Analyse UFAPEC décembre 2022 par B. Loriers

24.22/ Les conséquences de la surprotection parentale sur l’enfant et sur le vivre ensemble à l’école

Introduction

Des parents considèrent que leur enfant n’est pas en toute sécurité lors de certaines activités ou situations scolaires, dans ou hors des murs de l’école. C’est ce que certains d’entre eux nous confient en nous interpellant. Nous sommes également interrogés par des associations de parents en questionnement sur ces comportements parentaux surprotecteurs. Les craintes et questions de ces parents sont-elles légitimes ? Un parent qui s’inquiète de risques que comportent un voyage scolaire, de harcèlement dont il pense que son enfant est l’objet chaque année, de l’état des toilettes dans l’école, est-ce une implication abusive ou une attitude normale de parent ? Jusqu’où le parent peut-il aller dans la « gestion » de l’école avant d’être considéré comme intrusif ? En quoi cette surprotection parentale peut-elle créer des difficultés au niveau de l’organisation de l’école et de certains cours et au niveau des relations avec l’école ? Quelles conséquences cette surprotection parentale a-t-elle sur l’enfant, sur les relations qu’il va avoir avec les autres, élèves, enseignants, éducateurs, surveillants, et finalement sur le vivre ensemble indispensable au fonctionnement de la communauté scolaire ?

Arrêtons-nous avant tout sur cette notion de surprotection. Le chercheur Stijn Van Petegem explique qu’il s’agit de l’attitude d’un parent qui n’est pas adaptée au développement mental de son enfant. Un exemple : ne pas laisser son enfant de 5 ans sortir seul en rue, c’est de la protection. A 17 ans, c’est de la surprotection[1]. Pour Bruno Humbeeck, docteur en sciences de l’éducation, le comportement d’un parent surprotecteur se traduirait par sa tendance à vouloir protéger son enfant des moindres dangers ou contrariétés qui pourraient lui arriver, à résoudre ses conflits relationnels à sa place ainsi qu’à réagir démesurément lorsqu’il rencontrerait des difficultés[2].

Cette surprotection est liée au concept de « parent hélicoptère », image pour décrire le parent qui semble toujours « voler » au-dessus de son enfant pour prévenir les possibles dangers et les difficultés. Le parent-hélicoptère tourne sans fin autour de l’enfant, pour contrôler ses mouvements et s’assurer qu’il est en sécurité[3].

Nous ne traitons pas directement dans cette analyse du parent-roi ni de l’enfant-roi[4], même si les deux concepts « enfant surprotégé » et « enfant-roi » peuvent parfois se rejoindre.

Les droits concernés par la notion de surprotection de l’enfant sont le droit à l’acquisition de l’autonomie, du libre-arbitre ainsi que le droit au bien-être. Il s’agit aussi du droit pour l’enfant d’évoluer et de s’épanouir dans un espace de socialisation qui ne soit pas contrôlé, saboté et parasité en permanence par les parents. Dans le respect de la convention relative aux droits de l’enfant, l’enfant a droit à la protection de son parent. Chaque adulte doit toujours faire ce qu’il y a de mieux pour les enfants[5]. Mais notre réflexion touche aussi au droit pour l’école et pour les acteurs scolaires de « faire école », d’organiser librement la vie de l’école, en tenant compte notamment des valeurs qui tournent autour du vivre-ensemble (respect, justice, partage, solidarité, etc.).

La surprotection et le vivre ensemble à l’école

Certains parents estiment qu’il est de leur responsabilité, dans l’intérêt de leur enfant, de s’assurer de la sécurité et du climat scolaire, que tel ou tel projet soit mené ou pas. Ils sont inquiets de situations qu’ils jugent problématiques, certains remettent en question le fonctionnement de l’école, d’autres sont prêts à s’investir. Par ailleurs, il arrive que des parents rejoignent uniquement l’association de parents pour des revendications qui touchent seulement à la sécurité et à la réussite de leur propre enfant.

Certains enseignants que nous avons rencontrés sont confrontés à une augmentation de ces attitudes de surprotection. Par exemple, certains parents ne souhaitent pas que leur petit participe à un voyage scolaire, car ils pensent qu’il n’est pas adapté à leur enfant, ou encore ils tentent de régler des conflits à la place de l’enfant. Il y a aussi des parents qui s’interrogent sur la sécurité dans la cour de récréation. D’autres parents se soucient de la propreté et de l’accès aux toilettes, des exigences d’enseignants qu’ils jugent démesurées…. Autre exemple : dans le cadre d’une autre analyse de l’UFAPEC ayant pour thème « Faire classe dehors dans l’enseignement fondamental », nous avons rencontré une institutrice qui a expliqué que pour certains parents, faire classe en plein air est dangereux et constituerait un obstacle aux apprentissages[6].

