Analyse UFAPEC octobre 2021 par A. Floor

14.21/ Le point sur le décret aménagements raisonnables : qui sont ces élèves à besoins spécifiques ?

Introduction

Le 7 décembre 2017 était publié un décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques[1]. Ce décret est entré en vigueur le 1er septembre 2018. Nous en sommes donc à trois années de mise en application de ce décret. Il semble important pour l’UFAPEC d’en évaluer les effets pour aller vers une amélioration du dispositif et rencontrer l'objectif ultime qui est d'aller vers une école réellement inclusive.

Nous recevons au secrétariat et lors de nos animations dans les écoles des retours mitigés à propos de ce décret qui a, d'ailleurs, été intégré dans le code de l’enseignement[2] depuis le 1er septembre 2020 avec des modifications qui sont passées inaperçues pour la plupart des acteurs de terrain. Ces changements divers, l’évolution de l’enseignement spécialisé avec la suppression de l’intégration temporaire totale depuis le 1er septembre 2020, l’adoption du décret inclusion sur les pôles territoriaux vont aussi de facto faire évoluer le décret AR et plongent parfois à l’heure actuelle les acteurs de l’école dans un brouillard qui ne peut que nuire à un accompagnement serein et positif des élèves à besoins spécifiques. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Que retenir de positif ? Ce décret est-il réellement mis en application dans les écoles ? Comment l’accompagnement des élèves à besoins spécifiques (EBS) a-t-il évolué depuis le 1er septembre 2018 ? Qu’en disent les acteurs de terrain ? Comment faire évoluer le décret AR en tenant compte des écueils et avancées constatés ?

Nous avons interrogé et récolté les avis de différents acteurs qui accompagnent les élèves à besoins spécifiques (parents, enseignants, thérapeutes, directions, centres PMS…) tout au long de ces trois années, afin de coller au mieux aux diverses réalités des écoles. Nous allons, dans un premier temps, questionner qui sont les bénéficiaires de ce décret. Dans deux publications ultérieures, nous évaluerons le processus du diagnostic et de l'entrée du monde médical dans le milieu scolaire et nous terminerons en questionnant la faisabilité de mise en œuvre de ce décret concrètement dans les écoles en tenant compte des moyens humains actuels.

Contexte du décret du 7 décembre 2017

Ce décret aménagements raisonnables fait partie des réformes enclenchées par l’avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence pour atteindre un enseignement inclusif. Le principe d’une démarche évolutive doit être à la base de l’organisation de l’école inclusive en FWB depuis l’enseignement maternel et jusqu’à la fin de la scolarité de l’enfant, en confirmant le droit de chaque élève d’être inscrit dans l’enseignement ordinaire, sans possibilité de refus d’inscription au motif que l’école nécessiterait des aménagements raisonnables ou que l’enfant ne serait pas capable d’assimiler la matière enseignée.[3] Le Pacte pour un enseignement d’excellence se donne dix ans pour construire et passer à un enseignement réellement inclusif.

C'est quoi une école inclusive ? Une école inclusive vise à accueillir tous les élèves en tenant compte du fait qu’ils n’apprennent pas de la même façon et que l’enseignement doit s’adapter aux besoins spécifiques de chaque enfant, contrairement à une école où l’on prône l’intégration dans laquelle l’élève à besoins spécifiques doit se "suradapter" à son environnement pour pouvoir y rester. L’UNESCO définit l’inclusion comme un processus visant à permettre aux apprenants et aux enseignants de se sentir à l’aise avec la diversité et de la voir comme une source d’enrichissement et non comme un problème. L’inclusion s’attache à offrir aux personnes handicapées (sur le plan physique, social et/ou affectif) des chances égales de participation au sein des structures d’enseignement ordinaire, dans toute la mesure du possible, tout en donnant la possibilité d’un choix personnel et en prévoyant une aide ou des infrastructures spéciales pour ceux qui en ont besoin.[4]

Les parents et les écoles connaissent-ils le décret ?

