Analyse UFAPEC 2009 par J-L. van Kempen

15.09/ Les maternelles, lieu privilégié pour prévenir l’échec scolaire


La pédagogie compensatrice précoce, plus efficace que la remédiation immédiate.

Dans un lieu où on ne s’y attend pas, mettons à la disposition des enfants, des livres, des histoires poétiques, et les personnes les plus sérieuses s’émerveillent qu’ils s’émerveillent. C’est la voie la plus sûre pour qu’un jour ils comprennent le monde et qu’ils aient le désir de le transformer.                                          Docteur René Diatkine

I.      Introduction

La proportion des élèves qui doivent redoubler, au moins, une année d’études est assez élevée en Communauté française. Un élève sur cinq doit subir un retard scolaire en primaire et près d’un élève sur deux en secondaire. En 4ème année primaire, 17 % des élèves sont en retard d’un an et 4 % en retard de deux ans et plus.[1]

Pour réduire ce pourcentage d’échecs, des mesures sont prises dans les écoles pour favoriser la «remédiation immédiate» dans l’enseignement primaire et secondaire. Mais il faudrait, vraisemblablement agir bien plus tôt, dès l’école maternelle.

Il semblerait qu’un meilleur accompagnement des enfants, dès l’école maternelle, entraîne des résultats bien plus probants et demanderaient moins d’investissement. Cette action devrait porter plus particulièrement au niveau de l’acquisition du langage et pour autant qu’elle soit associée à une collaboration avec les parents.

La remédiation précoce à l’école maternelle et dans les familles serait plus efficace que la remédiation immédiate en primaire ou en secondaire.

II.      Pourquoi mener des actions de prévention à l’échec scolaire dès l’école maternelle ?

1.     Les actions de prévention des échecs seraient bien plus efficaces dès l’école maternelle
L’importance d’agir pour réduire les inégalités entre les enfants dès l’entrée à l’école maternelle a été soulignée par Eurydice[2] dans un rapport publié récemment :

« La fréquentation par les enfants en bas âge de structures éducatives de qualité joue un rôle prépondérant dans l’intégration scolaire, puis sociale et professionnelle des adultes en devenir. Non seulement les structures d’éducation et d’accueil des jeunes enfants (EAJE) peuvent catalyser l’intégration des enfants de migrants, mais permettent, en outre, de compenser au plus tôt les éventuels retards de développement des enfants issus de milieux défavorisés. La participation à ce niveau éducatif est donc primordiale pour lutter contre les inégalités »[3]

Une action dans l’enseignement maternel offre de meilleures garanties de réussite :

« L’enseignement pré-primaire affiche le rendement le plus élevé sur les plans des résultats obtenus et de l’adaptation sociale des enfants. Les Etats membres devraient investir davantage dans l’enseignement pré-primaire. Celui-ci constitue en effet un moyen efficace de jeter des bases pour l’apprentissage ultérieur, la prévention des abandons scolaires, l’amélioration de l’équité des résultats et le relèvement des niveaux globaux de compétences. » [4]
 
« L’enseignement pré primaire se révèle essentiel pour les étapes ultérieures de l’apprentissage, spécialement en termes de résultats et de socialisation. Il aide à prévenir les abandons scolaires, à améliorer l’équité des résultats et le relèvement des niveaux globaux de compétences mais aussi à réduire les coûts dans d’autres domaines (chômage, criminalité, etc.).»[5]
 
Analysons d’abord les raisons pour lesquelles des actions de prévention s’imposent dès l’école maternelle.
 
2.     Tous les enfants ne sont pas égaux face à l’école maternelle ?
Les différences entre les enfants sont assez fortes dès l’entrée en maternelle selon l’origine socioculturelle au niveau du langage dans la mesure où le vocabulaire acquis par les enfants diffère fortement selon le niveau culturel de leurs parents.
La thèse du déterminisme social telle qu’elle est décrite par Pierre Bourdieu[6] illustre cette problématique de l’inégalité des individus en fonction de leur culture de classes sociales. Si tous les apprentissages sont concernés par cette problématique, celui du langage apparaît comme étant particulièrement touché par les inégalités sociales.
De la naissance à l’entrée dans l’enseignement fondamental, l’enfant apprend à s’exprimer, essentiellement par l’intermédiaire de sa maman.
 
