Analyse UFAPEC décembre 2024 par B. Loriers

18.24/ Le massage entre élèves à l’école fondamentale, une piste pour améliorer le climat scolaire ?

Quand les enfants se sentent bien en classe, quand leur bien-être est une priorité, ils sont capables de mille choses !
Un  ancien directeur d’école fondamentale

Introduction

Lors de nos contacts avec des parents et enseignants de l’enseignement fondamental, nous entendons régulièrement parler d’incivilités, de conflits et de violences répétées entre élèves. En lien avec ce constat, des chiffres éloquents : selon l’observatoire du climat scolaire, un enfant sur trois serait impliqué dans une situation de harcèlement scolaire en FWB[1]. L’enjeu de cette analyse est de prendre conscience que l’école est et doit rester un lieu de socialisation majeur où l’enfant apprend à se respecter et à respecter l’autre dans un climat apaisé.

Une solution pour améliorer le bien-être de chacun et donc le climat de la classe et de l’école serait-elle l’organisation de séances de toucher ou massage bienveillant et cadré, entre élèves de l’école fondamentale ? Quels sont les bienfaits liés à ces massages ? Sont-ils encore tabous pour certains ? Quels sont les freins à la mise sur pied de ces pratiques ?

Programme de massage à l’école (MISP)

Les séances de massage entre élèves ne s’improvisent pas, il faut un cadre, une structure qui permet aux élèves de se sentir en sécurité. Le programme MISP[2], par exemple, est un programme qui a fait ses preuves depuis une vingtaine d’années dans de nombreux pays.

Roxane Geerinckx, praticienne et co-responsable de l’asbl ABME Misa Belgium[3] explique la routine apprise aux élèves, routine qui, pour elle, est un outil pédagogique facile et efficace. On place les enfants par deux, l’un demande la permission avant d’offrir le massage et le consentement de l’autre élève est indispensable. Le massage se fait directement sur les vêtements, durant une quinzaine de minutes par séance, et en tout 15 mouvements sont appris sur la tête, la nuque, les épaules, le dos et les mains. À la fin de chaque séance, l’élève qui a massé remercie l’élève qui a bien voulu recevoir le massage. Ensuite, les enfants changent de rôle. Pour une bonne maîtrise des mouvements, les enfants reçoivent une petite formation de cinq séances[4]. Une vidéo de 2 minutes explique clairement la routine MISP à l’école[5]. Une fois acquise, cette routine peut se faire le matin, à l’arrivée à l’école, ou au moment jugé opportun par l’enseignant. Lors des séances de massage, le professeur collabore avec l'instructeur pour que cette activité soit poursuivie tout au long de l'année.

De manière implicite, cette routine rencontre les droits pour chaque élève au bien-être à l’école, au calme, le droit de dire non à certaines situations, d’être respecté dans son corps.

L’activité massage à l’école et ses bienfaits

Une élève témoigne de son bien-être après une séance de massage : J'étais très inquiète à propos de quelque chose quand je suis arrivée à l'école aujourd'hui, mais le massage m'a aidée et maintenant je me sens plus calme[6].

Les échanges de massages, basés sur le donner et le recevoir, permettent aux enfants de découvrir un contact physique autre que la bousculade et le rapport de force. Pour Bernadette Colard, spécialiste des massages entre enfants, les massages accomplis avec respect de l'autre sont très riches, car ils permettent d’être à l'écoute de l'autre dans le quotidien, en dehors des séances de massage[7].

Nous avons rencontré Patricia Pieters, une enseignante qui a été formée par l’asbl ABME-MISA Belgium et qui a expérimenté cette formation dans sa classe. Elle nous confirme que les séances de massages développent l’ouverture de l’élève vers l’autre, sa capacité de mieux communiquer, mais aussi de mieux gérer son stress, sa capacité de mieux apprendre[8].

Le témoignage de cette institutrice pointe encore des bienfaits au niveau du groupe classe. Elle explique que ces séances développent le calme et la concentration, la coopération, la bienveillance, la tolérance et le respect entre les élèves. Elles réduisent le stress, le bruit, l’agressivité et améliorent le lien entre les élèves. Elle permettent aussi de découvrir chaque élève différemment. Le retour est positif dans les familles, certains enfants prolongent les séances à la maison en massant leurs parents[9].

Roxane Geerinckx nous a expliqué que le contact corporel mène à une sécurité émotionnelle plus importante. Pour elle, le toucher permet aussi d’avoir le sentiment d’être reconnu comme une personne unique, à part entière et il a un rôle préventif dans le sens où il contribue à une meilleure santé tant physique que psychique. Le toucher permet encore de faire plaisir, d’avoir une meilleure image de soi, de détendre et apaiser, d’améliorer son bien-être et sa capacité de se centrer, d’ apprendre les limites spatiales, corporelles, émotionnelles et sociales de l’autre et les siennes, d’apprendre à faire confiance aussi[10].

