16.08/ L’école sans redoublement est-elle possible ?
Introduction
Tous les chercheurs qui ont analysé les effets du redoublement ont souligné qu’il ne permettait pas nécessairement à l’élève de repartir d’un bon pied et que, bien souvent, il entraînait un découragement et une démotivation.
Pourtant, le redoublement est encore considéré par les enseignants et les parents comme une nécessité pour remettre les élèves à niveau.
On sait aussi que les pays qui obtiennent les meilleurs résultats lors d’enquêtes internationales (Finlande, Suède,…) sont ceux dont le système éducatif n’impose le redoublement qu’à titre exceptionnel.
« Dans les pays qui l’ont supprimé depuis longtemps, le redoublement semble aussi archaïque et cruel que les supplices médiévaux ou les remèdes des médecins de Molière et on y a quelque peine à imaginer qu’il existe des pays développés où on le pratique encore.. »(1)
Faire redoubler un élève, c’est comme :
- renvoyer sur la ligne de départ celui qui n’a pu franchir une haie sans lui proposer des techniques pour sauter plus facilement,
- détruire complètement un bateau en modèle réduit parce que le bricoleur n’a pas su installer correctement une des voiles,
- faire recommencer une course à celui qui est arrivé dernier afin de l’inciter à courir plus vite.
Peut-on encore croire aux vertus du redoublement ?
Toutes les enquêtes menées dans ce domaine démontrent que la probabilité des effets négatifs l’emporte nettement sur les résultats positifs.
Une « méta-analyse » menée à la fin des années nonante(2), a synthétisé les principales conclusions obtenues à partir de soixante-trois recherches sur le redoublement qui ont comparé les résultats des redoublants et des « élèves faibles promus » (c’est-à-dire ceux qui ont pu passer dans une classe supérieure malgré leurs faiblesses). Il apparaît que les résultats obtenus par les « élèves faibles promus » sont plus positifs que les redoublants, tant au niveau des matières proprement dites(3) qu’au niveau psychologique (affectivité générale, développement social, bien-être émotionnel, attitudes comportementales,…). Le redoublement contribue largement à développer une attitude négative de l’élève par rapport à l’école (et du savoir en général)(4).
De plus les conséquences d’une année redoublée ont tendance à persister et à s’aggraver dans les années suivantes(5) : un élève qui a redoublé une année ne rattrape pas nécessairement son retard dans le courant des années suivantes(6).
La plupart des élèves qui redoublent subissent assez mal cette épreuve qui a des répercussions psychologiques importantes dans la mesure où ils perdent confiance en eux, sont mal vus, voire exclus:
« La stigmatisation de l’échec peut être la source d’un manque de confiance en soi : l’élève redoublant ressent le regard méprisant de ses camarades, de ses professeurs ou de ses parents et en vient à se dévaloriser. Se sentant mis à l’écart, il peut également perdre sa motivation, rejeter en retour l’école et précipiter ainsi ce que le redoublement était censé éviter. »(7)
« La situation du redoublant sera donc fréquemment une situation d’exclu, de paria, qui alourdit encore la sanction d’avoir à parcourir à nouveau un programme déjà étudié. »(8)
« Le redoublement engendre, souvent, plus qu’un sentiment passager d’échec, inflige à beaucoup, sinon à tous, une profonde blessure narcissique, perte de confiance en soi, sentiment de dévalorisation ou d’impuissance (…). Cet effet va à l’encontre même des capacités d’apprendre et conduit l’enfant ou l’adolescent à restreindre ses ambitions et à intérioriser durablement le sentiment de ses limites. »(9)
« Pour l’élève, le redoublement est une véritable punition et une marque de la violence institutionnelle. Il se retrouve dans une classe d’élèves plus jeunes avec une réputation de stupidité. Le redoublant ne peut être considéré comme un modèle, ce qui modifie la vision hiérarchique naturelle des jeunes enfants selon laquelle le plus âgé est nécessairement celui qui sait le plus »(10).
