Analyse UFAPEC novembre 2016 par B. Hubien

21.16/ Education à la philosophie et à la citoyenneté : avec les parents ?

Introduction

Depuis la rentrée de septembre 2016, les écoles fondamentales doivent mettre en place une éducation à la philosophie et à la citoyenneté telle que précisée dans un référentiel qui en détermine les attendus. Pour l’enseignement secondaire, il faudra attendre septembre 2017 pour que cette éducation s’inscrive dans le programme.

Le débat qui a conduit à mettre en place cette éducation à la philosophie et à la citoyenneté a été vif, les uns demandant que celle-ci remplace les cours de religion et de morale (appelés officiellement « cours philosophiques »), les autres démontrant que, pour assurer les objectifs attendus, cette éducation doit se vivre de manière transversale à tous les apprentissages. D'autres encore ne souhaitaient aucun changement.
Dans l’enseignement officiel, cette éducation s’inscrit désormais dans la première perspective, un cours d’une période par semaine qui remplace une des deux heures de cours philosophiques ; dans l’enseignement libre catholique, c’est l’aspect transversal qui est déployé. Dès lors, le référentiel sera inscrit dans les programmes de différents cours (formation mathématique, éveil, religion, éducation artistique, etc.) Les deux heures de cours de religion dans le réseau libre ne disparaissent donc pas.

Pour comprendre les enjeux de cette éducation et se faire une opinion, nous allons d’abord découvrir en quoi consiste ce référentiel et quels sont les objectifs qui y sont pointés. Ensuite, nous examinerons quelle est la place des parents dans cette éducation. Puis nous verrons en quoi il est important que l’école fonctionne sur des principes démocratiques et prenne en compte la nécessaire autonomie de tous dans la dynamique éducative. Nous questionnerons la nécessité, pour que le projet soit cohérent, de faire vivre les lieux prévus pour le débat et la construction du projet d’établissement. Enfin, nous dirons ce qui, pour nous UFAPEC, est fondamental dans ce champ de l’éducation à la citoyenneté.

Un référentiel

 « L’éducation à la citoyenneté au sens large peut être entendue comme l’éducation à la fois à la capacité de vivre ensemble de manière harmonieuse dans la société et à la capacité de se déployer à la fois comme personne et comme citoyen, sujet de droits et de devoirs, libre, responsable, solidaire, autonome, inséré dans la société et capable d’esprit critique et de questionnement philosophique. »[1]

Dans cette introduction aux différents textes qui régissent ce nouvel aspect de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, les objectifs sont clairement définis. Ils se déclinent en quatre chapitres que développe le référentiel adopté. Dans le guide publié à l’intention des enseignants, ces chapitres sont présentés comme suit :

« Le référentiel vise à rencontrer les objectifs du cours de philosophie et de citoyenneté en quatre chapitres interdépendants. Pour en faciliter la description, il est apparu nécessaire de les présenter distinctement, sans pour autant les hiérarchiser.

  • Construire une pensée autonome et critique : Élaborer un questionnement philosophique. Assurer la cohérence de sa pensée. Prendre position de manière argumentée.
  • Se connaitre soi-même et s’ouvrir à l’autre : Développer son autonomie affective. Se décentrer par la discussion. S’ouvrir à la pluralité des cultures et des convictions.
  • Construire la citoyenneté dans l’égalité en droits et en dignité : Comprendre les principes de la démocratie. Se reconnaitre, soi et tous les autres, comme sujets de droits.
  • S’engager dans la vie sociale et l’espace démocratique. Participer au processus démocratique. Contribuer à la vie sociale et politique.

La division des compétences n’a pas non plus de signification chronologique. Au contraire, les compétences reprises en leur sein sont appelées à être travaillées le plus souvent conjointement. La construction d’une pensée autonome impose, par exemple, de se questionner et de veiller à la cohérence de ses raisonnements, mais elle se nourrit aussi de la capacité de se décentrer en s’ouvrant à l’autre et à la pluralité des convictions et des cultures. De même, la compréhension des principes de la démocratie peut s’opérer notamment à travers l’exercice du débat et la pratique de la démocratie en classe.[2] »

Ce projet, on le comprend, est ambitieux et devrait, si les objectifs sont rencontrés, conduire les enfants à devenir des adultes conscients de leurs responsabilités citoyennes, capables de se poser et de poser les questions pertinentes qui permettent de construire davantage en solidarité la société.

Avec les parents

Si l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté est maintenant formalisée dans les missions fondamentales de l’école, il ne faudrait pas oublier que toute éducation devrait engager les jeunes dans la voie d’un vivre ensemble harmonieux, fait de compréhension et de respect mutuels, de capacité à dialoguer avec d’autres convictions et de participer ensemble à l’édification d’un corps social dans lequel chacun, quelles que soient ses capacités et aspirations, trouve à s’insérer. C’est un enjeu fondamental pour que notre démocratie s’en trouve consolidée.

