Analyse UFAPEC décembre 2019 par J. Feron

32.19/ Faire de la coéducation parents-enseignant dans les écoles ? L’expérience du projet Tandem

Introduction

Le partenariat école-familles est au cœur des missions de l’UFAPEC, il est son ADN. Ce partenariat est nécessaire à la réussite et au bien-être de l’élève. Le politique l’a bien perçu mais, bien que le Pacte pour un enseignement d’excellence (PEE) donne une place accrue aux parents via le conseil de participation, la coéducation entre parents et enseignants est loin d’exister dans les écoles. Mais qu’est-ce que cette coéducation ? Qu’implique-t-elle pour ses acteurs ?

De 2016 à 2019, l’UFAPEC a participé au projet Tandem. Un projet qui a expérimenté la coéducation en éducation aux médias numériques avec des enseignants et des parents, au bénéfice d’enfants de 6 à 12 ans et qui apporte un éclairage riche et nuancé sur les possibilités de partenariat entre école et familles. La coéducation peut-elle être un outil de lutte contre l’échec scolaire ? Les écoles ont-elles les moyens de mettre en place un véritable partenariat avec les parents ?

D’autre part, la question de l’éducation aux médias est aussi importante et l’UFAPEC s’est saisie de cet enjeu depuis plusieurs années déjà. Aujourd’hui, il est impératif que les jeunes soient formés à des usages éclairés des médias. Les parents s’en inquiètent. Et les inégalités se creusent entre adultes informés et adultes qui s’estiment incompétents, qu’ils soient parent ou enseignant. Tandem peut aussi apporter une partie de réponse à ces constats.

Qu’est-ce que la coéducation ?

Plus encore qu’un partenariat éducatif durable et constructif entre les équipes éducatives et les parents d’enfants/élèves comme prôné dans l’avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence[1], la coéducation c’est prendre en considération le travail des parents dans le développement des apprentissages et de la vie scolaire de leurs enfants.

Cependant, la coéducation ne veut pas dire que les parents coenseignent ou cogèrent l’école, ni que les enseignants coéduquent la famille… Ce serait plutôt de circonscrire le rôle de chacun dans la fonction éducative que la famille et l’école exercent conjointement auprès de l’enfant.[2]

La coéducation, c’est donc trouver un langage commun et cohérent afin de nourrir les enfants de cette complémentarité. C’est aussi un enjeu fondamental qui permet d’instaurer un climat de confiance favorisant la réussite éducative. Car cela signifie prendre l’enfant dans sa globalité : même si les parents sont les premiers éducateurs, tout adulte ayant la responsabilité d’enfants a aussi une mission éducative[3].

  • Phénomène de mode ou réel enjeu de réussite scolaire ?

L'Enseignement en FWB est pointé comme l'un des plus inégalitaires. Mettre en œuvre de la coéducation parents-enseignant, c'est entrer dans une relation de respect mutuel et se reconnaitre partenaires de l’école. Cela peut permettre de réduire le fossé culturel qui existe entre l’école et certaines familles, de dépasser les jugements et les malentendus. Ce partenariat sera d’autant plus efficace qu’il aura pu se construire tôt dans la scolarité de l’enfant.

Ecole et enseignants devraient pouvoir travailler sur le sentiment de compétences parentales en particulier avec des familles issues de milieux précaires ou dont la culture est éloignée de celle de l’école. Pour les écoles, cela veut dire sortir de "la convocation" des parents, aller vers une invitation à un coéquipier, construire un langage commun pour arriver à se comprendre[4]. Cela veut dire aussi, avoir de la considération pour chaque parent quelle que soit sa situation et bannir toute posture normative envers les familles, afin de construire une réelle relation de confiance.

Pour les parents, c'est quitter un sentiment d'incompétence ou une posture de "consommateur" ou encore de "non concerné"[5] pour devenir partie prenante, voire promoteur du projet collectif qu'est l'école. C’est accepter de faire confiance aux enseignants et à l’école, accepter que le projet collectif prime sur leur projet personnel dans le cadre scolaire.