« Lorsque des sociogrammes sont utilisés par des chercheurs, le effets négatifs du redoublement sur l’adaptation sociale sont manifestes : les redoublants sont perçus plus négativement par leurs camarades et sont moins souvent choisis dans les groupes de travail constitués dans la classe »(11).
« Même s’il permet une mise à niveau, le redoublement contribue à se forger une identité de mauvais élève, ‘pas fait pour les études’, aussi bien dans l’esprit de l’intéressé qu’aux yeux de son entourage, de ceux qui le conseillent ou décident de son sort. »(12)
« Le redoublant anticipe le contenu et les activités qu’il a peu appréciées ou qui l’ont fait échouer. Ainsi, même si le début de la seconde année s’accompagne de succès éphémères, il n’y a pas de raison sérieuse de penser que l’intérêt de l’enfant pour l’école grandisse au terme de cette expérience. (…) Chaque redoublant a son ‘capital confiance’ entamé et sera repris par l’anxiété et le doute lorsque de nouvelles difficultés ressurgiront. »(13)
« Dans une enquête menée en France, les adolescents citent le redoublement comme l’évènement le plus redouté dans leur vie après celui de la disparition d’un de leurs proches ».(14)
Les enseignants croient-ils encore aux effets du redoublement ?
Dans une enquête menée en 1992 auprès de 330 instituteurs francophones, Mme A. Grisay avait posé la question suivante : « A votre avis, quel taux d’échecs peut-on admettre en fin d’année au niveau où vous enseignez ? ». Chez un peu plus de la moitié des enseignants, les chiffres avancés sont inférieurs à 10 %. Pour 40 % des enseignants, les taux compris entre 10 et 20 % sont acceptables. 5 % des enseignants considèrent qu’il est normal que 20 % à 30 % des élèves redoublent une année.(15)
Lors de l’enquête menée dans le cadre de la Radioscopie de l’enseignement en Communauté française en 1992, il apparaissait que les enseignants étaient assez partagés dans ce domaine. A la question « la mesure du redoublement vous paraît dans l’ensemble… » 153 enseignants ont répondu « plutôt efficace pour les élèves » et 140 « plutôt inefficace pour les élèves. »(16)
Une enquête menée en 2003 en Communauté française de Belgique auprès de 91 instituteurs confirment qu’ils perçoivent des aspects positifs au redoublement. Voici quelques-unes de leurs affirmations.
Quelques opinions des enseignants favorables aux redoublements :
- Certains élèves ont besoin d’une année supplémentaire : cela leur permet de mûrir et de mieux se préparer à affronter les difficultés de leur scolarité future : 97 %
- Je n’ai pas l’impression de vivre le redoublement d’un élève comme un échec de mon enseignement : 96 %
- Pour l’élève qui double, le fait qu’il puisse parcourir une deuxième fois la totalité du programme est en général bénéfique : 77 %.
Quelques opinions d’enseignants défavorables aux redoublements :
- Le redoublement ne fait qu’accroître le désavantage des élèves qui sont déjà défavorisés en raison de leur origine sociale ou culturelle : 25 %
- Le redoublement influe négativement sur la confiance que l’élève devrait avoir dans ses capacités et ses moyens de réussir : 20 %.
- Lorsque je dois faire doubler un élève, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il s’agit malgré tout d’une mesure injuste : 14 %
- La décision de faire doubler un élève me laisse avec un sentiment de culpabilité et de malaise : 8 %
Pourtant, aucun argument en faveur du redoublement n’a pas été prouvé.
