Analyse UFAPEC Novembre 2023 par D. Houssonloge

15.23/ Dis-moi comment tu te soignes et je te dirai qui tu es !

Ensemble, brisons les barrières et révolutionnons nos politiques en matière de bien-être et de santé
pour offrir à nos enfants un avenir épanouissant et rayonnant !

Christine Rigaut et Pierre Squifflet

Introduction                                      

Alors que la précarité infantile augmente, nous nous interrogerons dans cette analyse sur le rôle de notre système scolaire dans la lutte contre les inégalités sociales de santé. Il est question ici du droit de chaque élève à être dans un état de santé favorable à sa scolarité et à son avenir.

Nous avons abordé la question à travers le prisme de la PSE (Promotion de la Santé à l’Ecole). Un des ateliers de la table-ronde, organisée par l'UFAPEC, le 5 octobre 2023 a été l’occasion de se poser certaines questions : que fait l’école en matière de réduction des inégalités de santé, et en matière d’éducation à la santé ? Les parents sont-ils considérés comme des partenaires ? Quel accompagnement pour les familles en difficultés ?

Pour répondre à ces questions, nous avons rencontré des agents PSE[1] : d’une part Emmanuelle Caspers et Anne-Catherine Launois respectivement directrice et infirmière du service PSE de l’école libre de Saint-Gilles[2] et d’autre part, Christine Rigaut et Pierre Squifflet, à la fois parents et directeurs de services PSE. Ils représentent également l’UFAPEC à la commission de la promotion de la santé à l'école (CPSE)[3] et étaient présents lors de notre table-ronde. Nous avons encore rencontré Jean-Marc Feron, médecin généraliste.

Définition

Que met-on derrière le terme "santé" ? Nour reprenons la définition de 1946 de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui nous semble exhaustive  : La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité.[4]

Quelques faits et chiffres

  • La précarité infantile[5]

En Fédération Wallonie-Bruxelles environ un élève sur cinq est en situation de précarité, ce qui est colossal dans un pays développé comme le nôtre.

Taux de privation des enfants en Belgique et dans les trois régions[6]

Notons également qu’en Belgique, l’accès aux soins de santé et aux médicaments est beaucoup plus difficile pour les familles précarisées et le constat se prolonge pour les enfants.[7] Sur le terrain, Emmanuelle Caspers et Anne-Catherine Launois constatent, d’autant plus depuis la crise Covid, qu’à Saint-Gilles beaucoup de familles connaissent des difficultés. Ces professionnelles préfèrent parler de personnes en situation de fragilité, parce que cela va bien au-delà de difficultés financières. Parmi ces familles, il y a aussi celles qui travaillent. Les familles monoparentales sont particulièrement touchées :  beaucoup de monde s’est précarisé à Bruxelles. Moi, je viens des beaux quartiers de Bruxelles, je suis famille monoparentale et comme mes amies, on n’y arrive plus, même en ayant un travail.

Les deux agents PSE voient plutôt un contexte global compliqué et préexistant à la crise Covid avec un manque de moyens investis dans le secteur de la santé et de l’enseignement. Des enfants reviennent en visite médicale après deux ans et le suivi médical n’a toujours pas été fait.

  • La santé mentale des jeunes menacée

Les agents PSE sont particulièrement préoccupés par la dégradation de la santé mentale des élèves depuis la crise Covid : les jeunes ne vont pas bien nous dit Pierre Squifflet : on constate des symptômes importants de stress même en primaire, des scarifications.[8]

  • Facteur de vulnérabilité

Le lien entre précarité, santé et trajectoire de vie n’est plus à faire. L’enfant qui nait dans un milieu précarisé encourt plus de risques d’avoir des problèmes de santé, de scolarité et d’exclusion sociale enfant, mais encore à l’âge adulte.[9] Avec des possibilités réduites de développement émotionnel, social et intellectuel.[10]

Jean-Marc Feron, médecin généraliste sur la commune plutôt précarisée de Grâce-Hollogne de la périphérie liégeoise (commune où le taux de patients atteints du diabète de type 2 est le plus élevé de Belgique[11]) et par ailleurs maitre de conférences invité à l’UCLouvain évoque ce que l'on nomme le gradient social de santé[12] : c’est toute la question des déterminants sociaux de santé. On le sait et on le constate chez nos patients, plus le niveau d’éducation est important, plus le niveau de prévention est important aussi et inversement.[13]

Les dents de vos enfants sauvées par… la taille de votre bibliothèque : l’enquête européenne SHARE montre encore le lien entre la conservation du capital dentaire et le capital socio-culturel de la personne durant son enfance.[14]

L’école réduit-elle les inégalités de santé ?

  • Via la PSE ?