Cela veut dire que, lorsque l’enfant est en difficulté scolaire, parents comme enseignants abandonnent la recherche d’un « coupable » (l’enseignant, le système scolaire, l(a non)éducation des parents, etc.) pour se mettre ensemble, à la recherche de solutions. Comment aider l’enfant en classe ? Comment l’aider hors de l’école ?

Le premier bénéficiaire de cette reconnaissance mutuelle est l’enfant, qui peut dès lors passer plus sereinement de l’univers familial à celui de l’école, sans conflit de loyauté envers l’un ou l’autre des acteurs qui l’entoure.

  • L’éducation aux médias, un sujet parfait pour la coéducation

Les usages médiatiques des enfants et des ados aujourd'hui ont des répercussions aussi bien dans les familles qu'à l'école. En effet, la perméabilité entre ces deux institutions devient de plus en plus grande. Que ce soit un enseignant ami sur les réseaux sociaux avec ses élèves, un groupe de classe sur Facebook, What's app ou une plateforme scolaire pour l'échange de cours et de devoirs ou des conflits entre enfants dans la cour de récréation qui se retrouvent étalés sur internet, les situations qui méritent un accompagnement des adultes -enseignant ou parent- sont nombreuses.

Les problématiques rencontrées dans leurs pratiques par les élèves concernent des domaines très divers : relations sociales, construction identitaire, droits d'auteur, ou désinformation… et bien d'autres encore. La plupart du temps, ces difficultés sont liées à des compétences lacunaires et/ou des usages immatures.

L'enseignant, comme le parent, a le pouvoir et la mission éducative d'accompagner les jeunes dans leur compréhension des médias et le déploiement de leur esprit critique. Beaucoup font de l'éducation aux médias sans le savoir : par exemple, pour le parent, en dialoguant avec leur enfant sur une publication ou, pour l'enseignant, en pratiquant et questionnant en classe la recherche d'informations.

La transmission des savoirs et les opportunités de vie, de travail, de progression passent de plus en plus par le numérique et internet. Cependant, tous les parents ne sont pas égaux dans la capacité d'accompagner leurs enfants dans leurs usages numériques. Le risque que la fracture numérique[6] continue à se creuser est bien réel.

Pour aider à développer les compétences numériques des enfants dans une démarche éducative continue entre les familles et l'école, l'UFAPEC a donc participé à ce projet européen Tandem : pour Tisser des Actions autour du Numérique à travers un Duos d'acteurs de l'Education aux Médias.

Le projet Tandem[7]

Le projet Tandem a été cofinancé par l’Union européenne dans le cadre du programme Erasmus + et s’est déroulé entre septembre 2016 et août 2019. Il s’est déployé en parallèle en Italie, en France et en Belgique et associait, dans chaque pays, un centre de ressources en éducation aux médias et une organisation de parents ou d’associations de parents.[8] 

Le projet proposait à des enseignants de primaire d’expérimenter avec leur classe un parcours d’activités en éducation aux médias numériques avec les enfants. L’enseignant était invité à créer un tandem avec les parents de ses élèves en leur proposant aussi des activités à réaliser en famille, à la maison. A l’issue du parcours, un objet médiatique, tel un jeu, une vidéo, une exposition ou autre était réalisé et présenté aux parents. 

Les itinéraires pédagogiques ont été écrits par les centres de ressources en éducation aux médias. Tandis que les fédérations d’associations de parents ont accompagné les parents et les instituteurs dans leur tandem.

  • Enjeux

Aujourd'hui, l'enjeu de permettre à tous les jeunes d'utiliser les différents médias de façon éclairée est essentiel pour que ces jeunes deviennent les citoyens responsables, actifs, critiques et solidaires de demain. L'éducation aux médias doit être généralisée, tant à l'école qu'en dehors.