Mettons ces observations de parents et d’enseignants en lien avec le vivre ensemble, qui constitue pour le code de l’enseignement une des missions prioritaires pour les enseignants : préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d'une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures[7] ? La surprotection parentale pourrait-elle mettre à mal le vivre ensemble à l’école ? Lors de l’inscription de son enfant et de son adhésion au projet scolaire de son choix, le parent fait confiance à l’école, délègue son autorité et renonce à tout contrôler. Pourtant, l’école est face à ce paradoxe qui est de promouvoir ces valeurs de solidarité, de respect, de partage, etc., dans une société de plus en plus individualiste. Pour l’enfant surprotégé, le bien commun peut parfois passer après ses propres besoins. Dans ces conditions, cet enfant pourra-t-il un jour participer à la vie collective de l’école, devenir un CRACS, citoyen responsable, actif, critique et solidaire[8] ? L’enfant trop couvé peut avoir la représentation d’une société sans danger ni défi, qui ne correspond pas toujours à la vie de l’école et au monde extérieur.

La surprotection pourrait aussi compliquer le vivre ensemble et les relations dans le sens où, pour certains experts, elle favoriserait le harcèlement entre élèves[9]. En effet, les comportements surprotecteurs aboutissent pour l’enfant à des peurs, des difficultés à gérer ses émotions, un manque d’autonomie, d’estime de soi et des difficultés relationnelles qui ont des répercussions sur le climat scolaire et les relations entre pairs. Ces difficultés relationnelles peuvent aboutir dans certains cas à des situations d’intimidation.

Des situations de persécutions entre élèves peuvent aussi se retrouver via les écrans sous forme de cyberharcèlement[10]. Jean Epstein, psychosociologue, met en garde contre le fait que les enfants qui n’ont pas appris à gérer les conflits par eux-mêmes sont plus susceptibles de devenir des souffre-douleurs ou des victimes de cyberharcèlement. Lorsqu’ils sont visés par des attaques sur les réseaux sociaux, ils se retrouvent submergés et se sentent coupables[11].

Pour aplanir les appréhensions des parents au sujet de certaines situations relationnelles, infrastructures ou activités scolaires, une piste est de promouvoir le dialogue entre enseignants, direction et parents, pour entendre les différents points de vue et (r)établir la confiance, car la limite entre protection et surprotection peut dépendre de la position de chacun, parent ou membre de l’équipe éducative. Ce dialogue régulier famille-école, fil conducteur des actions et positions[12] de l’UFAPEC, devrait aider à assurer le bien-être et la réussite de tous les élèves.

Pourquoi y a -t-il de plus en plus de parents surprotecteurs ?

Certains experts observent que, par rapport aux décennies précédentes, les parents sont plus souvent surimpliqués et surprotecteurs dans l’éducation de leurs enfants[13] et les raisons de cette surprotection peuvent être fortement liées à notre société, qui imposerait aux parents des attentes normatives concernant l’éducation de leur enfant. Pour le chercheur Stijn Van Petegem, ces attentes feraient désormais partie des mœurs et les parents qui ne s’y conformeraient pas seraient, explicitement ou implicitement, montrés du doigt. L’engagement et l’implication que la société attend aujourd’hui des parents les poussent à investir énormément de temps, d’argent et d’énergie dans l’éducation de leurs enfants afin d’assurer au mieux leur futur, parfois au détriment de leurs propres besoins parentaux[14]. Notre modèle de société fondé sur la concurrence et la loi du plus fort, où tout tourne autour de l’individu et où le collectif passe au second plan, amène certains parents à un stress et parfois à un surinvestissement, notamment dans l’accompagnement scolaire de leur enfant. Si cet accompagnement peut faciliter la réussite de l’enfant, jusqu’où le soutenir?sans qu’on parle de surinvestissement et de contrôle parental ? Par exemple, le travail réalisé par le parent à la place de l’enfant de crainte que l’enfant soit en échec ou mal considéré par l’enseignant est-il une aide ou une ingérence dans sa scolarité ?