N'est-ce pas là aussi, une responsabilité des parents, étant donné que l’éducation d’un enfant est en priorité la leur ? Les parents ont une vision de ce qu’ils veulent transmettre à leurs enfants et ont des valeurs qu’ils souhaitent voir partagées par leurs enfants. Ces valeurs citoyennes qu’ils veulent voir grandir chez leurs enfants sont sans doute en concordance avec celles défendues à l’école. Toutefois, parce que famille et école sont des lieux différents, il se peut que des accents soient différents, peut-être divergents… L’éducation à la citoyenneté doit pouvoir prendre en compte cette distance école-familles.

Pour que l’enfant puisse grandir comme citoyen, il convient donc que les différents responsables de l’éducation soient accordés sur les lignes fondamentales de ce que doit être cette éducation et qu’ils puissent mesurer aussi la distance entre la vision que chacun d’eux a de la citoyenneté et de ce que doit être une société démocratique. Il convient encore pour cela que l’école puisse exposer clairement non seulement la mise en œuvre du référentiel, mais également le projet global qu’elle poursuit. C’est pourquoi l’acte d’inscrire ses enfants dans une école est un acte lourd de conséquences. Il convient également que le projet pédagogique mis en place par l’école consonne avec les valeurs et perspectives éducationnelles voulues par les parents. Ceux-ci doivent pouvoir discerner si ce que l’école propose est bien en accord avec ce qu’ils veulent comme éducation. Mais tous les parents ont-ils conscience de l'importance d'adhérer au projet de l'école, celui-ci est-il lisible et accessible à toutes les familles ? Ne faudrait-il pas encourager les écoles à le "traduire" et le présenter aux parents notamment au moment de l'inscription ? L'école et le partenariat école-familles ne passe-t-il pas d'abord par là ?

De l’éducation à la citoyenneté à une école citoyenne et démocratique

L’éducation doit mettre en cohérence le discours éducatif et les pratiques effectives de fonctionnement scolaire. L’enfant, le jeune, est sensible aux distances qui peuvent exister entre ce discours et les pratiques. Pour atteindre cette cohérence, plusieurs instances internes à chaque école sont prévues. Elles visent à assurer dialogues et rencontres. Il y a les lieux de concertations des enseignants. Il y a le conseil des délégués au secondaire. Il y a le conseil de participation. Il y a encore l’association des parents. Toutes ces instances ont leur rôle à jouer dans la construction de l’école comme lieu ou s’exercent citoyenneté et démocratie.

Comme parents, nous ne sommes pas concernés par les instances de concertation entre enseignants. Nous ne sommes pas non plus directement concernés par le conseil des délégués, même si c’est un lieu important aussi pour l’éducation à la citoyenneté. En effet, les élèves y apprennent concrètement les règles du débat, de l’expression d’une opinion, dans le respect de tous, et les mécanismes de la prise de décision…

Le conseil de participation, instauré par l’article 69 du Décret définissant les missions prioritaires de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre[3], est sensé se réunir pour, entre autres, examiner, évaluer, voire amender, le projet d’établissement. Siègent dans ce conseil, à poids égal, des représentants du pouvoir organisateur de l’école et de la direction, des représentants élus des enseignants, des parents et des élèves (en secondaire). Y est aussi élu un représentant du personnel administratif et ouvrier. Le conseil peut décider d’adjoindre à ses travaux des personnes significatives œuvrant avec l’école ou faisant partie de son entourage social ou culturel.

L’association de parents a, elle aussi, sa place dans chaque école. Il est même prévu, par décret[4], que s’il n’y en a pas, le chef d’établissement doit réunir les parents, avec l’aide de l’organisation représentative de son réseau, en vue de sa création. Le décret prévoit également que le fonctionnement de l’association de parents doit respecter des règles fondamentales de la démocratie, notamment en matière d’élection des responsables à bulletin secret.

En faisant vivre ces différentes structures, l’école permet à chacun d’entrer, à sa juste place, dans une dynamique démocratique qui peut apporter beaucoup à l’amélioration du parcours des élèves et des conditions de travail de l’équipe éducative. Malheureusement, nous le constatons, de nombreuses écoles n’organisent pas de conseil de participation ou ne permettent pas qu’une association de parents se crée ou ne respectent pas ses règles de fonctionnement démocratique. Peur d’introduire dans le système un élément externe ? Peur d’une attitude revendicatrice des parents ? Peur d’être questionnés ? Peu importe les raisons. L’école n’est pas, la plupart du temps, une institution organisée de manière démocratique. C’est plutôt un lieu hiérarchisé dans lequel chacun est pensé à sa place et où les parents, trop souvent, n’en ont pas. Dans ces conditions comment préparer le jeune aux enjeux de la démocratie et l'aider à prendre sa place de citoyen ? N'y a-t-il pas là un non-sens ?