Le projet Tandem illustre qu'il est possible de faire de l'éducation aux médias en classe (même si l'enseignant n'est pas un assidu des médias numériques) et en famille et ce à l'initiative du professeur.

L'idée de mobiliser les deux pôles éducatifs principaux des enfants est à la base du projet Tandem : le principe étant de tendre vers un certain continuum pédagogique entre l'école et la famille, une cohérence éducative au bénéfice des enfants. En bref, d'expérimenter un travail de coéducation autour des usages numériques des enfants de 6 à 12 ans, à l'école et à la maison.

  • Déroulement

Le projet s’est déroulé en plusieurs phases, sur une durée totale de trois ans.

  1. L’analyse des besoins

Dans un premier temps, les partenaires porteurs du projet ont organisé des rencontres avec des parents puis des enseignants pour bien identifier leurs besoins en tant qu’éducateurs aux médias, dans leur sphère d’action propre. Ensuite, comme dans les autres pays, l’UFAPEC et Media animation ont réuni les instituteurs engagés dans l’aventure et les parents des élèves de leur classe afin de déterminer conjointement les thématiques qui pourraient être abordées lors des activités avec les enfants. Cette rencontre appelée « co-design » a permis aux parents et enseignants d’échanger et de débattre sur un sujet pédagogique qui les concernait directement.

  1. Ecriture des itinéraires pédagogiques

Nourris par les thématiques qui se sont dégagées lors du co-design, les centres de ressources ont proposé des sujets concrets à chaque enseignant et ont construit avec lui la trame du parcours qu’il souhaitait expérimenter avec sa classe. Puis, chaque centre de ressources a écrit, dans le détail, différents itinéraires pour les enseignants, articulant des séries d’activités se déroulant en classe et d’autres à proposer aux familles[9]. Chaque activité étant « prête à l’emploi » et documentée.

  1. Expérimentation en classe et en famille. Production d’un objet médiatique

Avant le début de l’expérimentation, les itinéraires ont été présentés à chaque enseignant, ainsi que les modes de communication proposés pour les parents. A savoir, un outil appelé « cahier de correspondance », soit sous format papier, soit sous format numérique, et des rencontres en début, en cours et/ou en fin projet.

En effet, les enseignants ont invité les parents à partager des traces, tout au long du déroulement du projet, entre les différents moments que les enfants vivaient à la maison. Certains enseignants ont, eux aussi, partagé avec les parents des témoignages de ce qui se passait à l’école.

La fin du parcours débouchait idéalement sur une réalisation que les écoles ont présenté aux parents lors d’une fête d’école ou lors d’un moment particulièrement dédié à cela.

  1. Diffusion de l’expérience. Mise à disposition des ressources

Une fois l’expérimentation achevée, les ressources – itinéraires pédagogiques, recommandations pédagogiques, conseils pour la mise en place d’un partenariat- ont été mises à disposition du public via le site mediatandem.eu. L’expérience de ce projet et ses résultats ont été partagés lors de différents évènements. L’objectif est que de nouveaux publics puissent se l’approprier.

  • Constats

Ce projet était très ambitieux, visant des avancées à la fois relatives aux compétences numériques des enfants comme à celles en éducation aux médias des enseignants et des parents, mais aussi liées au partage des responsabilités et à la coéducation école - famille.

L’évaluation de l’expérimentation, réalisée tant avec des parents qu’avec les enseignants et des directions, a pu montrer des réalités variées. Tous les objectifs n’ayant pas pu être rencontrés dans tous les tandems, il nous semble cependant possible d’avancer quelques constats, illustrés par des paroles d’enseignants ou de parents ayant participé au projet en Belgique.

  1. A propos du partenariat enseignant-parents

Dans beaucoup d’écoles, le partenariat est à construire entre enseignant et parents, décréter la coéducation n’étant évidemment pas suffisant. Cela reste un point difficile, un travail à bâtir pas à pas. Cela s’explique, entre autres, par le fait que la confiance reste parfois compliquée à établir, notamment sur les questions des responsabilités de chacun, mise en doute par l’autre.