D’autres chercheurs expliquent la surprotection parentale par le fait que, dans nos sociétés occidentales actuelles, nos enfants sont quasiment convoqués à naître, c’est-à-dire qu’ils naissent la plupart du temps suite à une volonté, une décision consciente, ce qui n’a pas toujours été le cas. Cela pourrait expliquer pourquoi les parents se sentent tellement responsables de leur enfant et de tout ce qui pourrait lui arriver. Si nous les avons convoqués à naître, ce n’est pas pour qu’ils soient tristes, en colère ou effrayés, mais bien pour qu’ils se montrent heureux de vivre[15]. Cet argument peut être démonté par l’analyse des effets de la surprotection sur les enfants, qui sont entre autres (cités plus haut) des difficultés à gérer leurs émotions et leurs craintes.

Des événements extérieurs peuvent aussi imprégner les parents dans la manière dont ils exercent leur rôle de parent. Par exemple, l’affaire Dutroux[16] et le traumatisme qu’elle a suscité dans notre société est également à l’origine d’une certaine surprotection et cet évènement a amené un changement de mentalité pour de nombreux parents, qui redoublent de vigilance au niveau de la sécurité. Autre exemple, la pandémie que nous venons de connaître joue peut-être un rôle aussi dans cette surprotection, car en plus d’honorer leurs obligations professionnelles, de très nombreux parents ont été forcés de gérer l’éducation de leur enfant dans un climat anxiogène, face à un virus omniprésent. Bien que certains comportements perçus habituellement comme surprotecteurs aient pu être considérés comme adaptés dans ce contexte particulier (p.ex. interdiction de sortie, suivi intensifié de la scolarité), un risque existe que les parents aient maintenu ces comportements surprotecteurs au-delà du confinement[17].

Enfin, nous nous sommes demandé si cette inquiétude parentale se retrouve dans tous les milieux. Geneviève Bergonnier, professeur en sciences de l’éducation, explique que cette pression peut entraîner un surinvestissement de la sphère scolaire dans certains milieux sociaux, notamment les plus favorisés[18]. Cependant, nous observons que cette pression se retrouve aussi dans certaines familles en situation de précarité, des familles qui souhaitent ce qu’il y a de mieux pour leur enfant.

Pistes et conclusion

La vie des enfants est soumise à de nombreux dangers, qui peuvent venir de partout : un élève violent, un virus, une voiture conduite par un chauffeur qui a trop bu ou qui ne connait pas (ou plus) le code de la route, une « mauvaise » rencontre sur les réseaux sociaux, etc. Les parents surprotecteurs veulent faire du mieux qu’ils peuvent, ce qui est loin d’être une faille en soi. Mais voilà, est-il possible de tout contrôler et le risque zéro existe-t-il ? Une prise de conscience peut-elle aider le parent à éviter de projeter ses propres angoisses, à relativiser au quotidien, à mieux doser ses exigences pour permettre à son enfant de vivre lui aussi plus sereinement ?

Les conséquences de la surprotection touchent l’enfant lui-même (manque d’autonomie et d’estime de soi, difficulté à gérer ses émotions, craintes,…) mais aussi l’enfant dans ses relations avec les autres élèves et les membres de l’équipe éducative. Cette surprotection peut mettre à mal les valeurs du vivre ensemble et la participation de l’enfant surprotégé à la vie collective, aboutissant parfois à des situations de (cyber)harcèlement.

Les causes de cette surprotection peuvent être liées au fonctionnement de notre société, qui met une pression sur les épaules des parents. La loi du plus fort, la concurrence ambiante amènent les parents à vouloir assurer au mieux le futur de leur enfant, ce qui explique que certains parents surinvestissent l’accompagnement scolaire.

Une autre raison non négligeable peut expliquer cette surprotection : les enfants sont aujourd’hui convoqués à naître, leur naissance est issue d’une volonté consciente des parents, c’est pourquoi ils se sentent responsables de ce qui peut arriver à leurs enfants.

Protection ou surprotection ? Nous avons vu que la frontière peut être floue et le curseur peut bouger selon qu’on se place du côté de l’institution scolaire ou du côté parental. Certaines activités et infrastructures scolaires peuvent faire peur aux parents et ce qui peut être perçu comme attitude excessive par certains peut être discuté en concertation et en confiance entre l’enseignant, la direction et les parents, afin d’entendre les différents points de vue et aplanir les craintes des parents.

