Analyse UFAPEC 2010 par J. Thollembeck

31.10/ Statut de l’homme aujourd’hui, partie 1
Les bouleversements des rôles et de l’identité masculine : quels facteurs explicatifs ?

Introduction

Constat : aujourd’hui, l’identité masculine de manière générale et le rôle du père plus spécifiquement sont traversés par de grandes mutations et de nombreux paradoxes. Les questions de l’égalité entre les sexes, du phénomène relativement récent du « père au foyer » et de l’enjeu de la répartition des tâches éducatives et ménagères entre l’homme et la femme font beaucoup de bruit auprès des médias, au niveau politique mais aussi dans la sphère privée. D’où vient le flou qui plane autour du rôle du père ? Comment synthétiser son rôle et son statut au sein de la famille aujourd’hui ? Autant de questions que nous tentons d’éclaircir au fil de cette analyse.

Dans une précédente analyse « La famille, une instance de socialisation pour l’enfant[1]», nous nous sommes centrés sur le rôle socialisateur de la famille par rapport à l’enfant. Nous avons mis en évidence le fait qu’elle a perdu son monopole en matière de socialisation en laissant à l’école et aux lieux de loisirs un rôle de plus en plus important. Nous avons également vu qu’avec le temps, la famille évolue et prend une multiplicité de formes amenant à une diversité des manières de « transmettre », de socialiser un enfant.
Ces quelques pages proposent donc ici de se centrer, non pas sur la famille en tant qu’unité, mais sur le(s) rôle(s) spécifique(s) actuel(s) de la mère et du père, traversé(s) par de grandes mutations.
Au sein de la famille nucléaire des années 50, c’est-à-dire la structure familiale traditionnelle en Occident, les rôles masculins et féminins sont spécialisés et fonctionnels, selon Gérard Neyrand. Le père joue un rôle « instrumental », en étant garant du respect des règles, en faisant le lien avec la société et en assurant les revenus financiers. La mère, elle, assume le rôle « expressif » (gestion des affects, des activités domestiques, éducation des enfants) dans la famille. Le sociologue Gérard Neyrand souligne que les théories en sciences humaines ont largement participé à l’attribution d’une place déterminée à chacun des parents et au peu d'intérêt accordé aux relations entre le père et l’enfant[2]. Mais il n’en est plus ainsi aujourd’hui.

Mutations de l’identité masculine et du rôle du père : quelques facteurs contextuels

Les implications du féminisme :
Le féminisme est un facteur clé contribuant aux bouleversements de la répartition claire des rôles entre homme/femme ou encore entre père/mère d’actualité dans les années 50. En effet, Gérard Neyrand affirme que l'émancipation des femmes, promue par la généralisation de l'enseignement et leur affirmation comme acteurs et sujets de l'évolution sociale, contribue à cette modification de l'organisation de la famille et du statut du père. Dans les années 70, bon nombre de publications féministes remettent en cause les relations hommes-femmes et la maternité (instinct maternel, exclusivité de la femme dans les soins au bébé) en vigueur à l’époque.

Le nouvel investissement des femmes dans le travail, les revendications à l'autonomie et à l'égalité mais aussi la contraception entrainent « une relative redistribution des tâches éducatives dans la famille, parallèlement à la reconnaissance d'une nouvelle paternité affective ».[3] En effet, les travaux de Danielle Mouraux confirment ce constat en disant que ces évolutions « réduisent fortement le temps consacré à la maternité et à l’éducation[4] » et ajoute que « le développement du travail de la femme influence considérablement les relations conjugales ». En effet, les femmes sont peu à peu autonomes financièrement alors que les hommes deviennent dépendants des femmes pour leur survie ménagère. L’ordre des choses s’inverse, car pour la plupart des femmes, la vie professionnelle vient, dans le temps comme dans les valeurs, avant la vie familiale et la maternité.[5]
Les progrès de l'égalité entre les sexes induits entre autres par les mouvements féministes ont donc bel et bien progressivement entrainé un renversement dans les statuts et les rôles des hommes. [6]