Pour répondre à cette question, nous avons interrogé différents intervenants qui œuvrent dans l'accompagnement d'élèves à besoins spécifiques dans l'enseignement ordinaire[5] : enseignants et éducateurs relais EBS, direction d'école secondaire, psychologue d’un centre PMS, formatrices d'enseignants sur la thématique des EBS, orthopédagogue, neuropsychologue, personnes travaillant dans un pôle territorial[6], parents d'EBS, APEDA[7], EHD[8], Le ballon vert[9], Class Contact[10]… A la question « Connaissez-vous le contenu du décret du 7 décembre 2017 sur les AR ? », 100 % répondent oui en apportant la nuance suivante : Dans l’interprétation que chacun en fait, il y a de la marge. A la question « Le décret a-t-il eu un impact sur votre travail auprès des EBS ? », tout le monde a répondu oui, il y a un seul non, car Class Contact n’a pas de marge de manœuvre sur les décisions des écoles. Les participants nuancent cependant l’effet du décret sur leur travail en précisant que beaucoup d’écoles n’ont pas attendu le décret AR pour faire des intégrations et mettre en place des aménagements. Et a contrario, il reste encore à l'heure actuelle des écoles qui éprouvent des difficultés dans la mise en œuvre concrète du décret. Aux deux questions « Selon vous, les EBS et leurs familles connaissent-ils le décret et les droits qui leur sont donnés par ce décret ? » et « Ont-ils besoin de votre aide pour faire entendre et mettre en application leurs droits ? », pour 13 personnes sur 20, les familles ne le connaissent pas. La plupart des acteurs de terrain reconnaissent une certaine méconnaissance du décret par les parents : Les familles ne connaissent pas le décret ou ne parlent pas le langage du décret. Certaines écoles ne connaissent pas le PIA. Il faudrait simplifier les choses, le rendre plus accessible et compréhensible pour les parents qui ne parlent pas ce langage. Une proposition de réaliser un visuel avec des phases par année qui présentent clairement les mesures concrètes du pacte pour les EBS ainsi que les plans de pilotage est émise.

Une nuance est apportée à cette connaissance du décret par les familles ; la maitrise du décret est fortement liée au milieu socio-culturel des familles. Certains parents sont bien informés, voire trop présents dans les écoles sur ces questions-là. Alors que, dans d'autres milieux, c’est plutôt le conseil de classe qui constate et c’est alors le centre PMS qui fait le bilan. Maïté Pire[11] précise cependant que, même si les parents connaissent le décret, ils ne tirent pas toujours les bonnes ficelles : Soit ils ne savent pas qui est responsables des aménagements raisonnables au sein de l’école, soit ils s’adressent au titulaire et pas à l’ensemble des enseignants. La pierre d’achoppement réside dans la coordination et la communication autour des AR au sein de l’école surtout s’il n’y a pas de rédaction de protocole (ce qui est bien souvent le cas) : La demande a été reçue par l'école, mais s’assurer que cela a été mis en place n’a pas toujours lieu surtout s’il n’y a pas de coordination. La direction a l’impression d’avoir fait son job en communiquant l’information, mais ne s’assure pas du suivi. Quand j’interroge mes patients, souvent ils ne voient pas de différences sur le terrain.

Les acteurs présents déclarent unanimement que ce décret est une réelle avancée, même s’il est perfectible. C’est une avancée, car il formalise et légitimise des aménagements mis en place pour les élèves qui en ont besoin. Une direction d’école explique en quoi ce décret la soutient dans sa fonction de direction : Le décret nous a aidé à formaliser et à réfléchir avec l’école intégrée et à former aussi les professeurs. On a fait une formation « si j’étais dans la peau de » et ils se rendent compte de ce que vit l’élève. Ce n’est plus « j’ai envie de le faire », le fait que le décret existe, cela légitime quelque chose qui est mis en place. Pour une direction, c’est plus clair aussi, c’est décrétal, donc cela ne se discute pas.

Quel est le nombre d’élèves concernés par ce décret ? Et quelles aides supplémentaires pour les écoles ordinaires ?

Il n'y a jamais eu de recensements du nombre d'élèves à besoins spécifiques qui fréquentent l'enseignement ordinaire. Nous verrons d'ailleurs plus loin que la définition de qui est élève à besoins spécifiques n'est pas aussi univoque que cela. En revanche, les indicateurs de l'enseignement précisent le nombre d'élèves à besoins spécifiques qui fréquentent l'enseignement spécialisé. En 2018??'2019, 1 496 élèves, filles et garçons confondus, fréquentent l’enseignement maternel spécialisé, 18 218 élèves suivent l’enseignement primaire, et 18 752 élèves, l’enseignement secondaire. En dix ans, le nombre d'élèves a augmenté en maternel (+17 %), en primaire (+13 %) et en secondaire (+19 %).[12]

