Analyse UFAPEC septembre 2016 par A. Pierard

18.16/ Quelle intégration des différents modèles de famille dans notre société?

Aujourd'hui, une famille sur cinq ne correspond plus au schéma classique d'un homme et d'une femme et de leur(s) enfant(s), mais bien à différents schémas familiaux tels les familles monoparentales, décomposées, recomposées, en couples non cohabitant, couples homosexuels, familles homoparentales... Nous avons affaire à des réseaux relationnels complexes, à des parentés plurielles."

FANIEL Annick

Introduction

La famille classique (papa, maman et les enfants) n'est plus le seul modèle existant. Il y a aussi les familles monoparentales et les familles recomposées. On fait de plus récemment face à l'émergence des familles homoparentales. L'acceptation et l'intégration de ces diverses configurations familiales devraient aller de soi dans notre société qui se veut de plus en plus ouverte et égalitaire. Est-ce réellement le cas ? Quelle reconnaissance de chacune de ces configurations familiales ? Existe-t-il un modèle de famille idéal ?

Nous vivons aujourd'hui dans une société individualiste, centrée sur le bonheur personnel et l'instant présent. La famille occupe-t-elle toujours une place centrale dans cette société centrée sur l'individu ?

La cellule familiale est le premier lieu de construction de soi. Quelle estime de soi selon le type de famille dans lequel on vit et le regard de la société sur celui-ci ? Y a-t-il un modèle plus favorable que d'autres ?

Imaginons au 1er septembre, un travail en classe. L'enseignant demande à ses élèves de décrire leur famille, la place qu'ils y occupent et une activité hebdomadaire. Voilà donc ce que cela pourrait donner aujourd'hui :

  • Je vis avec mon père, ma mère et mes deux petites sœurs. Je suis le grand frère. Je vais faire du VTT tous les samedis avec mon père.
  • Je vis avec ma mère et mes deux petites sœurs. Je suis le grand frère et l’homme de la famille depuis que Papa est parti. Quand maman travaille, je m’occupe des repas et je garde mes sœurs.
  • Je vis avec ma mère, mes deux petites sœurs, mon beau-père et, une semaine sur deux mes deux demi-frères. Un week-end sur deux et la moitié des vacances je vais chez mon père avec mes sœurs. Je suis le grand frère de mes deux sœurs et le moyen avec mes demi-frères. Je vais faire du VTT un samedi sur deux avec mon beau-père et mes demi-frères.
  • Je vis avec mes deux mères et mes deux petites sœurs. Je suis le grand-frère. Je vais faire du VTT le samedi avec Maman Odile.
  • Je vis en foyer avec mes deux petites sœurs. Mes parents ne vont pas bien et ne savaient plus s’occuper de nous. Ma famille c’est eux mais aussi les éducateurs et les amis du foyer qui sont là pour moi depuis 7 ans. Je suis le grand-frère et je protège mes sœurs au maximum. Le samedi, je fais du VTT avec Eric, mon éducateur, et des amis.
  • Etc.

Evolution de la famille

Selon l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, la famille est une communauté de personnes réunies par des liens de parenté, dotée d’un domicile, et créant entre ses membres une obligation de solidarité morale et matérielle censée les protéger et favoriser leur développement social, physique et affectif. C'est le premier lieu de socialisation des individus, car ils y apprennent à vivre en groupe. Même si chacun se fait sa propre conception de la famille, celle-ci doit avant tout être espace propice à la réalisation  de soi, à l'épanouissement personnel et celui de l'autre. Chacun y veille au bien-être de l'autre. En principe, on devrait s'y sentir en sureté, protégé, entouré d'amour. La famille reste l'union la plus importante entre les gens et est source de dialogue, de respect, d'entraide. Tous les foyers ne correspondent pas à cette présentation idéale de la famille, mais cela n'est pas lié au modèle familial.

