34.11/ Améliorer le bien-être des jeunes enseignants : rôle de la direction et des collègues.
Introduction
Qu’on l’appelle tutorat, mentorat, compagnonnage ou coaching, l’accompagnement des enseignants débutants par des enseignants plus expérimentés fait de plus en plus parler de lui ; il est présenté couramment comme étant la solution au malaise des enseignants (jeunes et anciens). Plusieurs établissements scolaires mettent spontanément en place des initiatives diverses d’accueil et d’insertion des nouveaux, que ce soient des groupes de paroles comme à l’Athénée Gatti de Gamond, des espaces de rencontres pour jeunes fraîchement diplômés cinq jeudis par an dans la région de Liège, les encadrements par les conseillers pédagogiques, la création de binômes anciens-nouveaux… Les initiatives existent mais rien n’est encore formalisé ni reconnu officiellement. Néanmoins, la Déclaration de politique communautaire de 2009-2014 comporte une section portant sur le soutien aux enseignants en insertion professionnelle où l’on parle de la nécessité d’apporter une assistance aux débutants par divers moyens : tutorat, soutien par le service d’inspection, partage des outils pédagogiques, attribution équitable des horaires et des cours entre enseignants expérimentés et débutants, etc. Dans son avis 105 sur la formation initiale des instituteurs et des régents en 2009, le CEF (Conseil de l’Education et de la Formation) propose d’explorer la piste de l’induction et parle de tutorat à articuler avec la formation initiale. Dans son avis 111 de septembre dernier sur le recrutement et l’entrée en carrière des enseignants débutants, le CEF a fait un bilan très fouillé de ce qui existe actuellement en Belgique et à l’étranger en termes d’insertion professionnelle des jeunes enseignants dans le but de guider les décideurs politiques. Le constat du départ de deux enseignants sur cinq dans les cinq premières années[1] couplé à une volonté de maintenir les enseignants plus âgés dans l’exercice de leur métier expliquent en grande partie toute cette réflexion. Puisque sans conteste pénurie il y a, des solutions doivent être envisagées pour garantir un enseignement de qualité à nos enfants. Nous allons dans cette analyse explorer des dispositifs d’accompagnement où le jeune enseignant est épaulé individuellement soit par un enseignant plus expérimenté soit par la direction. Nous parlerons dans l’analyse suivante de ce qui peut être mis en place collectivement pour soutenir les jeunes enseignants. Nous analyserons tout d’abord ce que demandent réellement les jeunes enseignants pour être bien au boulot. Comment les aider, les accompagner tout en leur laissant une certaine autonomie ? Nous allons voir en quoi le directeur et l’ensemble de l’équipe pédagogique jouent un rôle crucial pour aborder ensuite le dispositif du tutorat, du mentorat.
Que demandent les jeunes enseignants pour être bien au boulot ?
Plusieurs études et recherches-actions ont été menées très récemment sur ce sujet en Belgique. Deux d’entre elles menées par Léopold Paquay analysent les ressentis des jeunes enseignants : sensations de bien-être, sentiment d’efficacité, implication dans le travail et intention de persister dans le métier. Les enseignants interrogés étaient soit dans leur première année d’enseignement soit avaient moins de trois années d’ancienneté et relevaient pour 60 % de l’enseignement fondamental et pour le reste du secondaire inférieur. Les enseignants ont été interrogés de manière subjective c’est-à-dire sur leurs impressions d’efficacité, de mal ou bien-être…Le 3 mars 2011, L.Paquay a présenté les résultats des études qu’il mène ou dirige à l’UCL surl’impact de l’environnement de travail sur l’insertion professionnelle de l’enseignant débutant[2]. Premièrement, il en ressort que les difficultés rencontrées en début de carrière engendrent une telle perte de confiance en leur capacité à être de bons enseignants que ceux-ci envisagent très vite de quitter la profession. Certains enseignants ne sont évidemment pas faits pour ce métier mais d’autres ont le potentiel nécessaire et s’ils sont soutenus et aidés à surmonter les obstacles, ils pourront devenir des enseignants compétents. Or tout nouveau travail implique adaptation et transformation, mais