« A ce jour, aucune recherche n’a mis en évidence de relations positives entre un arrêt dans le parcours scolaire et une amélioration de l’image de soi, de la motivation et de la persévérance scolaires, ou une accélération du processus maturationnel. Or, le gain supposé de motivation et de maturité est un des arguments les plus souvent évoqués en faveur du redoublement alors même que son caractère paradoxal est peu contestable. D’une part, la répétition d’une année scolaire n’engendre pas un surcroît d’investissement dans les apprentissages, tant en amont (la menace) qu’en aval de la prise de décision. D’autre part, contraindre un élève, censé être peu mûr, à être scolarisé avec des condisciples plus jeunes ne constitue pas une réponse satisfaisant pour l’aider à ‘grandir’»(17)
Pourquoi les chercheurs et les enseignants ne se comprennent-ils pas ?
La question suivante à se poser porte sur les motifs de ces divergences entre les chercheurs et les enseignants. Pourquoi les enseignants tiennent-ils si peu compte des résultats des recherches ?
Les enseignants perçoivent certains progrès chez les redoublants au niveau des résultats scolaires. Toutefois, ces quelques aspects positifs ne compensent pas les effets négatifs.
« Dans la plupart des cas, l’élève redoublant sera un peu meilleur durant son année de redoublement. La vertu du redoublement paraît donc s’imposer comme un mélange d’observation et de bon sens lorsqu’on compare le même élève dans la même classe. Le chercheur procède tout autrement en comparant deux élèves ‘théoriques’ identiques dont l’un a redoublé, l’autre pas, il montre que le second s’en tire mieux que le premier sans compter l’effet de stigmatisation du redoublement. Le chercheur a incontestablement raison, mais l’acteur lui, n’a pas tort de ne pas en démordre puisqu’il voit bien ‘son’ redoublant progresser alors qu’il ne peut le comparer à rien et notamment aux progrès réalisés s’il n’avait pas redoublé. »(18)
« Selon Dubet(19), l’incompréhension mutuelle entre chercheurs et enseignants se comprend à partir du simple fait que ces acteurs occupent des positions différentes dans le système et ont donc des points de vue différents sur celui-ci. (…) La connaissance se heurte aussi à ce que Dubet appelle la ‘barrière des fictions nécessaires’, il s’agirait alors pour les enseignants de maintenir ‘la part d’illusion indispensable à l’action éducative’ ».(20)
Les fonctions latentes du redoublement
Si le redoublement est maintenu dans les écoles, c’est aussi, parce que cette mesure remplit des fonctions latentes.
Pour mieux comprendre le maintien du redoublement, il importe d’analyser les grandes fonctions latentes du redoublement. Si l’objectif essentiel du redoublement consiste à aider l’élève à se remettre à niveau en répétant son année, Hughes Draelants formule l’hypothèse que le redoublement remplit quatre grandes fonctions : maintenir l’autorité de l’enseignant au sein de la classe, favoriser l’autonomie professionnelle du « groupe professionnel » des enseignants, favoriser la formation de classes plus homogènes, maintenir la bonne réputation de certaines écoles.
- La régulation de l’ordre scolaire par l’enseignant au sein de sa classe :
« Les enseignants se sont appuyés sur le recours possible à l’évaluation et au redoublement afin d’asseoir leur autorité auprès des élèves. En l’absence du redoublement, les enseignants se plaignent en effet du défaut de motivation induit auprès des élèves, il devient (encore plus) difficile de les faire travailler.»(21)
« La promotion automatique peut éloigner plus encore certains élèves de la culture scolaire, les installer définitivement dans la peau de ceux qui, résignés à ne plus rien comprendre, vivent à l’école sans participer aux apprentissage. »(22)
- Le maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants (collectivement en tant que groupe professionnel) :
« L’attachement manifesté par les enseignants vis-à-vis du redoublement peut aussi se comprendre comme l’expression d’un groupe professionnel qui revendique le maintien de son autonomie et une certaine vision de ce que l’Ecole doit être. Le redoublement apparaît en effet comme un des instruments de la sélection méritocratique qui, elle-même, symbolise un certain pouvoir enseignant et modèle de fonctionnement du système scolaire aujourd’hui en crise. »(23)
- La gestion au sein de l’établissement scolaire (intra-organisationnelle) de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements :
« Le redoublement, en augmentant le différentiel de résultats entre les élèves forts et faibles contribue à la formation de classes plus homogènes. »(24)
- Au plan des relations (concurrentes ?) entre établissements scolaires (inter-organisationnelles) : maintenir la bonne réputation de certaines écoles :
« Le redoublement peut servir de ressource stratégique à un établissement scolaire pour se construire une place et une réputation dans le champ des organisations scolaires locales.(…) La culture de l’échec est entretenue par les écoles réputées cherchant à attirer les meilleurs élèves, car il existe une représentation tenace dans le sens commun selon laquelle limiter le taux d’échec revient à nuire à la qualité de l’enseignement »(25)
Comment le redoublement est influencé par les relations entre les enseignants ?
