Analyse UFAPEC Décembre 2025 par M. Lontie

20.25/Jouer aux jeux vidéo avec son enfant

Introduction

Le jeu vidéo est aujourd’hui présent dans pratiquement tous les foyers, sous des formes diverses. Qu’il s’agisse des jeux vidéo sur smartphone ou sur tablette, des jeux sur ordinateur ou sur console, rares sont les familles qui n’ont aujourd’hui aucun usage de médias vidéoludiques.

Depuis de nombreuses années, nous avons l’occasion de constater, à l’UFAPEC, à quel point les parents s’inquiètent de l’usage de jeux vidéo par leur enfant et s’interrogent sur le cadre à installer pour une pratique saine et mesurée. En effet, la question de l’usage des écrans en famille est l’une des plus posées auprès de l’UFAPEC par les associations de parents lorsqu’elles envisagent de proposer une conférence à destination des parents de leur école. Mais le jeu vidéo peut-il aussi être un allié des familles et participer à la construction de moments de partages intergénérationnels au sein du foyer ? Quelles sont les spécificités du jeu vidéo dans cette dynamique au regard de toutes les activités que l’adulte peut proposer à son enfant pour passer un bon moment ensemble ? N’y a-t-il pas, d’une part, un risque de survalorisation du jeu vidéo mais, d’autre part aussi, une nécessité de mieux connaître les centres d’intérêt de son enfant et les contenus auxquels il est confronté lorsqu’il passe son temps devant les écrans (nous nous concentrons bien ici sur le cas des jeux vidéo) ? Bref, qu’est-ce qu’il y a à gagner à modifier notre perception de parent, lorsque le jeu vidéo, à l’instar de la télévision, n’est vu que comme un passe-temps pour l’enfant, un baby-sitter, permettant au parent de réaliser d’autres activités pendant ce temps-là ?

Tout l’enjeu est de reconnaître que le jeu vidéo peut aussi être un lieu de développement de compétences particulières et un mode d’apprentissage en tant que tel, tout en sachant que comme un livre n’est pas égal à un autre livre, les bénéfices générés vont aussi dépendre des jeux sélectionnés. Sans oublier qu’en tant qu’objets médiatiques, les jeux vidéo peuvent aussi être vecteurs de messages idéologiques et politiques[1].

Un rapport au jeu vidéo qui change au sein des familles

Nous le remarquions déjà dans notre analyse consacrée à « la perception du jeu vidéo comme objet idéologique ou politique »[2], la posture des parents vis-à-vis du jeu vidéo évolue avec le cycle des générations. À la différence de la majorité de leurs parents, les parents d’aujourd’hui ont été des utilisateurs de jeux vidéo étant enfants et sont, très souvent, encore des joueurs actifs aujourd’hui. Cela modifie donc profondément le rapport au jeu vidéo puisque là où l’inquiétude sur cet « objet médiatique nouveau » était largement partagée il y a une trentaine d’années, celle-ci a laissé place à une inquiétude davantage centrée sur le temps passé devant les écrans et l’impact sur les rythmes de l’enfant. Il peut aussi s’agir d’une inquiétude sur l’accès aux contenus, voire, dans certains cas, d'une absence d’inquiétude consciente ou inconsciente…

L’absence d’inquiétude consciente, c’est celle du parent qui a, quelque part, « dompté » le jeu vidéo ; il a pu, après mûre réflexion, mesurer les avantages et les inconvénients de l’outil en instaurant un cadre qui convient aux équilibres familiaux. L’absence d’inquiétude inconsciente, en revanche, c’est une forme d’indifférence à l’objet, un non-questionnement sur l’objet « jeu vidéo » et sur les impacts de sa présence dans l’environnement familial.

Cela en étonnera sans doute plus d’un, mais il arrive même parfois que le jeu vidéo devienne l’épicentre de la vie familiale. C’est ainsi que Cyprien, un grand adepte de MMORPG (acronyme pour les jeux massivement multijoueurs, ces jeux qui se jouent en ligne à partir d’un même environnement sur des centaines de serveurs en simultané), nous raconte que sa guilde (son équipe) était notamment constituée de quatre membres de la même famille. Chacun jouait sur un ordinateur différent, leur permettant de jouer ensemble, mais dans des pièces séparées. Au rez-de-chaussée, le papa enfilait sa cape de mage Humain et la maman de voleuse Elfe de la nuit. À l’étage, et chacun dans sa chambre, le fils incarnait un guerrier Worgen et la fille une chasseuse Draeneï. Ils passaient ainsi plusieurs soirées par semaine, en ligne, avec d’autres personnes vivant à plusieurs centaines de kilomètres de chez eux. Cette famille se retrouvait donc de manière régulière autour d’un même centre d’intérêt, lequel devait certainement nourrir les discussions lors des repas. Ce cas sans doute un peu extrême est toutefois très intéressant.