L’UFAPEC, organisation représentative des parents et des associations de parents, défend l’idée que le partenariat école-famille est un des piliers pour une scolarité réussie et épanouie du jeune, en permettant à l’école et aux familles de mieux se comprendre, notamment en discutant du projet de l’école.

 

Bénédicte Loriers

 


[1] VAN PETEGEM Stijn, Quand le parent veut trop bien faire, in Le Vif, numéro 38, septembre 2022, p. 7.

[2] VAN PETEGEM Stijn, La surprotection parentale : quand le parent veut trop bien faire : https://news.unil.ch/document/1592413907111.D1592431881478

[3] HUMBEECK Bruno, Hyperparentalité, apprendre à lâcher prise pour le bien des parents et des enfants, éditions Mardaga, octobre 2022, p. 12.

[4] L’enfant-roi peut être défini comme « égocentrique, revendique et se plaint constamment, refuse d’aider, a besoin de capter l’attention et de se faire remarquer, est intolérant aux frustrations, est agressif et manque de socialisation. Bernard Petre complète cette définition en précisant encore que l’enfant-roi est le nombril de la famille, sans limite et sans devoir, amoral, égoïste, seul, manipulateur, considéré trop tôt comme adulte, à qui on passe tout et dont on réalise tous les désirs » : in HOUSSONLOGE Dominique, L’enfant-roi, fait isolé ou produit de notre société ? analyse UFAPEC 2008, p. 3 : https://www.ufapec.be/files/files/ANALYSE%20ENFANT%20ROI.pdf

[5] Article 3 de la convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 : https://www.unicef.be/fr/la-raison-detre-de-lunicef/la-convention-relative-aux-droits-de-lenfant/les-54-articles-de-la-convention#:~:text=ART%2019.,pas%20habiter%20chez%20leurs%20parents.

[6] BAIE France, Faire classe dehors dans l’enseignement fondamental, une nouvelle approche ? analyse UFAPEC 2019 : https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2019/0219-Faire-classe-dehors.pdf

[7] Code de l’enseignement, titre IV chapitre 1, article 1.4.1-1 : https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/47165_000.pdf

[8] Pour en savoir plus sur le concept de CRACS, lire l’analyse UFAPEC 2019 : PIERARD Alice, Former des CRAC’S, un enjeu d’actualité ? : https://www.ufapec.be/nos-analyses/2219-cracs.html

[10] LORIERS Bénédicte, L’école doit-elle s’impliquer dans la lutte contre le cyberharcèlement entre élèves ?, analyse UFAPEC 2016: https://www.ufapec.be/nos-analyses/2616-ecole-et-cyberharcelement.html

[11] EPSEIN Jean, Quand le parent veut trop bien faire, in Le Vif, numéro 38, 22 septembre 2022, p. 12.

[13] Wray D.,Ingenfeld J., Milkie M., & Boeckmann I.: Beyond childcare: Changes in the amount and types of parent-child time over three decades. Canadian Review of Sociology / Revue Canadienne de sociologie, 2021.

[14] VAN PETEGEM Stijn, La surprotection parentale, quand le parent veut trop bien faire : https://news.unil.ch/document/1592413907111.D1592431881478

[15] HUMBEECK Bruno, Hyperparentalité, apprendre à lâcher prise pour le bien des parents et des enfants, éditions Mardaga, octobre 2022, p. 20.

[16] "L’affaire Dutroux est une affaire criminelle belge (1996), au retentissement mondial, ayant pour protagoniste Marc Dutroux, condamné pour viols et meurtres sur des fillettes et des adolescentes, ainsi que pour des activités relevant de la pédophilie », in https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Dutroux

[17] VAN PETEGEM Stijn: Idem.

[18] BERGONNIER-DUPUIS Geneviève, Perception du soutien familial à la scolarité et stress au collège, L’enfant acteur et/ou sujet au sein de la famille : https://www.cairn.info/l-enfant-acteur-et-ou-sujet-au-sein-de-la-famille--9782749205229-page-113.htm

Vous désirez recevoir nos lettres d'information ?

Inscrivez-vous !
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies pour vous proposer des publicités adaptées à vos centres d'intérêts, pour réaliser des statistiques de navigation, et pour faciliter le partage d'information sur les réseaux sociaux. Pour en savoir plus et paramétrer les cookies,
OK