La décision de redoublement peut aussi dépendre des réactions supposées de ses collègues.
Un enseignant qui a la responsabilité des mêmes élèves durant plusieurs années n’envisage pas de les faire redoubler dans la mesure où, au début de chaque année scolaire, il connaît suffisamment les lacunes des uns et des autres. Par contre, lorsqu’un enseignant doit faire passer ses élèves dans la classe supérieure il réfléchira aux réactions prévisibles de son collègue.
« Mes collègues, qui accueilleront mes élèves au degré suivant, s’attendent à pouvoir partir de certains acquis. Leur envoyer des élèves qui ne leur paraîtront pas de niveau suffisant, c’est m’exposer, à travers eux, à être jugé peu efficace. De quoi aurais-je l’air s’ils estiment que mes élèves n’ont pas le niveau qu’ils sont mal préparés, voire qu’ils ne sont pas à leur place ? (…) Beaucoup d’enseignants ne voient pas comment on pourrait se passer du redoublement, n’imaginent aucune alternative praticable face aux cas d’élèves en grande difficulté dont ils ont la charge, compte tenu des attentes de leurs collègues. (…). On a quelque indulgence pour un enseignant qui ne parvient pas à instruire tous ses élèves. On lui pardonne beaucoup moins d’envoyer au degré supérieur des cas ‘désespérés’. (…) Même lorsqu’on sait que tel ou tel collègue ‘fabrique de l’échec’, on censure le fond de sa pensée, on préfère ne pas ouvrir un conflit avec une personne qu’on côtoie tous les jours. »(26)
Si un bon nombre d’enseignants continuent à croire dans les vertus du redoublement c’est aussi parce que cette mesure est profondément ancrée dans les mentalités. Elle fait partie de l’inconscient collectif de notre société. On peut dès lors se demander s’il ne s’agit pas d’une représentation sociale qui oriente et justifie les conduites et les rapports sociaux.
Le redoublement est-il une représentation sociale ?
« L’attachement social au redoublement témoigne du caractère institutionnalisé de cette pratique. L’influence des dispositifs pédagogiques est en effet médiatisée par les représentations socialement partagées qui attribuent un sens (voire une fonction particulière) aux dispositifs du système. Avec le temps, ces constructions sociales s’institutionnalisent, c’est-à-dire qu’elles sont appréhendées comme des réalités, des évidences, ce qui rend leur transformation difficile même face à une détermination collective de les modifier. Une caractéristique des faits institutionnalisés est en effet de constituer en eux-mêmes des barrières à leur propre réforme. »(27)
La représentation sociale est une forme de connaissance courante dite de sens commun qui est caractérisée par le fait que :
- elle est socialement élaborée et partagée,
- elle une visée pratique d’organisation, de maîtrise de l’environnement et d’orientation des conduites,
- elle permet l’établissement d’une vision de la réalité commune à un ensemble social et culturel donné.(28)
Trois conditions président, selon MOSCOVICI(29) à la mise en place d’une représentation sociale : la focalisation de l’attention du groupe, la dispersion de l’information et la pression de l’inférence.