« De nombreux chercheurs ont insisté sur le rôle actif de la mère dans l’apprentissage par l’enfant des structures syntaxiques et morphologiques de la langue. Ces auteurs ont montré que la dyade mère-enfant constituait un système auto-régulateur particulièrement efficace dans le développement des habiletés communicatives de l’enfant ». [7]
 
Une étude menée par les Professeurs Pourtois et Dupont a évalué le degré de relation qui existe, pour les différentes variables syntaxiques entre le discours des mères d’une part, et le discours de l’enfant âgé de cinq ans, d’autre part. Il apparaît qu’un quart des habitudes syntaxiques de la mère s’observe également dans le discours de l’enfant. Ce lien étroit souligne l’impact de l’action éducative de la mère sur le choix des structures syntaxiques de l’enfant.[8]
 
Le rôle de la maman est donc primordial dans l’acquisition du langage de son enfant. Or, comme les pratiques de la langue parlée varient fort d’une famille à l’autre, les enfants n’ont pas acquis les mêmes bases lorsqu’ils entrent dans l’enseignement maternel.
Betty Hart et Todd R. Risley ont observé durant deux années et demie des enfants de trois catégories sociales âgés de sept mois à un peu plus de trois ans :[9]
  • A :professions libérales, cadres (professional),
  • B : travailleurs manuels (working-class),
  • C : catégories assistées (welfare families).
Toutes ces familles étaient stables, étaient composées de deux parents et suivaient leurs enfants. Tous les parents étaient animés du désir de faire réussir leurs enfants à l’école.
Les chercheurs ont constaté des différences énormes en ce qui concerne la quantité des mots entendus par les enfants au cours d’une année : 11,2 millions chez les familles de la catégorie A, 6,5 millions dans la catégorie B et 3,2 millions dans la catégorie C.
Ces déséquilibres risquent bien de s’aggraver plus tard dans la mesure ou les enfants qui ont connu un terrain linguistique favorable disposeront de plus de capacités pour acquérir un vocabulaire plus étendu.
L’accès de l’enfant à la lecture sera facilité dans la mesure où il connaîtra un grand nombre de mots.
Pour comprendre un texte, il faut connaître, si possible, au moins 90 % des mots. Les enfants qui comprennent 90 % des mots complèteront facilement leur vocabulaire en apprenant les 10 % restants.
Par contre, ceux qui connaissent moins de ces 90 % et qui, par conséquent, ne comprennent pas ce qu’ils lisent, perdent sur les deux fronts : non seulement, ils ne bénéficient pas des contenus du texte, mais ils n’acquièrent aucun vocabulaire.
« Les raisons de cet accroissement des écarts sont claires : les spécialistes du vocabulaire s’accordent à dire que, pour qu’un lecteur lise correctement un texte, il faut qu’il connaisse déjà 90 à 95 % des mots de ce texte. Il faut savoir que ce pourcentage de mots permet au lecteur de saisir le fil conducteur du texte et de deviner, sans se tromper, ce que les mots inconnus doivent probablement signifier. » [10]
La relation avec le langage varie également fort d’un enfant à l’autre. Certains ont noué avec le langage une sorte de malentendu fondamental :
« Ils (les enfants) n’ont aucune idée de ce qui légitime et justifie l’effort et le soin de la mise en mot ; la volonté de laisser une trace d’eux-mêmes sur l’intelligence d’un autre leur est totalement étrangère. Ils arrivent donc à l’école déjà résignés à n’avoir aucune prise sur le monde, à ne revendiquer aucun pouvoir linguistique et intellectuel sur les autres ; ils ont déjà renoncé à la conquête collective du sens pour ne plus s’occuper que de se protéger individuellement d’un monde où les menaces leur paraissent l’emporter largement sur les promesses. »[11]
 
