Analyse UFAPEC 2010 par J. Thollembeck

32.10/ Statut de l’homme aujourd’hui, partie 2
Les pères au foyer, un rôle à part entière

Introduction

Aujourd’hui, articuler la vie familiale et la vie professionnelle constitue un véritable défi pour la plupart des familles dans nos sociétés occidentales. En effet, depuis que les femmes ont accès au marché du travail sous-tendant un souci d’égalité entre les sexes, elles doivent assumer une multiplicité de rôles. Cependant, cette évolution a aussi des conséquences sur le(s) rôle(s) masculin(s). Le phénomène récent des « pères au foyer » en témoigne. Ces nouveaux pères, qualifiés parfois de marginaux, intriguent.
Dans une précédente analyse l’accent a été posé sur les divers évènements et mutations qui ont participé à l’émergence de nouveaux rôles à jouer en tant qu’homme voire en tant que père au sein de la cellule familiale. Nous avons vu que ces nouveaux rôles se superposent aux anciens entrainant contradictions et paradoxes qui ne sont pas sans conséquences sur la construction de l’identité masculine.
Ces quelques pages proposent d’approfondir, dans un premier temps, la question des rôles multiples que les pères sont amenés à jouer aujourd’hui pour dégager par la suite une typologie «de pères». Ensuite, nous opérerons un centrage particulier sur la thématique des pères au foyer : Qui sont-ils ? Qu’est-ce qui pousse un homme à devenir père au foyer ? Cela relève-t-il d’un choix, d’une contrainte ? Afin de répondre à ces questions, nous nous baserons principalement sur la recherche de Laura Merla.

Un portrait des rôles du père aujourd’hui : plusieurs modèles

Dans un premier temps, cette partie s’attache à décrire les rôles traditionnels, anciens qui restent tout de même ancrés pour déboucher ensuite sur un aperçu des rôles plus récents que peut jouer l’homme, le père aujourd’hui. 

Le déclin du rôle symbolique 

Il semble assez intéressant d’approfondir ce rôle car c’est un rôle peu palpable que l’on omet souvent de mentionner.
Par le biais de ses travaux, Jacques Lacan, psychanalyste, a contribué à la construction du rôle symbolique du père. En effet, sa théorie, selon Gérard Neyrand « va disqualifier la présence concrète du père auprès du bébé ». 
En effet, pour Lacan, la fonction maternelle se résume exclusivement aux soins et est ancrée dans le réel par opposition à la fonction paternelle qui est de séparer, de faire l’intermédiaire et ouvre sur le symbolique.[1] Mais en attribuant au père une fonction essentiellement symbolique et en le plaçant comme représentant de la loi, la théorie de Lacan « renforce la dualité des rôles parentaux »[2]. Ainsi ces rôles sont associés à des fonctions : la mère comme source affective, le père comme représentant de l'autorité. Au final peu importe que le père soit réel ou non, ce qui compte, c'est qu'à travers le « Nom-du-Père », la mère lui reconnaisse sa place[3]. Cette théorie contribue donc fortement à la construction d’un rapport indirect à l’enfant et est constitutive du rôle autoritaire du Pater Familias.
Bernard Petre montre bien l’évolution du rôle symbolique du père lors d’une recherche[4] donnant la parole aux parents. Il ressort des témoignages de parents que les moments symboliques forts lors desquels les parents (et spécifiquement le père) transmettaient les normes et les repères disparaissent. En effet, selon les parents, cette transmission se joue beaucoup plus au quotidien dans les relations interpersonnelles. Par moment symbolique, il faut comprendre les grandes étapes de l’année (fête de famille, bulletin...) et les phases de développement de l’enfant (entrée à l’école, permis de conduire...). « En effet, dans le passé, ces moments symboliques forts permettaient une transmission des normes, même dans un contexte relationnel faible entre parents et enfants. L’important était le symbole et non la qualité de l’expérience vécue. Dès lors, une série de repères et de normes pouvaient être transmis par le père. Même par un père très absent. »[5] Bernard Petre relève que ces moments sont de moins en moins importants car on privilégie aujourd’hui davantage la qualité des relations interpersonnelles se jouant au quotidien au sein de la famille.
Bernard Petre conclut de ces témoignages, que le rôle de la mère augmente et que celui du père diminue puisque le plus souvent, c’est elle qui gère le quotidien aujourd’hui. En effet, l’éducation est aujourd’hui beaucoup plus que par le passé, entre les mains de la mère. Avant, un père restait compétent en matière d’éducation même en investissant très peu de temps dans les relations avec ses enfants car il transmettait les repères et les normes grâce au rôle qu’il jouait aux grandes étapes symboliques du développement.[6] Au final, pour Bernard Petre, « Aujourd’hui, comme tout se joue au quotidien et que le père n’est pas plus présent au quotidien qu’il y a 20 ans, la mère doit gérer l’ensemble du quotidien, les aspects affectifs qu’elle gérait traditionnellement par le passé mais aussi la transmission des normes et des repères. » Nous pouvons nuancer ses propos en disant que la majorité des pères d’aujourd’hui ne sont pas plus présents au quotidien mais qu’une minorité se démarque. En effet, nous verrons que l’arrivée des « pères aux foyer » dans certaines familles montre tout de même une évolution concernant l’implication des pères au quotidien. 

