Etude UFAPEC décembre 2020 par D.Houssonloge & JP.Schmidt

18.20/ Que choisir entre risques sanitaires et laisser les jeunes livrés à eux-mêmes ? L’exemple des AMO.

Introduction

Le 16 mars 2020, en raison de la crise sanitaire et pour donner suite au conseil national de sécurité[1], les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) se voyaient contraintes de fermer leurs portes pour les rouvrir à certains élèves à partir du 18 mai. Après une rentrée scolaire pour tous en septembre, un enseignement hybride[2] et l’école à distance se remettent en place fin octobre pour la majorité des élèves du secondaire.

Finalement, les élèves du secondaire seront peu allés à l’école depuis la mi-mars. Isolement, démotivation[3], mal-être[4], absentéisme, décrochage[5], désœuvrement, violence intrafamiliale et délinquance menacent. On le sait, les élèves de milieux fragilisés ont été les premiers impactés par les incidences de la crise sanitaire. Les inégalités se sont creusées laissant nombre de jeunes sur le carreau et dans le même temps les AMO (service d'aide aux jeunes en milieu ouvert) se voyaient contraintes, elles-aussi, de fermer leurs portes durant le premier confinement.

Alors que certains voudraient maintenir les écoles fermées, alors que l’école à distance à temps plein ou à mi-temps semble s’installer comme palliatif pour les élèves des 2e, 3e et 4e degrés du secondaire, il est indispensable de s’interroger sur une contradiction inhérente à ce fonctionnement. On demande aux jeunes à la maison de se gérer, mais avec quels moyens et qui s’en porte garant ? Lorsque les ressources et la disponibilité sont suffisantes, parfois au détriment de leur travail et dans des conditions malaisées, l’externalisation de l’école et l’encadrement du jeune sont assurés par la famille. C’est aux parents qu’il revient de soutenir, coacher, motiver, informer, structurer, sensibiliser, surveiller des adolescents dans leurs occupations et leur travail scolaire quotidien. Or, comme l’a montré une étude de la FAPEO[6], peu de parents peuvent prendre le relais de l’école et ce n’est pas leur rôle. Une analyse récente de l’UFAPEC[7] montrait également les risques de burn-out parental.

A côté de cela, des structures comme les AMO existent pour soutenir les jeunes en difficultés. Qu’est-ce qui a été mis en place, ou non, pour leur permettre de poursuivre une mission d’autant plus essentielle pendant cette crise sanitaire ? Peuvent-elles encore travailler efficacement avec les mesures mises en place pour les plus de douze ans ? Comment vivent-elles les choses sur le terrain ? La rentrée de septembre a montré l’urgence de raccrocher de nombreux jeunes « perdus » depuis mars. Qu’en est-il ?

Autres questions non moins essentielles : comment faire un choix entre diminuer les risques sanitaires et laisser des jeunes livrés à eux-mêmes ? Au-delà du droit à l’éducation, le gouvernement a-t-il suffisamment pris en compte les conséquences de la fermeture des écoles et des structures d’aide aux jeunes en difficulté comme les AMO sur le bien-être, la santé mentale et la sécurité des adolescents ?

L’abandon scolaire et le décrochage

L’adolescence est une période particulière de transition sociale avec ses caractéristiques : changement hormonal, affirmation et construction de soi, questionnements multiples, envie de socialisation, prise de risque et bravade des interdits. Ces variations entrainent un certain mal-être et, particulièrement pour les élèves issus des milieux précarisés plus éloignés de la culture scolaire, un plus grand risque de décrochage ou d’abandon scolaire.

Graphique : âge des élèves à la sortie de l'école

En 2019, le pourcentage de ce que l’on considère comme abandon scolaire (c’est-à-dire le pourcentage de personnes âgées de 18 à 24 ans qui n'ont pas de diplôme du secondaire supérieur et qui ne suivent plus aucune forme d'enseignement ou formation en temps normal) s’élève à 8,4 % en Belgique[8] ; cela correspond à 11,8 % en Région de Bruxelles-Capitale, 6,8 % en Région flamande et 10,9 % en Région wallonne.[9] Cela signifie que dans nos écoles de la FWB environ un jeune sur dix quitte l’école obligatoire sans la certification qui lui aurait donné des chances d’intégration sur le marché de l’emploi et un droit aux allocations de chômage faute d’avoir trouvé un travail. Les garçons de la région bruxelloise, les élèves fréquentant l’enseignement qualifiant et les élèves en retard scolaire important sont les plus touchés par cette sortie prématurée.[10]

Lors du premier confinement, la mise en place de l’école à distance fut loin d’être parfaite. Chaque école avait ses exigences, quand elle en avait. A partir de juin, pour les élèves de l’enseignement secondaire, le retour à l’école ne pouvait dépasser un certain nombre de jours et ce, dans des conditions bien strictes.[11] Alors qu’elle fut vivement souhaitée, l’obligation scolaire n’était plus une réalité. La présence effective à l’école fut pratiquement nulle. Qui était réellement présent à l’école ? Durant le mois de juin, une enquête du SeGEC[12] montrait que les élèves issus d’un milieu plus défavorisé revenaient moins à l’école. Ces élèves ont accumulé un retard important ou ont carrément quitté les radars de l’école.