3.     Les inégalités entre enfants ont tendance à augmenter (effet Matthieu)
Sans accompagnement adapté, les écarts entre élèves vont augmenter dans le courant de la scolarité :
« Les écarts sociaux en fin d’école élémentaire résultent donc de deux phénomènes. En premier lieu du degré de compétences à l’entrée au cours élémentaires qui varie, lui-même selon le niveau social et, en second lieu, du fait, qu’à niveau initial comparable, les enfants originaires des milieux sociaux les plus favorisés progressent davantage. »[12]
Le célèbre spécialiste de la lecture, Keith Stanovich nomme, cet accroissement des handicaps "l’effet Mathieu", en référence au passage de la Bible : à celui qui a, il sera beaucoup donné et il vivra dans l’abondance, mais à celui qui n’a rien, il sera tout pris, même ce qu’il possédait. (Matthieu, XXV-28-29).[13]

III.      Une pédagogie compensatrice est-elle nécessaire ?

Pour les enfants qui rencontrent des difficultés dès la maternelle, il importe d’instaurer une pédagogie compensatrice :
« Pour eux, l’école maternelle doit mettre en jeu avec volonté, obstination et constance une pédagogie, non pas palliative, mais compensatrice : elle se doit de tenter de réhabiliter au plan sémiologique, culturel et linguistique une part importante des enfants qui lui sont confiés. Si elle y renonçait, elle viderait de leur sens les mots de justice et de démocratisation scolaire ; mots d’un discours alors démagogique cachant mal l’entrée précoce dans un couloir qui mène inéluctablement à l’illettrisme et l’exclusion. »[14]
Une intervention de l’école indispensable dans la mesure où elle peut augmenter ou limiter les effets des inégalités de départ :
 
« On a cru que l’école donnait les mêmes chances de réussite à tous les élèves. Puis on s’est aperçu que l’origine socioculturelle donnait un net avantage à certains. Aujourd’hui, les sociologues constatent que le système scolaire a le pouvoir d’aggraver ou de réduire ces inégalités. » [15]
 
1.     Une des conditions de réussite : une meilleure collaboration avec les parents
Cette action visant à augmenter les chances de réussite des élèves est d’autant plus efficace lorsqu’elle est associée à une action de sensibilisation des parents :
 
« Ces programmes doivent être adaptés à la petite enfance en tenant compte de la nature de l’enseignement prodigué (apprentissage de compétences individuelles et sociales) et de pédagogie (amélioration de l’offre des enseignants, engagement parental). L’engagement parental peut lui-même être soutenu par des programmes spéciaux d’éducation parentale et de sensibilisation des personnes marginalisées ».[16]
Alain Bentolila a proposé récemment au Ministre de l’Education en France de mener des actions pour remédier aux inégalités linguistiques et sociales dès l’école maternelle.
« Enseignants et parents, s’ils veulent que l’école assure les meilleures chances de réussite à tous les enfants, doivent se décider à conclure une alliance dans la sérénité et la confiance autour de trois axes essentiels »[17]
Ce chercheur souligne l’importance de la collaboration entre parents et enseignants pour :
  • favoriser une « compatibilité culturelle entre l’école et la maison,
  • mieux s’adapter à la personnalité spécifique de chaque élève-enfant,
  • développer les savoirs et les savoir-faire aussi bien à l’école qu’à la maison.
C’est dans cette perspective que Alain Bentolila propose trois axes d’actions :
  1. « Savoir à quoi il faut résister : « On ne peut pas d’un côté faire de la télé-culture le seul horizon familial, et de l’autre se battre à l’école pour une formation intellectuelle exigeante. (…) Il est temps que parents et enseignants s’accordent ensemble, au sein de chaque établissement, sur les termes d’une compatibilité culturelle entre l’école et la maison. (…) Si l’on ne parvient pas à créer cet espace culturel commun, on condamne certains élèves-enfants à considérer l’école comme une terre inconnue dont les coutumes et les exigences étranges sont contradictoires avec ce qu’ils vivent en dehors. »
  2. Se regarder et s’écouter : « La singularité de chaque élève, la particularité des problèmes qu’il rencontre, constituent des questions que l’on n’aborde pas, par manque de temps, par crainte aussi de soulever des questions ‘trop personnelles’. Et pourtant, de quoi devraient s’entretenir un enseignant et des parents sinon de la personnalité spécifique de chaque élève-enfant et de la meilleure façon de l’aider à l’école et à la maison ? »
  3. Créer les conditions d’une éducation durable : « Si les savoirs et les savoir-faire que l’école tente de transmettre sont fragiles et éphémères, c’est qu’ils n’ont pratiquement par d’écho à la maison. (…) Il nous faut développer une culture littéraire commune en promulguant une liste commune de contes, de fables, de poèmes que l’on partagera avec les familles. (…) Mais l’école a, elle aussi, à prendre en compte la culture familiale ; notamment lorsque cette culture ‘venue d’ailleurs’ ouvre à tous des horizons inconnus contribuant ainsi à développer le respect de l’Autre et surtout l’attrait pour ce qui est différent. » [18]
«Eduquer ensemble», expérience pilote à l’école maternelle par la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université de Mons-Hainaut
 
