Analyse UFAPEC 2008 par V. Dautrebande

20.08/ L’école obligatoire à 5 ans : Solution contre l’échec scolaire et facteur d’intégration sociale ?

Introduction

En Belgique, la scolarisation peut commencer dès l'âge de deux ans et demi et se poursuivre, en théorie, "indéfiniment" (il n'y a pas d'âge où l'on serait exclu de toute possibilité d'études ou de formation). Dans cette grande période, où la scolarisation est possible, se situe une période plus restreinte où elle est obligatoire pour tous. La toute première loi sur l’obligation scolaire date de 1914. Elle a vu le jour pour contrer le travail des enfants.

Actuellement, c’est la loi du 29 juin 1983 qui régit l’obligation scolaire. Dans l’article 1er de cette loi, nous pouvons lire « Le mineur est soumis à l’obligation scolaire pendant une période de douze années commençant avec l’année scolaire qui prend cours dans l’année où il atteint l’âge de six ans et se terminant à la fin de l’année scolaire, dans l’année au cours de laquelle il atteint l’âge de dix-huit ans. »

Par définition, la période d'obligation scolaire est la tranche d'âge pendant laquelle tous les enfants fréquentent effectivement et régulièrement un établissement scolaire. Un élève entré à l'âge de 6 ans en 1ère année primaire, et qui n'aurait accumulé aucun retard scolaire, verrait coïncider la fin de son enseignement secondaire et la fin de l'obligation scolaire.

Actuellement, l’enseignement maternel qui précède les années primaires et secondaires n’est pas obligatoire. Depuis quelques années, la question de rendre l’école obligatoire dès 5 ans revient régulièrement sur le devant de la scène.

Dans cette analyse, nous passons en revue les avantages et les inconvénients que cette mesure présente pour en arriver à aborder la position que l’UFAPEC défend à ce sujet. Enfin, nous proposons quelques pistes concrètes.

Spécificité de l’enseignement maternel

L’enseignement maternel est spécifique et présente une grande importance dans la scolarité des enfants.

Dans l’article 12 du décret mission du 24 juillet 1987(1) , les objectifs généraux de l’enseignement maternel sont cités comme visant particulièrement à :
1° développer la prise de conscience par l'enfant de ses potentialités propres et favoriser, à travers des activités créatrices, l'expression de soi;
2° développer la socialisation;
3° développer des apprentissages cognitifs, sociaux, affectifs et psychomoteurs;
4° déceler les difficultés et les handicaps des enfants et leur apporter les remédiations nécessaires.

L’école maternelle est un lieu de rencontres, d’échanges et de découvertes, qui est complémentaire de l’éducation familiale et préparatoire à l’école primaire. L’objectif de l’école maternelle est de préparer les enfants à la vie en classe et en société. Son but est de permettre à l’enfant de faire des expériences et des apprentissages essentiels qui lui permettront de grandir. L’école fait en sorte de faire passer l’enfant du stade de bébé à celui de personne sociale. L’école maternelle va l’aider à aimer apprendre, c’est dire tout l’enjeu de cette période !(2)

Un consensus sur l’obligation scolaire à 5 ans

Depuis quelques années, l’idée d’abaisser à l’âge de 5 ans l’obligation scolaire fait largement consensus auprès des responsables de la Communauté française. En 2002, le ministre de l’enseignement Jean-Marc Nollet se penchait sur la question, mais l’obligation scolaire étant une compétence fédérale, il fallait rallier la Communauté flamande et germanophone à cette proposition. C’est maintenant chose faite puisque le 18 mars dernier, on pouvait lire dans l’accord gouvernemental Leterme Ier « l’âge de la scolarité obligatoire sera abaissé à 5 ans et les dispositions légales y afférentes seront adaptées en conséquences ». Dans le même temps, les députés Marc Elsen et Anne Delvaux déposaient une « proposition de loi modifiant la loi du 29 juin 1983 concernant l’obligation scolaire, afin de l’instaurer à partir de l’âge de cinq ans »(3) . (notons que d’autres avant eux s’étaient essayés à cet exercice). Ils se basent sur une étude de l’UCL portant sur le lien entre la réussite scolaire et le milieu socioprofessionnel qui démontre combien les enfants issus d’une famille socialement moins favorisée accusent, dès la première primaire, des retards au niveau scolaire par rapport à des enfants issus d’une famille socialement plus favorisée. Pour lutter contre ces discriminations et œuvrer pour l’égalité des chances, abaisser l’âge de l’obligation scolaire leur semble un instrument pertinent.