« Ça devrait être plus les parents qui devraient le faire [l’éducation aux médias], mais ils ne le font pas, alors c’est le rôle de l’école. » (Enseignante, 14 juin 2018 Schaerbeek)

« Retour des parents à l’équipe éducative : certains étaient positifs, d’autres avaient peur qu’en faisant du numérique le reste de la matière soit mis de côté à cause du manque de temps ». (Enseignante, rencontre évaluation 7 juin 2018, Woluwé-St Pierre)

Le temps à consacrer à ce projet et à l’école en général n’est pas possible pour toutes les familles, leur réalité étant parfois compliquée ; elles ne maîtrisent pas bien la langue, elles ont d’autres priorités, elles ne sont pas connectées…

« [la faible participation des parents] C’est aussi lié au public de notre école. Les parents ont d’autres priorités primaires : se loger, travailler, manger, se soigner, etc., et ils font confiance à l’école. Et c’est le rôle de l’école d’apprendre. C’est une partie de la réponse. Après il y a aussi le niveau de compétences de chacun. C’est la même chose avec nos réunions de parents, on a du mal à faire bouger les gens. » (Directrice, entretien évaluation, 28 juin 2018 Forest)

« Comme nous n’avons pas Internet à la maison, nous ne savons pas faire les activités. » (Parent, évaluation papier, juin 2018 Ans)

« Ce n’est pas que c’est le format du cahier de correspondance qui pose problème, mais tout simplement la non-maîtrise du français ou écriture/lecture par les parents. » (Enseignante, 14 juin 2018 Schaerbeek)

« Mon fils étant en internat, je n’ai pas suivi le projet. Comment pouvoir faire passer l’info ? » (Parent, évaluation papier, juin 2018 Ans)

La question également de la communication reste au cœur du partenariat. Les malentendus sont nombreux, l’outil proposé durant l’expérimentation Tandem n’est pas forcément adapté aux usages des familles, les explications ne sont pas toujours comprises, pas assez concrètes ou pas assez régulières…

« Ma principale difficulté a été d’avoir une explication simple des manipulations. » (Parent, rencontre évaluation, 7 juin 2018 Woluwé-St-Pierre)

« Je ne suis pas sûre que les parents aient compris ce que c’était lors de la réunion Tandem qu’il y a eu il y a plus d’un an. Je crois qu’ils ont plutôt cru que ça allait être des séances de mise en garde sur tout ce qui était écrans et multimédia pour les enfants. Ils n’ont pas compris que ça allait être le multimédia au service des apprentissages. » (Enseignante, 15 juin 2018 Enghien)

« [La collaboration et relation avec l’enseignant] Nous l'espérons mais en attente pour le moment. Je ne suis au courant de rien. Je n'ai rien vu comme info. Dommage. » (Parent, rencontre en cours de projet, 30 janvier 2018 Forest)

« Il y a eu un manque de communication régulier, lequel n’a pas permis un investissement important. » (Parent, évaluation papier, juin 2018 Ans)

« Les parents n’ont pas été très réceptifs. C’est ce qui est dommage dans ce projet : aucune collaboration. Pourquoi ? Pas d’intérêt des parents, même dans le suivi scolaire. » (Enseignant, entretien évaluation, 28 juin 2018 Forest)

« Il faudrait plus d’explications et d’informations pour atteindre les objectifs. Personnellement, je n’ai pas compris le concept. » (Parent, évaluation papier, avril 2018 Woluwé-St Pierre)    

Cette communication inefficace, qui rate sa cible génère de la frustration chez les enseignants, car ils y consacrent du temps et de l’énergie. Du coup, les enseignants sont souvent déçus de l’implication des parents.