A la rentrée de septembre, l’obligation scolaire fait son retour. La particularité de cette rentrée dite complète a montré très vite ses limites avec la progression du virus. Cela a provoqué une fameuse perturbation pour tous.[13]

La seconde vague de la mi-octobre a entrainé de nouvelles recommandations comme la présence des élèves à 50 %. Chaque école est libre d’organiser ses cours à distance, ses cours en interne. L’exigence d’une école n’est pas l’autre.[14] Des jeunes ont pu s’adapter, mais d’autres ont complètement perdu pied.

Qu’est-ce qui est mis en place pour ces jeunes en décrochage ? Qui se porte garant au sein de l’établissement de ce suivi ? Les AMO pourraient, par leur action, soutenir des jeunes en grande difficulté. Aujourd’hui, avec les risques sanitaires, elles ne peuvent plus entrer dans l’école. Sont-elles pour autant sollicitées par l’école, par le CPMS ? Rien n’est moins sûr. Dès lors, comment peuvent-elles continuer à assurer leur mission ?

Le mal-être des ados

La recherche de bien-être est indispensable. Celle-ci semble parfois être contrariée par des sources de violence et de conflits à l’école, dans le milieu familial, dans le cercle de pairs. Cela affecte négativement le développement émotionnel et social de certains jeunes.

En 2018, une étude[15] a été menée sur les comportements et la santé des élèves scolarisés de la 5e primaire à la fin du secondaire en FWB.[16] Des éléments ayant un impact sur le bien-être des élèves ont été analysés lors de cette étude : la satisfaction vis-à-vis de l’école, le stress lié au travail scolaire, la perception des relations avec les autres élèves de la classe et avec les enseignants. Avec l’âge, le nombre d’élèves n’aimant pas l’école augmente. Le stress lié au travail scolaire s’intensifie (voir tableau ci-dessus) également avec l’âge. La perception des relations aux autres élèves est assez stable, mais celle aux enseignants est moins bonne pour les élèves du secondaire. Enfin, l’absentéisme scolaire croit invariablement pour notre population d’ados.[17]

A noter que le stress scolaire lié aux filières est plus intense dans l’enseignement général et technique de transition (51,8 %) que dans l’enseignement qualifiant (37,1 %). En revanche, l’absentéisme scolaire est plus important pour l’enseignement professionnel et qualifiant (22 %) que l’enseignement général (9 %).

Enfin, de manière globale, l’absentéisme scolaire, c’est-à-dire le fait que le jeune brosse les cours au moins une fois et plus par trimestre, est en légère augmentation depuis 2006 (10,5 %) pour 12,4 % en 2018. Et que dire des chiffres de cet automne ? L’enseignement hybride génère encore plus d’absentéisme qu’à la normale :  Quelque douze mille élèves de la FWB ont été absents des cours de manière injustifiée durant ce mois de novembre, soit une hausse de 50 % par rapport à la même période l’an dernier, a indiqué devant le Parlement la ministre de l’Education, Caroline Désir (PS).[18]

Les AMO, une aide de première ligne

Une AMO, c’est un service d’aide en milieu ouvert. Ce service est reconnu par la FWB et spécialisé dans l’aide de première ligne des jeunes de 0 à 18 ans (et parfois jusque 20 ans, avec dérogation) et de leur famille. Ce service ne peut intervenir auprès des jeunes et de leur famille qu’à leur demande, sur base volontaire. Cette aide est gratuite, anonyme et confidentielle. [19]Le cadre légal des services AMO est fixé par le décret du 4 mars 1991 relatif à l’aide à la jeunesse[20]. La demande de soutien est bien encadrée.[21]

Le service d'aide en milieu ouvert a pour mission l'aide préventive, tant sociale qu'éducative, au bénéfice des enfants et des jeunes dans leur milieu de vie et dans leurs rapports avec l'environnement social et familial. Le service intervient de manière non contraignante et hors de tout mandat. Trois axes d’action sont possibles pour l’AMO : l’aide individuelle, l’aide communautaire et l’aide collective.[22]

Les AMO informent, accompagnent et apportent du soutien aux jeunes dans leurs projets et dans les difficultés qu’ils rencontrent. Il existe plus de 80 AMO en FWB. Chaque AMO aborde son travail suivant des objectifs propres. Certaines choisissent le travail de rue, d’autres se spécialisent dans l’aide juridique et les dernières s’adaptent à leur réalité locale dans leurs interventions.