Des acteurs autonomes pour un projet commun

En permettant ces multiples dialogues, l’école formerait également ceux qui y prennent part. En effet, il n’y a pas que les élèves qui doivent entrer, par l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté, dans une compréhension intérieure et progressive de leur responsabilité de citoyen. Cette éducation n’est pas achevée un jour. Elle concerne chacun, jeunes et adultes, à tous les moments de l’existence. Les membres des équipes éducatives et les parents ont également à déployer en eux-mêmes la « capacité de vivre ensemble de manière harmonieuse dans la société et (…) la capacité de se déployer à la fois comme personne et comme citoyen, sujet de droits et de devoirs, libre, responsable, solidaire, autonome, inséré dans la société et capable d’esprit critique et de questionnement philosophique. » [5]

En participant aux instances de dialogue prévues, chacun continue à se former et peut entrer dans l’autonomie nécessaire pour que le débat soit possible. L’autonomie est en effet un aspect fondamental du débat démocratique et un objectif majeur de l’éducation à la philosophie et citoyenneté.

Cependant, l’institution scolaire n’est parfois pas encline à permettre cette autonomie de chacun. Sur le terrain, il arrive que des parents soient traités par des enseignants de manière inappropriée. L’enseignant, trop habitué à être dans une relation pédagogique avec les élèves, ne parvient pas à en sortir et reproduit alors avec les parents discours et attitudes infantilisantes. Il arrive aussi que des parents traitent également les enseignants de manière inappropriée, se permettent d'évaluer leurs pratiques…

Pourtant, c’est en garantissant l’autonomie de chacun que l’école devient vraiment citoyenne, dans le sens où elle ne veut pas avoir le contrôle du contenu des positions de chacun. En permettant aux élèves et aux parents d’exprimer leurs points-de-vue sur la vie de l’école, en leur donnant la parole sur des questions qui les concernent, l’école assure aussi sa mission d’éducation à la citoyenneté. De plus, elle permet à tous ceux qui composent la communauté scolaire de porter ensemble un projet commun. En effet, en assurant le débat entre tous autour de questions qui concerne concrètement la situation particulière à l’école, en garantissant le fonctionnement des instances démocratiques voulues par le législateur, l’école consolide son projet en entrainant l’adhésion de chacun. Participant à son élaboration, à son évaluation, à ses aménagements éventuels, chacun aura à cœur de le promouvoir et de le faire vivre. Le projet d’établissement ne sera plus quelque chose d’imposé par une instance supérieure, mais le lieu de l’adhésion de chacun à ce que veut être l’école particulière dans laquelle équipe éducative, élèves, parents se rencontrent et vivent.

Conclusion : une transversalité à tous les niveaux

Dans la mise en place de l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté, le réseau libre catholique a privilégié une approche transversale à tous les apprentissages. Pour que cette éducation porte tous ses fruits, nous pensons à l'UFAPEC qu’il est important que les valeurs transmises dans cette éducation soient transversales à toute la vie de l’école. C’est pourquoi il est important que le conseil des délégués, le conseil de participation et l’association de parents soient voulus par tous et que les conditions de leur existence effective soient garanties et mises en place par les responsables de l’école.

Pour cela, il faut qu’ils soient eux-mêmes convaincus que le débat démocratique ne constitue pas un danger pour le projet qu’ils poursuivent et pour l’exercice de leurs responsabilités, mais bien que cette mise en œuvre de l’éducation à la citoyenneté est une chance pour que les élèves deviennent des êtres autonomes, citoyens responsables, , critiques et solidaires, pour que les professeurs et les parents, eux-aussi, soient éveillés à leur identité de citoyens et à ce qu’elle implique.

 

Bernard Hubien

 


[1] Pourquoi l’éducation à la citoyenneté, introduction sur le site de l’administration.
Cf. http://www.enseignement.be/index.php?page=27451&navi=4105

[2] Idem.

[3] Décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre. Cf. http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/21557_023.pdf.

[4] Décret du 30 avril 2009 sur les associations de parents d’élèves et les organisations représentatives des parents et des associations de parents. Cf. http://www.ufapec.be/politique-scolaire-1/textes-legaux-1/proposition-parlementaire-decret-ap-avril-2009.html.

[5] Pourquoi l’éducation à la citoyenneté, introduction sur le site de l’administration.
Cf. http://www.enseignement.be/index.php?page=27451&navi=4105

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