« … [la non-participation des parents] c’est assez démotivant pour nous. Et on a quand même continué le projet, car l’aspect média nous intéressait, on était à l’aise avec ça. » (Enseignant, entretien 28 juin 2018, Forest)

« Reçu 2-3 papiers de quelques écrans. L’activité ne s’est pas vécue. Ce n’est pas une classe participative. Mais pas qu’avec ce projet. » (Enseignante, juin 2018 entretien téléphonique, Sombreffe)

Malgré ces difficultés de communication, de compréhension, il y a aussi eu certaines prises de conscience de la complémentarité des rôles et de son intérêt en particulier lors de rencontres où parents et enseignants ont discuté de l’éducation aux médias. Un regard qui a évolué par rapport à l’école et à l’enseignant ou par rapport aux parents.

« Grâce au projet, nous voyons l’école autrement. » (Parent, rencontre en cours de projet, 22 février, Ath)

« [L’évolution des compétences :] grâce à la coordination des forces autour de balises (bonnes pratiques) aussi bien pour l’école que pour les parents. » (parent ou enseignant, rencontre en cours de projet, 26 avril 2018 Ans)

« Le projet Tandem permet des échanges agréables dans les rencontres avec parents et enseignants. Ça fait du bien. » (parent, rencontre en cours de projet, 22 février 2018 Ath)

« Ils sont venus présenter leur dessin au tableau, et chaque fois je leur demandais : qu’est-ce que tu as fait avec papa et maman ? Parfois des dessins avaient été faits avec en partie papa ou maman, mais souvent les parents corrigeaient ou aidaient à écrire la phrase de l’enfant. Moitié dessin et moitié Powerpoint et parfois avec leur IPhone filmé des petites scènes vidéo. » (Enseignant, entretien d’évaluation 15 juin 2018 Enghien)

Autre constat : un paradoxe pour la construction du partenariat nous est apparu à l’évaluation ; les activités à la maison n’étaient pas obligatoires pour ne pas stigmatiser les enfants dont les parents n’auraient pas participé (quelles que soient les raisons). Or le manque de participation, lié au caractère « facultatif », a desservi la relation avec l’enseignant.

« Un travail en classe qui serait relancé à la maison serait mieux. Système “classe inversée” avec un travail à la maison qui serait réalisé. Que cela soit plus les parents qui fassent le truc. “Un devoir”. » (Enseignant, entretien d’évaluation 28 juin 2018 Forest)

« Si on ne l’impose pas comme devoir en tant que tel, il ne se fait pas à la maison. Il ne faut pas attendre beaucoup de participation. En tous cas pour moi, comme ce n’était pas imposé, il n’y avait pas de participation. » (Enseignante, juin 2018 entretien téléphonique Sombreffe)

  1. A propos des compétences des participants

Le projet Tandem a permis de développer des compétences numériques chez de nombreux enfants, de faire évoluer leurs pratiques, d’éveiller le regard critique, de développer de la confiance en eux, et toutes sortes d’apprentissages de base.

« Son sens critique était déjà bien présent, mais il s'ouvre à d'autres types de films, documentaires. C’est très positif. » (Parent, Ath 22 février 2018 rencontre en cours de projet)

« Pouvoir aller sur Internet, faire des activités de recherche d’infos : les enfants ont progressé. » (Enseignant, entretien d’évaluation, 28 juin 2018 Forest)

« Les enfants en difficulté dans d’autres matières “re-participaient” autant que les autres à ces séances. » (Enseignante, entretien d’évaluation, 14 juin 2018 Schaerbeek)

« Génial, nous avons beaucoup discuté de la vidéo en famille. » (Parent, Ath 22 février 2018 rencontre en cours de projet)

« Le projet initie l’enfant à la recherche, à la compréhension de ce qu’est un film. Comment il est construit. » (Parent, rencontre en cours de projet 22 février 2018 Ath)

« On a fait tout, on a fait du savoir écrire, du savoir parler, du savoir lire. Mais surtout du savoir parler : quand on les enregistrait, on voyait qu’ils faisaient l’effort de bien s’exprimer, articuler, bien fort, près du micro. » (Enseignant, entretien d’évaluation, 15 juin 2018 Enghien)

Des parents ont aussi modifié leurs usages, voire leurs représentations du numérique. Certains ont pris conscience de leur rôle d’éducateur aux médias dans la famille. Même si, pour d’autres, cela n’allait pas assez loin.