Nous avons rencontré[23] une AMO de Gembloux « Imagin’amo » avec laquelle l’UFAPEC a déjà travaillé. Frédéric Delcorde[24] nous relate qu’en 2019, son AMO a eu 199 demandes individuelles de jeune ou de sa famille sur l'année. Nous avons également 44 suivis[25]individuels de jeunes que l'on suit seul ou avec sa famille sur le moyen terme. Au niveau des activités scolaires, on a touché 1250 jeunes. Notre projet de prévention en milieu festif avait touché 400 jeunes. Nous participons à différents évènements locaux. Soit ces événements sont organisés par la ville ou par des partenaires (250 jeunes). On organise des activités extrascolaires, des stages durant les vacances scolaires (80 jeunes).
Nous avions un projet le jeudi midi pour mettre aux jeunes de fin de secondaire de pique-niquer dans un endroit chauffé durant l'hiver avec le centre culturel qui prêtait ses locaux (70 jeunes par midi).

En gros, chaque année nous touchons plus ou moins 2500 jeunes. Cependant, ce qui semble impossible à quantifier pour Frédéric Delcorde, c'est le travail de rue (on a huit moments de rue sur la semaine) où les éducateurs vont rencontrer les jeunes qui sont dans l'espace public. Les missions d’une AMO sont multiples… L’accrochage scolaire et le bien-être restent primordiaux pour ces jeunes.

Ne pas lâcher les jeunes

Avec la crise sanitaire, depuis le mois de mars 2020, plus aucune demande individuelle n’est arrivée à Imagin’amo, et c’est le cas de beaucoup d’AMO de la FWB. Cela a duré les deux premiers mois du confinement durant lesquels les travailleurs restaient disponibles par mails ou téléphone. Les jeunes ont bien respecté le confinement, mais le suivi s’est un peu perdu durant ce temps. De plus, l’obligation scolaire était absente jusqu’au mois de juin pour les élèves du secondaire. Des jeunes ont souffert de ce manque de contact et de cette obligation de rendre des travaux à heure et à temps et d’autres jeunes ont disparu des radars de l’école. Pourtant la réussite scolaire de l’année restait en jeu. Le redoublement fut bien présent et le nombre de recours fut plus important. Lors de réunions de suivi ou de consultations officielles avec la ministre Caroline Désir, l’UFAPEC a pu relayer ces problématiques particulières liées à l’épidémie.

De mi-juin à mi-octobre, les AMO ont pu refonctionner plus normalement. Durant le mois de mai, la promiscuité dans certaines familles a amené des demandes de recherche d’autonomie de jeunes de 17-18 ans. Mais les démarches n’étaient pas possibles. A Gembloux, les demandes individuelles ont explosé durant juin, juillet et août. Ces nouvelles demandes sont des demandes d’accompagnement, d’aides personnelles, de médiation familiale. En effet, les jeunes vivent parfois des situations familiales explosives où les violences verbale, physique, sexuelle sont ingérables et destructrices pour eux.

La deuxième vague a tout chamboulé. Les enseignants et les jeunes contaminés ont dû rester à la maison et toutes les personnes côtoyées ont été placées en quarantaine. L’accrochage scolaire n’est donc pas évident. Pas mal de jeunes sont en perte de repères.

L’enseignement hybride avec la moitié du temps à la maison amène pas mal de jeunes dans la rue livrés à eux-mêmes. Adam, 16 ans : Ben, demain, j’ai pas école, j’irai à Maastricht avec mes potes ! Quand j’ai école à la maison un jour sur deux, je décroche. La visio, c’est hyper lent, y a des perturbations, des pertes de temps et sur mon GSM, c’est tout petit et l’écran est cassé ; puis je suis pas toujours levé. Mon père est au travail ou il a ses trucs et je peux faire ce que je veux.  Les travaux à faire tout seul, j’ai pas le courage. A l’école, c’est beaucoup mieux, c’est mieux expliqué, je suis plus attentif. Je sais que mon année est en jeu mais voilà quoi ![26] D’autres s’accrochent ou veulent s’accrocher. Dylan, 14 ans : J’apprends à travailler seul, j’ai l’impression que je parviens à me débrouiller, mais, malheureusement, il n’y a qu’un ordinateur à la maison qu’il faut se partager. Comment peut-on faire ? [27]

