Analyse UFAPEC Août 2014 par A. Floor

15.14/ Le Haut Potentiel à l’école : chronique d’une lente reconnaissance

Introduction

Qu’est-ce qui poussent depuis 1999 les Ministres successifs de l’Enseignement Obligatoire à se pencher sur la scolarité des enfants surdoués, à haut potentiel ? De recherche-action interuniversitaire en réseau d’écoute et d’accompagnement en passant par des brochures de sensibilisation et des formations pour enseignants, cela bouge. Mais est-ce bien nécessaire de faire tout cela ? Quels en sont les impacts dans les écoles ? Les mentalités évoluent-elles effectivement ?

Recherche-action interuniversitaire et réseau d’écoute et d’accompagnement en Fédération Wallonie-Bruxelles

C’est à partir de 1999 que la Communauté française s’est penchée sur la thématique des élèves à haut potentiel. Avant cela, aucune recherche n’avait été réalisée en Belgique francophone En septembre 2000, sous l’impulsion de l’ancien ministre de l’enseignement Pierre Hazette, une recherche-action interuniversitaire a vu le jour au sein des cinq universités francophones[1] du pays.

Elle poursuivait deux objectifs principaux, l’un visait à améliorer le quotidien scolaire et relationnel de ces jeunes à haut potentiel et à étudier leurs conditions d’apprentissage et le deuxième objectif tendait à étudier la possibilité de créer un enseignement de type 9 pour accueillir les jeunes à haut potentiel en difficultés. Selon Isabelle Goldschmidt[2], un énorme travail de recherche et d’information doit être réalisé dans les écoles. Il y a eu beaucoup d’avancées ces quarante dernières années pour la détection de la dyslexie, la dyscalculie, … mais le Haut Potentiel souffre encore de nombreux mythes. En effet, le fait que ces jeunes puissent rencontrer des difficultés (affectives, cognitives, d’apprentissage…) qui leur sont propres est souvent ignoré de nombreux intervenants. La souffrance liée à leur problématique ne semble pas être prise en compte voire même envisageable. Régulièrement, la notion d’échec ne peut même pas être associée au haut potentiel. Nous assistons souvent à un véritable déni du vécu voire même de l’existence du jeune à haut potentiel[3]. Dans la lignée de cette recherche-action, un réseau interuniversitaire d’écoute et d’accompagnement des enfants, des parents et des professionnels confrontés à cette thématique a été créé en 2002. Ce réseau poursuivait une triple mission[4] :

  1. être un service d’accueil et d’information pour toute personne rencontrant une question ou une difficulté en lien avec le haut potentiel (accompagnement pédagogique, guidance familiale, soutien individuel et/ou orientation vers un suivi thérapeutique…) ;
  2. fonction de recherche et de développement tant au niveau national qu’international ;
  3.  être une ressource et une interface pour la communauté et la recherche scientifique (accompagnement d’équipes éducatives, construction d’un réseau de partage de savoirs, formations dans le cadre de la formation continuée des enseignants…).

Ce réseau a pu effectivement lister les difficultés rencontrées par les enfants à haut potentiel, par leurs parents et par l’école. Il n’a cependant pas pu véritablement apporter une aide pratique sur le terrain et a été supprimé en 2010. Dans la foulée, l’accompagnement des équipes éducatives s’est réduit, les initiatives dans les écoles se sont éteintes peu à peu. Certains projets subsistent encore dans certaines écoles et ce grâce au bénévolat et au financement privé des parents, des fondations ou d’associations. Il faut savoir qu’en 2010, le budget alloué à la recherche-action est passé de 300.000 euros à 75.000 euros pour les cinq universités[5].

Depuis 2010, la recherche-action se concentre sur :

  • l’écoute, l’accompagnement et le soutien des acteurs de l’éducation (directeurs d’écoles, enseignants, éducateurs, équipes des CPMS) ;
  • l’organisation de formations continuées à destination des professionnels de l’éducation (voir www.ifc.cfwb.be);
  • la diffusion via le site enseignement.be des savoirs construits les années précédentes concernant les caractéristiques, l’accompagnement des jeunes à haut potentiel et les modalités de formation des professionnels qui travaillent avec eux[6].

En décembre 2012, le financement de la recherche-action s’est arrêté.