Chaque membre de la guilde a, en fonction du personnage choisi et de l’expérience accumulée, des compétences développées, des caractéristiques et des objectifs particuliers. Chacun doit tenir son rôle dans l’équipe au service des objectifs communs, ce qui peut rendre les interactions très riches et très complexes. Et ces interactions dans le jeu ont certainement des effets au-delà du jeu, puisque le jeu vidéo peut devenir un ancrage social : il n’est pas rare que les joueurs d’une équipe (qu’elle s’appelle guilde ou autre) se retrouvent dans le monde réel pour passer un moment convivial ensemble (on appelle cela un « visu »).

Cette place centrale du jeu vidéo dans la famille interroge la relation de chaque individu avec le jeu et son lien avec les autres membres de la famille dans et hors du jeu. Cette relation est nécessairement évolutive, comme toutes les autres dimensions de la vie familiale et de son environnement. Mais cette omniprésence du jeu dans la vie de famille, tant qu’elle rencontre les aspirations et contribue au bien-être de chacun de ses membres, ce qui nécessite de laisser une place à cette réflexion, n’est pas moins pertinente qu’une absence totale ou partielle de jeu vidéo. Bien entendu, entre la famille qui exclut purement et simplement le jeu vidéo de l’environnement familial et celle où le jeu vidéo est omniprésent, la variété de réalités est très large. L’enjeu ici est de sortir d’une vision du jeu vidéo comme étant quelque chose de nécessairement cloisonnant entre l’enfant et l’adulte. Le modèle que nous venons d’explorer, aussi extrême soit-il, est peut-être plus sain que celui, sans doute plus fréquent, de personnes qui vivent en parallèle sous un même toit en limitant les interactions au strict minimum, chacun vivant sa vie de son côté. De nouveau, c’est le fait d’interroger la place du jeu vidéo dans la famille et ses effets sur les interactions familiales qui va être déterminant.

Jouer au jeu vidéo avec son enfant : quelles spécificités ?

Le jeu vidéo peut être l’occasion de moments de partages durant lesquels les cartes peuvent être redistribuées. Il est en effet très fréquent que l’enfant ou le jeune ait davantage l’occasion de jouer que l’adulte, et donc de s’entraîner. La mécanique du jeu vidéo est une mécanique souvent basée sur une évolution progressive, régulièrement nourrie de récompenses. Cela permet au joueur de se fixer lui-même ses propres objectifs en fonction de ses aptitudes et de son attachement au jeu. Cet entrainement lui permettra d’avoir une connaissance plus fine du jeu et d’avoir pu développer des techniques ou des réflexes. Le rapport de force intrinsèque à la relation filiale (ou plus largement adulte/enfant) va dès lors, le temps du jeu, se mettre entre parenthèse. C’est l’enfant, le jeune, qui devient l’instructeur ou le guide du parent. Il peut montrer ce qu’il sait faire et partager ses progrès réalisés dans un environnement ludique et dégagé d’objectifs imposés par l’extérieur (comme dans le cas de l’école, par exemple). Cela permet à l’enfant de montrer au parent que le jeu auquel il joue plus ou moins intensément n’est pas seulement un loisir, mais qu’il développe de réelles compétences à travers lui. Ce phénomène, s’il n’est pas absent du jeu de société (pensons aux échecs, aux jeux de cartes complexes comme le bridge et à tous les jeux de quête ou de stratégie…), est sans doute plus évident, plus systématique en ce qui concerne le jeu vidéo. De plus, l’effet de ce phénomène en sera augmenté si le jeu vidéo est habituellement peu connu ou peu reconnu dans l’environnement familial.

Par ailleurs, au-delà du moment de partages en lui-même, qui peut tout aussi bien être rencontré en faisant un foot dans le jardin, un peu de musique ensemble, une balade en forêt ou en jouant à un jeu de société, jouer à un jeu vidéo avec son enfant permet de lui montrer que l’on s’intéresse à ce qu’il fait et de mieux comprendre à quoi il passe son temps lorsqu’il est face à l’écran. Parce que si l’objectif de jouer à un jeu vidéo est d’abord ludique et qu’il faut pouvoir garder une maitrise sur le temps passé à jouer et sur l’impact en termes de rythmes de sommeil comme sur l’environnement familial et social, un jeu vidéo n’est pas nécessairement égal à un autre. Comme nous le pointions dans notre analyse consacrée à « la perception du jeu vidéo comme objet idéologique ou politique »[3], le jeu vidéo a bel et bien un pouvoir médiatique. Il délivre un message, développe une vision du monde. Il est aussi multiple quant à sa complexité, sa technicité, son pouvoir poétique, son aspect potentiellement coopératif ou quant aux modalités d’interaction entre joueurs en ligne et hors ligne… À ce titre, il semble utile que le parent s’intéresse aux contenus et usages des jeux auxquels joue leur enfant, comme il s’intéresserait aux livres qu’il lit ou aux films qu’il regarde. Jouer soi-même au jeu permet de mieux se rendre compte des enjeux, permettant de lever les idées préconçues.