L’UFAPEC a été associée à une recherche-action menée depuis mai 2008 dans une dizaine d’écoles maternelles de tous les réseaux d’enseignement de Charleroi, à l’initiative du Ministre de l’enseignement obligatoire, par le CERIS (Centre de Recherche et d’Innovation en Sociopédagogie familiale et scolaire) de l’Université de Mons-Hainaut. La direction de ce projet est assurée par le Professeur Jean-Pierre Pourtois de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education.
 
Cette recherche-action porte sur le thème « Parents partenaires de l’éducation » et poursuit les objectifs suivants :
  • Pratiquer la co-éducation école-famille dès la maternelle pour favoriser le développement de l’enfant et tout particulièrement stimuler son apprentissage aux langages.
  • Favoriser chez le parent l’exercice de son rôle éducatif et de sa fonction parentale en partenariat avec l’école.
  • Permettre aux professionnels de l’éducation d’exercer leur rôle et leur fonction en partenariat avec la famille.
  • Impliquer le quartier dans sa responsabilité d’éducation.
 Les parents des écoles maternelles sont impliqués de la manière suivante : 
  • Les parents sont invités à visionner des séquences filmées en classe lors d’activités d’apprentissage.
  • Ils sont invités à réaliser avec leur enfant des activités ludiques proposées par l’enseignant et à émettre leur appréciation à leur propos.
  • Progressivement, des groupes de parole seront proposés aux parents afin de leur permettre d’échanger sur l’éducation de leur enfant à domicile.
  • Par la suite, les parents seront invités à participer à un programme d’éducation familiale destiné à enrichir leurs pratiques éducatives et de répondre au mieux aux besoins de développement de l’enfant.
La diffusion de pratiques de développement aux langages, associant harmonieusement l’école et la famille, valorise l’école maternelle aux yeux des parents et favorise chez eux une meilleure compréhension des pratiques des enseignants.
 
Ce projet vise aussi à stimuler le milieu familial, en l’invitant à réaliser à la maison des activités d’apprentissage sous forme de jeux éducatifs proposés par l’enseignant.
 
Des pratiques éducatives vont donc émerger d’activités et d’actions co-construites, co-expérimentées et co-gérées entre l’école, la famille et le quartier.

2.     Réduire durablement les disparités éducatives entre les jeunes enfants
Encore faut-il agir sur le long terme. Pour réduire durablement les disparités éducatives entre jeunes enfants de manière à ce que l’efficacité à long terme se manifeste par des résultats scolaires supérieurs à la moyenne dans les études ultérieures, Paul P.M. LESEMAN de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas dégagent trois exigences essentielles qui devraient être rencontrées :

  1. Adopter une approche développementale centrée sur l’enfant, qui favorise les compétences d’autorégulation.
  2. Fournir un environnement pédagogiquement sûr et stable, qui favorise les liens sociaux sécurisés et les compétences sociales.
  3. Associer à cette approche des activités authentiques, qui guident les enfants dans l’exploration des domaines culturels du langage, de la littératie[19], des mathématiques et des sciences.[20]

4.     Agir dès la maternelle pour rendre les études primaires plus équitables
En veillant à remédier aux inégalités avant que l’enfant ne rentre dans l’enseignement obligatoire permettrait de mieux le préparer afin de réduire les effets des déterminismes sociaux.