Les soucis pour les jeunes à partir de 14 ans et plus se sont densifiés, surtout ceux en lien avec la scolarité, tient à souligner Djibril, éducateur de rue depuis quatre ans. Certains jeunes n’ont pas l’habitude de travailler depuis la maison. Ils ont besoin vraiment d’un encadrement rapproché. [28]

Les AMO ont dû se réinventer. Elles ont sollicité auprès de leur tutelle des dérogations, à de nombreuses reprises, pour pouvoir continuer un certain travail collectif. Sans succès. Néanmoins, les AMO continuent de s’engager par rapport au bien-être des jeunes, à leur épanouissement. Les AMO sont restées ouvertes au maximum des possibilités permises. Nous avons toujours privilégié l'accrochage des jeunes au détriment parfois des conditions sanitaires à respecter pour nous.[29]

Les éducateurs de rue travaillant pour des AMO ont dû repenser leur manière d’accompagner le jeune pour continuer leur mission d’aide. On a dû s’adapter sur les réseaux sociaux. Pendant le confinement, on a fait des tournées de quartier à vélo pour garder les distances. On a essayé d’être créatif pour ne pas laisser tomber ceux qui en avaient le plus besoin, raconte Sébastien Hertsens, le directeur de l’AMO Dynamo à Bruxelles.[30]

En confinement, les jeunes souffrent de l'absence de contacts. L'AMO Mic-Ados, à Marche-en-Famenne, attire l'attention sur cette problématique. De plus en plus de jeunes perdent leurs repères et se retrouvent isolés. Je pense également aux étudiants qui n'accrochent pas, et qui sont au fond de leur lit. Il faut vraiment s'en préoccuper maintenant.[31]

Les AMO ont dû aussi jouer un rôle éducatif. Rappeler les règles sanitaires parfois mal comprises, rappeler la bulle des quatre personnes. Les jeunes gardent le masque, mais ils se retrouvent très vite en groupe durant le temps de midi. Là, les éducateurs de rue ont un rôle à jouer.

Risques sanitaires versus risques psycho-sociaux

En mars, il n’y a pas eu de débat : face aux risques sanitaires, les écoles, comme les AMO ou d’autres organismes de soutien aux jeunes, ont dû fermer.

Par la suite, certains, notamment des experts scientifiques, ont continué à faire valoir la priorité des risques sanitaires et demandé la prolongation de la fermeture des écoles et la non-reprise d’activités de groupe. Marc Wathelet, docteur en sciences et spécialiste des coronavirus humains, a adressé le 11 novembre dernier un message aux responsables politiques, jugé par la communauté scientifique comme tout à fait excessif. On ne peut pas négocier avec une épidémie : on ne peut qu’agir le plus tôt possible pour l’éradiquer ou pour la maintenir à un niveau qui peut être contrôlé par des mesures de santé publique.  […] Aussi l’obsession de garder les écoles ouvertes en présentiel malgré l’énormité de la catastrophe humaine qui se développe est-elle tout bonnement incompréhensible. […] Rouvrir les écoles en présentiel ce 16 novembre serait une décision non seulement odieuse, mais également criminelle, car il s’agirait bien d’homicides volontaires.[32]

Même dans le chef des parents, certains demandent prestement la fermeture des écoles par des pétitions.[33] Certains restaient forts inquiets lors de la reprise le lundi 16 novembre dernier. Ce papa d’une adolescente de 16 ans refuse de la mettre à l’école : Je vois sortir les enfants du bus bondé, c’est aberrant. Elle mange dans un auditoire, ils sont 600. Il faut arrêter.[34] C’est dans les milieux précarisés que l’on a comptabilisé le plus d’absentéisme, en partie à cause des peurs des parents.

D’autres, notamment des pédiatres, constatent le drame que la fermeture des écoles génère et demande qu’on les maintienne ouvertes et que l’on prévoit une stratégie pour les élèves les plus vulnérables. C’est le cas par exemple de la Task Force pédiatrique.[35] Le Dr Olga Chatzis, pédiatre à l’UCL, s’exprime : L'éducation des enfants est primordiale. Ils représentent l'avenir de notre société. Les enfants ont besoin de cours en présentiel et des contacts sociaux qui en découlent. Certains jeunes n'ont pas accroché à l'enseignement à distance. Cela a engendré du stress et une perte de motivation vis-à-vis de l'école. Nos jeunes ne sont pas habitués aux cours à distance et on voit vraiment que leur place est à l'école. Il vaut mieux encadrer les adolescents à l'école et avec des règles claires de port du masque, d'hygiène et de distanciation, plutôt que de les laisser seuls à la maison, livrés à eux-mêmes.[36]

Au niveau international, l’Unesco[37] s’est penchée aussi sur les risques liés à la fermeture des écoles. Elle pointe, entre autres, des problèmes liés à l’interruption de l’apprentissage, à l’alimentation, des repas ou collations n’étant plus offerts par l’école, au manque de préparation des parents à l’enseignement à distance, à l’inégalité d’accès aux portails d’apprentissage numérique et enfin au risque de décrochage scolaire.[38]

Au niveau du politique, la ministre de l’enseignement, en concertation avec les acteurs scolaires, dont l’UFAPEC, a fait un maximum pour maintenir les écoles ouvertes, l’intérêt des jeunes lui apparaissant comme prioritaire.