Déclin du modèle autoritaire au profit de la négociation
Benoit Galand, dans une étude empirique constate qu’actuellement l’autorité est en crise et que sa définition est floue. L’auteur, soucieux de définir ce concept, postule que « l’on voit émerger aujourd’hui une nouvelle forme d’autorité, plus diffuse, plus partagée, reposant à la fois sur les connaissances et les capacités rationnelles et faisant l’objet de négociations permanentes. C’est ce que certains appellent la forme « rationnelle négociée ». Les auteurs qui s’essaient à définir l’autorité se réfèrent davantage à cette nouvelle conception de l’autorité. Le père a souvent été qualifié de patriarche et cela avait tout son sens. En effet, littéralement, le patriarcat signifie l'autorité du paterfamilias. Le sociologue Manuel Castells définit la société patriarcale comme un modèle d'« autorité institutionnalisée des hommes » au sein de la famille, qui pénètre toute l'organisation sociale[7].
Il va de soi que ce modèle du père autoritaire dictant les règles et garant du respect de la loi n’est plus d’actualité aujourd’hui. En effet, la femme réclame depuis quelques dizaines d’années une participation à la décision. Danielle Mouraux souligne qu’il y a une tendance de plus en plus forte à faire des choix de manière collégiale et ce par exemple, concernant le travail des parents, l’éducation, la garde des enfants, la relation conjugale, la gestion du temps libre car il n’y a plus un modèle unique. Autrement dit, « la négociation permanente des choix devient le mode de gestion interne des familles ». La sociologue souligne que cette pratique peut être source de conflit et de danger pour les parents, et davantage pour les pères renonçant à fixer les repères et les limites[8]. Étant donné qu’on est dans le registre de l’écoute, dans le dialogue, puisqu’on est dans un environnement très démocratique, l’enfant de 10 ou 11 ans va dire déjà : « Tu sais Papa, toi, tu crois que c’est important d’aller à l’école, mais moi, j’ai un autre point de vue sur la question. Je suis différent de toi. Mais je comprends que pour toi ce soit important ».[9] Aujourd’hui, nous sommes donc très loin du modèle du « Pater familias » pourvoyeur de revenus.
 
Emergence des droits de l’enfant 
Le point précédent nous amène à parler de la place et de la conception de l’enfant au sein de la famille. Nous avons vu que les valeurs démocratiques donnent la parole aux enfants au sein de la famille, ceci pouvant mettre à mal l’autorité des parents et particulièrement celle du père. Selon Danielle Mouraux, « depuis trente ans, les droits de l’enfant ont pénétré la famille de manière forte, rapide et profonde ». Cette introduction des droits de l’enfant au sein de la famille change le regard posé sur la socialisation de l'enfant en faveur d'une éducation « non répressive » ou encore une éducation qualifiée d'« antiautoritaire » : on laisse l'enfant exprimer ses besoins ou désirs sans les réprimer inutilement.[10]
 
Multiplicité des formes de familles aujourd’hui
Dès l'après-guerre et durant les années 50, le modèle de la famille conjugale dite traditionnelle, nucléaire et asymétrique apparaît universel aux yeux des Occidentaux.[11]Danielle Mouraux, sociologue propose une typologie[12] assez complète des différentes formes de familles reflétant bien les mutations sociétales (émancipation de la femme, divorce, remariage…). Elle postule que même si le principe constitutif de la famille est identique et permanent, puisqu’il se base sur la filiation et la parenté, on assiste à un rapide changement des formes de cohabitation qui produit divers types de familles et de ménages[13] :
  • la famille biparentale ou famille nucléaire « est celle où la filiation est établie vis-à-vis des deux parents et où tous les membres cohabitent ensemble formant ainsi une unité résidentielle, sociale, culturelle et économique. »
  • la famille monoparentale « est celle où un seul lien de filiation est établi : la plupart du temps, la famille monoparentale se traduit par le lien de filiation exclusif entre la mère et l’enfant. La paternité n’est pas reconnue. »
  • la famille uniparentale « est celle qui découle du décès d’un des conjoints ».
  • le ménage monoparental « est la manière de vivre des familles dont les parents ont divorcé. Le double lien de filiation de l’enfant subsiste avec le père et la mère, mais les parents cessent de cohabiter et deux ménages apparaissent. La famille en tant que lien de filiation et de parenté continue à exister. »
Le terme « famille recomposées », selon Danielle Mouraux n’est pas correct, « car la famille, en tant que système de liens, est faite une fois pour toute et ne peut se refaire. Quel que soit le mode de vie des parents, la famille père-mère-enfant reste et persiste, elle est éternelle et immuable. D’autres familles, des nouvelles, peuvent bien sûr se former. »

Des rôles multiples[14]

Après avoir dressé le portrait des différents types de familles, il est intéressant de spécifier qu’au sein de familles dites nucléaires, la répartition des rôles entre homme et femme peut varier énormément. Dans une famille, le père travaillera à temps plein et la mère « au foyer » s’occupera exclusivement des tâches éducatives et domestiques. Alors que dans une autre, le père pourrait s’occuper davantage des enfants et la mère serait « le pourvoyeur » de revenus.
En effet, le féminisme, le déclin de l’autorité ont bouleversé la répartition des rôles autrefois bien distincts entre les hommes et les femmes pour aller vers davantage d’égalité entre les sexes ; l’égalité se manifestant au niveau des rôles que jouent les hommes et les femmes mais aussi les « pères » et les « mères » vis-à-vis de leur(s) enfant(s).
Les pères sont aujourd’hui amenés à jouer de multiples rôles car les attentes en termes de rôle se diversifient à leur égard. De nouvelles attentes émergent et d’autres subsistent. D’un côté, avec l’arrivée des femmes sur le marché du travail, on attend des hommes qu’ils jouent un rôle de plus en plus important dans l’éducation (un rôle d’écoute, de participation aux loisirs et plus forcément d’autorité). D’un autre côté, on attend des hommes qu’ils continuent à ramener un salaire relativement conséquent à la maison. Ils sont donc confrontés à de multiples pressions parfois contradictoires.
On peut donc dire que bien que de nouveaux rôles émergent, la répartition classique et ancienne des rôles reste partiellement ancrée dans les mentalités. Effacer la différence entre les genres masculin et féminin suppose que soient redéfinies les identités.[15]