« Que l’enseignement n’était pas équitable, on le savait depuis longtemps. Déjà, les travaux des sociologues[21] des années 1960 et 1970 n’avaient laissé planer aucun doute à ce sujet : malgré plusieurs décennies de ‘massification’, l’école restait profondément inégalitaire. Selon le milieu social où l’on naît, selon les études effectuées par nos parents, selon leur profession et leur revenu, nous n’avons pas les mêmes probabilités de succès scolaire et d’accès au diplôme. »[22]

En aidant l’enfant, dès le plus jeune âge, à développer ses capacités langagières, il serait possible de réduire la proportion très importante des enfants âgés de 15 ans qui ne maîtrisent pas les compétences élémentaires de la lecture comme le révèlent régulièrement les enquêtes internationales telle que PISA. En français, plus d’un jeune francophone âgé de 15 ans sur quatre (28 %) ne maîtrise pas de compétences suffisantes leur permettant d’acquérir des connaissances au travers de la lecture de textes écrits. [23]

IV.      Une nécessité : réinvestir dans l’enseignement maternel

Il serait d’autant plus intéressant d’intervenir à ce niveau d’enseignement du fait qu’il touche pratiquement tous les enfants.
 
La quasi-totalité des enfants en Communauté française sont inscrits à l’école maternelle à partir de l’âge de 3 ans en 2005.[24] La Belgique partage ce record avec la France, l’Italie et l’Espagne.
 
Pour atteindre plus facilement ces objectifs de remise à niveau des enfants, il paraît indispensable de revaloriser l’enseignement maternel qui constitue le niveau qui est le moins bien subsidié par rapport aux autres.
 
En Communauté française, un élève de l’enseignement maternel coûte trois fois moins qu’à l’Université. Un élève de l’enseignement maternel coûte 2.669 € par an. Ce montant augment progressivement au cours des études : 3.490 € en primaire, 6.285 € en secondaire, 5.096 € dans le supérieur non universitaire et 8.053 € à l’université.[25]
 
Ces proportions correspondent à celles qui sont généralement appliquées dans l’Union Européenne en USD : United States Dollars :[26]
 
 
Pré-scolaire (3 ans et plus)
Primaire
Secondaire
Tertiaire (recherche et développement non comprises)
Belgique
5.082 USD
 7.072 USD
8.601 USD
8.496 USD
Moyenne de l’Union Européenne
5.343 USD
6.479 USD
8.116 USD
7.592 USD
France
4.995 USD
5.482 USD
9.303 USD
8.428 USD
Allemagne
5.683 USD
5.362 USD
7.548 USD
7.996 USD
Pays-Bas
6.006 USD
6.425 USD
9.516 USD
9.717 USD
 
Le taux d’encadrement de l’école maternelle est également défavorisé par rapport aux autres niveaux d’enseignement.
 
Nombre d’élèves/d’étudiants par enseignants dans les établissements d’enseignement (2007) :[27]
 
 
Pré-scolaire (3 ans et plus)
Primaire
Secondaire
Tertiaire (y compris les programmes de recherche de haut niveau
Belgique
16,0
12,6
9,8
18,1
Moyenne de l’Union Européenne
13,9
14,4
11,7
16,0
France
19,2
19,7
11,9
16,6
Allemagne
14,4
18,3
14,9
12,1
 
Si l’enseignement maternel est insuffisamment subsidié, c’est peut-être dû au fait que la prise en considération de la petite enfance est assez récente :
 
« Ce n’est que progressivement que se sont imposés, au sein de nos cultures, une conscience claire de la particularité des enfants et le souci d’une éducation spécifique. Le cheminement des idées fut long pour reconnaître pleinement l’importance des premières années de vie dans le devenir des êtres humains. De façon quelque peu sommaire, on peut considérer que, pendant fort longtemps, c’est seulement à la fin de la première enfance (dont l’âge a varié selon les époques et les régions) qu’on prend l’individu réellement en considération, moment où il entre dans la vie des adultes et, pour les enfants du peuple, dans le monde du travail. Dans l’histoire culturelle de nos sociétés, Rousseau va jouer un rôle crucial. Pour lui, l’éducation commence avec la vie, à la naissance. C’est désormais un lieu commun. » [28]
 
La situation évolue toutefois très lentement et on peut se réjouir du fait que l’évolution du budget de l’enseignement a tendance à se rééquilibrer en faveur de l’enseignement fondamental.
 