Abaisser le seuil obligatoire à 5 ans : intérêts ?

Les différents arguments avancés par les uns et par les autres sont(4) :

  • l’avantage que tous les enfants aient eu, avant d’entamer les primaires, une année pour s’intégrer dans un milieu social autre que le milieu familial et pour le familiariser avec l’environnement scolaire ;
  • renforcer les liens écoles familles pour le plus grand bénéfice de tous les enfants ;
  • favoriser la réussite de l'ensemble de la scolarité de l'enfant;
  • assurer la cohérence du cycle 5-8, en étendant l'obligation scolaire à l'ensemble du cycle.

Taux de fréquentation scolaire à 5 ans

Selon les chiffres de la Communauté française, pour l’année scolaire 2005-2006, 98% des enfants de 5 ans étaient inscrits à l’école.(5)

Selon le rapport de l’OCDE(6) (2008), les taux nets de scolarisation en Belgique du groupe d’âge de 3 à 5 ans avoisinent les 100%. On y remarque que la France, l’Espagne et l’Italie ont des taux semblables. On notera par contre que les Pays Bas n’ont que 37% d’enfants de 3 à 5 ans qui sont scolarisés, la Finlande 44% et le Luxembourg 81%.

La mesure d’abaissement de la scolarité obligatoire à 5 ans ne concernerait donc qu’un très faible pourcentage de la population belge de 5 ans. Nous pouvons en déduire que cette mesure n’aura pas un grand impact en terme quantitatif.

Par contre, on peut espérer, comme le dit Eric Mangez, sociologue au Cerisis(7) , qu’il y ait un effet sur la fréquentation des enfants de 5 ans. On observe en effet que certains inscrits ne viennent pas de manière régulière à l’école. Notons toutefois qu’à notre connaissance, aucune statistique ne permet de mesurer l’écart entre le taux d’inscription et le taux de fréquentation.

L’école à 5 ans : une solution contre l’échec scolaire et l’intégration sociale ?

Jean-Marc Nollet (Ecolo) en est persuadé. En 2002, en tant que ministre de l’enseignement obligatoire, il commandait une étude auprès du Cerisis(8) (nous reparlerons de cette étude plus loin). En outre, en 2004, il déclarait dans la presse «C'est un investissement, puisqu'il s'agit de lutter contre l'échec scolaire. Nous ne disons pas qu'aller à l'école dès 5 ans résoudra tout, mais nous savons que les enfants qui ne fréquentent pas l'enseignement maternel partent avec un handicap en première année primaire.»(9)

En 2004, la ministre fédérale de l’économie, Fientje Moerman déclarait(10) : «Les enfants qui ne sont actuellement pas en maternelle à l'âge de cinq ans appartiennent souvent à des milieux plus défavorisés. On sait qu'un encadrement scolaire précoce et adapté permet de lutter contre le retard scolaire.»

Différentes études tendent à aller dans ce sens. Nous en avons relevé quelques unes.

Selon le Conseil de l’Enseignement et de la Formation(CEF), « Les enfants ayant fréquenté l’école maternelle de façon précoce présentent des acquis intellectuels et socio-émotionnels qui accroissent leurs chances de réussite scolaire. »(11)

Dans leur livre « les familles défavorisées à l’épreuve de l’école maternelle », en page 5, Mangez, Joseph et Delvaux énumèrent différentes sources, selon lesquelles « l’enseignement préscolaire constitue donc un cadre où se joue déjà en partie la carrière scolaire de l’enfant »(12)

Chez nos voisins français, bien que le contexte soit quelque peu différent, nous relevons une étude qui prouve que la fréquentation de la maternelle est associée à un meilleur déroulement de la scolarité en primaire, notamment aux Cours Préparatoires (CP). (13) « Plus précisément, l’essentiel est de fréquenter au moins une année la Maternelle, même si chaque année supplémentaire apporte un « plus ». L’effet bénéfique d’une préscolarisation dès 2 ans est encore ‘visible’ en fin de primaire : au Cours Moyen 2e année, ces enfants réalisent de meilleures acquisitions, et ceci vaut pour toutes les catégories sociales ».

Positif mais pas suffisant

Si des chercheurs et politiciens semblent d’accord sur l’intérêt d’abaisser la scolarité obligatoire à 5 ans, certains relèvent pourtant comme utile, nécessaire, voire indispensable d’accompagner cette mesure par d’autres.