En passant par la famille moderne, la famille traditionnelle s'est transformée pour devenir la famille contemporaine[1]. Selon sa dynamique propre mais aussi sous l'impact de la société, la famille est entrée dans une évolution importante depuis plus d'un demi-siècle. Les bouleversements engendrés sont entre autres liés au travail des femmes, à la légalisation du divorce et d'autres formes d'union civile, à l'importance donnée à la coparentalité et à l'essor de l'individualisme et de l'hédonisme[2]. "La famille a connu deux évolutions majeures : d’une part, le mariage ne représente plus l’unique moyen de fonder une famille et les valeurs qui lui sont attachées ont changé, et, d’autre part, la vie familiale s’est individualisée et démocratisée.[3]"

Famille traditionnelle

Dans la famille traditionnelle, l'homme travaillait et détenait l'autorité alors que la femme s'occupait du foyer. Il y avait souvent beaucoup d'enfants. La famille traditionnelle apportait avant tout une sécurité économique. Le mariage construisait une alliance entre deux familles, afin de transmettre le patrimoine familial, de garder l'exploitation agricole ou la boutique. Un métier se transmettait de père en fils.

Comme l'explique l'historien Paul Servais, de productrice, la famille va devenir consommatrice. "La famille a toujours eu en premier lieu la fonction d'assurer la survie de ses membres, qu'il s'agisse de survie physique, mais aussi économique, patrimoniale, sociale. (…) Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de l'affection, de l'estime, mais on ne décide pas de se marier sur un coup de tête amoureux! Le mariage, fonder une famille, est avant tout une alliance. Car du point de vue économique, la famille est une cellule de production de "richesses" même très petites. Avec l'industrialisation, le lieu du travail se déplace. Ce n'est plus la maison familiale, mais ça devient l'usine, le bureau, etc. Par conséquent, la famille va devenir non plus une cellule de production de richesses, mais une cellule de consommation de richesses !"[4]

Famille moderne

A partir des années 1950, on observe une augmentation des divorces et familles monoparentales, une autonomisation de la femme et une séparation de la reproduction et de la relation sexuelle (fécondation in vitro, mère porteuse, contraception). L'évolution des lois va accompagner l'évolution des mœurs dans le développement de l'individualisme et la recherche de sécurité affective.

Dans la famille moderne, la femme assume une grande part du travail domestique et éducatif, ce qui a un impact d'inégalité dans les parcours professionnels. Selon le sociologue François de Singly "cette inégalité entre les genres dérive de l'inégalité entre les mères et les pères. Ce qui n'est donc pas réglé dans la famille moderne, c'est la logique de l'égalité entre l'homme et la femme. L'homme dans la famille n'est pas assez proche de ses enfants. Il continue à jouer le rôle du père traditionnel, souvent hors du foyer pour des raisons professionnelles et avec une autorité qui voudrait venir d'en haut. Or il n'est plus le chef de famille."[5]

Famille contemporaine

La famille contemporaine met l'accent sur l'affection, les sentiments et la solidarité familiale restreinte. "La famille demeure, en effet, fortement valorisée en tant que lieu d'expression de l'affectivité, espace identitaire, univers de socialisation et rempart contre la solitude, la froideur et la violence du monde extérieur."[6] Ce qui rend la famille plus attachante mais plus fragile, plus instable aussi. On se focalise sur l'individu, l'épanouissement personnel et les liens de proximité en recherchant une complicité heureuse, la négociation des décisions. "L’idée de bonheur, ici et maintenant, s’est imposée comme objectif premier de toute vie, les voies censées y conduire sont celles de l’individualisme et de l’hédonisme, valeurs centrales de notre société autour desquelles la famille s’organise."[7]

La filiation est l'axe repère de la famille contemporaine, l'enfant est placé au centre. Il y a en moyenne deux enfants par famille, leur arrivée étant souvent désirée et préparée. Le lien parental est indéclinable, indéfectible! Quoi qu'il arrive, le parent doit subvenir aux besoins de son enfant et prendre en charge son éducation. Le parent a une responsabilité inconditionnelle envers son enfant. "Là où les liens parentaux apparaissent comme inconditionnels, les liens conjugaux apparaissent au contraire d'une grande fragilité. La centration sur l'épanouissement affectif d'une part, l'autonomisation des individus d'autre part, rendent le couple conjugal extrêmement instable, fragilisent les liens conjugaux."[8] Comment concilier liberté conjugale et obligation parentale ?

C’est quoi une famille aujourd’hui ?

Pour François de Singly, la famille contemporaine est individualiste, relationnelle et démocratique. Elle privilégie l'égalité et le respect de chacun de ses membres. Le couple reste la base fondatrice de la famille. Il est avant tout considéré comme une histoire d'amour, une relation basée sur le respect, la fidélité et la compréhension mutuelle. Le mariage n'est plus LA référence. Il a pris un sens personnel selon ce que le couple met derrière. C'est un acte de volonté individuelle reposant sur le sentiment amoureux. Nous sommes passé d'un système d'union de raison par le mariage à un panel de possibilités d'officialiser une union d'affection (le mariage civil ou religieux, le contrat de cohabitation commune, l'union libre, la cohabitation).