ne génère pas toujours aussi vite cette volonté de partir. Deuxièmement, le climat de travail a une importance capitale sur le bien-être des enseignants : une orientation du climat de travail vers les buts d’apprentissage était corrélée de manière significative et équivalente aux trois indicateurs de bien-être, alors qu’une orientation vers des buts de performance était associée à d’intenses sentiments de dépression et, dans une moindre mesure, à un plus faible sentiment d’efficacité[3]. Troisièmement, on observe que plus les interactions avec les collègues sont fréquentes, plus l’intention de rester dans la profession est élevée. Par contre, si le novice rencontre beaucoup de difficultés dans sa pratique, les interactions avec les collègues vont encore affaiblir son sentiment d’efficacité. Elles augmentent leur malaise : Peut-être n’osent-ils pas faire part de leurs difficultés, par peur d’être jugés, mis à l’écart ou remerciés. Or, ces novices en difficulté sont probablement ceux qui ont le plus besoin d’échanges formatifs avec leurs collègues plus expérimentés. Il importe donc, via le climat de l’école et via certaines pratiques (p.ex. confidentialité des discussions sur les difficultés), de permettre à ces novices de s’exprimer en vue de s’améliorer.[4] Et quatrièmement, on constate que les débutants interrogés n’associent pas les pratiques d’accompagnement individualisé (mentorat ou entretiens individuels avec les directions) avec un meilleur bien-être mais par contre, plus l’entretien de fonctionnement rencontrait les caractéristiques d’un entretien mobilisateur (le novice est au courant des aspects qui vont être discutés, l’entretien se déroule dans un climat de confiance et le novice a du temps pour s’exprimer, il ressort de l’entretien avec des objectifs fixés, etc.), plus les scores sur les indicateurs de bien-être sont élevés. Par ailleurs, plus le mentorat est de qualité, et plus précisément, plus le novice reçoit de feedback constructif et plus il est encouragé à réfléchir sur sa pratique, plus son sentiment d’efficacitéest élevé[5].Cependant, ceux qui ont bénéficié de ces pratiques d’accompagnement lient la qualité de ces interventions à une augmentation significative de leur bien-être.
Les résultats de la recherche-action menée entre 2009 et 2010[6] par les universités de Mons et de Liège indiquent aussi qu’à priori ce n’est donc pas un soutien du type tutorat, mentorat qui est demandé par les enseignants novices, mais plutôt un accompagnement pédagogique et méthodologique. Un questionnaire d’enquête a été envoyé à l’ensemble des enseignants du secondaire engagés depuis moins de 6 ans en Communauté française de Belgique et il a été complété par 374 d’entre eux. Cette étude vise à objectiver les difficultés d’insertion professionnelle du nouveau personnel enseignant du secondaire et à recueillir leurs avis sur la formation initiale et leurs attentes en matière de formation continuée et de dispositifs d’induction.
Face à leurs difficultés, les débutants incriminent en partie la formation initiale pédagogique puisque, globalement, les enseignants ne s’estiment pas suffisamment préparés par leur formation initiale. Ils soulignent des lacunes aux niveaux de la gestion méthodologique et didactique (46%), de la gestion des interactions avec les élèves (45%), et de la gestion des dimensions administratives liées au métier (49%).[7] Il est clair que la formation initiale ne peut les préparer totalement à toutes les situations ; cela relève de l’utopie que de penser le contraire[8]. Il est important de les préparer à cette désillusion et à ces écarts entre la représentation idéalisée du métier et les réalités du terrain. L’insertion professionnelle de l’enseignant se découpe d’ailleurs en trois temps distincts et successifs :
- l’anticipation caractérisée par une euphorie anticipatrice ressentie lors de l’obtention du premier contrat ;
- le choc de la réalité ou la première rencontre où coexistent à la fois l’aspect « survie » et l’aspect « découverte » ;
- la consolidation des acquis accessibles si l’enseignant débutant a survécu au choc de la réalité. L’enseignant possède davantage d’assurance par rapport à ses collègues et ressent un sentiment de satisfaction, de confiance et de bien-être.