Le déclin du rôle autoritaire 

Etant donné que le modèle autoritaire du père d’avant les années 1960 se fonde beaucoup sur la dimension symbolique, on comprend que le déclin du rôle symbolique s’accompagne d’un déclin du rôle autoritaire. La diminution du modèle autoritaire des années 50 s’explique par d’autres facteurs[7] : implications du mouvement féministe, évolution de la conception de l’autorité vers des rapports davantage horizontaux. Les propos de Gérard Neyrand appuient ce constat : « Longtemps cantonné dans un rôle d'autorité, le père, avec l'évolution des mœurs, a perdu une partie de son pouvoir. Le rôle paternel, désinvesti de sa position de contrôle et d'autorité, voit s'ouvrir le champ du possible (…) »[8]. Autrement dit, de « nouveaux » rôles s’ouvrent à lui.

Le rôle de « pourvoyeur de revenus » 

Il s’agit d’un des rôles qui subsiste aujourd’hui. Il connait cependant une certaine évolution principalement du côté féminin. Il est toujours attendu, dans les représentations sociales, qu’un homme gagne un revenu mais il n’a plus l’exclusivité de ce rôle. En effet, avec l’arrivée des femmes sur le marché du travail, homme et femme sont aujourd’hui deux à travailler. Notons cependant que pour des questions d’articulation entre la vie familiale et la vie professionnelle, les femmes sont plus nombreuses à travailler à temps partiel.

Le rôle d’éducation et de soin aux enfants 

Il s’agit en fait de « l'investissement d'une nouvelle position de soin et de prise en charge paternelle précoce qu'incarnent ceux que l'on a appelés les nouveaux pères »[9]. Ce sont des hommes qui s’impliquent dans les tâches parentales (éducatives) et les tâches domestiques (lessive, nettoyage, cuisine). Les « pères au foyer » correspondent à ces nouveaux pères. Des psychologues américains et des travaux français sur la compétence paternelle à l'égard du bébé, que l'on pourrait appeler le « paternage », confirment cette évolution. En effet, ces recherches montrent aussi bien « les capacités des pères à s'occuper de leurs jeunes enfants que l'avantage qu'y trouvent les bébés, sans qu'y soient aucunement mises en danger les identités de sexe. »[10]

« Une typologie des pères »

Cette typologie a été dégagée par Bernard Petre sur base de témoignages de parents récoltés dans le cadre de sa recherche.
Il distingue 4 « types » de pères selon leur comportement, leur investissement vis-à-vis de leurs enfants :
  • « Il y a les pères qui sont présents dans le quotidien » et qui selon B. Petre représentent une minorité. 
  • « Il y a les pères qui sont très contents d’être des « pères absents » et qui, quoi qu’ils disent et quels que soient les éléments, n’ont aucune volonté d’assumer un rôle quotidien et certainement pas celui de transmettre les repères. »
  • « Il y a les pères qui sont très contents d’être « réduits aux extras », aux moments exceptionnels, parce qu’au fond, cela les décharge de devoir être ceux qui punissent, ceux qui rappellent la loi. Cela leur permet de vivre de très chouettes moments avec leurs enfants ». Selon B. Petre ces types de pères sont majoritaires. 
  • « Il y a les pères pour qui la présence de la mère est vue comme un obstacle à son investissement dans la vie quotidienne. » Pour eux, les moments idéaux leur permettant de remplir leur désir en tant que père correspondent à ceux lors desquels la mère est absente. Ce type de père est tellement désinvesti au quotidien que ces moments lui permettent d’être un véritable acteur dans l’éducation de ses enfants (faire la cuisine, regarder les devoirs)[11].
Bernard Petre a également soulevé que certains pères sont restés dans l’ancien schéma de transmission des valeurs au travers de quelques moments et de quelques gestes symboliques. C’est le cas par exemple chez certaines familles immigrées. Ce type de père rentre dans le modèle du père qui est là pour dire non, qui est là pour punir, qui est là pour rappeler la norme.[12]