Sachant qu’une partie de ces élèves fréquentent en réalité totalement ou partiellement l’enseignement ordinaire via les intégrations : Il est à noter que 1 900 élèves sont en intégration (temporaire totale, temporaire partielle ou permanente partielle) dans l’enseignement ordinaire en 2018-2019 alors qu’ils figurent dans les effectifs de l’enseignement spécialisé.[13] Rappelons qu’un des objectifs poursuivis par le Pacte pour un enseignement d’excellence est de réduire la part d’élèves à besoins spécifiques fréquentant l’enseignement spécialisé. Dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, un des objectifs à atteindre d’ici 2030 est de revenir au pourcentage d’élèves pris en charge par l’enseignement spécialisé en 2004 (3,5 %). Pour réaliser cet objectif ambitieux, l’avis n°3 du Pacte préconise que quatre axes de réforme soient mis en œuvre : la réforme de l’ « orientation », la réforme du mécanisme de l’intégration, la refonte de l’enseignement spécialisé de type 8 et la suppression progressive de l’envoi dans le spécialisé des enfants « Dys », tout en maintenant la possibilité d’orientation dans certains cas strictement définis.[14]

Sans remettre en cause le bien-fondé de cette mesure, nous ne pouvons que constater qu’une part importante d’élèves à besoins spécifiques va donc se rajouter à un nombre inconnu d’élèves à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire. Se pose alors la question des moyens humains qui seront alloués à l’enseignement ordinaire sans qu’un recensement préalable du nombre d’élèves concernés ne soit réalisé. Comment mettre en place une politique ciblée sans avoir préalablement établi un cadastre des besoins ? Nous avions rédigé une analyse en janvier 2018, quelques mois avant l’entrée en vigueur du décret AR et nous faisions déjà part de notre inquiétude quant aux moyens humains pour encadrer les EBS dans l’enseignement ordinaire. Nous pensons que ce décret portera ses fruits s’il est accompagné de moyens comme la mise en place de personnes référentes dans les écoles qui peuvent guider au quotidien les enseignants, la création de pôles de références que directions, enseignants et parents peuvent contacter facilement et rapidement pour recevoir toute réponse liée aux aménagements et à l’intégration, l’amélioration des formations initiale et continuée des enseignants, la reconnaissance des formations complémentaires en orthopédagogie, la possibilité pour les directions d’interpeller les enseignants réticents, la formation des inspecteurs et des directions.[15]

Qu'est-ce qui a été proposé comme moyens supplémentaires aux écoles ordinaires pour accompagner les EBS depuis septembre 2018 jusqu'à l'action effective des pôles territoriaux dans les écoles ordinaires prévue au mieux dans le courant de l'année scolaire 2021-2022 ? Depuis la parution du décret AR en décembre 2017, les écoles ordinaires ont dû bricoler sans réels moyens supplémentaires même s’il y a bien eu une sorte de saupoudrage de périodes NTTP pour encadrer les EBS via des appels à projet annuels depuis mars 2017[16], d'où l'arrivée de personnes référentes EBS dans les écoles avec un statut précaire. De plus, ces heures NTTP n’ont plus pu être attribuées aux nouvelles écoles désireuses de se lancer plus tard. Ce qui a de facto creusé le fossé entre les écoles proactives et celles qui ont voulu démarrer plus tard. Comment va se passer l'articulation entre ces enseignants qui sont devenus des experts et qui ont gagné la confiance de leurs collègues et les pôles territoriaux ? Pourquoi ne pas avoir pérennisé ces projets ?

Qui est concerné par ce décret ? C’est quoi un EBS ?

  • Changement de dénomination

En 2012, l’UFAPEC a mis en place un regroupement thématique d’abord appelé regroupement « dys » pour ensuite s’appeler regroupement de parents d’enfants avec troubles d’apprentissage pour ensuite évoluer vers la dénomination regroupement thématique des parents d’élèves à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire.  Au début, on parlait uniquement de la dyslexie pour ensuite élargir aux élèves dys, mais cela excluait les élèves TDA/H[17] ou HP[18]… Au fil des interpellations des uns et des autres, au fil des circulaires et décrets, les dénominations ont évolué. On parlait des formations des personnes-relais dyslexie en 2011 : Parmi celles-ci, la mise en place d’une formation d’une personne-relais par établissement dont les missions premières seront de sensibiliser l’équipe éducative, d’introduire des ressources et d’impulser une dynamique d’école sur la question de la dyslexie. Les modalités de cette formation organisée par l’IFC sont annexées à la présente.[19] En 2021, on parle des pôles territoriaux et du partage de l’expertise du personnel des écoles spécialisées pour soutenir l’accompagnement des élèves à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire, quels que soient leurs besoins.