« Grâce au projet, je m’intéresse plus, même si je connais pas grand-chose. » (Parent, évaluation papier, juin 2018 Ans)

« Rebondir sur l’actualité pour faire de l’éducation aux médias est un changement chez nous. » (Parent, rencontre évaluation finale, 7 juin 2018 Woluwé-St Pierre)

« Il y a un intérêt nouveau pour toute la famille. Les enfants sont en demande d'infos complémentaires dans la compréhension du vocabulaire. Mon enfant pose plus de questions de compréhension. L'usage change. » (Parent, entretien en cours de projet, 30 janvier 2018 Forest)

« Le projet semble fort sympathique, mais je n’ai pas l’impression qu’il apporte quelque chose de nouveau pour nos enfants : ils ont la chance d’évoluer dans un cadre privilégié avec des professeurs attentifs qui travaillent déjà de concert avec des parents informés et soucieux de leur éducation/usage des médias. » (Parent, évaluation écrite avril 2018 Woluwé-St Pierre)

« Par le projet, lorsque mon fils prend sa tablette, je lui demande de choisir des activités éducatives avant de passer à des jeux "de détente". Je trouve que le choix se fait plus facilement quant au contenu. » (Parent, évaluation écrite en cours de projet, avril 2018 Enghien)

Mettre en place la coéducation dans chaque école ?

Le projet Tandem prouve que faire de la coéducation avec les parents est possible. Il apporte beaucoup et équilibre la relation parents-enseignant au bénéfice de la communauté scolaire, des enfants et des familles. Mais ce partenariat est complexe à construire et les contextes scolaires très inégaux à ce sujet. Dans les écoles où une culture de confiance est déjà installée, développer un projet de coéducation se fait plus facilement, même si l’équipe éducative doit rester vigilante à inclure tous les parents. La coéducation peut aussi se déployer sur d’autres thématiques que celle de l’éducation aux médias : éducation à l’environnement, éducation à la citoyenneté et à la démocratie…

Dans les écoles où le partenariat n’existe pas encore, cela nécessite du temps consacré uniquement à développer des relations avec les parents. Les écoles en ont-elles les moyens ? Certaines écoles fondamentales font ce choix d'avoir un éducateur qui peut tisser des relations privilégiées avec les familles, construire la confiance pas à pas. Il faut aussi travailler sur la communication mise en place, les outils utilisés, la forme, la langue, la fréquence…

Par ailleurs cela nécessite encore que chaque direction, chaque enseignant soit sensibilisé, formé au dialogue avec les parents, à leur diversité sociale et culturelle, comme le demande l'UFAPEC dans son mémorandum 2019. Tout ce travail représente un coût que peu d'écoles peuvent se permettre…

L’expérimentation sur le terrain du projet Tandem a abouti à des recommandations pour soutenir le partenariat, visant à fournir aux parents et aux enseignants quelques balises de réflexion en vue de faciliter cette collaboration[10]. Ces propositions, dans les grandes lignes, sont :

- de définir et discuter des rôles de chacun ;

- de tenir compte des contextes des familles mais aussi de l’école ;

- de réfléchir ensemble et de soigner la communication, son mode, sa fréquence, etc. ;

- de faire éventuellement appel à un soutien extérieur. Des acteurs proches de l’école ou des familles peuvent accompagner et faciliter la participation, comme par exemple, des associations de soutien aux familles, des conseillers pédagogiques, les organisations de parents d’élèves, etc.

Conclusion

Concernant les questions d’éducation aux médias numériques et les compétences médiatiques des enfants, le projet a produit de nombreuses évolutions, selon les contextes, parfois légères, parfois importantes.