Centrage spécifique sur le phénomène des « pères au foyer »

Après avoir passé en revue, les « anciens » et les « nouveaux » rôles que les pères sont amenés à jouer aujourd’hui, ce point propose d’aborder le rôle des « pères au foyer » constituant une nouvelle pratique. A cette fin, nous nous basons principalement sur la recherche récente de la sociologue Laura Merla. L’objet de la recherche empirique se centre sur les causes qui expliquent le basculement dans ce rôle de père « au foyer » mais aussi les conséquences personnelles et interpersonnelles de ce type d’investissement. Cet article rapporte les expériences vécues par vingt et un pères « au foyer » [13] vivant en Belgique.

Les débuts 

Depuis que les femmes sont arrivées sur le marché du travail (1970), la question de l’articulation entre travail salarié et travail domestique se pose. Les pays scandinaves sont les premier à avoir pris diverses initiatives afin d’encourager les pères à s’impliquer à la maison. « Il a fallu attendre plusieurs années pour que les Etats membres de l’Union européenne mettent un accent particulier sur le soin des enfants et la paternité dite « active » »[14]. Cependant, Laura Merla fait remarquer que les hommes qui s’impliquent davantage sont perçus comme des exceptions.
Un blog[15] français spécialement destiné aux pères « au foyer » montre bien la volonté, voire le besoin pour certains d’entre eux, de regrouper et de mettre en commun leur expériences encore peu répandues. Voici un extrait révélateur :
Ce site a été conçu par des pères au foyer c'est à dire des papas qui ont fait le choix de cesser leur activité professionnelle pour rester à la maison s'occuper de leurs enfants, de leur foyer. Peu nombreux en France, nous avons pensé qu'Internet pouvait faire en sorte de nous retrouver, de promouvoir ce choix et d'informer les pères en général... pour nous l'"Homo Sapiens Paternatus" est en train de remplacer le "Pater Familias";-)... et ce site est là pour en témoigner...[16]

Les facteurs explicatifs de l’investissement des pères « au foyer » 

Laura Merla nous dit que « les travaux existants soulignent la multiplicité de facteurs invoqués par les pères « au foyer » pour expliquer leur investissement à la maison. Ces facteurs se combinent de manière variable dans chaque situation, ne sont pas mentionnés dans tous le cas et peuvent être plus ou moins décisifs, comme G.Russell (1983) le fait remarquer. Deux ensembles de facteurs reviennent systématiquement dans la plupart de ces études : ceux liés aux valeurs éducatives et ceux liés à la sphère professionnelle. »[17] En d’autres mots, par « valeurs éducatives » il faut entendre « l’idée que les parents devraient prendre soin eux-mêmes des enfants, et au regard porté sur la division sexuelle du travail ». Les facteurs liés à la sphère professionnelle quant à eux, correspondentau fait « que la mère jouisse d’une situation et/ou de perspectives professionnelles satisfaisantes, à quoi peut s’ajouter son engagement à l’égard du travail.
 

Les raisons invoquées par les pères[18]

Il ressort de la recherche de Laura Merla que les facteurs invoqués par les pères « au foyer » vivant en Belgique pour expliquer leur investissement à la maison peuvent être regroupés en six ensembles principaux, à savoir les valeurs éducatives, le regard sur le genre, sur le temps et sur la qualité de la vie ; les facteurs liés à la sphère professionnelle ; l’articulation entre vie familiale et professionnelle ; le calcul coûts/bénéfices ; le rôle joué par la partenaire ; la socialisation familiale et l’attitude envers ses propres parents. »[19]
Voici le témoignage d’un père « au foyer » qui montre bien les différents facteurs qui peuvent pousser à faire ce choix :
Quand on a envie d'avoir des enfants élevés par un parent suffisamment disponible,
Quand on a une épouse qui a un travail qui lui plait,
Quand on a un boulot qui ne nous plait pas :
>>>>> L’idée d’être PAF nous titille
Quand on entend partout les femmes vouloir se libérer des couches, des casseroles, du ménage, de la lessive pour aller s’émanciper au boulot, pour s’ouvrir au monde du travail,
Quand on a envie de se libérer des chefs qui mettent la pression, d’un boulot où l’on doit jour après jour résoudre des problèmes insurmontables…
Et qu’on aime les enfants
>>>>>>> L’idée de les prendre au mot, toutes ces féministes, m’a bien plu !…
Voilà le début de l’histoire, une façon de le voir.[20]
 