L’éventail des élèves concernés par la législation sur les aménagements raisonnables s’est donc élargi puisqu’on passe des seuls élèves dyslexiques aux élèves « dys » pour terminer avec l’appellation du décret du 7 décembre 2017 : « élèves présentant des besoins spécifiques ». Et le décret précise d’ailleurs ce qu’est un besoin spécifique : besoin résultant d’une particularité, d’un trouble, d’une situation, permanents ou semi-permanents d’ordre psychologique, mental, physique, psycho-affectif faisant obstacle au projet d’apprentissage et requérant, au sein de l’école, un soutien supplémentaire pour permettre à l’élève de poursuivre de manière régulière et harmonieuse son parcours scolaire dans l’enseignement ordinaire fondamental ou secondaire.[20]

Tous ces changements de dénomination traduisent une évolution dans la connaissance scientifique des troubles d'apprentissage et une ouverture à d'autres profils qui ont tout autant le droit de revendiquer la mise en place d'aménagements raisonnables. Certains profils font d'ailleurs l'objet d'un lobbying particulièrement efficace alors, que d'autres sont malheureusement moins bien défendus et passent inaperçus. Ces changements d'appellations exigent de la part des écoles et des bénéficiaires de se tenir informés de l'évolution de la législation et surtout de comprendre cette description à la fois nébuleuse et précise d'un besoin spécifique tel qu'il est détaillé dans le décret.

Quel parent lambda ou quel professeur lambda connait la différence entre une particularité, un trouble ou une situation ? Ces mots ne sont pas là par hasard et sont le fruit d'âpres négociations, mais sont-ils compris par les personnes concernées ? Les dénominations, les étiquettes ont le pouvoir d'inclure ou d’exclure et de stigmatiser aussi certaines catégories de personnes ; c'est important d'en prendre conscience. Sur le terrain, comment les écoles ordinaires identifient-elles ce public-cible ?

Certains acteurs plaident d'ailleurs pour que tout le monde soit considéré comme étant à besoins spécifiques et ayant dès lors droit à des aménagements raisonnables. Mais pourquoi alors avoir fait ce décret s'il s'applique à tout le monde ? En envisageant ainsi des aménagements universels pour tous, cela permet de répondre au défi d’égalité pour tous les élèves que beaucoup d’enseignants aspirent à atteindre. La mise en place d’aménagements raisonnables a souvent été freinée par le fait que les enseignants redoutaient d’être accusés de favoritisme ou d’être injustes vis-à-vis des élèves « ordinaires » ? Il existe au sein même des élèves à besoins spécifiques une inégalité : ceux qui ont la chance d’être diagnostiqués et suivis en dehors de l’école et ceux pour qui un diagnostic ou un suivi est impossible à payer par les familles. Les enseignants élargissent donc leur champ d’action et adaptent aussi pour les élèves non diagnostiqués. Pourquoi alors ne pas généraliser les aménagements ? N’y a-t-il pas un risque cependant à les uniformiser ?

  • Des fiches-outils pour les enseignants qui rétrécissent la notion de besoins spécifiques

Au vu des retours des parents depuis ces trois années et des acteurs interrogés le 19 mai dernier, les élèves "dys" font partie des mieux lotis parmi les EBS. Il est évident pour tous les acteurs et parents interrogés qu'un enfant dys fait partie des EBS. D'ailleurs, les fiches outils éditées par la FWB à destination des enseignants font la part belle aux dys (7 fiches sur les 12). Elles sont renseignées dans la circulaire 6831 du 19 septembre 2018[21] dont l'objet est la mise en œuvre des aménagements raisonnables permettant l'accueil, l'accompagnement et le maintien dans l'enseignement ordinaire, fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques. L’objectif est ici de fournir au personnel de direction, au corps enseignant et aux éducateurs des pistes et des outils pour : une meilleure compréhension des besoins spécifiques d’apprentissage ; une liste d’aménagements raisonnables possibles pour un accompagnement plus efficace et bienveillant de ces élèves autrement capables.[22]

Voici la liste des différentes fiches :

1. Le bégaiement

2. Le daltonisme

3. La dyscalculie

4. La dysgraphie

5. La dyslexie

6. La dysorthographie

7. La dysphasie

8. La dyspraxie

9. Le Haut Potentiel Intellectuel (HPI)

10. Le syndrome d’Asperger

11. Le syndrome dysexécutif

12. Le trouble de l’attention avec/sans hyperactivité (TDA/H)

Ces fiches-outils sont devenues, pour beaucoup, une sorte de prolongement du décret en donnant une description plus détaillée des besoins spécifiques et des aménagements possibles. Avec l'inconvénient majeur qu'en détaillant seulement certains profils, le risque est réel de voir d'autres besoins spécifiques oubliés, voire rejetés, car ne faisant pas partie des fiches-outils éditées par la FWB.