Au niveau du gouvernement fédéral, ce sont d’abord les risques sanitaires via le point de vue épidémiologique et la triste réalité des hôpitaux qui ont été pris en compte. Depuis cet automne, il semble prendre conscience qu’il y a aussi des risques psycho-sociaux pour les jeunes. Cela a conduit les autorités politiques à autoriser la reprise des cours après le congé de Toussaint rallongé d’une semaine, selon des modalités à définir par chaque gouvernement communautaire. Ce dont les acteurs de l’enseignement se réjouissent comme l’exprime la ministre. C'est un changement de paradigme, c'est comme si le droit à l'éducation devenait une priorité portée par la société. C'est important car on sait à quel point cette rentrée est difficile, les enseignants nous disent à quel point le confinement a fait des dégâts en termes d'apprentissages ou de liens.[39]

Les AMO sont aussi confrontées à la question, comme l’explique encore Gauthier Destrée, de l’AJMO de Charleroi : En tant que directeur, je suis partagé entre ma responsabilité face à la crise et ma responsabilité face aux jeunes et aux familles. Concrètement, nous assurons nos services en maintenant les permanences physiques sans rendez-vous. Même s'il est préconisé de prendre rendez-vous, nous devons répondre présent à quelqu'un qui est en situation d'urgence.[40]

Par ailleurs, face à ces nombreux jeunes en difficultés, en dehors de rendez-vous individuels, comment les AMO peuvent-elle continuer à faire du soutien et de la prévention, alors que les activités de groupe ne sont plus autorisées au sein des écoles ou dans d’autres lieux ? Faut-il assouplir les mesures, renforcer le travail de rue ? Que faire pour les jeunes enfermés chez eux et spécialement les filles plus à risque de maltraitance intra-familiale ? Il est bien malaisé de trouver un équilibre.

Les adolescents doublement touchés

Fin juin 2020, des représentants des AMO et d’autres structures d’aide à la jeunesse ont pu partager leur réalité durant le premier confinement. Le confinement n’a pas révélé de nouvelles difficultés sociales pour les jeunes et leurs familles, mais a exacerbé, "voire fait exploser" celles qui étaient constatées depuis longtemps, de façon plus préoccupante dans les quartiers populaires.[41]

L'AJMO de Charleroi fait les mêmes observations pointant elle aussi le risque de maltraitance : être confinés sans argent, c'est être doublement victime. On constate aussi que la rupture du lien social est plus que perturbante pour les jeunes qui se retrouvent isolés dans le milieu familial. Ils ne peuvent plus non plus participer à des activités sportives ou culturelles qui permettent d'ordinaire une socialisation. […] L'équipe sent aussi une augmentation des situations anxiogènes face aux différents discours.[42]

Diverses recherches vont dans le même sens, comme l’étude menée conjointement par l’université catholique de Louvain-la-Neuve et l’université de Liège.[43] Les chercheurs font d’abord état des dégâts du confinement sur les adolescents. Pour les élèves des 2e et 3e degrés, il y a un moindre sentiment de bonheur, un accroissement des émotions négatives et des symptômes somatiques depuis la rentrée de septembre. Ils évoquent encore une moindre confiance en leurs capacités de la part des élèves qui, conjuguées avec le retard pris depuis mars, augmente le risque de décrochage.[44]

Benoit Galand, un des auteurs de la recherche, identifie quatre facteurs pour le bien-être et la motivation des élèves : D’abord, les facteurs socio-économiques et les conditions matérielles. Que ce soit l’espace disponible au sein du foyer ou le matériel informatique afin de maintenir le contact à distance. Deuxièmement, on retrouve les aspects liés à la famille : la crainte de la contamination, les stress financiers, la peur de perdre son emploi, la violence intrafamiliale ont un impact négatif. Le troisième facteur, c’est l’école. Plus il y a de contacts avec les enseignants, plus il y a de feed-back et de cohérence entre les enseignants, mieux les élèves se sentent. Enfin, le maintien des contacts avec les pairs est très important pour le bien-être à l’adolescence.[45]