En avril 2005, Marie Arena, ministre de l’enseignement obligatoire, disait, en réponse à une interpellation du député fédéral Pierre-Yves Jeholet, « Une relation entre l’école et la famille doit être établie avant même l’inscription. Quand il y a obligation de scolarisation, la relation entre l’école et la famille est très difficile. Si l'inscription est perçue comme purement administrative, la fréquentation ne sera pas accrue. Nous devons donc continuer à sensibiliser les différents milieux, entre autres par des journées portes ouvertes. Nous devons inciter les familles de certaines catégories sociales à confier leurs enfants à l'école maternelle. Il est clair que cette inscription obligatoire ne résoudra pas tous les problèmes. » Ce à quoi répondait Monsieur Jeholet : « Il est indispensable d'offrir une réelle égalité des chances à tous les enfants. Les enfants fréquentant l'école plus tard que les autres sont souvent issus d'un milieu social plus défavorisé. La fréquentation de l'école le plus tôt possible est un facteur de réussite pour la suite de la scolarité. Lutter contre l'échec scolaire revient à lutter contre une future relégation sociale, qui touche d'autant plus les familles les plus fragiles ».

Mangez, Joseph et Delvaux consacrent une grande partie de leur livre(14) à la question des relations écoles-famille parmi les familles défavorisées. Une de leurs idées était de savoir comment structurer l’école et les relations école-familles de façon à ce que l’école soit perçue et vécue par les familles défavorisées comme un lien positif. Contrairement à certaines idées préconçues, ils observent que la grande majorité des parents accordent beaucoup d’importance à la réussite scolaire de leurs enfants et donc à l’école. « Ces familles savent qu’il est important d’aller à l’école pour y « apprendre des choses », pour « suivre » et éviter les voies de garage sans pour autant savoir ce qu’on y fait exactement (en quoi l’école maternelle prépare les enfants) et sans vraiment savoir comment réussir, si ce n’est en étant présent à l’école. »

Allant dans le même sens, Dominique Houssonloge relève que « Les parents de milieux socio-économiques défavorisés ont rarement d’emblée un bon contact avec l’école : peurs, méconnaissance, souvenir d’un vécu scolaire douloureux, sentiment de rejet voire d’abandon, sentiment de l’inutilité de l’école, manque de compétences pour accompagner l’enfant, les causes sont nombreuses pour ne pas oser faire confiance à l’école »(15)

Dans sa note du 17 mai 2006, le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale »(16) relatait que certaines organisations de lutte contre la pauvreté se posaient des questions quant à l’opportunité de la mesure annoncée. On peut y lire « Abaisser à cinq ans l’âge de la scolarité obligatoire est envisageable mais il s’agit d’une mesure isolée. Elle ne garantit pas que les enfants entreront tôt à l’école maternelle et la fréquenteront effectivement. L’expérience montre en effet que malgré l’obligation scolaire, certains enfants fréquentent l’école de manière irrégulière ou vont en vacances les jours de classe. ». Citant Mangez, Joseph et Delvaux(17) , ils soulignent l’importance d’aborder les enfants de familles pauvres et de les accueillir dans l’école. En conclusion, on peut lire « Un éventuel abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire devrait donc être précédé de mesures sélectives, ce qui est beaucoup trop peu le cas jusqu’à présent. Un accompagnement accru est nécessaire, tant pour les écoles que pour les parents d’enfants dont l’entrée à l’école maternelle est difficile. C’est pourquoi nous plaidons en première instance pour des mesures de soutien (telles qu’organiser un accueil humain, communiquer des informations correctes aux parents) afin que les jeunes enfants puissent accéder à l’enseignement dans de bonnes conditions. »

Risque d’effets négatifs

L’unité enseignement d’ATD Quart Monde nous faisait part en 2002 de son avis favorable concernant la fréquentation régulière de l’enseignement maternel par tous les enfants et en particulier la dernière année.(18) Par contre, rendre l’école maternelle obligatoire à 5 ans leur semblait inadéquat et dangereux. « Cette mesure risque d’être peu efficace et d’entraîner des effets pervers pour les enfants et familles défavorisées ». Dominique Visée nous confiait qu’une telle obligation allait représenter pour ces familles défavorisées une contrainte supplémentaire. Et elle demandait « qu’est-ce qui se passera pour celles qui ne scolariseront quand même pas leurs enfants en 3ème maternelle ? » Elle demande d’être vigilant au risque d’augmenter le contrôle et la culpabilisation qui pèsent déjà sur ces familles, de même que leur méfiance vis-à-vis du système scolaire. Tout ceci pourrait en effet rendre la fréquentation de l’école maternelle- et la possibilité d’en tirer profit- encore plus difficile.