La famille garde une place centrale dans le système de valeurs car il s'agit d'un lieu de référence, de solidarité et de soutien inconditionnel. "Si la famille est importante pour les adolescents (et les enfants), c'est qu'ils la perçoivent comme un lieu de grande solidarité, un refuge où ils trouveront soutien et réconfort, où ils seront écoutés, préparés à leur future vie d'adulte et où ils trouveront toujours quelqu'un sur qui s'appuyer. La satisfaction paraît donc fortement tributaire de l'amour et du soutien manifesté par "les uns et les autres"."[9] Ceci, quel que soit le modèle de famille.

Selon le baromètre des parents de la Ligue des familles[10], la répartition selon les types de familles est la suivante:

  • 60% de familles classiques
  • 25% de familles monoparentales
  • 15% de familles recomposées

Il n'y a pas de statistique pour les familles homoparentales.

La gestion du budget diffère selon les configurations familiales.[11] Ceux qui s'en sortent le mieux sont les familles classiques. Suivent d'assez près les familles recomposées. Et les familles monoparentales sont celles qui s'en sortent le moins bien.

 

Familles classiques

Familles recomposées

Familles monoparentales

Difficilement

7,3 %

19,3 %

39,3 %

Moyennement

62,2 %

53,6 %

51,9 %

Facilement

30,5 %

27,1 %

8,8 %

Bernard et Sybille, couple d'une famille recomposée[12]

"On aime bien être à deux, aller manger un bout… Quand on a les enfants, nos semaines sont réglées quasiment à la minute. Et il y a des choses qu'on ne fera pas comme aller au cinéma. Alors qu'on peut y aller trois fois la semaine où ils ne sont pas là", confie Bernard. "Quand ils ne sont pas là, il y a beaucoup moins de contraintes d'horaires, confirme Sibylle. Par exemple, on s'en fout des repas. On peut se contenter d'un œuf ou commander quelque chose. Parfois, on se fait un resto aussi." "Ce qu'on ne fait jamais à sept, souligne Bernard. Car c'est un budget!"

Le niveau de satisfaction dans différents domaines de la vie varie selon les configurations familiales. De manière globale, les familles classiques sont satisfaites de leur vie familiale (77%) et de leur niveau de vie (58%). Les familles monoparentales le sont beaucoup moins (respectivement 51 et 27%). L'on constate cette différence aussi pour ce qui est du logement, de la vie sociale, des situations professionnelle et financière.[13]

 

Familles classiques

Familles recomposées

Familles monoparentales

Logement

86,3 %

78,7 %

69,2 %

Vie sociale

78,7 %

74 %

67,1 %

Situation professionnelle

77,1 %

77,4 %

63,1 %

Situation financière

72,4 %

61,2 %

48,8 %

  • Famille classique

C'est le foyer où l'enfant vit avec ses deux parents. Cela reste la configuration familiale la plus fréquente.

  • Famille monoparentale

Les familles monoparentales sont de plus en plus nombreuses. Il s'agit majoritairement de mères célibataires. Selon le baromètre des parents de la Ligue des familles, 40 % de ces familles vivent avec moins de 1.500€ par mois et 46 % de ces parents ne travaillent pas. Comment aider ces familles, les sortir de la précarité comme de l'isolement ? Faut-il mettre en place une politique d'aide aux familles monoparentales, notamment pour garantir des conditions de réussite scolaire et, plus tard, d'intégration sociale aux enfants ?