De plus, Roxane Geerinckx est persuadée que ces séances de massage sont un réel atout pour la société, car elles développent la solidarité, le respect, l’écoute, l’empathie, la tolérance et la bienveillance entre les élèves. Elles entretiennent des relations agréables et apprennent à se faire respecter et à respecter l’autre[11].

Risques et freins

Le toucher et les massages comporteraient donc de nombreux bienfaits pour les élèves, pour l’apprentissage du vivre ensemble et pour le climat scolaire, pour autant qu’ils soient donnés de façon cadrée et que l’instituteur soit formé. Mais vit-on dans une société qui encourage le toucher, ou est-ce une pratique taboue dans certaines familles ou pour certains instituteurs ? De plus, des évènements personnels traumatisants peuvent influencer les pratiques de contact. Des évènements « extérieurs », comme la crise sanitaire que nous venons de vivre, ou des affaires de pédophilie, peuvent aussi influencer nos comportements.

Au niveau de la classe, pour l’enseignant qui souhaite introduire ces séances de massage, quelles sont les freins auxquels il doit porter attention ?

Les praticiens insistent sur le consentement de chaque élève pour commencer chaque séance. Cela demande une certaine confiance réciproque entre enfants et une bonne introduction de l’adulte aux séances. Certains élèves accrochent, mais que fait-on avec ceux qui n’y adhèrent pas ? Pour Roxane Geerinckx, beaucoup d'enfants apprécient ces séances de massage et ceux qui n'accrochent pas restent dans la classe ; ils s'occupent calmement tout en bénéficiant, malgré tout, de l'ambiance positive qui s’en dégage.

Ensuite, ces séances s’improvisent difficilement et la formation MISP[12], Massage In School Program, notamment, n’est pas encore reprise dans le catalogue des formations en cours de carrière pour les enseignants. Il faut donc inviter un instructeur en classe ou se former à ces techniques, en dehors des heures de cours. Mais alors, qui finance ces coûts de formation ? (une intervention de 5 séances par classe peut couter 250 €) ; l’école, les parents, etc. ?

Enfin, certains parents, directions et enseignants se demandent s’il faut développer cela à l’école ; est-ce le bon endroit ? Ces séances ne se font-elles pas au détriment d’autres apprentissages dits « essentiels » ? Les enseignants ne sont-ils pas déjà sans cela surchargés avec leur programme à suivre ?

En tenant compte de ces différents éléments positifs et négatifs, ce genre de projet devrait pouvoir être porté par le conseil de participation où tous les acteurs de l’école, direction, PO, enseignants, élèves (en secondaire), parents et membres de l’environnement de l’école se retrouvent. Notons à cet effet qu’ une des missions du conseil de participation est de débattre et d’émettre un avis sur le plan de pilotage, dont un des points d’attention concerne l’amélioration du bien-être des élèves et plus globalement du climat scolaire[13].

Apport de la recherche

Même si les recherches ne sont pas encore nombreuses, il semblerait qu’il y a des effets bénéfiques d’un toucher cadré et bienveillant entre élèves, tant pour l’enfant et pour la communauté scolaire que pour la société. D’autres méthodes axées sur le bien-être comme la méditation[14] sont simples et efficaces, mais les séances de massage entre enfants apportent un plus : elles se passent dans l’interaction, d’humain à humain.

Pour l’enfant, le docteur en biologie Clelia Monteux écrit que le fait d’être touché et de toucher sont des actions clés du développement humain, actions qui augmentent la conscience corporelle, détendent les muscles et favorisent le développement physique, moteur, neurologique et intellectuel. Pour cette biologiste, le massage favorise encore la confiance, la relaxation, le bien-être, l’autonomisation et la socialisation. Il peut également améliorer l’attention et la concentration et optimiser le respect et la bienveillance[15].

D’autres recherches actuelles confirment que ce type de démarche facilite les apprentissages :

  • il faut être bien dans sa peau pour pouvoir apprendre et le massage entre pairs augmente le bien-être ;
  • les enfants apprennent plus facilement en développant les interactions, c’est pourquoi entretenir une relation agréable avec ses pairs est indispensable ;
  • les enfants apprennent avec leur corps. Les mémoires se marquent dans le corps. Il est leur indicateur et leur cadre de référence pour les apprentissages[16].

Des recherches effectuées dans des hôpitaux psychiatriques montrent que des massages du dos proposés pendant une semaine à des enfants déprimés hospitalisés diminuent aussi de manière significative leur dépression et leur anxiété, favorisent une meilleure organisation des phases de sommeil (ceci apparaît sur les vidéos réalisées la nuit) et induisent une meilleure coopération des enfants durant leurs soins[17].