Avis du Délégué Général aux Droits de l’enfant

Dans son rapport annuel 2011-2012, le délégué général aux Droits de l’enfant, Bernard De vos, souligne les difficultés rencontrées par certains enfants à haut potentiel : relégation dans l’enseignement qualifiant ou dans l’enseignement spécialisé, déscolarisation. Il évoque également le besoin de soutien et d’encadrement lors de l’entrée en secondaire et en particulier dans le deuxième degré. La souffrance de se sentir différent des autres est aussi évoquée. Le délégué général se dit régulièrement saisi par des parents au sujet des problèmes rencontrés par ces enfants au cours de leur scolarité : Force est de constater qu’il existe effectivement très peu d’initiatives dans ce domaine et que les projets qui tentent de subsister n’ont pas les moyens de se développer de manière pérenne. L’existence même d’une problématique à ce niveau est fréquemment niée, du fait des clichés que la majorité des gens continuent à avoir sur ces enfants dits « surdoués »[7]. Bernard De Vos demande donc que la formation initiale et continuée des professionnels de l’éducation s’ouvre à cette thématique, que des moyens financiers soient accordés aux associations spécialisées et finalement que ces enfants soient reconnus comme étant « à besoins spécifiques », notamment dans le cadre de l’application du décret Inscription.

Projet de Pass Inclusion pour les élèves qui présentent des troubles d’apprentissage ; TDA /H ; HP ; Autistes (Asperger…) ; élèves présentant un handicap physique ou sensoriel ; tous les bénéficiaires du Décret Intégration dans l’enseignement ordinaire

Durant une année (septembre 2011 à septembre 2012), la Fondation Dyslexie a coordonné un groupe de travail réunissant des acteurs de l’éducation (UFAPEC, FAPEO, Centres Psycho-Médico-Sociaux, enseignants, parents, directeurs d’écoles, logopèdes…) pour réfléchir à un statut pour les élèves qui présentent des troubles d’apprentissage (dyslexiques et autres dys (dyspraxiques, dyscalculiques,…)) ; pour les TDA /H ; HP ; Autistes (Asperger…) ; pour les élèves présentant un handicap physique ou sensoriel ; pour tous les bénéficiaires du Décret Intégration dans l’enseignement ordinaire. En effet, ces élèves[8] ne bénéficient en Fédération Wallonie-Bruxelles d’aucune reconnaissance contrairement à d’autres pays où ils sont identifiés comme handicapés (France) ou bénéficient d’un passeport (Pays-Bas). Ce groupe de travail a obtenu le parrainage de la Ministre de l’Enseignement obligatoire et de la Promotion sociale et celui du Ministre de l’Enseignement supérieur. Il a abouti au projet d’un Pass Inclusion[9] quifonctionne comme une sorte de clé d’activation pour aider et encourager les acteurs scolaires à mettre en place des aménagements et des interventions raisonnables en fonction des besoins exprimés et des ressources mobilisables. Les agents des Centres PMS jouent dans le cadre du Pass Inclusion le rôle d’interface entre le monde scolaire, les acteurs intervenant en dehors du temps et de l’espace scolaire (logopède, thérapeute,…), l’apprenant et sa famille. Dans les faits, les Centres PMS et les directions d’écoles n’ont pas été informés de l’existence de ce Pass Inclusion. C’est donc à nouveau le parcours du combattant pour les parents.

Le Centre interfédéral pour l’Egalité des Chances et la brochure « A l’école de ton choix avec un handicap »

Peu de temps après, un nouveau groupe de travail s’est créé, auquel nous avons aussi participé activement, coordonné par le Centre pour l’Egalité des Chances. Suite au constat fait par ce Centre d’un nombre régulier de signalements émanant de parents d’enfants en situation de handicap qui font part des difficultés rencontrées pour mettre en œuvre des aménagements raisonnables à l’école, le centre a décidé de réaliser avec d’autres partenaires une brochure « A l’école de ton choix avec un handicap ».

En plus d’informer au niveau juridique sur la notion d’aménagement raisonnable, cette brochure présente le grand avantage de clarifier aussi la notion de « situation de handicap ». En effet, dans l’esprit de la législation anti-discrimination et de la Convention ONU, il n’est pas proposé dans les textes une définition précise et limitative de ce qu’est un handicap. On va plutôt parler de « situation de handicap » : l’objectif étant d’appliquer une conception large du handicap, qui inclutles maladies chroniques, ainsi que les troubles de l’apprentissage, de l’attention et du comportement. Il n’est donc pas nécessaire d’être reconnu par une instance officielle comme l’INAMI, le SPF Sécurité sociale ou les fonds régionaux (AWIPH, Phare, VAPH, DPB)[10]. L’idée étant qu’un individu puisse se trouver en situation de handicap dans un contexte donné et pas dans un autre ; c’est une approche sociale qui ne tient pas seulement compte de la différence spécifique de l’individu mais qui questionne aussi l’environnement. Malheureusement, dans cette brochure parue en juin 2013, il n’est nulle part fait mention des enfants à haut potentiel. Pourquoi ne pas les avoir inclus ? N’ont-ils donc pas eux aussi besoin d’aménagements pédagogiques ? Comment les acteurs scolaires peuvent-ils s’y retrouver ?