En principe c'est le rôle de la PSE qui s'inscrit dans une démarche de lutte contre les inégalités sociales de santé à l'école. Il s'agit d'un service universel et gratuit qui permet par exemple l'accès aux vaccins essentiels. Dans ce sens, il collabore avec les écoles à travers quatre missions principales :

  1. suivi médical préventif des élèves
  2. mise en place de programmes de promotion de la santé
  3. dépistage et prévention des maladies transmissibles
  4. établissement d'un recueil standardisé de données sanitaires.[15]

Promotion de la santé et réduction des inégalités de santé sont étroitement liées. Or, sur le terrain, il semble difficile pour la PSE de faire de la promotion de la santé. Les agents que nous avons interrogés évoquent plusieurs raisons :

  • un sous-financement tout spécialement pour le libre
  • un morcellement des moyens et des acteurs
  • un mauvais positionnement et pas assez de reconnaissance des PSE (dépendant de l'ONE et donc de la ministre de l’Enfance) par rapport au monde de l'enseignement
  • un temps trop important consacré à l’administratif et une institutionnalisation excessive
  • Via les écoles ?

Il y a effectivement une préoccupation par rapport à l’accès à une alimentation saine. Le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a voté ce 18 octobre un décret pour offrir des repas sains et équilibrés dans les écoles fondamentales accueillant un public défavorisé[16]. Dans le même sens, des collations saines sont également offertes dans des écoles.

De façon générale, si des écoles veulent faire de la promotion de la santé, il y a parfois dans le chef des équipes éducatives une méconnaissance du fonctionnement requis. Il peut y avoir une différence de point de vue entre la PSE et des écoles demandeuses de séances de sensibilisation "one shot". Or, il ne suffit pas de rencontrer une fois les élèves ou les parents pour qu'une problématique sanitaire soit réglée. La PSE peut y contribuer et apporter son expertise, mais elle n'a pas les moyens de porter le projet dans chaque école.[17] C'est à l'école qu'il revient de s'investir et c'est le principe même de la promotion de la santé : processus visant à permettre à l'individu et à la collectivité d'agir sur les facteurs déterminants de la santé et, ce faisant, d'améliorer celle-ci, en privilégiant l'engagement de la population dans une prise en charge collective et solidaire de la vie quotidienne, alliant choix personnel et responsabilité sociale.[18] Pour ce faire, il est nécessaire que l'enseignant soit conscient que la famille est un partenaire à part entière, mais que des différences socio-culturelles existent aussi en matière de comportements de santé : le sommeil, l'hygiène, l'alimentation, la gestion des écrans, l'EVRAS, le recours aux soins de santé ne sont pas gérés de la même façon par tous les parents et encore moins par les parents qui vivent des situations compliquées, comme la préoccupation de trouver un logement ou celle d'atteindre un équilibre financier, social ou mental. Par ailleurs, certaines problématiques de santé doivent se travailler en privé avec l'élève ou la famille, ce à quoi la PSE s'emploie.[19]

Par rapport au rôle des équipes éducatives, selon le docteur Feron, il manque aujourd'hui une reconnaissance du métier d'enseignant et d'éducateur. Ils sont dès lors moins pris au sérieux et peuvent plus difficilement jouer un rôle éducatif: je suis peut-être réac, mais avant dans les écoles, les profs, les bonnes sœurs ou les pères dans les écoles catholiques avaient, ce qu’on appelle en psychanalyse, une place d’exception[20], une autorité morale qui leur permettait de dire à un enfant « va te laver les mains ». C’est essentiel d’avoir des messages convergents dans l’équipe éducative et que l’éducation à la santé soit quelque chose de répété et régulier.

Cela étant dit, les enseignants sont soumis eux-aussi à des nombreuses contraintes et pressions et ne peuvent pas tout prendre en charge. Et les parents de l'école ont-ils, eux, un rôle à jouer dans cette promotion de la santé ?

Sans être expertes pour autant, les associations de parents tentent régulièrement de faire de la promotion de la santé. Les projets sont variés : collations "saines", bar à soupe, rénovation des sanitaires avec sensibilisation des élèves, activités bien-être, organisation de soirée-débat sur des sujets divers (assuétudes, éducation au numérique, alimentation et troubles de l'alimentation, santé mentale, estime de soi…). Le fait que l'initiative vienne d'autres parents peut être mieux accepté par les familles.

Quand il n'y a pas d'association de parents, un café des parents peut permettre aussi de faire de la promotion à la santé.

Pistes et conclusion

Face à une fragilisation des familles, réduire les inégalités sociales de santé des élèves est une des missions de l'école et de la PSE, mais elles ne peuvent y arriver seules. Il y a aussi une responsabilité de la société à garantir à chaque enfant de pouvoir grandir dans des conditions de santé minimales.

Pour l'UFAPEC, en matière de santé, les parents sont aussi une formidable ressource et il faut pouvoir (re)donner de façon individuelle des compétences aux parents qui en ont besoin pour leur permettre d'être acteurs et partenaires.

Au niveau de l'école, au-delà de ce qui se pratique déjà, cet enjeu peut être travaillé à travers le contrat d'objectifs en priorisant la promotion de la santé et le partenariat avec les parents. Cette priorisation devra se faire en concertation avec le conseil de participation.