Fabienne Glowacz, professeur et auteur d’une autre étude de l’université de Liège menée auprès des jeunes durant le confinement, évoque de véritables « chocs » ayant impacté le fonctionnement des adolescents et dénonce un certain abandon des jeunes et de leur famille. Elle rappelle enfin qu’en cette crise, soutenir les parents dans leur fonction de communication, d’écoute et d’échanges participera au bien-être des ados.[46] Fabienne Glowacz, évoque aussi le besoin fondamental d’appartenance via l’école. En l’absence d’école, il y a un risque de désaffiliation aux valeurs sociétales et un risque entre autres, de recourir à des violences. L’enquête montre également que si depuis le confinement 50 % des jeunes se sentent plus proches de leurs parents, ils sont autant à percevoir les tensions au sein de la famille comme étant plus fortes, tandis qu’un jeune sur cinq se considère comme plus violent (verbalement, psychologiquement ou physiquement) avec son ou ses parent(s).

Pistes et conclusion

Avec la crise sanitaire, la fermeture des écoles, l’enseignement hybride et la cessation de certaines actions d’aide préventive tant sociale qu’éducative exercées par des organismes comme les AMO, de plus en plus de jeunes sont isolés et livrés à eux-mêmes. Ils vivent un mal-être, une perte de repères, de motivation et un décrochage scolaire quand ce n’est pas un risque de violence intrafamiliale, qu’ils en soient victimes ou les auteurs. Si les dégâts du confinement ont été limités pour certains jeunes plus résilients, plus entourés et dans des conditions de vie plus confortables, être pauvre et adolescent, c’est être potentiellement doublement victime, comme l’ont signalé les travailleurs sociaux et les chercheurs.

L’aide à la jeunesse, via les AMO, a pourtant démontré depuis longtemps son utilité comme l’exprime Charlotte, 20 ans. C'est un endroit où je crée des liens, où on rigole beaucoup et comme je vis seule, ça fait du bien.[47] Cependant, malgré leur demande d’assouplissement des mesures, les 80 AMO ne peuvent toujours pas assurer leur mission d’aide communautaire et collective.

Aujourd’hui, il est urgent de soutenir ces jeunes que ce soit au niveau social ou scolaire. Dans ce cadre, différentes orientations sont à considérer :  

  • Augmenter le nombre d’éducateurs de rue pour répondre à la demande de terrain dans ce contexte de crise sanitaire.
  • Faire preuve d’une véritable volonté politique pour permettre aux AMO, après neuf mois de dégâts de crise sanitaire, de poursuivre leur aide de première ligne. Devant tant de jeunes qui vont mal, est-ce opportun de continuer notamment à interdire certaines activités comme l’accompagnement scolaire, psychologique, préventif, dans les locaux des AMO ?
  • Dans le cadre de la lutte contre le décrochage scolaire, intensifier et accélérer la coordination entre les différents acteurs, y compris l’aide à la jeunesse, comme l’envisage l’Avis n° 3 du Pacte pour un enseignement d’excellence en couvrant les trois axes que sont la prévention, l’intervention et la compensation.[48] Lors de questions parlementaires ce 9 décembre, la ministre Caroline Désir l’a évoqué à nouveau, insistant aussi sur la relation école-familles, elle aussi malmenée ces derniers mois.[49]

Dans la même idée, l’UFAPEC suggère, entre autres, dans son dernier Mémorandum de créer et aider à la création des cellules de concertation locale pour susciter un maximum de rencontres (SAJ, SPJ, école, CPMS, AMO, SAS, etc.). Ces collaborations et rencontres permettent aux différents acteurs de se connaître et de pouvoir aider de la manière la plus adéquate les jeunes dans le besoin.[50]

L’UFAPEC demande que le politique prenne encore davantage en considération les nombreux jeunes en mal être et en décrochage qui ont disparu des radars ainsi que les familles démunies par rapport à l’accompagnement de leurs adolescents. L’UFAPEC insiste aussi pour que les écoles continuent à accueillir au maximum les élèves en difficulté et qu’ils bénéficient d’un soutien scolaire et d’un accompagnement renforcé. Elle demande également qu’un plan externe de raccrochage des jeunes soit mis en place en donnant des moyens aux AMO, en leur permettant d’entrer dans l’école par visioconférence pour se faire connaitre et pour reprendre leur travail de prévention et de soutien.

L’histoire nous enseigne que toute crise, y compris sanitaire, est le lit de l’exclusion si la société et ses responsables ne font pas le choix de l’intérêt commun et des plus fragiles. Aujourd’hui, ce sont aussi les jeunes qui souffrent de la situation. Quelle société voulons-nous construire avec eux après le covid ? L’attention portée aujourd’hui aux jeunes nous le dira !