Parution de la brochure « Enseigner aux élèves à hauts potentiels » édité par l’AGERS – juin 2013

Le 7 juin 2013 a eu lieu un colloque « Scolarisation des élèves à hauts Potentiels » afin de présenter les résultats de la recherche action interuniversitaire ainsi que la sortie d’une brochure « Enseigner aux élèves à hauts potentiels[11] ». Une des conclusions de la recherche interuniversitaire est qu’il est préférable de maintenir les élèves à haut potentiel avec leurs pairs, le projet de création d’un type 9 tombe donc à l’eau.

Marie-Dominique Simonet déclare dans son courrier d’introduction à ce colloque : L’accompagnement de ces élèves mérite donc une attention particulière, mais en les intégrant dans une école commune. La recherche interuniversitaire sur les jeunes à hauts potentiels, subventionnée depuis 10 ans par la Fédération Wallonie-Bruxelles, confirme l’importance de laisser ces élèves dans l’environnement « naturel » des enfants de leur âge, afin de leur permettre de participer à une communauté respectueuse des  différences, et d’y apprendre comme d’autres à vivre ensemble[12]. Elle ajoute que cette approche inclusive n’est possible que si les équipes éducatives sont soutenues et sensibilisées à un travail de différenciation pédagogique. La brochure présentée à ce colloque entend réaliser cette mission d’information, de présentation des variétés de profils de hauts potentiels et propose également des pistes de différenciation pédagogique.

Rencontre-débat au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles : « Pourquoi faut-il reconnaîtreofficiellement des besoins spécifiques des jeunes à haut potentiel ? »

En janvier 2014 a eu lieu au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles une rencontre-débat « Pourquoi faut-il reconnaître officiellement des besoins spécifiques des jeunes à haut potentiel ? » en vue de présenter au Parlement une proposition de résolution[13]. Il y est entre autres demandé la reconnaissance officielle des besoins spécifiques des enfants à haut potentiel et l’obligation fondamentale de leur prise en charge au sein de l’enseignement ; un accompagnement tel que celui dont bénéficie les élèves en intégration ; la création de structures pour accueillir les élèves à très haut potentiel (QI au-dessus de 140) ainsi que les élèves HP en décrochage scolaire ; de créer et soutenir des projets pilotes dans certaines écoles, de soutenir les familles en finançant des projets spécifiques ainsi que les associations qui offrent une aide concrète dans le cadre de cette thématique. Une reconnaissance de leurs besoins spécifiques notamment dans le cadre de l’application du décret Inscription pour l’entrée dans l’enseignement secondaire permettrait aussi que l’enfant à haut potentiel fréquente une école sensibilisée à cette thématique.

Conclusion

A la lecture de ce qui a été mis en place depuis 2000, abandonné progressivement, au regard du flou qui entoure la notion de besoins spécifiques, d’aménagements raisonnables, les familles d’enfants à haut potentiel[14] et les écoles sont dans de beaux draps. Les difficultés ont été recensées, une plate-forme d’échanges de savoirs entre enseignants a été créée, des formations spécifiques sont mises en place, une brochure de grande qualité est parue et diffusée dans toutes les écoles depuis septembre 2012[15], mais cela semble une goutte d’eau dans un océan.

Les familles, dont les enfants à haut potentiel sont en souffrance, ont besoin de bien plus de soutien, comme en témoigne un parent lors d’un atelier organisé par l’UFAPEC : avant d’aller faire un bilan, il faut d’abord une détection, une raison d’aller faire un bilan. Or quand il s’avère que tous les enfants de la famille ont un profil HP, il est moins aisé d’avoir la puce à l’oreille. Quand un centre PMS vous dit que votre enfant est autiste ou TDAH, cela complique encore plus les choses. Trois enfants de la famille sont concernés par le HP : l’un est en échec scolaire, le deuxième vit des problèmes relationnels avec harcèlement et pour la troisième tout va bien. Des professionnels se sont complètement trompés et cela m’interpelle. Ils ne parlent pas aux parents, ils ne les interpellent pas et les enfants ont été testés quand il était déjà fort tard. Les enseignants et les psychologues du PMS n’ont pas l’air d’être au courant de l’existence de haut potentiel. Et cela amené dans deux des cas à un échec scolaire qui aurait pu être évité car l’école ne lui apprend rien et il a complètement décroché. S’il avait eu une prise en charge plus tôt, il serait peut-être encore dans le milieu scolaire[16].