Conclusion et pistes concrètes

On le voit, il y a un large consensus sur l’importance de la fréquentation scolaire à 5 ans, voire même déjà avant. L’UFAPEC va dans le même sens. L’Ufapec n’est pas contre l’abaissement de l’obligation scolaire à 5 ans, mais elle pense qu’il est utile et nécessaire de mettre en place, auparavant, différentes mesures d’accompagnement. Le risque de ne pas atteindre l’objectif de départ, que 100% des enfants de 5 ans soient inscrits et fréquentent régulièrement l’enseignement maternel, est réel. L’encadrement et les moyens devront être accrus, en particulier pour les familles issues de milieu défavorisés.

Avant toute chose, nous pensons que ces pistes, sans être exhaustives, devraient être mises en place :

  • Encadrer le moment privilégié qu’est l’inscription à l’école maternelle, qui est souvent le premier contact que les parents ont avec l’école et qui peut être déterminant pour la suite de la scolarité de leur enfant.
  • Informer les parents de ce qu’est exactement l’enseignement maternel, de son intérêt et son importance.
  • Sensibiliser les enseignants et les directions sur l’importance d’entretenir des contacts réguliers et de qualité avec les parents. Ce thème devrait faire partie de la formation initiale et continuée des enseignants.
  • Encourager le partenariat école-famille notamment via la formation d’une association de parents dans chaque école(19) pour garantir à l’enfant une meilleure scolarité.
  • Informer les parents défavorisés (qui disposent de moins de ressources) pour les aider à réaliser le choix de l’école. « On pourrait ainsi chercher, d’une part, à sensibiliser les parents quant à l’importance de ce choix, et d’autre part à les informer davantage sur les caractéristiques des écoles de leurs régions. Le fait d’avoir procédé à un choix actif plutôt qu’à un choix de proximité peut entretenir des liens positifs avec la satisfaction voire l’implication des parents dans l’école. »(20)


Violaine Dautrebande

 

 

(1)http://www.cdadoc.cfwb.be/cdadocrep/pdf/1997/19970724s21557.pdf
(2) L’entrée à l’école fondamentale, dossier UFAPEC, à paraître
(3)http://www.senaat.be/www/?MIval=/publications/viewPub.html&COLL=S&LEG=4&NR=649&VOLGNR=1&LANG=fr
(4)Arguments tirés des différentes interpellations parlementaires de ces dernières années, de la proposition de loi de Marc Elsen et de Anne Delvaux, op cit et de l’article de Marie Versele, n°63 Revue « Eduquer ».
(5)Ministère de la Communauté française, Etnic 2007 ; www.enseignement.be
(6)Regards sur l’éducation, OCDE 2008
(7)dans la revue « entrées libres » n°12, octobre 2006
(8)« Les familles défavorisées à l’épreuve de l’école maternelle » Mangez Eric, Joseph Magali, Delvaux Bernard, Cerisis UCL, 2002
(9)La Libre Belgique, 2004
(10)Libre Belgique 2004
(11)Avis du CEF du 8 mai 1998, page 23
(12)Mangez, Joseph, Delvaux, op cit, page 5
(13)Jarousse et Mingat, 1991, « La scolarisation maternelle à deux ans : analyse des effets pédagogiques et sociaux », Dijon, Cahier de l’IREDU, n° 50
(14)Mangez, Joseph, Delvaux, op cit
(15)Analyse de Dominique Houssonloge, UFAPEC 2008, « Partenariat Ecole-Famille » citant la source : « La collaboration enseignants-parents pour le mieux-être des enfants ». , Entrevue avec Jean-Pierre Pourtois Réalisée par André C. Moreau et Joanne Pharand, page 2
(16)http://www.luttepauvrete.be/publications/note_%C3%A2ge_scolarit%C3%A9_obligatoire_060522.pdf
(17)Op cit
(18)Dominique Visée, Parents-école N°35 – septembre-octobre 2002, « scolarité obligatoire à 5 ans ? »
(19)Un avant projet de décret qui va dans ce sens est actuellement en préparation au cabinet du ministre de l’enseignement.
(20)Mangez,Joseph, Delvaux, op cit, page 123
 

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