 

Jean-Philippe Schmidt & Dominique Houssonloge

 

 

 


[1] FWB, Circulaire n°7515 du 17/03/2020, Coronavirus Covid-19 : décision du Conseil National de sécurité du 12 mars 2020 – Informations nouvelles

[2] Un enseignement hybride est une combinaison d’activités d’apprentissage en présentiel et à distance. L’élève a donc une partie des cours à l’école, en classe et d’autres activités à la maison. L'apprentissage à distance peut inclure des activités synchrones (l’enseignant et les participants travaillent au même moment en visioconférence) et asynchrones (les activités, sous forme de travaux personnels, se déroulent pour chaque personne à un moment différent).

[3] HOUSSONLOGE D. et PIERARD A., L’école en temps de Covid-19 : un laboratoire de la motivation, analyse UFAPEC n°14.20, décembre 2020, 1420-motivation-covid.pdf (ufapec.be)

[4] BAIE F., Covid-19 : la santé mentale de nos adolescents est-elle malmenée ?, analyse UFAPEC n°15.20, décembre 2020, 1520-covid-malaise-ados.pdf (ufapec.be)

[5] PIERARD A., Ecole face au covid-19... Risques de décrochage scolaire ?, analyse UFAPEC n°12.20, novembre 2020, 1220-COVID-decrochage.pdf (ufapec.be)

[6] GAUTHIER S., Travail scolaire en temps de Covid-19 : de la responsabilisation des parents aux inégalités scolaires structurelles, étude FAPEO 2020, http://www.fapeo.be/wp-content/uploads/2020/07/FAPEO_ETUDE_COVID19_CONTINUITE-APPRENTISSAGES_20200723.pdf

[7] LORIERS B., Confinement pour cause de Covid-19… Risques de burn-out parental ?, analyse UFAPEC n°3.20, avril 2020, 0320-Covid19-burn-out.pdf (ufapec.be)

[10] Les indicateurs de l’enseignement, 2020, http://www.enseignement.be/index.php?page=28344&navi=4706

[11] Si les Communautés décident de permettre à plus d’élèves de revenir à l’école, cela ne peut se faire que quelques jours. Le port du masque est fortement recommandé pour les élèves et le personnel de l’établissement. Les mesures d’hygiène (lavage fréquent des mains, etc.) restent primordiales pour tout le monde. Les classes, les couloirs et les salles des professeurs doivent être aérés à tout moment. Il est préférable de se tourner vers des activités/des cours en extérieur quand c’est possible. Chaque établissement scolaire doit pouvoir mettre en place un plan d’urgence en cas de foyer de contamination.

[12] Le secrétariat général de l’enseignement catholique - https://enseignement.catholique.be/

[13] L’épidémie a bien évidement provoqué l’absence des personnes positives, mais aussi celles qui les avaient côtoyées (mise en quarantaine).

[14] Dès 8h30, une école va exiger que tous les élèves soient correctement habillés devant leur écran (avec caméra ou sans) et prise de présence. D’autres écoles et donc d’autres professeurs donneront « rendez-vous » à leurs élèves à un temps donné pour partager les travaux à réaliser pour le retour en classe. Enfin, certains professeurs de certaines écoles n’assureront pas de suivi…

[15] L’enquête « Comportements, bien-être et santé des élèves » est menée tous les quatre ans, depuis 1986, auprès des élèves scolarisés de la 5e primaire à la fin du secondaire en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Cette enquête réalisée par le Service d’Information, Promotion, Éducation Santé (SIPES) de l’école de santé publique à l’université libre de Bruxelles (ULB) est le versant francophone belge de l’étude internationale « Health Behaviour in School-aged Children » (HBSC) à laquelle participent près de 50 pays ou régions, sous le patronage du bureau régional de l’organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Europe.

[16] Comportements, santé et bien-être des élèves en 2018 – Relations sociales et vie à l’école, 2020, HBSC2018_Relations-sociales-et-vie-a-l-ecole.pdf (ulb.ac.be)

[17] Idem, pp. 11-18.

[18] Commission de l’éducation du parlement de la Communauté française, séance « questions-réponses » du 9 décembre 2020/ http://archive.pfwb.be/1000000020ca0ed?action=browse p. 27.

[22] Idem 20 pp. 2-5.

[23] Entretien de Frédéric Delcorde réalisé par visioconférence le 25 novembre 2020.