Parmi les enseignants relais EBS présents le 19 mai, beaucoup se basent sur ces fiches-outils pour établir un formulaire qui devra être ensuite complété par les parents ou les thérapeutes. Un enseignant témoigne en disant : J’ai repris les fiches outils de la FWB et recensé les aménagements possibles dans mon école. Certains reviennent dans plusieurs troubles. On envoie la fiche aux parents et aux spécialistes et cette fiche, c’est le protocole. Elle suit l’élève. Depuis cette année, elle est dans le journal de classe de l’élève. Elle suit l’élève jusqu’à sa rhéto ou sera envoyée dans la nouvelle école s’il y a changement. Elle est appelée à être modifiée en fonction de l’évolution de l’élève. Un autre explique le fonctionnement de son école : Le collège a fait une fiche reprenant les aménagements que le collège peut faire et que l’on renvoie directement au paramédical, au spécialiste. On a repris les 8 fiches outils enseignants de la FWB et, sur base de ces 8 fiches, on a repris les aménagements que l’école sait mettre en place : en classe, pour les évaluations… On met un petit point autre, mais on ne laisse pas trop de place, car cela doit rester faisable au niveau de l’équipe pédagogique. Cette fiche de retour est ensuite lancée à toute l’équipe pédagogique et elle passe d’année en année et elle fait partie du PIA [Plan Individuel d'Apprentissage] et elle peut être complétée selon l’évolution de l’élève. Lors de l’entretien avec l’élève et ses parents, on discute avec l’élève de ce qui est coché sur la liste par le spécialiste. On voit avec lui ce qu’il veut bien.

  • Les EBS oubliés ?

Maïté Pire attire l'attention sur le risque des listes préparées par les écoles avec des cases de besoins spécifiques à cocher (sur base des fiches-outils enseignants de la FWB). L’étiquette, ce n’est pas le plus important et on risque de passer à côté d’enfants qui ne sont pas dys. Il y a beaucoup d’autres besoins spécifiques. Beaucoup d’enfants passent à la trappe, ceux pour qui les diagnostics sont plus lourds et pour lesquels les parents n’ont pas toujours envie de partager les diagnostics. Il y a aussi tous les besoins semi-permanents : bras cassé, situations psychologiques compliquées à la maison…

Lors d'une réunion en septembre 2020 d'une cellule de parents d'élèves à besoins spécifiques dans une école secondaire, une maman d'une élève atteinte de fatigue chronique, régulièrement hospitalisée, n'avait pas osé faire une demande pour que sa fille soit inscrite aux sessions aménagées des examens organisées par l'école, car le formulaire ne stipulait que les cas d'élèves avec trouble d'apprentissage ou TDA/H.

Marjorie Tasiaux, psychologue dans un centre PMS, confirme qu'elle est souvent amenée à rappeler la définition des besoins spécifiques aux enseignants, à la réexpliquer régulièrement à l'aide de schémas. Selon elle, les profils les moins reconnus en primaire concernent les élèves avec troubles du comportement et les enfants à haut potentiel.

Pour Anne Lefébure qui travaille comme assistante sociale à l’Etoile Polaire[23] , la mise en œuvre du décret dépend des écoles, de la compréhension, par tous les intervenants, du décret et des AR. Au-delà de ces connaissances et interprétations de la loi, elle souligne que certains profils d’enfants à besoins spécifiques rencontrent de grosses difficultés pour s’intégrer dans les écoles ordinaires : il s’agit des enfants porteurs de trisomie 21 et de troubles du spectre autistique (TSA). Il y a, selon elle, plusieurs raisons à cela : le manque des formations des enseignants, le manque de temps pour s’informer valablement et précisément sur le besoin spécifique et ses conséquences sur la scolarité, le manque de moyens humains en classe (puéricultrices, autre enseignant…). Il faut du temps aux enseignants pour comprendre le handicap et ses conséquences. Nous, on est là de façon extérieure, on n’est pas en classe au quotidien avec les profs. Il n’y a pas de places en enseignement spécialisé pour les enfants avec TSA, ils vont alors dans l’enseignement ordinaire et si celui-ci n’en veut plus, ces enfants se retrouvent sans école.