Pratiques dans d’autres pays

Le programme international MISP[18] est un exemple de programme de massage pour les enfants de 2 à 12 ans. Créé par Sylvie Hétu (Québécoise) et Mia Helmsäter (Suédoise), il permet à des milliers d'enfants partout dans le monde, de mieux vivre le temps scolaire. Pour la Belgique, ce programme est représenté et promu par l’association ABME-MISA Belgium[19].

De manière plus globale, le toucher bienveillant se pratique dans de nombreux pays, dont la Suède. Là-bas, le massage en duo se pratique depuis quelques années dans presque toutes les écoles. Grâce à leur expérience de massage (quelques minutes chaque jour), ces enfants développent le sens du respect et enseignants et éducateurs le constatent : les enfants qui se massent ne se battent pas[20].

Positions de l’UFAPEC

La recherche du bien-être à l’école réduit le phénomène de violence et de harcèlement scolaire, qui pour le pacte doit devenir un souci partagé entre toutes les composantes de la communauté scolaire : les élèves, les enseignants, les parents, les directions, et plus largement, tout le personnel de l’école et ses partenaires[21].

Pour l’UFAPEC, des séances de massage entre élèves, bienveillantes, cadrées par des adultes formés est une piste intéressante pour développer le vivre-ensemble et diminuer la violence à l’école fondamentale. À l’occasion de son mémorandum, l’UFAPEC a réaffirmé que si la famille est le premier lieu où se vit l’éducation de chaque enfant, l’école est aussi un lieu privilégié où peuvent se construire des relations éducatives qui dépassent le champ des disciplines. Une série de compétences sont en effet transversales à tous les apprentissages et l’école ne doit pas oublier cet aspect de ses missions. L’école est un lieu privilégié où le vivre-ensemble et la formation à une citoyenneté responsable, active, créative et solidaire peuvent prendre corps autrement que dans le cercle familial.[22].

Conclusion

Nous avons pointé quelques éléments qui représentent des points d’attention à l’expérience des séances de massage à l’école fondamentale : consentement des élèves, expériences personnelles ou collectives qui rendent le toucher compliqué, culture familiale qui s’y oppose, coût de la formation des enseignants, temps qui empiète sur le programme des cours.

Pourtant, des praticiens et spécialistes affirment que le massage entre élèves est une réelle piste pour diminuer les situations de violence et pour améliorer le respect, l’ouverture à l’autre. L'apprentissage d'un toucher sain et bienveillant entre enfants favorise un climat scolaire serein et les bienfaits se font ressentir d’un point de vue collectif, au sein de la classe et de l’école.

Finalement, la violence dans les écoles fondamentales est une réalité qu’on ne peut occulter et chaque initiative pour installer davantage de respect et de solidarité entre les élèves constitue une étape vers un meilleur climat scolaire, une sérénité indispensable pour une scolarité réussie.

 

Bénédicte Loriers

 


[2] MISP : Massage in School Programme: https://www.massageinschools.com/

[3] Association belge de massage à l’école : https://abme.be/

[4] Interview de Roxane Geerinckx réalisée le 23 septembre 2024.

[6] Témoignage d’une élève après un massage : https://www.massageinschools.com/

[7] COLARD B., Le massage à l’école et en famille dès l’âge de 4 ans, éditions Ambre, 2008.

[8] Interview de Patricia PIETERS, institutrice en 1e primaire au collège Saint-Guibert de Gembloux, réalisée le 4 juillet 2024.

[9] Interview de Patricia PIETERS.

[10] Interview de Roxane GEERINCKX, réalisée le 23 septembre 2024.

[11] Interview de Roxane GEERINCKX, op cit.

[12] https://www.massageinschools.com/Le programme international MISP (Massage In Schools Program) est un exemple de programme de relaxation pour les enfants de 4 à 12 ans et le Mini Misp pour les 2-3 ans.

[13] Brochure Démocratie scolaire, la représentation collective des parents au conseil de participation, publication UFAPEC et FAPEO, page 24 ; : https://www.ufapec.be/nos-analyses/copa.html

[14] BAIE France, La méditation de pleine conscience comme outil pédagogique, phénomène de mode ou révélation ?, analyse UFAPEC 2016 : https://www.ufapec.be/nos-analyses/0816-meditation.html

[15] MONTEUX Clélia, Le massage aurait un impact positif sur l’enfant, 4 mai 2020 : https://blog.lpgmedical.com/fr/le-massage-a-t-il-un-impact-benefique-sur-lenfant-0

[16] SLUIJTER Marijke, Le toucher, un besoin vital, éditions Chronique sociale, 2016, p . 114.

[17] MASCAUX Fabrice, Le massage à l’épreuve de la science, 18 avril 2023 : https://www.psy.be/fr/conseils/le-massage-lepreuve-de-la-science

[18] https://www.massageinschools.com/Le programme international MISP (Massage In Schools Program) est un exemple de programme de relaxation pour les enfants de 4 à 12 ans et le Mini Misp pour les 2-3 ans.

[20] SLUIJTER Marijke, op cit., p . 21.

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