« Depuis la défédéralisation de l’enseignement, plus précisément de 1991 à 2007, les dépenses publiques par élève-étudiant ont crû en termes réels de 9,4 % dans l’enseignement obligatoire et ont diminué en termes réels de 17,9 % dans le supérieur ; il s’agit là d’un changement structurel important dans la répartition du budget de l’enseignement entre niveaux. »[29] 

V.      Conclusion

Un soutien individualisé à chaque enfant dès sa rentrée dans l’enseignement maternel permettrait d’éviter bien des redoublements durant toute sa scolarité. Alors que des mesures de remédiations sont prises durant toute la durée de la scolarité obligatoire, il apparaît que des actions spécifiques avant l’âge de 6 ans seraient bien plus efficaces et demanderaient moins de moyens supplémentaires.

Les différences entre les enfants sont assez fortes dès l’entrée en maternelle plus particulièrement au niveau du langage dans la mesure où ils ont appris à s’exprimer par l’intermédiaire de leur maman. Or, comme les pratiques de la langue parlée varient fort d’une famille à l’autre, les enfants n’ont pas acquis les mêmes bases lorsqu’ils entrent dans l’enseignement maternel.

Ces déséquilibres ont tendance à s’aggraver dans le courant des études dans la mesure où les enfants qui ont connu un terrain linguistique favorable disposeront de plus de capacités pour acquérir un vocabulaire plus étendu. En effet, pour comprendre un texte, il faut connaître, si possible, au moins 90 % des mots. Les enfants qui comprennent 90 % des mots complèteront facilement leur vocabulaire en apprenant les 10 % restants.

Par contre, ceux qui connaissent moins de ces 90 % et qui, par conséquent, ne comprennent pas ce qu’ils lisent, perdent sur les deux fronts : non seulement, ils ne bénéficient pas des contenus du texte, mais ils n’acquièrent aucun vocabulaire.
Sans accompagnement adapté, les écarts entre élèves vont augmenter dans le courant de la scolarité. Ceux qui possèdent plus au départ vont développer plus rapidement leurs connaissances et l’écart va donc augmenter entre ceux qui maîtrisent les connaissances de base et ceux qui sont confrontés à des difficultés importantes.
Le célèbre spécialiste de la lecture, Keith Stanovich nomme, cet accroissement des handicaps "l’effet Mathieu", en référence au passage de la Bible : à celui qui a, il sera beaucoup donné et il vivra dans l’abondance, mais à celui qui n’a rien, il sera tout pris, même ce qu’il possédait. (Matthieu, XXV-28-29)
Dès lors, une pédagogie compensatrice s’impose.
Alain Bentolila a proposé récemment au Ministre de l’Education en France de mener des actions pour remédier aux inégalités linguistiques et sociales dès l’école maternelle en insistant bien sur le partenariat entre l’enseignant et les parents qui permet d’atteindre trois objectifs : favoriser un rapprochement culturel entre l’école et la famille, mieux s’adapter à la personnalité spécifique de chaque enfant et inciter les parents à appliquer à la maison des notions apprises à l’école.
Pour réduire durablement les disparités éducatives entre les jeunes enfants, Paul P.M. Leseman de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas insiste sur le développement de compétences d’autorégulation et sociales et sur l’exploration des domaines culturels du langage, de la littératie, des mathématiques et des sciences.
Remédier aux inégalités avant que l’enfant ne rentre dans l’enseignement obligatoire permettrait de mieux le préparer afin de réduire les effets des déterminismes sociaux.
Pour atteindre plus facilement ces objectifs de remise à niveau des enfants, il paraît indispensable de revaloriser l’enseignement maternel qui constitue le niveau qui est le moins bien subsidié par rapport aux autres. Un élève de l’enseignement maternel coûte 2.669 € par an contre 8.053 € à l’université.
 
Cette disproportion se justifie difficilement si l’on veut bien se rendre compte de l’importance de l’école maternelle et de son impact indéniable sur la réussite des enfants sur l’ensemble de leur scolarité. A « l’effet Matthieu », il faudrait substituer « l’effet Robin des bois » qui consiste à donner davantage à ceux qui ont moins.
 