Analysons dans quelles mesures ces trois éléments se retrouvent dans la manière dont le grand public perçoit le redoublement.(30)
1. La focalisation de l’attention du groupe : il faut que l’attention soit focalisée sur le problème. Le groupe social a sélectionné les aspects qui correspondent à ses intérêts et qui déterminent sa position par rapport à l’objet. Cette vision des choses tend à « résister à toute information divergente, même fiable et pertinente, du seul fait que celle-ci entraînerait une question personnelle. » note de référence ?
La persistance du redoublement peut être entendue à la fois comme une manière de ne pas remettre en cause le fonctionnement et les pratiques pédagogiques de l’école et comme une occultation des effets négatifs mis en exergue par des travaux empiriques.
2. La dispersion de l’information qui permet à des connaissances indirectes et fragmentaires de se constituer en savoir social simplifié, non exempt de distorsions.
Le « savoir collectif » sur le redoublement est parcellaire, ‘situé’ dans notre système éducatif et recèle des contradictions, parmi lesquelles la non prise en compte des acquisitions des redoublants et de la notion de parcours de formation continu et adapté. Ces contractions peuvent être supportées (pour un temps) par un processus de rationalisation conduisant chaque individu à estimer que, dans la situation où il se trouve, il est ‘normal’ de penser et d’agir ainsi.
3. La pression à l’inférence : l’inférence est une opération intellectuelle par laquelle on passe d’une vérité à une autre, jugée telle en raison de son lien avec la première. Elle permet aux individus de combler les lacunes de leur savoir en reconstruisant en quelque sorte, ‘sur le tas’ une cohérence.
Les familles considèrent que la décision du redoublement ne peut être prise que dans l’intérêt de leurs enfants et en toute connaissance de cause : si ces derniers ne tirent pas bénéfice de cette année, c’est qu’ils sont réellement (voire définitivement) réfractaires aux apprentissages ; s’ils en tirent (provisoirement) bénéfice, l’idée selon laquelle c’était la solution la plus adaptée est dès lors confortée.
Comment se passer du redoublement ?
Une école qui décide de faire moins appel aux redoublements devait s’engager dans une réflexion en concertation entre tous les enseignants afin de trouver d’autres solutions aux incompréhensions, difficultés et démotivations des élèves. Il faudrait aussi favoriser une continuité effective des apprentissages et des parcours scolaires des élèves.
« Si le redoublement est banni, il faut en contrepartie assurer aux élèves une progression souple et continue tout au long de leur(s) parcours scolaire(s), en misant sur la différenciation pédagogique et sur la collaboration entre les enseignants (ce qui sous-tend les notions de collégialité et de co-responsabilité à l’égard des élèves). »(31)
« C’est rompre définitivement avec nos traditions scolaires les plus tenaces, parmi lesquelles la classe, le programme annuel ou la responsabilité d’un groupe d’élèves d’évolue à un seul enseignant. (…) La question serait la suivante : comment s’organiser collectivement et individuellement dans l’école de manière que chaque élève en tire pleinement profit ? L’idée majeure est d’assurer une continuité « multidimensionnelle » : temporelle (d’un temps d’apprentissage à un autre), spatiale (d’un lieu d’apprentissage à un autre), cognitive (d’une notion d’enseignement à une autre) et humaine (d’un adulte à un autre). Cette continuité des actions conduites auprès des élèves est liée (tout en la favorisant) à l’émergence de deux idées majeures : le cycle d’apprentissage et l’évaluation formative. »(32)
« D’un programme annuel, organisé en savoirs identifiés et hiérarchisés, il s’agit de tendre vers des compétences maîtrisées à des temps et des degrés divers. Les cycles d’enseignement pluriannuels tendent à affaiblir la prépondérance des programmes annuels en définissant des objectifs terminaux pour chaque période ».(33)
« La motivation en contexte scolaire est un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et de son environnement, et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer dans son accomplissement afin d’atteindre un but. »(34)