La sensibilisation des enseignants et des agents des Centres PMS est donc bien un objectif primordial à poursuivre. Cependant les parents sont aussi confrontés à un manque de structures extérieures pour les épauler et les guider quand leur enfant ne va pas bien[17]. Les associations spécialisées dans l’aide et l’accompagnement des familles ne bénéficient d’aucun soutien public financier, elles fonctionnent avec des bouts de ficelle ou demandent des interventions financières que toutes les  familles ne peuvent assumer. Faute de centres subsidiés pour s’occuper des enfants et des jeunes à haut potentiel, le secteur privé s’est emparé du filon et le meilleur côtoie le pire. Comment en tant que parents s’y retrouver dans cette jungle ? En l’absence de réglementation, de reconnaissance officielle, tout est possible dans le monde des HP. Quoi qu’il en soit, effectuer une évaluation globale de son enfant (niveau affectif, intellectuel, relationnel, pédagogique) n’est pas à la portée de toutes les bourses.

Pouvoir rencontrer rapidement des professionnels spécialisés dans le haut potentiel, bénéficier d’une écoute et d’une reconnaissance en milieu scolaire, trouver un endroit où déposer ses questions, ses doutes et ses inquiétudes car la vie au quotidien avec des enfants ou des jeunes à Haut Potentiel n’est pas de tout repos, est-ce un luxe ?

 

Anne Floor 

 

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Animation, conférence, table ronde... n’hésitez pas à nous contacter
Nous sommes à votre service pour organiser des activités sur cette thématique.

 

 



[1]FUNDP, ULB, UCL, ULG et UMH.

[2]Isabelle Goldschmidt est une des chercheuses qui a participé à cette recherche-action.

[3]I. Goldschmidt, L’identification des jeunes à haut potentiel, le début d’une reconnaissance. http://www.inrp.fr/biennale/7biennale/Contrib/longue/7212.pdflien vérifié le 24/07/2014.

[4]I. Goldschmidt, A-S. Genicot, I. Duret et F. Gillot-de Vries, à haut potentiel : un réseau à l’écoute, in Esprit libre, n°39, avril 2006, p.7.

[5]QE n°185 du 07/09/2010 – BQR n°12 (2009-2010), p.86.

[6]Proposition de résolution en vue de reconnaitre officiellement les besoins spécifiques des enfants à haut potentiel et d’améliorer leur prise en charge au sein de l’enseignement – déposée par C. Persoons, D. Gosuin et J-L. Crucke (400 (2011-2012)-n°1).

[7]Rapport annuel 2011-2012 du délégué général aux droits de l’enfant, p 21. http://www.dgde.cfwb.be/index.php?id=4238lien vérifié le 24/07/2014.

[8]Nous parlons ici de tous les dys, les HP et les TDA/H qui fréquentent l’enseignement ordinaire.

[10]Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, « A l’école de ton choix avec un handicap », Bruxelles, juin 2013, p. 9. http://www.diversite.be/l%C3%A9cole-de-ton-choix-avec-un-handicaplien vérifié le 24/07/2014.

[12]Circulaire n°4399 du 30/04/2013 - http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/38249_000.pdflien vérifié le 23/07/2014.

[13]Proposition de résolution en vue de reconnaitre officiellement les besoins spécifiques des enfants à haut potentiel et d’améliorer leur prise en charge au sein de l’enseignement – déposée par C. Persoons, D. Gosuin et J-L. Crucke (400 (2011-2012)-n°1.

[14]Qui sont en difficulté scolaire. Beaucoup d’enfants à haut potentiel vont bien. Dans la brochure « Enseigner aux élèves à hauts potentiels », il y est fait mention d’au moins un élève à haut potentiel par classe et du fait qu’un élève à haut potentiel sur trois sera en échec scolaire et aura besoin d’aide.

[15]A la demande du chef d’établissement. Celui-ci reçoit un exemplaire et peut en commander pour ses enseignants.

[16]Le compte-rendu de cet atelier sur les enfants à Haut Potentiel organisé par l’UFAPEC en octobre 2012 se trouve sur la partie privative du site de l’UFAPEC.

[17]Les jeunes à haut potentiel représenteraient 2,5% des élèves soit environ 21.600 jeunes au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Rappelons qu’un tiersdes élèves à Haut Potentiel sera en échec scolaire et aura besoin d’aide, les difficultés scolaires étant souvent la porte d’entrée vers d’autres difficultés. Enseigner aux élèves à hauts potentiels, AGERS, 2013. http://www.enseignement.be/index.php?page=25006&navi=2198lien vérifié le 23/06/2014.

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