Françoise Drion, bénévole à EHD, et Marie-France Deligne de l'association Class Contact plaident pour que les élèves malades de longue durée soient officiellement reconnus comme élèves à besoins spécifiques dans le décret. Ils sont oubliés, car ils ne sont pas repris dans les fiches outils à destination des enseignants et donc ils ne rentrent pas dans les listes préformatées des écoles. Pourtant un élève malade est un cas particulier qui nécessite des aménagements particuliers pour un temps plus ou moins long. À « l’École à l’hôpital et à domicile », on suit les programmes de l’école, on demande à l’école des AR qui ne sont pas repris dans les fiches. L’aménagement demandé est lié à cet enfant là et à sa maladie qui n’est pas celle d’un autre. Prenons l’exemple d’un enfant atteint d’une maladie dégénérative des muscles. Il marche très difficilement. Il vaut mieux le laisser utiliser l’ascenseur réservé aux enseignants, ainsi il pourra venir à l’école avec ses béquilles plutôt que de le laisser coincé chez lui. Nous discutons très souvent avec la direction et le conseil de classe d’aménagements qui ne font pas partie de listes, qui sont bien particuliers pendant une période déterminée pendant la convalescence et le rétablissement de l’enfant. Tous les besoins spécifiques n’ont pas été évoqués dans ces fiches outils de la FWB.

Une enseignante relais EBS depuis trois ans nous explique que, depuis cette année, la définition des besoins spécifiques est plus claire pour elle. Elle inclut les élèves en quarantaine pendant plusieurs semaines, les élèves immunodéprimés qui n’ont pas pu aller à l’école pendant des mois et les élèves qui perdent un de leurs parents. À la suite d’une formation sur les BS, j’ai compris que je devais me battre aussi pour ces élèves-là. Et la bonne nouvelle, c’est que, comme on s’est habitués à travailler en hybride, mes collègues vont devenir de plus en plus flexibles pour les EBS.

Une direction d’école explique que son école a une vision plus large des besoins spécifiques et des aménagements que celle du décret. Leur philosophie est que tout élève quel qu’il soit doit être accompagné dans ses difficultés. Quand un élève arrive avec un diagnostic et un bilan, nous travaillons sur base de ce document émanant du monde médical ou paramédical. Mais cela ne nous empêche pas de mettre en place des aménagements transversaux ou spécifiques pour un élève qui n’a pas de diagnostic. On n’a pas attendu le décret AR pour accueillir des élèves avec des besoins particuliers. Quand on dit 10 minutes en plus pour tout le monde lors des évaluations, c’est 10 minutes pour celui qui a un diagnostic, mais aussi pour celui qui est dys et ne le sait pas.

Danièle Hénuset est formatrice pour les aménagements raisonnables en primaire et secondaire depuis quelques années (formations interréseaux). Elle rappelle que la mise en place d’aménagements pour les élèves en difficulté était déjà prônée par le décret Missions de 1997. Avant le décret de 2017, dans la pyramide d’intervention, il y avait le décret missions de 1997 qui parlait d’action intensive et d’attention particulière à des enfants en difficulté. Le décret AR n’invalide pas le décret Missions d’intervenir pour les élèves en difficulté. Elle revendique ainsi un élargissement de la notion de besoins spécifiques à tous les élèves qui présentent des fragilités. Beaucoup d’enfants sont non diagnostiqués et par définition, l’être humain a des besoins spécifiques. On demande que les enseignants, dans une démarche réflexive, peu à peu, se mettent au service des besoins spécifiques de leurs élèves, aussi bien de leurs élèves qui ont des fragilités qu’au service de ceux qui sont devenus fragiles parce qu’avec des facilités scolaires et qu’on abandonne aussi. Les besoins spécifiques sont parfois catalogués pour des enfants avec une fragilité physique, psychologique, mais j’en vois d’autres aussi qui, eux, sont oubliés : pas étiquetés, qui éprouvent d’autres difficultés que les dys, parce qu’ils s’ennuient…

  • Des AR pour tous ?