C’est dans la préparation à la gestion des relations de partenariats éducatifs (73%) que les lacunes sont les plus citées. 41,43 % des enseignants interrogés ont une image du métier qui met en avant l’isolement à travers un manque de soutien face aux difficultés, une absence de partage des pratiques, celles-ci accentuées par des difficultés d’intégration dans l’équipe éducative. Or l’intégration d’un novice se fera d’autant plus rapidement qu’il a reçu les informations sur les règles defonctionnement et les bonnes pratiques du milieu en question : Afin de bien s’intégrer dans le milieu scolaire, les enseignants débutants doivent également s’adapter rapidement au fonctionnement de l’école, de même qu’aux règlements, aux valeurs et aux habitudes de l’équipe en place. Cette socialisation à la culture scolaire n’est pas toujours évidente, compte tenu du fait que les règles du milieu sont souvent implicites et que le nouvel enseignant doit, en quelque sorte, deviner ce qu’on attend de lui[9]. L’Ufapec avait souligné dans son étude sur le malaise des enseignants les écueils à une réelle et saine collaboration entre enseignants surtout dans le secondaire : Dans le secondaire, le corps enseignant est le plus disparate de l’ensemble du système éducatif. Au critère distinctif de l’âge s’en ajoutent trois autres probablement plus discriminants : le niveau d’études (régendat, licence universitaire ou études techniques), le niveau auquel on enseigne et le type de manière enseignée (cours général ou de pratique professionnelle). Ces différences favorisent la constitution de « clans » souvent en tension : entre les professeurs du général et ceux du technique et professionnel, mais aussi, au sein du professionnel entre professeurs de cours généraux et professeurs de pratique professionnelle. Les plus avantagés ne sont pas forcément ceux qu’on pense ; tout dépend du contexte : enseigner une matière générale dans le technique et professionnel, avec des classes surchargées d’élèves qui se connaissent à peine et proviennent de sections sans lien les unes avec les autres, est jugé fort inconfortable…[10] France Baie souligne également l’individualisme qui semble régner entre les enseignants : Appréhendant les problèmes dans un univers plutôt insécurisant, les enseignants se montrent trop souvent réticents à soutenir leurs collègues en cas de problème ou de conflit et avancent divisés face aux autres instances de pouvoir.
Lorsqu’on les questionne sur leurs attentes en matière de soutien à l’entrée en carrière, 88.20 %[11] sont favorables à la mise en place d’un système de tutorat assuré par des enseignants expérimentés volontaires. Et les autres mesures attendues sont par ordre décroissant : la tenue de rencontres entre enseignants débutants en vue d’échanges d’expériences et de pratiques (81.90 %), un accompagnement par des conseillers pédagogiques (79.70%) ou des formateurs issus des institutions de formation initiale pédagogique pendant la première année d’enseignement (79.40 %) ainsi que la création d’un service personnalisé et confidentiel de soutien par téléphone (77.60 %).
On voit donc que l’insertion des enseignants n’est pas si simple car leurs attentes sont multiples et couvrent des champs psycho-motivationnels, pédagogiques et didactiques ainsi que socioprofessionnels. Les dispositifs d’insertion qui pourraient être mis en place ne pourront pas combler intégralement le fossé qui sépare la formation de la réalité. Cependant ils pourront œuvrer à sortir les jeunes de l’isolement, à partager leurs difficultés et affiner jour après jour leurs pratiques professionnelles pour acquérir une assise et une maîtrise indispensables à un enseignement de qualité pour tous.
Quelles formes peuvent revêtir ces dispositifs d’insertion ?
L’aide à l’insertion des nouveaux enseignants prend diverses formes: mentorat dans premières années soit sous la forme d’un mentorat individualisé (association d’un enseignant expérimenté avec un collègue débutant afin d’établir une relation d’aide), d’un mentorat collectif (le principe est le même sauf que le mentor accompagne plusieurs novices), des groupes d’échanges ou groupes coopératifs (réunions régulières de collègues d’un même établissement pour échanger sur leurs difficultés professionnelles et essayer de trouver des solutions collectives), l’aide à distance (via Internet), le coaching par la direction (entretiens de fonctionnement).
Rôle primordial de la direction
A travers nos diverses lectures, nous avons pu constater que les enseignants qui perçoivent des comportements positifs de la direction et du soutien de leurs collègues sont logiquement plus satisfaits que les autres. Plus le jeune enseignant sera valorisé et soutenu par sa direction, plus il sera motivé et apte à passer au-dessus des difficultés. Benoît Galand et Marie-Pierre Gillet, chercheurs au Girsef, concluent ainsi leurs travaux sur le rôle du comportement de la direction dans l’engagement professionnel des enseignants :Plus le comportement de la direction est perçu comme soutenant, valorisant, encourageant la concertation et la collaboration, plus les enseignants se disent motivés par le plaisir d’enseigner et d’être en contact avec les élèves. Inversement, plus le comportement de la direction est perçu comme contrôlant, autoritaire et dévalorisant, plus les enseignants rapportent des difficultés à enseigner et de l’absence de motivation[12].