« La motivation scolaire d’un élève est principalement déterminée par l’image qu’il se fait de lui –même et que l’enseignant lui renvoie. (…) Certains enfants ne peuvent, à partir des évaluations dont ils font l’objet, construire une image positive d’eux-mêmes dans la mesure où leurs erreurs ou leurs insuffisances ne sont que l’occasion de réponses et d’attitudes négatives de la part du maître au lieu de constituer le matériau privilégié d’un travail didactique. Comment un élève peut-il être motivé s’il se sait faible et s’il pense que le but principal de l’école est de sélectionner et de sanctionner les difficultés par un redoublement ?»(35)
Marcel Crahay préconise de « transformer les écoles en communautés d’apprenants » en favorisant la structuration modulaire du curriculum présidant à l’organisation de l’école sans classe d’âge et impliquant le décloisonnement des classes. « Cela consiste à articuler des moments en groupes hétérogènes avec des moments en groupes homogènes du point de vue d’une compétence spécifique ».(36)
Conclusions
Au sein de notre système d’enseignement, le redoublement est pratiquement considéré comme la seule possibilité de remédier à l’échec scolaire alors que cette mesure a été abandonnée avec succès par plusieurs pays d’Europe (pays scandinaves,…). Chez un grand nombre de parents et d’enseignants et dans l’opinion publique en général, le redoublement est considéré comme indispensable pour maintenir la motivation des élèves ou pour leur offrir le temps d’acquérir de la maturité.
Pourtant, toutes les recherches menées dans ce domaine confirment que les (éventuels) effets positifs du redoublement ne sont pas compensés par les nombreux effets négatifs qui peuvent entraîner découragement, démotivation, décrochage, etc.
Le redoublement consiste à faire recommencer l’entièreté du parcours à celui qui ne parvient pas à franchir un ou plusieurs obstacles ou qui donne l’impression de traîner par rapport aux autres. L’élève qui recommence une année se sent généralement infériorisé et manifeste bien des appréhensions dans la perspective d’être à nouveau confronté aux obstacles qu’il n’a pas su franchir la première fois.
Le redoublement se justifierait beaucoup moins si les difficultés des élèves étaient prises en charge de manière individualisée et efficace au moment où elles apparaissent.
J’insisterais sur l’importance de la prévention : aider un élève avant qu’il ne soit trop tard et non pas attendre un an pour le sanctionner.
La structure par classe augmente également les décisions de redoublement dans la mesure où un certain nombre d’enseignants ont l’impression que certains élèves ne sont pas suffisamment prêts pour « affronter » les difficultés qui seront imposées dans l’année supérieure.
Si l’école veillait à remplacer le redoublement par des mesures plus originales et mieux adaptées à chaque élève, elle s’engagerait dans un processus de réflexions et de concertations qui serait enrichissant pour tous. Ainsi, le redoublement serait remplacé par des remédiations, par la recherche de moyens de mieux motiver les élèves, par une meilleure prise en compte de leurs difficultés intellectuelles et psychologiques.
S’il est important de comptabiliser les manques, il faut savoir que l’enfant progressera plus facilement sur la base de ses réussites. La pédagogie de la réussite est celle qui veut donner confiance, qui veut susciter l’envie de faire mieux en valorisant les enfants, leurs capacités de comprendre, d’entreprendre, d’imaginer et de créer.
Jean-Luc van Kempen
(1) PERRENOUD Philippe, De la critique du redoublement à la lutte contre l’échec scolaire, in Eduquer et Former, Théories et Pratiques, Bruxelles, juin 1996.
(2) HOLMES C Thomas, Grade level Retention Effects ; A Meta-analysis of Research Studies in Flunking Graces. Research and Policiens on Retention, Bristol, Farmer Press, 1990.
(3)A titre d’exemple, au niveau des performances en lecture, 60 % des « élèves faibles promus » dépassent le résultat moyen obtenu par le groupe des redoublants.