A la lecture de ces différents témoignages, nous ne pouvons que constater que la liste des besoins spécifiques s’élargit au gré des écoles, des interlocuteurs, des interprétations… Le décret précise en outre que ces besoins spécifiques doivent être attestés par un professionnel faisant partie d’une liste définie par un arrêté gouvernemental et que le diagnostic doit dater de moins d’un an au moment où la demande est introduite pour la première fois auprès d'une école[24]. Cependant beaucoup d'écoles et d'enseignants se refusent à appliquer à la lettre le décret en ne mettant en place des aménagements raisonnables que pour les élèves qui peuvent produire un diagnostic. Il y a, dès lors, une évolution vers deux types d'aménagements : les aménagements dits universels ou pour tous ou de base (les appellations sont différentes d'une école à l'autre) et les aménagements spécifiques, liés à la situation particulière d'un élève. L'avantage des aménagements de base, c'est qu'ils peuvent être appliqué à TOUS les élèves, qu'ils soient diagnostiqués ou non. De plus, cela permet aussi d'éviter une stigmatisation, un traitement différent que les élèves à besoins spécifiques essaient à tout prix d'éviter surtout à l'adolescence. Les AR mis en place de base dans les classes ont aussi aidé d’autres élèves qui n’étaient pas déclarés au départ comme à BS. Cela aide tout le monde et cela c’est très bénéfique, déclare une direction d'école. L'intention des écoles et des enseignants en mettant en place ces aménagements de base est louable et entraine une unanimité des enseignants à mettre en place ces aménagements. C'est donc une belle avancée dans le sens d'un enseignement inclusif.

Cependant, il y a deux points d'attention auxquels veiller : ce sera, d'une part, de communiquer auprès des élèves et des parents sur ces aménagements déjà mis en place. L’enseignant doit aller communiquer à l’élève qu’il est au courant, qu’il a bien reçu les documents et qu’il va tenir compte de son profil particulier. J’interpelle parfois des enseignants qui me disent avoir fait des choses, mais l’élève ne s’en rend pas compte. Des écoles font d’office des aménagements et les élèves ne s’en doutent pas (évaluations plus courtes que normalement). Il y a des choses pas assez explicitées des écoles vers les élèves et les parents, explique Maïté Pire. Et l'autre point d'attention qu'ont relevé les participants à la plateforme des parents d'élèves à besoins spécifiques[25], c'est de veiller à ce que les aménagements spécifiques liés à la situation particulière soient bien mis en place en sus de ces aménagements de base : Attention aux AR de base qui risquent de faire passer au bleu les aménagements spécifiques de chaque EBS !!! 

Conclusion

Le décret AR, même s’il est perfectible, donne une légitimité aux acteurs de l’école pour tenir compte des besoins spécifiques de leurs élèves, pour mettre en œuvre des aménagements, pour inciter les enseignants encore réticents… Il était nécessaire, tous les acteurs le reconnaissent. Cependant, il reste encore mal connu, voire le plus souvent inconnu des parents. Et même les parents informés, souvent, ne frappent pas aux bonnes portes dans les écoles. Il y a un manque de coordination et de suivi dans la mise en place des aménagements. Espérons que l’arrivée des pôles territoriaux tendra à remédier à cet énorme problème.

Les dénominations variées (dyslexique, dys, troubles d’apprentissage, handicap invisible, besoins spécifiques…) exigent de la part des enseignants (et des parents) de se tenir constamment informés. En ont-ils le temps ? Comme le langage juridique du décret reste opaque pour beaucoup d’acteurs de l’école, ceux-ci se sont tournés vers les fiches -outils édités par la FWB plus accessibles, explicites et compréhensibles, fiches-outils qui complétaient la circulaire explicative sur les AR. Ces fiches-outils sont devenues, pour beaucoup, une sorte de prolongement du décret, mais elles ne détaillent que certains profils (surtout la famille des dys) au risque de voir d'autres besoins spécifiques oubliés, voire rejetés par les écoles, car ne faisant pas partie de ces fiches-outils.

Les écoles ordinaires ont développé, selon les cas, des actions pour soutenir la scolarité de leurs élèves à besoins spécifiques. Les réalités de terrain sont très diverses d'une école à l'autre, voire d'un enseignant à l'autre dans une même école. Les écoles ordinaires auront dû bricoler pendant trois ans avant de voir arriver les pôles territoriaux pour les aider à se former, à se coordonner et se rassembler autour de la scolarité des élèves à besoins spécifiques. L'UFAPEC ne peut que dénoncer cette mise en application d'un décret sans dégager de moyens supplémentaires substantiels, sans avoir un chiffre précis des élèves concernés et des futurs élèves concernés. Dans deux publications ultérieures, nous évaluerons le processus du diagnostic et de l'entrée du monde médical dans le milieu scolaire et nous terminerons en questionnant la faisabilité de mise en œuvre de ce décret concrètement dans les écoles en tenant compte des moyens humains actuels.

 

Anne Floor 

 

 


[1] https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/44807_000.pdf. Nous l’appellerons par facilité décret « aménagements raisonnables » ou décret AR.