Audrey, mère célibataire[14]

Audrey élève seule son fils âgé de cinq ans. Elle s’est séparée de son compagnon peu après la naissance du bébé. « Il ne m’aidait pas du tout et ne s’occupait pas du petit. En gros, je ne pouvais pas compter sur lui. J’ai préféré assumer toute seule. » Audrey a le sentiment de faire famille et ne se sent pas stigmatisée. Dans son entourage, elle fait la liste de nombreuses situations familiales très désespérées, notamment les cas de très jeunes femmes qui se retrouvent enceintes sans le vouloir et qui peuvent être mises à la rue par leurs proches. « Je trouve qu’il faut être sacrément costaud pour affronter la vie de tous les jours. Moi, je pense que j’ai du caractère mais ça ne m’empêche pas de craquer parfois… Il y a les difficultés financières, mais il y a aussi les coups durs, la perte d’un parent. Les jeunes filles que je connais étaient perdues avant leur grossesse et le sont encore plus avec un bébé. » Audrey paie un loyer de 200 euros par mois et touche avec les aides pas plus de 530 euros  : « C’est très serré. Je jongle comme je peux mais je fais en sorte que mon fils ne manque de rien », soutient-elle. Depuis quelques mois, cette maman de trente-deux ans suit une formation en cuisine et vient de décrocher un contrat d’insertion à mi-temps. Sauf qu’Audrey s’inquiète déjà des modes de garde. Pour se rendre à son travail, elle n’est pas assurée d’avoir un véhicule.

  • Famille recomposée

Tout comme les familles monoparentales, les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses et avant tout dues aux divorces et séparations.

Sybille, mère de deux enfants et belle-mère de trois enfants[15]

"Je pense plus aux enfants qu'à nous. Ca ne doit pas être gai de déménager tout le temps. Moi, je trouverais ça moyennement drôle. Je comprendrais qu'un jour ils me disent qu'ils veulent être tout le temps chez leur père ou tout le temps ici. Autre point: maintenant qu'ils grandissent, j'ai plus de mal à imposer des choses à l'aîné. Des amies ne disent qu'un jour j'aurai droit à: "Tu n'es pas ma mère!" Mais je n'ai pas la prétention d'être leur maman. Heureusement qu'on ne cherche pas à remplacer cela. (…) La clé du succès, c'est qu'on éduque nos enfants de la même manière. On fait des remarques aux cinq. On sent bien qu'ils sont 3 et 2 - et heureusement - mais ils s'entendent tous bien, malgré out. On sent une fratrie. Ils préfèreraient sans doute vivre avec leur papa et leur maman, mais on leur dit qu'on a choisi la meilleure option pour eux. Je pense qu'on leur donne une image d'un couple épanoui."

Les difficultés vécues par ces familles sont de :

  • pour le parent célibataire, avec enfant en garde principale, arriver à concilier vie professionnelle et vie familiale (sans soutien d'un réseau familial ou amical, le quotidien de ces parents est très difficile) ;
  • déménager entre deux foyers pour les enfants en garde partagée et perdre son chez soi ;
  • pour les enfants encore, grandir dans deux systèmes éducatifs différents ;
  • bricoler et nouer de nouvelles relations (entre enfants, avec le conjoint du parent, etc.) ;
  • avoir de l'espace pour accueillir et loger confortablement les enfants qui ne sont pas forcément présents en permanence.

Nelle, 11 ans, fille de Bernard[16]

"J'aime bien aller chez mon papa et chez ma maman. La différence c'est qu'ici, je prends le bus avec une copine pour aller à l'école tandis que chez ma maman, je prends le bus toute seule. Chez ma maman, je partage une chambre avec ma sœur tandis qu'ici, j'ai ma chambre. La maison est plus grande ici. Parfois il y a des problèmes avec mon demi-frère et ma demi-sœur, mais ça se règle. Quand je dois parler de ma famille, je dis que j'ai deux familles. J'explique simplement. Quand je suis ici, j'ai quand même des contacts avec ma maman. On s'envoie des messages et elle passe si j'ai oublié quelque chose. Comme je suis en première secondaire, on a de gros livres qu'on doit laisser à la maison, alors parfois je dois aller les récupérer chez ma maman."

Timour, 14 ans, fils de Bernard[17]

"Ce qui est positif, c'est que maintenant j'ai un demi-frère. C'est cool pour faire du sport… Et on est intéressé par les mêmes choses. Quand je dois parler de ma famille, à la présentation de début d'année par exemple, je dis que j'ai deux sœurs. C'est tout. C'est plus simple. Et sinon, au niveau des points négatifs, c'est un peu chiant de devoir changer toutes les semaines. On prépare notre sac le jeudi soir et on met toutes nos affaires de sport… dedans. Quand je suis entré en humanités, j'oubliais des livres… Et parfois j'en ai un peu marre d'être avec plein de monde."