Pour ce qui est de la coéducation, dans les écoles où le lien avec les familles est encore à créer, il y a probablement d’autres choses à mettre en place avant de se lancer dans un projet comme Tandem. Instaurer un dialogue, voire même déjà un contact régulier et positif avec certaines familles, est une gageure pour les équipes pédagogiques et éducatives de certaines écoles. Comment montrer aux parents que la coéducation est un plus pour leur enfant ? Comment les impliquer sans que « le devoir à la maison » ne soit la règle, en sachant que si cela devenait le cas, nombre d’entre eux ne seraient pas en mesure de satisfaire « aux exigences » de l’école ? Des rencontres fréquentes et régulières entre parents et professionnels de l’école, dans des conditions particulières de respect, pour se comprendre et en ayant du soutien. Voilà ce que demande en 2017 le groupe de croisement des savoirs « Nos ambitions pour l’école[11] », auquel l’UFAPEC a participé, groupe réunissant des enseignants, d’autres professionnels qui travaillent dans ou autour de l’École, des parents et des jeunes qui vivent ou ont vécu la pauvreté, l’exclusion sociale et scolaire.

Lors de Tandem, les rencontres entre enseignants et parents ont chaque fois été riches et constructives. En particulier lors des ateliers de co-design, plusieurs acteurs nous ont témoigné un vrai plaisir de pouvoir ainsi partager, qui avec des parents, qui avec des enseignants ou direction, des questions plus pédagogiques, la construction d’un projet commun. Ces moments de co-design portaient exclusivement sur l’éducation aux médias et le rôle que chaque partie – école ou famille- pouvait jouer à ce propos.

L’évaluation du projet Tandem[12] nous a révélé que le partenariat en lui-même n’avait pas fait l’objet d’une réflexion conjointe ou croisée… On peut donc imaginer que l’implication des parents serait plus importante s’ils décidaient dès le lancement du projet, avec l’enseignant, du degré et des modalités de leur participation à un tel processus.

Aujourd’hui un nouveau projet fait suite à Tandem. Il se nomme MyAppEduc et travaille à nouveau le partenariat éducatif en éducation aux médias numériques avec des enseignants et des parents, en impliquant un acteur supplémentaire : les bibliothécaires ! Il nous semble que continuer à travailler concrètement la coéducation dans des projets de terrain, en accompagnant les différents acteurs permet de confronter nos ambitions à la réalité des écoles et des familles. Avec cet objectif ambitieux de faire en sorte que le partenariat devienne une culture d’école dans tous les établissements.

 

 

Julie Feron

 

 

[1] PEE avis n°3, 07 mars 2017, p. 40.

[2] B. HUMBEEK, W. LAHAYE, M.BERGER, Parents, enseignants… Eduquer ensemble, Outils pour enseigner, De Boeck 2018, p. 6.

[4] D. HOUSSONLOGE, Le partenariat école-famille. Ses bienfaits et ses limites, Analyse UFAPEC, 2008.

[5] Pour des parents éloignés de la culture scolaire et souvent peu diplômés, les parents n’ont pas à s’impliquer dans ce que l’école met en place en termes d’apprentissages quels qu’ils soient.

[6] Fracture numérique : concerne les inégalités d’équipement ou d’accès aux outils numériques (fracture dite du 1er degré), aussi bien que les inégalités à utiliser ces outils et à en retirer des bénéfices (fracture du 2sd degré).

[8] En Belgique, Média animation et l’UFAPEC ; en France, Fréquence Ecole et la FCPE69 ; en Italie Zaffiria et le Centre pour les familles. Voir les annexes de cette analyse pour en savoir plus.

[9] Voir un exemple d’itinéraire pédagogique dans les annexes, pp. 15-17.

[11] Pour une école où tous réussissent, production collective du groupe de croisement des savoirs « Nos ambitions pour l’école », 2017. https://changement-egalite.be/IMG/pdf/nosambitionspourecole-brochureweb.pdf

[12] P. FASTREZ, C. DELFORGE, M. BEGIN, Rapport d’évaluation externe du projet Tandem. Université catholique de Louvain. Septembre 2019.

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