[2] Lien vers le code : https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/47165_000.pdf (p.98 à 102) 

[3] Pacte pour un Enseignement d’excellence : Avis n°3 du groupe central (7 mars 2017), https://www.ufapec.be/pacte-excellence/avis n°3

[4] UNESCO, « Principes directeurs pour l’inclusion », disponible sur : http://www.ibe.unesco.org/sites/default/files/InclusionPrincipesDirecteurs.pdf, p.14.

[5] Réunion zoom organisée le 19 mai 2021 par l’auteure.

[6] Concrètement, un pôle territorial est une structure attachée à une école d’enseignement spécialisé, dite « école siège ». Les pôles territoriaux constitueront, pour les écoles d’enseignement ordinaire, un soutien concret dans la mise en place des aménagements raisonnables (AR) et des intégrations permanentes totales (IPT) au bénéfice des élèves à besoins spécifiques (EBS), sur tout le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

[7] L’Association belge de Parents et Professionnels pour les Enfants en Difficulté d’Apprentissage est un centre d’expertise pluridisciplinaire, intégrant des parents, des enseignants et des thérapeutes, actif depuis 1965 sur l’ensemble des troubles de l’apprentissage (troubles “Dys” mais aussi TDA/H et HP). C’est aussi un espace d’écoute et d’orientation pour les parents de jeunes présentant des troubles de l’apprentissage.

[8] L’École à l’Hôpital et à domicile donne la possibilité à tout enfant malade, inscrit dans l’enseignement maternel, primaire ou secondaire, de ne pas décrocher sur le plan scolaire et de pouvoir réintégrer son école d’origine dans les meilleures conditions. Des professeurs se rendent auprès des jeunes et adaptent les cours à leurs besoins et à leurs possibilités. Ils sont bénévoles et les cours donnés sont gratuits.

[9] L'asbl Le Ballon Vert est une association sans but lucratif, créée en 2008, à la suite du constat des difficultés rencontrées par les parents pour scolariser leurs enfants porteurs de handicaps moteurs visibles et non visibles (troubles de l’apprentissage).

[10] ClassContact est une asbl qui installe gratuitement, à domicile, à l’hôpital et dans la classe, le matériel informatique et les connexions Internet nécessaires à l’enfant malade pour entrer en contact avec sa classe. Il peut ainsi suivre les cours en direct et communiquer avec les enseignants et les élèves.

[11] Maïté Pire est ergothérapeute, elle accompagne les enfants de primaire et secondaire dans la mise en place des aménagements. Elle est également coordinatrice AR au Pôle La Cime à Bruxelles.

[12] Indicateurs de l’enseignement, p. 24, http://www.enseignement.be/index.php?page=28344&navi=4706

[13] Indicateurs de l’enseignement, p. 24, http://www.enseignement.be/index.php?page=28344&navi=4706

[14] Pacte pour un Enseignement d’excellence : Avis n°3 du groupe central (7 mars 2017), p. 28.

[15] FLOOR A., Aménagements raisonnables : raisonnables pour qui ?, analyse UFAPEC n°01.18 , février 2018, https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2018/0118-Amenagement-Raisonnables.pdf

[16] Circulaire 6131 du 30 mars 2017 avec octroi de 864 périodes pour toures les écoles ordinaires de la FWB. Appel à projets annuel sans assurance de voir les projets reconduits d’année en année.

[17] TDA/H : trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité

[18] HP : haut potentiel

[19] Circulaire n° 3583 du 26/05/2011 - Dyslexie : formation d’une personne-relais par établissement, https://gallilex.cfwb.be/document/pdf/36383_000.pdf 

[22] Fiche outil d’introduction donnant un mode d’emploi de ces 12 fiches outils et présentant l’utilisation qui peut en être faite, p. 7.

[23] Centre d’inclusion pour enfants dys avec retard de développement, surdité ou trisomie 21.

[24] Le diagnostic invoqué pour la mise en place des aménagements est établi par un spécialiste dans le domaine médical, paramédical ou psycho-médical, ou par une équipe médicale pluridisciplinaire. Le Gouvernement fixe la liste exhaustive des professions habilitées à poser ledit diagnostic. Une décision d'un organisme public chargé de l'intégration des personnes en situation de handicap peut également servir de base à la demande. Le diagnostic justifiant la demande d'un ou plusieurs aménagement(s) raisonnable(s) date, dans tous les cas, de moins d'un an au moment où la demande est introduite pour la première fois auprès d'une école.

[25] Réunion zoom du 11 juin 2021

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