  • Famille décomposée

La famille "éclatée" est aussi une réalité dans notre société. Quand les parents ne peuvent plus élever leur enfant, ne sont plus en mesure de le prendre en charge ou sont jugés incapables d'exercer leur parentalité, l'enfant est inscrit en internat ou placé dans des familles d'accueil[18] ou dans des Services de l'Aide à la Jeunesse. Quand l'enfant est délinquant, il peut être envoyé dans un centre fermé dépendant du Service de Protection de la Jeunesse. Dans ces différents cas de figure, malgré les tentatives de maintien de l'enfant dans la famille avec l'aide des services sociaux, la famille est décomposée et il est difficile de maintenir les liens. Dans le cas de la famille d'accueil, il y a des liens à créer, ce qui n'est pas toujours facile non plus.

"Selon les estimations réalisée par l’Observatoire de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse de juillet 2013, environ 10.439 enfants seraient placés en FWB (marge d'erreur : 500 enfants), principalement «dans les secteurs de l’aide à la jeunesse et du handicap, mais aussi dans le secteur de la santé mentale, de la justice ou encore de l’asile. Un tiers de ces enfants sont placés en familles d’accueil, tandis que deux-tiers résident en institutions»[19]"

  • Famille homoparentale

Les familles homoparentales sont encore trop peu nombreuses officiellement que pour avoir des statistiques les concernant. De plus, la législation belge permettant l'union civile (1999), le mariage (2003) et l'adoption (2006) pour un couple du même sexe est assez récente.

C'est la configuration familiale qui bouscule le plus les repères de l'identité, de la parenté et de la filiation. Elle remet en cause le modèle de la familial classique. Elle pose par exemple la question de l'importance des deux référents (masculin et féminin). Faut-il un père en une mère pour grandir et s'épanouir ? Le vécu des enfants dans les différents modèles familiaux montre que ce n'est pas forcément le cas. On peut se construire et être heureux dans une famille classique, monoparentale, recomposée ou homoparentale. Il n'y aurait pas un modèle qui prévaut sur les autres.

Les enfants présents dans ces familles peuvent être issus d'une relation hétérosexuelle précédente, d'une adoption, d'une insémination avec donneur (et adoption intra familiale par la conjointe), d'un recours à la gestation pour autrui (mère porteuse). Selon les configurations, les deux parents ne sont pas forcément reconnus juridiquement (en cas d'absence de lien biologique ou adoptif). Le parent qui n'est pas lié légalement à l'enfant n'a pas de droits sur lui.

Marie, maman de Louise et épouse de Stéphanie[20]

Aujourd’hui, alors que nous sommes mariées, nous avons eu un enfant qui n’a qu’un seul parent. Je suis sa seule Maman. Ma femme, avec qui nous menons ce projet ensemble depuis de longues années, doit maintenant partir dans un nouveau parcours, celui d’adopter notre fille. En fait, la loi (qui, soit dit en passant, nous considère comme un foyer lorsqu’il s’agit de calculer notre quotient familial…), refuse à Stéphanie d’être légalement la mère de Louise. Pour le devenir, elle doit adopter son propre enfant. Concrètement, cela signifie que tant que l’adoption n’est pas prononcée, Stéphanie ne peut pas faire hospitaliser sa fille, ne peut pas gérer son livret d’épargne, ne peut pas lui transmettre son nom, etc. (…) Je ne me plains pas de la loi « mariage pour tous », car sans elle, nous n’aurions pas pu accéder à cette disposition (qui existe depuis bien longtemps mais ne s’applique qu’aux couples mariés). En revanche, considérer qu’il s’agit d’une première étape et que bien d’autres sont encore à franchir avant de pouvoir parler d’égalité ne me semble pas superflu…

Bien qu'encore peu nombreuses, ces familles, parents et enfants, sont un état de fait. Pour notre société, héritière du modèle de la familial classique, elles remettent en question nos fondamentaux. Ces familles existent et nous poussent à nous ouvrir à la différence, à confronter nos valeurs. Comment leur permettre d'officialiser leur existence (pas seulement par la reconnaissance du mariage homosexuel), de dépasser la peur du regard des autres ? Quelle place sommes-nous prêts à leur donner, quel message allons-nous délivrer à nos enfants ?

Comment maintenir les liens et en créer de nouveaux ?