Les jeunes enseignants arrivent dans un milieu qui a une histoire, une culture qu’ils ont à s’approprier pour s’intégrer. Et cette culture ne peut pas s’apprendre en Haute Ecole ni à l’Université. Il appartient à l’école qui les accueille de les initier à cela. L’histoire, la culture d’une école englobe bien évidemment le projet éducatif et pédagogique traduit dans des actions concrètes. Et cela fait partie des missions de la direction que de veiller à la transmission. Au Québec, les directions ont dû réfléchir à des dispositifs d’insertion car ils se sont retrouvés face à une arrivée massive de jeunes recrues. Ainsi, le directeur d’une école québécoise[13]a consacré deux journées au mois d’août pour informer les nouveaux enseignants (18 nouveaux sur un total de 50) sur le projet éducatif et l’organisation administrative et pédagogique de l’école. Au sortir de ces deux journées, les nouveaux enseignants étaient familiarisés avec leur nouveau milieu de travail et en avaient reçu quelques clés de décodage ainsi que des conseils dont celui de ne pas garder pour eux les difficultés auxquelles ils peuvent se heurter : L’époque où l’on gardait les problèmes pour soi de peur d’être mal perçu par la direction est finie. Ici, nous apportons notre aide[14],déclare Réjean Ouillet, directeur.
Le processus d’intégration mis en place dans cette école repose sur l’adhésion de l’ensemble de la communauté éducative et même des élèves : L’intégration des nouveaux enseignants s’est faite simplement, naturellement avec la complicité de tous. Et toutes les étapes de ce projet ont fait l’objet de l’adhésion du personnel, parce que dans un milieu où l’on travaille avec des humains, on ne peut pas forcer la main des gens pour définir leur attitude et leur comportement. Il faut obtenir leur complicité, leur accord, leur adhésion. Les jeunes ont très bien compris qu’on avait une responsabilité d’intégration des nouveaux et ils ont franchement joué le jeu[15].
Les jeunes qui arrivent ont beaucoup de défis à relever et plus particulièrement en ce qui concerne la gestion de la classe et l’adaptation de l’enseignement aux élèves en difficulté. Leur manque de préparation en gestion de classe les rend très vulnérables, affirme une directrice. Les directeurs québécois considèrent qu’il leur appartient de fournir un soutien aux jeunes pour qu’ils passent les trois phases de l’enseignant débutant[16]. La première phase est l’idéalisation qui se caractérise par une vision romantique des élèves, la mise en œuvre d’activités variées, l’amour de leur matière et l’assurance que les élèves vont s’y engager. La deuxième est celle de la survie et d’une certaine désillusion. Perdus face aux élèves en difficulté, les jeunes enseignants finissent par les percevoir comme des adversaires et utilisent plus de moyens correctifs. Arrive enfin la phase de maîtrise où les enseignants se centrent plus sur les élèves. Ils adoptent alors une attitude plus réflexive par rapport à leurs pratiques.
Le style de gestion de la direction et le climat qu’elle insuffle dans son établissement scolaire sont essentiels pour assurer un bon démarrage à l’enseignant débutant : Notre attitude est déterminante dans le fait que les jeunes vont venir nous voir ou non. S’ils sentent de l’empathie, de l’écoute, que tu es là pour reconnaître leur professionnalisme, ce sera différent[17], affirme Diane Provençal, directrice d’une école secondaire québécoise.
Tutorat, mentorat
Le tutorat revient à charger un enseignant expérimenté d’aider un enseignant débutant, de l’accompagner sur le plan personnel/émotionnel, social (présentation de l’organisation et des normes de l’école) et professionnel.[18] Pour contrer la logique du « chacun pour soi » et de l’isolement, ce jumelage semble adéquat. Cependant, il faut analyser si ce dispositif est réalisable et comment éviter certains obstacles (comme le choix judicieux d’une bonne paire, le risque d’un manque de créativité et d’innovation de la part du jeune enseignant qui reproduit ce que fait ou dit l’ancien…). Ce dispositif mérite donc réflexions et balises.