Dans la conjoncture actuelle et avec la commission PSE, l'UFAPEC défend l'idée que la médecine scolaire préventive doit rester universelle pour tous les enfants et être une priorité absolue à laquelle les moyens suffisants doivent être octroyés par les décideurs politiques. Prioriser l'axe promotion de la santé et celui du soutien à parentalité (qui s'arrête trop souvent avec l'entrée de l'enfant à l'école) permettrait de travailler davantage les inégalités de santé. L'engagement d'assistants sociaux, une coordination avec les différents partenaires permettrait aussi plus d'efficacité.

Enfin, lutter contre la précarité et les inégalités de santé des enfants demande, en même temps, que le politique agisse efficacement sur les autres déterminants sociaux que sont l'emploi, la protection sociale et le logement des familles. En effet, c'est tout cela, ensemble, qui peut assurer une bonne santé nécessaire à un parcours de réussite scolaire.

 

Dominique Houssonloge

 


[1] Service compétent en matière de santé régi par le Décret relatif à la promotion de la santé à l'école et dans l'enseignement supérieur hors universités, 17/04/2019 - http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&cn=2019031421&table_name=loi

[2] Voir interview complète, annexe 2

[3] Une présentation plus complète se trouve en annexe 1 : Les PSE, une médecine scolaire pour tous in Les Parents et l’École, juin 2023, pp. 4-5.

[4] OMS, Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, tel qu'adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19 juin -22 juillet 1946 - https://www.who.int/fr/about/frequently-asked-questions

[5] Un enfant vit en situation de pauvreté si le revenu et les ressources disponibles pour son éducation sont insuffisants au point de l’empêcher d’avoir un niveau de vie considéré comme acceptable dans la société dans laquelle il vit et suffisant pour garantir son bien-être émotionnel et physique ou son développement. Source : EAPN et Eurochild, Vers le bien-être des enfants en Europe. Explicatif sur la pauvreté infantile dans l’union européenne, p. 8, Bruxelles, 2013 - https://www.eapn.eu/images/stories/docs/eapn-books/2013_Child_poverty_FR_web.pdf

[6] IWEPS, Taux de privation des enfants, dernières données disponibles au 01/06/2023 - https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-privation-enfants/

[7] STATBEL La Belgique en chiffres, La santé pâtit de la pauvreté, 15/10/2018 - https://statbel.fgov.be/fr/nouvelles/la-sante-patit-de-la-pauvrete

[8] Rencontre avec Pierre Squifflet le 09/06/2023.

[9] EAPN et Eurochild, op. cit., p. 15. Voir aussi Observatoire de la santé du Hainaut, Séminaires sur les inégalités sociales de santé. Synthèse du 23 mai 2018 - https://observatoiresante.hainaut.be/wp-content/uploads/woocommerce_uploads/2019/05/2019-05-07_SEMISS_Ecole_ISS_23-05-2018-light.pdf

[10] EAPN et Eurochild, op. cit., p. 15. Voir aussi Observatoire de la santé du Hainaut, op. cit., p. 21

[11] On constate un lien avec l’ancien bassin industriel et, par conséquent, avec le niveau socio-économique des personnes atteintes. Source : Marc Bechet, Diabète : les Liégeois sont champions de Belgique ! Les chiffres sont dévoilés par la Mutualité chrétienne qui prône "la prévention" in DH Les sports, 25/10/2018 - https://www.dhnet.be/regions/liege/2018/10/25/diabete-les-liegeois-sont-champions-de-belgique-FE2OEFPHLFE3LDNU7XAE6ZJBAE/

[12] OMS, Commission des Déterminants sociaux de la Santé Rapport du Secrétariat, 04/12/2008 - https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/2902/B124_9-fr.pdf?sequence=1&isAllowed=y

[13] Entretien réalisé le 23/08/2023.

[14]  Xavier Flawinne et Sergio Perelman, La vie après 50 ans. Faits marquants révélés par l’enquête européenne SHARE, , Presses universitaires de Liège & ULiège Library, 2021, chapitre 12 L’état de santé à l’âge adulte est-il déterminé dès la naissance ?, p. 16  - https://e-publish.uliege.be/50ans/chapter/letat-de-sante-a-lage-adulte-est-il-determine-des-la-naissance-le-point-de-depart-dune-bonne-sante/

[15]  Décret relatif à la promotion de la santé à l'école et dans l'enseignement supérieur hors universités, op. cit., article 2.

[16] Projet de décret relatif au financement de repas complets, gratuits, sains et durables au sein des établissements scolaires d’enseignement fondamental ordinaire ou spécialisé, organisés ou subventionnés par la Communauté française - https://archive.pfwb.be/1000000020d60b6

[17] Voir l’annexe 2.

[18] Décret relatif à la promotion de la santé à l'école et dans l'enseignement supérieur hors universités, op. cit., article 1, alinéa 14.

[19] Voir l’annexe 2.

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