"Au-delà de ces évolutions institutionnelles, on constate également une évolution du fonctionnement interne de la famille, tant au niveau du couple que de la relation parentale. Dans ces deux domaines, la qualité des sentiments a pris le pas sur la norme, la démocratisation des relations sur la contrainte et la hiérarchie. Ainsi les places de chacun ont été redéfinies autour de valeurs telles que l’authenticité des sentiments et l’autonomie des individus."[21]

Dans notre société actuelle, quel développement de la cohésion familiale ? Comment fonder la parenté et le lien familial sur la fragilité des amours humaines ? Les relations étant avant tout affectives, la famille reste le premier lieu de valorisation de la personne. Il semble important d'y développer une cohésion familiale, d'avoir une famille unie, centrée sur le bien être personnel de ses membres. Vu l'effritement des repères symboliques, les affinités affectives prennent de l'importance et de nouvelles pratiques parentales se développent.

La famille traditionnelle étant individualiste, relationnelle et démocratique, comment faire preuve d'autorité tout en favorisant le dialogue et l'écoute ? Comment développer un sentiment de sécurité des membres du noyau familial ?

"Souvent, ces nouvelles configurations familiales voient se créer des liens qui ne reposent pas sur une réalité biologique ou juridique. (…)Tous ces liens affectifs, tous ces investissements et prises de responsabilité vis-à-vis d'un enfant ou d'un adulte qui découlent d'un lien familial posent question aux adultes. L'inquiétude souvent exprimée est celle de la souffrance à envisager si la relation venait à se briser."[22]

Vu la multiplicité des modèles familiaux, il faut créer de nouveaux liens, mais aussi maintenir, garder les liens existants. Comment s'y prendre ? Comment vivre ces attachements multiples ? Il semble judicieux de partir des affinités et du souci du bien-être de l'enfant, de développer des complicités, d'être au clair sur la place de chacun dans un esprit d'adaptation et d’ouverture. L'idée est de préciser la nature des liens, de préserver les relations, d'éviter les perturbations, d'instaurer la confiance. Il n'est pas naturel pour tous d'être dans l'amour et la bienveillance. Pour certains parents qui peuvent se sentir démunis, il s'agira aussi de développer le soutien à la parentalité, de leur donner confiance en eux, de prendre conscience de leurs ressources et de leur permettre de développer leurs compétences parentales.[23]

La configuration familiale va permettre le développement de qualités et capacités chez l'enfant. L'on constate par exemple plus de maturité de l'enfant dans la famille monoparentale, une plus grande capacité d'adaptation de l'enfant dans la famille recomposée. Ce n'est pas le modèle de famille en lui-même mais le vécu de chacun, les rôles et places donnés qui auront un impact sur la construction de soi, l'épanouissement personnel et l'estime de soi.

Quelle reconnaissance de ces nouveaux liens ?

La présence multiple d'adultes auprès de l'enfant invite à faire la différence entre lien de parenté (filiation, adoption, reconnaissance de l'enfant) et de parentalité (qualité de parent). Elle pose la question : que signifie être parent ?

La parenté est basée sur la filiation et permet à l'enfant de fonder son identité. Elle donne un statut, des droits et des devoirs. Le parent a des responsabilités juridiques, morales et éducatives envers l'enfant.

La parentalité est une fonction nourricière et éducative. Il s'agit d'un ensemble de savoir-être et savoir-faire. "La notion de parentalité permet aussi de rendre compte de ceux qui jouent un rôle parental, plus ou moins permanent ou ponctuel, et dont la légitimité n’est pas fondée sur un statut ou une place juridique, mais sur une compétence. Ils font fonction de parents, même s’ils n’ont parfois aucun lien de parenté avec l’enfant. Le beau-parent est une de ces autres figures qui interrogent les frontières de la parenté et de la parentalité. (…) La notion de parentalité permet donc de rendre compte de ceux qui jouent un rôle parental, plus ou moins permanent ou ponctuel, et dont la légitimité n’est pas fondée sur un statut ou une place juridique, mais sur une compétence. Elle cible les personnes en charge de l'enfant."[24]

La filiation structure les relations familiales et sociales. Elle crée un rapport juridique entre un enfant et ses parents. Elle comporte quatre dimensions (biologique, affective, juridique et sociale) et se décline selon trois types (légitime, naturelle et adoptive).

Daphné, 10 ans, fille de Sibylle[25]

"Bernard je l'appelle mon beau-père. Comme ils ne sont pas mariés, je ne sais pas s'il y a un mot. Quand je me marierai, j'aimerais que mon père et Bernard me tiennent tous les deux la main pour entrer dans l'église parce que mes parents sont séparés depuis que j'ai deux ans. Bernard m'a presque éduquée aussi et je l'aime bien."