Un bilan de l’identité masculine aujourd’hui

« Sois un homme... », « Un homme, ça ne pleure pas... ». Des expressions entendues par beaucoup de garçons dans leur enfance. Elle illustre bien que l’identité de manière générale se construit par le biais de l’éducation, de la culture.
Les attentes en termes de rôles nous amènent également à la question de l’identité. En effet, c’est non seulement via l’éducation et la culture que tout un chacun construit son identité mais aussi en grande partie par sa (ses) fonction(s), son emploi du temps. Or, pour ce qui nous concerne, nous avons épinglé que les fonctions, les rôles que jouent les hommes au sein de la famille sont en pleine mutation, brouillant ainsi l’identité des hommes mais aussi des pères.
Nous avons vu qu’« un des fondements de l’identité masculine est le statut autoritaire qu’il occupe au sein de la famille ». D’ailleurs, le courant critique marxiste voit la société patriarcale à travers un rapport de domination masculine et d'oppression des femmes[16]. Ajoutons que l’identité masculine s’est construite sur base d’une répartition claire des rôles entre l’homme et la femme (répartition à laquelle de nombreuses théories ont contribué) et à partir d’un rapport inégal entre eux.
C’est ce rapport inégal que les féministes des années 60 ont eu pour but de modifier pour plus d’égalité entre les sexes. En effet, l’arrivée de la femme sur le marché du travail (indépendance financière), la contraception mais aussi les évolutions sociétales plus larges (rapports horizontaux entre les individus via la négociation) ont mis à mal les tenants de l’identité masculine. Un article réaffirme ceci en disant que « la domination masculine en est sortie altérée de manière irréversible. Une crise d'identité traverse alors les individus mâles confrontés au renversement de leur statut »[17]. Aujourd’hui, le modèle du père autoritaire et pourvoyeur de revenus ne fait plus consensus et une multitude de rôles parfois contradictoires entre eux sont valorisés (s’occuper de l’éducation des enfants et ramener le « gros salaire »).

Conclusion

Le mouvement incessant vers plus d’égalité homme-femme amorcé depuis les années 1960 va de pair avec une redéfinition des rôles masculins et féminins (émergence de nouveaux rôles et ancrage des anciens) et provoque un bouleversement de l’identité masculine.
Qu'est-ce que devenir un homme aujourd'hui ? …Les réponses sont multiples et changeantes…
 
 
 
 
 
Julie Thollembeck
 
 
 
 
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[1] Thollembeck J., « La famille, une instance de socialisation pour l’enfant[1]»,analyse UFAPEC 2010 n°26.10
[2] Neyrand G.,  « Les mésaventures du père » in Les hommes en question, mensuel n°112, janvier 2001
[3] Idem,
[4] Mouraux D., « Ecole-familles : des trésors à découvrir », formation des équipes enseignantes de l’école fondamentale p.16
[5] Op Cit p.18
[6] Culte et déclin de la virilité in l’homme en question
[7] Castells M., « Le Pouvoir de l'identité », Fayard, 1997
[8] Mouraux D., « Ecole-familles : des trésors à découvrir », formation des équipes enseignantes de l’école fondamentale p.18
[9] Beague Ph. (dir.), « Quels repères pour grandir ? », Couleur livres, Bruxelles, 2004, p.39
[10] Neyrand G., « Les mésaventures du père » in Les hommes en question, mensuel n°112, janvier 2001.
[11] Idem
[12] Mouraux D., « Ecole-familles : des trésors à découvrir », formation des équipes enseignantes de l’école fondamentale p.17
[13] Idem.
[14] Ce point sera davantage exploité et développé dans une prochaine analyse et ce, à travers le phénomène des « pères au foyer ».
[15] « Pouvoir, identité, rôles masculins », in Les hommes en question, mensuel n°112, janvier 2001
[16] Neyrand G., « Les mésaventures du père » in Les hommes en question, mensuel n°112, janvier 2001.
[17] « Culte et déclin de la virilité » in les hommes en question.

 

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