Les impacts de ce type de paternité

Laura Merla souligne que bon nombre de travaux mettent en avant le fait que « les individus qui s’écartent des normes de genre dominantes s’exposent à une série de sanctions qui peuvent passer par un manque de reconnaissance, l’exclusion de certains réseaux, la remise en question de leur virilité et, plus largement, de leur identité masculine. »[21]
Le témoignage suivant d’un père « au foyer » illustre bien les remarques que peuvent susciter ce choix :
« Encore beaucoup de réflexions sur le sujet… quand j’ai annoncé mon congé parental une femme m’a dit : « ah, c’est toi qui va faire la femme ! ». Un de mes voisins qui voulait prendre un congé parental a abandonné son projet après s’être fait charrié par ses collègues de travail. Mais c’est aussi des collègues de ma femme qui la jalousent : « tu as de la chance, ton mari te prépare des bons petits plats, ton mari s’occupe des enfants… » Mais en même temps disent : « moi j’aurais refusé que mon mari prenne le congé parental ».
Je pense qu’il faut aussi se poser la question : quelle place certaines femmes veulent-elles bien laisser à leur mari au sein du foyer ?! ».[22]

Quels éléments expliquent ces réactions ?

Laura Merla rappelle que même si on observe aujourd’hui une diversification des modèles masculins, ceux-ci restent néanmoins soumis au niveau global à une conception unique de la masculinité qui repose encore largement sur « l’assignation des hommes au travail professionnel » (Connell, 1999). Ceci se manifeste entre autres par le maintien de la fonction de « pourvoyeur de revenus » jusque « dans les nouveaux modèles de paternité qui intègrent pourtant proximité et attention à l’égard des enfants (Singly, 2001). »[23]

Conclusion

Après avoir approfondi l’émergence des nouveaux rôles et la persistance des anciens, nous nous sommes penchés sur la thématique des pères « au foyer ». Nous avons mis en évidence qu’ils représentent une minorité et que bien que le nouveau rôle de soin et d’éducation des enfants soit valorisé, ces « nouveaux pères » sont souvent qualifiés de marginaux. On observe donc que les anciens modèles fondant la masculinité restent bien ancrés dans les mentalités.
  
 
 
Julie Thollembeck 
 
 
 
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[1]Neyrand G., « Les mésaventures du père » in Les hommes en question, mensuel n°112, janvier 2001
[2] Idem
[3] « Pouvoir, identité, rôles masculins », in Les hommes en question, mensuel n°112, janvier 2001
[4] La recherche s’intitule « parents démissionnaires ou démissionnés » et a été effectuée par la Société TNS DI MARSO et subventionnée par la COCOF.
[5] Petre B., Sous la direction de Beague Ph., « Quels repères pour grandir ? », Couleur livres, Bruxelles, 2004, p.37
[6] Beague Ph. (dir.) « Quels repères pour grandir ? », Couleur livres, Bruxelles, 2004, p.38
[7] Ces facteurs sont développés dans l’analyse Ufapec n° 30.10 « Les bouleversements des rôles et de l’identité masculine : quid des facteurs explicatifs ? »
[8] Neyrand G., « Les mésaventures du père » in Les hommes en question, mensuel n°112, janvier 2001
[9] Dossier, les hommes en question, mensuel n°112, janvier 2001
[10] Idem
[11] Beague Ph. (dir.), « Quels repères pour grandir ? », Couleur livres, Bruxelles, 2004, p.38
[12] Beague Ph (dir.), « Quels repères pour grandir ? », Couleur livres, Bruxelles, 2004, p.38
[13] La majorité des pères ayant participé à ces études appartiennent aux classes moyennes -supérieures, ont un niveau d’éducation élevé et prennent soin d’enfants en bas âge.
[14] Merla L., « Les pères au foyer, une expérience ’hors normes’ », in Recherches et prévision, Famille.travail, n°90, décembre 2007, p. 17
[15] http://pereaufoyer.over-blog.org/
[16] http://pereaufoyer.over-blog.org/article-19493905.html
[17] Merla L., « Les pères au foyer, une expérience ’hors normes’ », in Recherches et prévision, Famille.travail, n°90, décembre 2007, p. 17
[18] Pour davantage d’information sur ce point, consultez l’enquête de Laura Merla.
[19] Merla L., « Les pères au foyer, une expérience ’hors normes’ », in Recherches et prévision, Famille.travail, n°90, décembre 2007, p. 23
[21] Merla L., « Les pères au foyer, une expérience ’hors normes’ », in Recherches et prévision, Famille.travail, n°90, décembre 2007, p. 23
[23] Idem

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