Faut-il penser une nouvelle approche de la parentalité ? Repenser la place, le rôle, et la fonction de parent et demander une reconnaissance du beau-parent, c'est permettre une meilleure reconnaissance de ces nouvelles formes de parentalité, assurer une protection de l'enfant et valoriser des liens librement choisis. Faut-il faire du beau-parent un nouveau parent ? Un parent supplémentaire ? Donner un statut au beau-parent ne risque-t-il pas de fragiliser celui de parent ? Comment articuler les deux ? Faut-il plutôt penser une délégation partielle de l'autorité parentale ? Il s'agirait de donner un statut social, une identité, des droits et des devoirs, d'apporter une réponse collective à des situations particulières.[26]

Les beaux-parents n'adhèrent pas tous à l'idée d'un statut officiel[27]:

  • 14 % très favorable
  • 32 % assez favorable
  • 37 % sans opinion
  • 17 % assez défavorable

Même s'ils sont reconnus légalement, l'intériorisation de la norme culturelle et sociale de la différence des sexes et de ses rôles fait qu'il n'est pas toujours facile pour les couples homosexuels de se sentir à l'aise dans la société. Certains développent un sentiment de mal-être, une crainte du regard des autres et souhaitent une banalisation et une normalisation de leur réalité. Il n'est pas toujours facile pour eux d'être reconnus comme parents.

Catherine, maman homosexuelle[28]

"Au niveau du droit des homos nous sommes assez avancés, je ne ressens pas vraiment de discrimination. Une chose me parait anormale : je suis obligée de passer par la procédure d'adoption pour l'enfant que porte ma compagne, même si j'ai déjà fait les démarches pour mon premier enfant et que nous l'élevons ensemble… Je trouve ça assez violent, d'un point de vue égalitaire et aussi par rapport à moi."

Conclusion

Dans notre société, la famille reste une base essentielle pour la socialisation et la construction de soi. Premier lieu de socialisation, on acquiert dans la famille différentes valeurs et on y développe un savoir vivre ensemble. Tout comme l'école, la maison familiale est un lieu important pour devenir un CRACS (citoyen responsable, actif, critique et solidaire).

La famille rassemble, est un lieu de solidarité, d'amour et de soutien. Elle a sa place dans notre société certes individualiste, mais également plus ouverte et égalitaire qu'autrefois. Les différentes configurations présentées dans cette analyse y sont reconnues légalement. Dans la réalité, certains modèles génèrent des vécus plus difficiles (gérer le budget, trouver sa place, nouer les relations, s'investir à juste titre, être soumis au jugement, etc.) et les familles doivent trouver leurs forces pour y faire face à leur manière.

Au vu de la diversité des situations, la famille est multiple ! Elle est en mouvance et bouscule de nombreux points de repères. Il n'y a plus de modèle unique, mais des trajectoires personnelles pour construire le bonheur dans la complicité et la cohésion familiale. L'aspect relationnel est essentiel dans la famille contemporaine.

Même si la famille évolue, chacun y garde un attachement. Elle reste une valeur fondamentale et un facteur d'équilibre, parfois fragile…. La sécurité financière et affective, le bien-être de l'enfant ont toute leur importance. Il semble indispensable d'y rechercher la stabilité dans le respect de chacun.

Jusqu'où la loi doit-elle suivre ces évolutions ? Comment peut-elle prévenir et protéger les citoyens face aux évolutions néfastes ? Pour autant que les droits fondamentaux de chacun, et tout particulièrement ceux des enfants, y soient défendus et respectés, les lois peuvent s'adapter aux évolutions de la famille. Toutefois, rappelons-le, la loi ne fait pas le consensus social et demande parfois réflexions approfondies et débats sereins avant de se voir édictée.

Nous pensons que permettre à chacun d'exercer sa parentalité, en famille comme à l'école, est essentiel pour l'enfant comme pour le jeune en construction et encourageons toutes les aides à la parentalité. A ce titre, l'UFAPEC demande que tout parent d'élève soit reconnu dans sa parentalité, quel que soit son modèle familial. L'école doit donc veiller à l'intégration des différents modèles familiaux et à ce qu'il n'y ait pas de discrimination entre parents d'élèves.