Le tuteur n’a pas à évaluer ou décider du renouvellement de contrat du tutorécar cela biaiserait complètement la relation. Le tutoré risque de ne parler que de difficultés mineures ne présentant aucun risque de remise en cause de son poste.
Il est également important de veiller à la compatibilité de la paire afin de ne pas « encombrer » le jeune enseignant avec des conflits d’approche, de personnalité… Il doit avoir son mot à dire dans la désignation de son tuteur car si celui-ci n’est pas adéquat, le risque est grand de le voir abandonner encore plus rapidement la carrière d’enseignant. L’accompagnement du jeune enseignant ne doit pas être seulement l’affaire du tuteur mais doit concerner l’ensemble de la communauté éducative. Le soutien au jeune enseignant doit aussi passer par le fait de ne pas lui attribuer les classes les plus difficiles ou par une réduction de son horaire de cours. Claudine Lévêque, coach et formatrice en mentorat, insiste sur cet investissement de tous : Le mentorat doit être formalisé, cadré, ses règles doivent être connues de l’ensemble de l’école si l’on veut qu’il se pérennise. Sinon, l’on reste dans le domaine du bricolage, sujet à tous les fantasmes et bruits de couloirs. (…) Le métier de mentor doit se concevoir en alliance avec le conseiller pédagogique, mais doit être lié à une école en particulier. Il faut être dans la proximité pour pouvoir encourager, stimuler et accompagner les nouveaux venus.[19]
Le choix du tuteurdoit se faire plutôt sur base de critères humains (compétences interpersonnelles, capacités de communication, connaissance des besoins des jeunes enseignants en matière d’apprentissage, capacités à se remettre en question…) plutôt que sur base de critères d’ancienneté ou de hiérarchie. Etant donné que les attentes des enseignants débutants sont surtout centrées sur des questions pédagogiques et didactiques, les mentors doivent aussi être sélectionnés sur base de leurs compétences professionnelles.
Pour le moment, il n’y a pas de cadre institutionnel précis, c’est selon le bon vouloir des établissements, explique Marianne Laurencis, formatrice au mentorat.Il est donc parfois difficile pour les mentors de se positionner face aux jeunes enseignants. Il ne faut pas se laisser envahir, tout en étant disponible, ne pas imposer son opinion, tout en conseillant, ne pas copiner, tout en instaurant une relation de confiance. Il y a là une question de juste distance, d’équilibre à trouver : pas toujours évident. C’est pourquoi il est primordial de contractualiser la relation, de poser des jalons clairs pour la délimiter.[20]
Par ailleurs, on ne se déclare pas tuteur du jour au lendemain, on le devient en se formant. Une formation professionnelle au mentorat est également essentielle, afin de se doter des outils adéquats, comme l’analyse transactionnelle ou systémique, et ce pour conserver des bases saines dans la relation, conclut Marianne Laurencis.
Dans son mémoire consacré au tutorat, Isabelle Vivegnis utilise l’expression « compagnon à l’insertion » pour parler du tuteur. Il doit aider la personne accompagnée à cerner les problèmes qu’elle rencontre dans sa pratique, la mettre en relation avec des ressources et des connaissances adaptées aux difficultés éprouvées et l’aider à faire le point sur sa démarche et sa progression.[21]
Conclusion
Les dispositifs d’insertion que nous avons analysés vont dans le sens d’une relation de qualité entre enseignants, entre direction et enseignants et il y a fort à parier que cet esprit d’entraide et de collaboration aura des effets positifs sur l’ambiance générale dans les classes. La qualité des relations élèves et enseignants en sera à coup sûr améliorée. Chaque nouveau venu dans le monde de l’enseignement devrait pouvoir bénéficier d’une politique d’insertion, mais pas n’importe comment. De plus, une formule qui donne de bons résultats dans une école ne conviendra pas nécessairement à une autre. Il importe de laisser chaque établissement scolaire libre de choisir ce qui lui convient le mieux tout en sachant qu’il y a des éléments inévitables : développer une réelle culture de la collaboration au sein de toute l’équipe éducative (et pas seulement entre tuteur et tutoré), cesser de donner les classes les plus difficiles et les moins bonnes heures aux nouveaux, comptabiliser les heures d’accompagnement dans les charges horaires du tuteur et du tutoré, insister sur le caractère volontaire des deux parties et leur donner un statut réel, organiser des formations à l’intention des tuteurs, donner les moyens aux directeurs d’assurer un accompagnement de qualité des nouveaux venus. Nous ne pouvons que terminer en partageant des témoignages de directeurs d’écoles québécoises qui se sont exprimés sur l’insertion professionnelle des jeunes enseignants et enseignantes[22] :
Les jeunes ne sont pas seulement des personnes sans expérience, ils sont enthousiastes, ils apportent des idées nouvelles, ils ont le goût de s’engager et ils ne comptent pas leur temps. Leur arrivée s‘est avérée des plus stimulantes pour le milieu.
