[19] MONTESSORI Maria, L’enfant, édition Desclée de Brouwer, 2003, Paris, p. 12-13.
[20] Extrait de l’interview de Madame Akif, école Montessori Tilff, op cit.
[21] Montessori ? Freinet ? l’école heureuse, 29 février 2016, Le blog d'ecole-vivante.com, http://montessori-freinet.com/?p=709