[24] Directeur de IMAGIN’AMO à Gembloux - https://www.imaginamo.be/

[25] Comme l’explique Frédéric Delcorde, le suivi, c'est une intervention plus intensive. Nous voyons le jeune au moins une fois par semaine et même plus. On l’accompagne dans des démarches. Un suivi peut être plus conséquent qu'un autre.

[26] Propos recueillis le 3 décembre 2020.

[27] Propos recueillis le 4 décembre 2020.

[28] DENIS T., « Les travailleurs sociaux de rue submergés par la seconde vague », in RTBF.be, 30 octobre 2020, https://www.rtbf.be/info/regions/detail_les-travailleurs-sociaux-de-rue-submerges-par-la-seconde-vague-nos-equipes-sont-en-train-de-lacher?id=10621121

[29] Entretien de Frédéric Delcorde réalisé par visioconférence le 25novembre 2020.

[30] DENIS T., « Les travailleurs sociaux de rue submergés par la seconde vague », op cit.

[31] LEFEVRE N., « L’AMO Mic-Ados à Marche-en-Famenne constate que le confinement déstructure les jeunes », in RTBF.be, 27 novembre 2020, https://www.rtbf.be/info/regions/luxembourg/detail_l-amo-mic-ados-a-marche-en-famenne-constate-que-le-confinement-destructure-les-jeunes?id=10641237

[32] « Le docteur Wathelet y va fort : rouvrir les écoles lundi est une décision non seulement odieuse mais aussi criminelle », in La DH, 13 novembre 2020, https://www.dhnet.be/actu/belgique/le-docteur-wathelet-y-va-fort-rouvrir-les-ecoles-lundi-est-une-decision-non-seulement-odieuse-mais-aussi-criminelle-5fae59399978e20e7059d2e0

[36] GATHON M., « Covid : rien ne justifie actuellement de fermer les écoles », in Le Vif, https://www.levif.be/actualite/belgique/covid-rien-ne-justifie-actuellement-de-fermer-les-ecoles/article-normal-1347735.html

[37] Sigle anglais de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organisation).

[38] UNESCO, Conséquences de la fermeture des écoles, https://fr.unesco.org/covid19/educationresponse/consequences

[40] NGOM F., « Crise sanitaire et crise sociale : pour l'asbl AJMO (accueil des jeunes en milieu ouvert) il ne faut surtout pas diminuer l'aide aux jeunes et aux familles », in La DH, 5 novembre 2020,

 https://www.dhnet.be/regions/charleroi/crise-sanitaire-et-crise-sociale-pour-l-ajmo-accueil-des-jeunes-en-milieu-ouvert-il-ne-faut-surtout-pas-diminuer-l-aide-aux-jeunes-et-aux-familles-5fa3fac09978e20e7059cdaf

[41] HOVINE A., « La crise du coronavirus et ses conséquences : les familles et les jeunes des quartiers populaires se sentent abandonnés », in La Libre, 2 juillet 2020,

https://www.lalibre.be/belgique/societe/la-crise-du-coronavirus-et-ses-consequences-les-familles-et-les-jeunes-des-quartiers-populaires-se-sentent-abandonnes-5efcccdf9978e21bd0f9e757

[42] NGOM F., « Crise sanitaire et crise sociale : pour l'asbl AJMO (accueil des jeunes en milieu ouvert) il ne faut surtout pas diminuer l'aide aux jeunes et aux familles », op cit.

[43] Bien-être et motivation des élèves en temps de pandémie. Résultats de deux enquêtes dans l’enseignement secondaire. Rencontres du GIRSEF. Décembre 2020. Note de synthèse - https://uclouvain.be/fr/chercher/girsef/deconfinement-scolaire.html

[44] HUTIN C., « Coronavirus : des élèves plus stressés et moins confiants en leur capacité de réussir », in Le Soir, 30 novembre 2020, https://plus.lesoir.be/340695/article/2020-11-30/coronavirus-des-eleves-plus-stresses-et-moins-confiants-en-leur-capacite-de

[46] Lien social, besoin d’appartenance et engagement : impliquer les jeunes dans les différentes étapes de la crise, 25 novembre 2020, https://www.news.uliege.be/cms/c_12941160/fr/lien-social-besoin-d-appartenance-et-engagement-impliquer-les-jeunes-dans-les-differentes-etapes-de-la-crise

[47] LEFEVRE N., « L’AMO Mic-Ados à Marche-en-Famenne constate que le confinement déstructure les jeunes », op cit.

[48] Pacte pour un enseignement d’excellence, Avis n°3 du groupe central, Enseignement.be - Document : Pacte d'Excellence - Avis N° 3 du Groupe central, p. 238.

[50] UFAPEC, Mémorandum 2019, Ufapec - Mémorandum UFAPEC 2019, p. 50.

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