Ils ont un immense désir de connaître. Ils sont critiques aussi. Je me sens très sollicité par eux, et cela me fait plaisir, alors que les anciens me mettent un peu de côté. La façon dont on va leur répondre fera qu’ils vont se fermer ou rester ouverts à ce que la direction peut apporter comme personne-conseil.
Les directeurs déclarent d’ailleurs unanimement que leur dynamisme stimule ceux et celles qui sont dans le métier depuis un certain temps. Un directeur affirme même que suite à l’arrivée de nouvelles recrues, des enseignants admissibles à la retraite ne sont plus certains qu’ils veulent la prendre. Il y a un regain de vie dans l’école et ils retrouvent le plaisir d’enseigner.
Anne Floor
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[1]Pour en savoir plus sur les causes du départ des jeunes enseignants, voir « Jeune enseignant : pourquoi tu pars ? » analyse UFAPEC 27.11 par A. Floor.
[2]L. Paquay, présentation lors d’un colloque d’une synthèse de son article : L’environnement de travail : son impact sur l’insertion professionnelle de l’enseignant débutant, Mars 2011, Bruxelles.
[3]http://www.cef.cfwb.be/fileadmin/sites/cef/upload/cef_super_editor/cef_editor/Avis/CEF_Avis_111_DI.pdf, p.45.
[4]Ibidem.
[5]Ibidem.
[6]J. De Stercke, B.De Lièvre, G. Temperman, J.-B. Cambier,J.-M. Renson, J. Beckers, M. Leemans, C. Marechal, Difficultés d’insertion professionnelle dans l’enseignement secondaire ordinaire en Belgique francophone, Université de Mons et Université de Liège, p.142.
[7]Op.cit., p.142.
[8]Comme nous l’avons développé dans « jeune enseignant, pourquoi tu pars ? », analyse 27.11 par A. Floor.
[9]Gervais, C., Comprendre l’insertion professionnelle des jeunes enseignants, Vie pédagogique (111), p.12-17, 1999.
[10]Baie, F., Le malaise des enseignants dans le secondaire : un iceberg provoqué par des tensions humaines ?, Etude UFAPEC 2008.
[11]J. De Stercke, B.De Lièvre, G. Temperman, J.-B. Cambier,J.-M. Renson, J. Beckers, M. Leemans, C. Marechal, ibidem, p.142.
[12]Galand,B. et Gillet, M-P., Le rôle du comportement de la direction dans l’engagement professionnel des enseignants, Cahiers du Girsef n°26, 2004.
[13]Brossard, L., Une insertion qui respecte le passé et assure l’avenir in Vie Pédagogique 111, avril-mai 1999, p. 38.
[14]Ibidem, p.38.
[15]Brossard, L., Une insertion qui respecte le passé et assure l’avenir in Vie Pédagogique 111, avril-mai 1999, p. 38.
[16]Fuller, F.F. et O.H.Bown, Becoming a Teacher, K.Ryan (éd.), 1975.
[17]Brossard, L., op.cit., p.21-22.
[18]CEF, Recrutement et entrée dans la carrière des enseignants débutants – Dossier d’instruction 2011, septembre 2011, p. 60.
[19]http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/623125/enseigner-plus-jamais.html
[20]http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/623125/enseigner-plus-jamais.html
[21]I. Vivegnis, Accompagner des enseignants débutants: les compétences du compagnon à l'insertion, Université Catholique de Louvain, 2010.
[22]Brossard, L., Une insertion qui respecte le passé et assure l’avenir in Vie Pédagogique 111, avril-mai 1999, p. 21-22.