(4) Une recherche menée en 1929 par KLENE et BRANSON concluaient déjà que “ceux qui redoublent pour manque de maturité utilisent moins leur potentiel que les promus”. En 1936, Arthur avait constaté que les redoublants apprenaient moins en deux ans que ceux promus.
(5) HOLMES C Thomas, op.cit.
(6) Lorsqu’on compare, trois ans après l’année du redoublement, les résultats de ceux qui avaient redoublé et de ceux qui avaient été « promus », ces derniers s’en sortent mieux. Trois analyses ont montré que seulement 20 % des « élèves faibles promus » ont des performances équivalentes ou inférieures à la moyenne des performances des redoublants.
(7) KESLAIR François, Le redoublement permet-il d’améliorer les résultats scolaires ? Le cas d’un redoublement au début de l’école primaire, Master Analyse des Politiques Economiques, Ecole d’économie de Paris, Paris, septembre 2007.
(8) PAUL Jean-Jacques, Le redoublement : pour ou contre ? Paris, ESF, 1996.
(9) PERRENOUD Philippe, op.cit.
(10)TRONCIN Thierry, « Le redoublement : radiographie d’une décision à la recherche de sa légitimité », Thèse pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de Bourgogne, UFE Sciences Humaines, juillet 2005.
(11) PARADIS Louise, POTVIN Pierre, Le redoublement : un pensez-y bien. Une analyse des publications scientifiques, Vie pédagogique, 1993.
(12)PERRENOUD Philippe, De la critique du redoublement à la lutte contre l’échec scolaire, in « Eduquer et former, Théories et Pratiques, Bruxelles, juin 1996, n° 5-6, pp 3-30.
(13) TRONCIN Thierry, op.cit.
(14) « Le redoublement. Maladie honteuse ou seconde chance ? », Le Monde de l’Education, n° 227, 1995, 40-52.
(15) CRAHAY Marcel, Peut-on lutter contre l’échec scolaire ?, De Boeck Larcier, 2007.
(16)CRAHAY Marcel, op.cit.
(17) TRONCIN Thierry, op.cit.
(18) DUBET François, op.cit.
(19) DUBET François, Pourquoi ne croit-on pas les sociologues ?, Education et Sociétés, n° 9/2002/1
(20) DRAELANTS Hugues, op.cit.
(21)DRAELANTS Huges,op.cit.
(22)PERRENOUD Philippe, op.cit.
(23)PERRENOUD Philippe, De la critique du redoublement à la lutte contre l’échec scolaire, in Eduquer et Former, Théories et Pratiques, juin 1996, Bruxelles, n° 5-6, pp 3-30.
(24) DRAELANTS Hugues, op.cit.
(25)CRAHAY Marcel, Une école de qualité pour tous !, Bruxelles, Labor, 1997.
(26)PERRENOUD Philippe, op.cit.
(27)DRAELANTS Hugues, Le redoublement est moins un problème qu’une solution. Comprendre l’attachement social au redoublement en Belgique francophone, Les Cahiers de Recherche en Education et Formation, n° 52, juillet 2006.
(28)Enseignement et Recherche en Psychopathologie, Les représentations sociales. Date ? Lieu ?
(29)MOSCOVICI Serge, La psychanalyse, son image et son public, 2e ed.,Paris, PUF, 1976.
(30)TRONCIN Thierry, op.cit.
(31)TRONCIN Thierry, op.cit.
(32)TRONCIN Thierry, op.cit.
(33)TRONCIN Thierry, op.cit.
(34)VIAU Rolland, La motivation en contexte scolaire, 3e ed., Bruxelles, Editions De Boeck Université, 2003.
(35)TRONCIN Thierry, op.cit.
(36) CRAHAY Marcel, L’école peut-elle être juste et efficace ? De l’égalité des chances à l’égalité des acquis, Bruxelles, De Boeck Université, 2000.