 
 
Jean-Luc van Kempen
 


[1] ETNIC, Les indicateurs de l’enseignement, n° 3, édition 2008, chiffres de l’année 2006-2007.
[2]Eurydice, Réseau institutionnel qui collecte, met à jour, analyse et diffuse des informations sur les politiques et les systèmes éducatifs dans 30 pays européens.
[3] EURYDICE, op.cit.
[4] Eurydice, EACEA, Réduire les inégalités sociales et culturelles par l’éducation et l’accueil des jeunes enfants en Europe, février 2009. Cet ouvrage est disponible sur le site http://eacea.ec.europa.eu/eurydice/
[5] Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 8 septembre 2006, Efficacité et équité des systèmes européens d’éducation et de formation, COM(2006) 481 final- Non publié au Journal officiel)
[6] BOURDIEU Pierre, La distinction. Critique sociale du jugemen, Editions de Minuit, Paris, 1979
[7] POURTOIS Jean-Pierre, DESMET Huguette, Quelques déterminants familiaux de la trajectoire scolaire et sociale, dans Revue Française de Pédagogie, n°96, juillet-août-septembre 1991.
[8] POURTOIS J-P et DUPONT D, Syntaxe et fonction du discours pédagogique. Interaction mère-enfant ; syntaxe, conduite éducative et milieu social dans Bulletin de Psychologie, Paris, n °371, XXXVIII, 1985.
[9] HART Betty, RISLEY TODD, The Early Catastrophe in American Educateur, Printemps 2003.
[10] MONTELLE Christian, La haute langue orale contre l’échec, Ornans, 2004, www.sauv.net
[11]BENTOLILA Alain, La maternelle : au front des inégalités linguistiques et sociales, Rapport commandé par Xavier Darcos, Ministre de l’Education Nationale (France), décembre 2007.
[12] SUCHAUT Bruno, Le rôle de l’école maternelle dans les apprentissages et la scolarité des élèves, Conférence à Bourges, le 30 janvier 2008.
[13] STANOVIC, Keith E. 1986. Matthew effects in reading: Some consequences of individual differences in the acquisition of literacy. Reading Research Quarterly, vol.21, n°4, p.360-406.
[14] Alain BENTOLILA, op.cit.
[15] Marie DURU-BELLAT, L’école pourrait-elle réduire les inégalités ? in Sciences humaines, Les nouveaux visages des inégalités, n°136, mars 2003
[16] Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 8 septembre 2006, Efficacité et équité des systèmes européens d’éducation et de formation, COM(2006) 481 final- Non publié au Journal officiel)
[17] BENTOLILA Alain, op.cit.
[18] BENTOLILA Alain, op.cit.
[19] Littératie : « aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d'étendre ses connaissances et ses capacités. » dans le rapport OCDE, 14 juin 2000, La littératie à l’ère de l’information
[20] LESEMAN Paul P.M., Université d’Utrecht, Pays-Bas, L’impact d’une offre d’éducation et d’accueil de qualité sur le développement des jeunes enfants. Synthèse de la recherche, dans Réduire les inégalités sociales et culturelles par l’éducation et l’accueil des jeunes enfants en Europe, Eurydice – EACEA, février 2009
[21] BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, Les héritiers : les étudiants et la culture, Paris, les Editions de Minuit, 1975 ;
[22] HIRTT Nico, Je veux une bonne école pour mon enfant ! Pourquoi il est urgent d’en finir avec le marché scolaire ; Editions Aden, Paris, avril 2009.
[23] ETNIC, Les indicateurs de l’enseignement, 2007.
[24] ETNIC, Les indicateurs de l’enseignement, n° 3, édition 2008.
[25] ETNIC, Les indicateurs de l’enseignement – édition 2008, chiffres de 2006-2007.
[26] OCDE, Regards sur l’Education OCDE, 2009 (chiffres de 2006)
[27] OCDE, Regards sur l’éducation, 2009
[28] CRAHAY Marcel, Les jeunes enfants, l’école et la société, dans Réduire les inégalités sociales et culturelles par l’éducation et l’accueil des jeunes enfants en Europe, Eurydice, EACEA, février 2009.
[29] DESCHAMPS Robert, Enseignement francophone. On peut faire mieux mais comment ?, Centre de recherches en Economie Régionale et Politiques Economique, n° 34, 2008/13, novembre 2008.

 

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