Daniel Johnson, spécialiste des jeux vidéo, indique ceci dans un document de l'Unicef : Nous encourageons vivement les parents à jouer aux jeux vidéo avec leurs enfants. Asseyez-vous avec eux et demandez-leur de vous montrer comment jouer. Laissez à vos enfants la place du spécialiste et le plaisir de vous montrer leur univers. Les parents qui s’y sont essayés nous ont confié que leur point de vue a changé et qu’ils ont ensuite pu avoir des discussions beaucoup plus ouvertes avec leurs enfants sur la question. En vous investissant de la sorte aux côtés de vos enfants, vous reconnaissez le fait que les jeux vidéo font partie de leurs loisirs, vous leur montrez que vous avez envie d’en savoir plus à ce sujet et qu’a priori, vous en comprenez l’intérêt. Ainsi, lorsque vous échangerez avec eux sur les jeux vidéo, ils ne se diront plus que vous n’y connaissez rien[4].

Conclusion

Le jeu vidéo, sous ses formes multiples (console, smartphone, tablette, ordinateur), est aujourd'hui une réalité quasi universelle dans les foyers. Si l'usage des écrans demeure une source majeure d'inquiétude pour les parents, axée non plus sur la nouveauté de l'objet mais sur la gestion du temps et l'accès aux contenus, nous voulions ici mettre en lumière la nécessité de dépasser cette appréhension initiale. L'enjeu fondamental n'est pas l'exclusion ou la survalorisation du média, mais bien d'interroger sa place pour s'assurer qu'il participe aux équilibres familiaux.

Une spécificité centrale du jeu vidéo réside dans la redistribution temporaire du rapport de force traditionnel entre l'adulte et l'enfant. L’entraînement constant de l’enfant ou du jeune, souvent facilité par la mécanique progressive des jeux, lui confère une expertise technique. Durant ces moments de jeu partagé, c’est l’enfant qui devient l'instructeur ou le guide du parent. Ce rôle inversé permet non seulement à l'enfant de partager ses progrès dans un environnement ludique, mais aussi de montrer au parent que l’activité n’est pas qu’un simple loisir ; il est aussi un vecteur de réelles compétences développées.

Notre analyse suggère que lorsque le parent parvient à « dompter » l’outil en jouant avec son enfant aux jeux auxquels celui-ci joue régulièrement, le jeu vidéo peut se révéler une opportunité précieuse pour instaurer un dialogue et une relation nouvelle entre l'enfant et l'adulte. Il offre une occasion unique de partages intergénérationnels et d’ancrage social, au bénéfice d'un cadre sain et mesuré des usages des jeux vidéo par l'enfant. Cela permet par ailleurs de démystifier (ou de confirmer) certains préjugés sur un jeu et éventuellement d’aborder la question des valeurs véhiculées par le jeu avec son enfant. Les jeux véhiculent potentiellement des messages politiques, des visions du monde particulières. S'assurer que son enfant fait bien la part des choses entre l'univers proposé par le jeu vidéo et sa vie au quotidien est certainement un premier pas. Reconnaitre que le jeu, en plus d'être un objet de loisir, peut être un objet de partage, d'apprentissage et d'acquisition de compétences nouvelles est un deuxième pas que l'UFAPEC encourage à emboîter.

En fin de compte, qu'une famille soit favorable à une présence marginale ou quasi omniprésente du jeu vidéo, la démarche déterminante reste celle de l’interrogation réfléchie sur ses effets et la qualité des interactions familiales. Il est crucial que les parents s’intéressent activement aux contenus et aux usages, de la même manière qu'ils le feraient pour d'autres médias comme les livres ou les films. Cette démarche permet non seulement de lever les idées préconçues, mais aussi de comprendre la complexité et le pouvoir médiatique du jeu. Le jeu vidéo n'est pas nécessairement cloisonnant ; c’est en s’y intéressant et en s’impliquant que les parents peuvent s'assurer que cet outil contribue au bien-être et aux aspirations de chacun au sein du foyer.

 

Michaël Lontie

 

 


[1] Lire à ce sujet LONTIE, M., La perception du jeu vidéo comme objet idéologique ou politique, Analyse UFAPEC n°23.22, décembre 2022 : https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2022/UFAPEC_2322-jeux-video.pdf.

[2]Idem.

[3] LONTIE, M., Ibidem.

[4] UNICEF, Les jeux vidéo et vos enfants : guide à l’intention des parents, https://www.unicef.org/parenting/fr/soins-attentifs/jeux-video-et-enfants-guide. Daniel Johnson est investigateur principal au Centre d’excellence du conseil de recherche australien pour l’enfant numérique (Australian Research Council Centre of Excellence for the Digital Child). Il dirige le Laboratoire de recherche sur les jeux et le design interactif (Games Research and Interaction Design Lab) de l’Université de Technologie du Queensland en Australie.

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