Dans tous les modèles familiaux, l'essentiel est de respecter les valeurs de chacun, de bien traiter l'enfant, de reconnaitre  à chacun sa place et de préciser la nature des liens pour permettre à tous les membres de faire partie intégrante de la famille, de s'y sentir bien, d'y trouver l'amour et le soutien recherchés. Et lorsque la famille défaille, il est important que toutes les structures de la société, dont l'école, lui permettent de passer la difficulté.

 

Alice Pierard

 

 


[1] Pour plus d’information, l’évolution de la famille est développée dans les encadrés.

[2] Doctrine morale poussant à la recherche du maximum de satisfaction et faisant du plaisir le principe, le but de la vie.

[3] "La famille contemporaine: mutations et continuité", p 40.

[4] Propos recueillis par BLOGIE Elodie, « La famille est devenue une cellule de consommation », dans le dossier "Le baromètre des parents" du journal Le Soir du jeudi 3 décembre 2015, p 44.

[5] DE SINGLY François, "La famille apporte le bonheur ensemble et le bonheur individuel", in Le Monde.fr, propos recueillis par Karim EL HADJ, publié le 14 mars 2007.

[6] DOUMONT Dominique, GEERTS Charlotte et LIBION France, "Les familles dans la société contemporaine: de nouvelles fragilités…?", UCL-RESO, janvier 2007, p 5.

[7] LAZARTIGUES Alain, "Beaux-parents, beaux-enfants, rien n’est simple!", in Yapaka.be, 2002, p 4.

[8] MARQUET Jacques, "Les défis de la famille contemporaine", p 8.

[9] DOUMONT Dominique, GEERTS Charlotte et LIBION France, op cit, p 4.

[10] "Le baromètre des parents", op cit.

[11] "Pas si simples, les nouvelles familles!", in La Libre.be, publié le mercredi 17 septembre 2008.

[12] « Une semaine avec cinq enfants, une semaine sans : le grand chamboulement », Témoignages recueillis par Violaine JADOUL et publié dans le dossier "Le baromètre des parents", dossier dans le journal Le Soir du jeudi 3 décembre 2015, pp 40-41.

[13] "Pas si simples, les nouvelles familles!", op cit.

[14] "Une mère seule, on ne lui fait pas de cadeau", in L'Humanité.fr, publié le vendredi 8 mars 2013, http://www.humanite.fr/une-mere-seule-ne-lui-fait-pas-de-cadeau

[15] « Une semaine avec cinq enfants, une semaine sans : le grand chamboulement », op cit.

[16] « Une semaine avec cinq enfants, une semaine sans : le grand chamboulement », op cit.

[17] Idem.

[18] Pour aller plus loin dans la réflexion sur les familles d’accueil, voir BAIE France, Quelle place pour les familles d'accueil dans les relations parents-école?, Etude UFAPEC août 2014, n°13.14.

[19] DARON Cécile, "Statistiques et données socio-économiques sur les familles", La Ligue des familles, 2015, p 15.

[21] "La famille contemporaine: mutations et continuité", op cit, p 50.

[22] Couples et familles asbl, Nouveaux liens familiaux, Dossier n°98, Editions Feuilles Familiales, 2011, p 5.

[23] L’ONE fait tout un travail à ce sujet et a produit une brochure en décembre 2012 : « Pour un accompagnement réfléchi des familles, un référentiel de soutien à la parentalité » http://www.one.be/uploads/tx_ttproducts/datasheet/Referentiel_soutien_a_la_parentalite_ONE.pdf

[24] FANIEL Annick, op cit, p 14.

[25] « Une semaine avec cinq enfants, une semaine sans : le grand chamboulement », op cit.

[26] Pour aller plus loin dans la réflexion sur le rôle et la place du beau-parent, voir PIERARD Alice, La place du beau-parent dans les familles recomposées, Analyse UFAPEC, septembre 2012, n°25.12 et PIERARD Alice, La relation entre enfants et beaux-parents dans les familles recomposées, Analyse UFAPEC, juin 2014, n°10.14.

[27] "Le baromètre des parents", op cit.

[28] "Familles homoparentales en Belgique: égalité pour tous?", in La Libre.be, publié le mardi 17 septembre 2013, http://www.lalibre.be/archive/familles-homoparentales-en-belgique-egalite-pour-tous-523607c13570b0befbe18f13

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