Analyse UFAPEC 2008 par J-L. van Kempen

35.08/ Les travaux à domicile à l’école primaire contribuent-ils à renforcer les inégalités sociales ?

Introduction

Les travaux à domicile présentent généralement trois caractéristiques : ils constituent le prolongement de l’école, ils sont réalisés le plus souvent à la maison et l’enfant peut éventuellement compter sur l’aide de ses parents.

Chacune de ces caractéristiques peut comporter plusieurs motifs d’inégalités :

  • le cadre familial peu propice au travail intellectuel,
  • l’absence d’un adulte qui aide l’enfant,
  • l’incapacité des adultes à aider l’enfant,
  • les tensions que les travaux à domicile peuvent entraîner,
  • la matière insuffisamment comprise à l’école.

Faudrait-il dès lors supprimer les travaux à domicile sous le prétexte d’un objectif d’égalité sociale ?

Nous répondrons successivement aux questions suivantes :

- Les travaux à domicile se font-ils généralement seul ou grâce à la collaboration d’un adulte ? Comment ces conditions peuvent-elles être remplies selon le milieu social ?
- Quelles sont les attitudes des parents qui favorisent un meilleur apprentissage des enfants ?
- Quels sont les types de travaux à domicile qui n’accentueraient pas les inégalités ?
- Les inégalités seraient-elles supprimées en même temps que les travaux à domicile ?

 

Les travaux à domicile peuvent-ils être réalisés seul ?

Le décret « missions » prévoit que les travaux à domicile doivent se faire seul : « Ils (les travaux à domicile) doivent toujours pouvoir être réalisés sans l’aide d’un adulte. Si la consultation de documents de référence est nécessaire, l’établissement assure que chaque élève pourra y avoir accès, notamment dans le cadre des bibliothèques publiques et des outils informatiques de l’établissement et mis gratuitement à leur disposition. »(1)

Lors de la consultation menée par l’UFAPEC en 2000 (2) au sujet des travaux à domicile en primaire, les parents ont déclaré que les travaux à domicile de leur enfant pouvaient être réalisés sans l’aide d’un adulte toujours (15 %) ou souvent (55 %).

La législation prévoit que les travaux à domicile puissent être réalisés par l’enfant sans accompagnement d’un adulte, mais dans quelle mesure les parents l’aident-ils quand même ?


Les travaux à domicile sont-ils effectivement réalisés seul ?

Les parents ont aussi déclaré que leur enfant recevait de l’aide s’il en avait besoin :

- toujours : 47 % (ce taux varie de 63 % en 1ère année à 35 % en 6ème année),
- souvent : 22 % (de 18 % en 1ère année à 21 % en 6ème année),
- occasionnellement : 29 % (de 18 % en 1ère année à 41 % en 6ème année),
- jamais : 2 % (de 1 % en 1ère année à 3 % en 6ème année).

Les mamans assurent bien plus souvent ce rôle (70 %) que les papas (18 %).

Il apparaît que les enseignants ne sont pas toujours conscients de l’aide apportée par la famille :

« Les enseignants insistent volontiers sur le ‘travail individuel et autonome des enfants’ et minimisent son impact sur l’organisation de la vie familiale(3) . Pourtant, les résultats d’enquêtes menées auprès des parents eux-mêmes sont clairs : les parents, plus précisément les mères, participent en très grand nombre et régulièrement à l’encadrement domestique du travail scolaire. »(4)

Afin que les travaux à domicile puissent être effectués par les élèves sans l’aide des parents, certains enseignants ont parfois tendance à proposer des travaux assez simples qui ne demandent pas trop de réflexion à l’enfant :

« Ces devoirs à la maison cachent un véritable paradoxe que Maulini décrit comme ‘le paradoxe d’apprentissage scolaire’(5) . Afin d’éviter aux parents d’avoir une charge et une pression trop importante lors du travail à la maison, les enseignants ont tendance à proposer des devoirs suffisamment simples pour que le travail soit l’œuvre de l’élève et non de sa famille. De ce fait, les tâches demandées aux élèves sont principalement des activités de mémorisation et de répétition, activités qui ne demandent à l’enfant ni réflexion, ni aide extérieure »(6).

Donc, en primaire, les travaux à domicile sont censés être réalisés seul par les enfants mais, ils sont le plus souvent accompagnés ou aidés par un membre de la famille et, le plus souvent, la maman.

Or, il apparaît que, dans les milieux socio-culturels plus défavorisés, la maman est moins disponible et elle est moins bien formée pour venir en aide à ses enfants.


La présence de la maman

Une enquête plus ancienne sur les investissements éducatifs des familles(7) précise que la décision prise par la maman de renoncement à un emploi pour encadrer les enfants après l’école est directement liée au statut professionnel des parents. Y renoncent 42 % des cadres supérieures, 37 % de cadres moyennes, 21 % d’indépendantes et 20 % d’employées, mais seulement 14 % d’ouvrières. « Lorsque l’enfant grandit, lui assurer après les cours une prise en charge à domicile, et lui offrir le luxe de superviser ses leçons, de les lui faire réciter, de réviser avec lui la matière, de lui faire faire ses devoirs, de les corriger, et si nécessaire de l’aider à les mener à bien (la question des devoirs à domicile n’est donc que la partie la plus visible d’un ensemble de ‘dispositions éducatives’ où joue à plein l’inégalité sociale et culturelle entre familles ; l’aide pour les leçons mal comprises, la révision de la matière avant une interrogation ou avant les examens sont plus fondamentales que l’éventuelle aide aux devoirs). »(8)


Le niveau intellectuel des parents

« Le degré et surtout les modes d’investissement parental varient cependant fortement en fonction de l’appartenance sociale des familles : les mères de statut social élevé non seulement sont plus nombreuses à participer à cette activité mais assument davantage un rôle proprement pédagogique ; elles ne donnent pas seulement un coup de main ou font réciter les leçons, mais expliquent à nouveau certains cours et consultent davantage les manuels scolaires. Elles s’efforcent en outre à montrer à leurs enfants les implications pratiques des connaissances acquises à l’école et créent des jeux pour renforcer et développer les connaissances scolaires »(9).

Les inégalités en matière socioculturelle peuvent être accentuées, d’une part, à cause de la distance qui sépare la culture de certaines familles de celle de l’école et, d’autre part, l’inégalité des compétences développées au sein des familles :.

« P. Bourdieu et J-C Passeron se sont interrogés sur le rôle, dans la genèse des inégalités sociales, de l’’inégale distance’ qui existerait entre la culture (ou le langage) de certains enfants et ce qui est valorisé à l’école. A leurs yeux, les programmes et les exigences scolaires sont imprégnés de la culture des groupes dominants, à tel point que seuls ceux qui en héritent par leurs parents peuvent y réussir. Alors que l’école explique les inégalités de réussite par des inégalités de dons, de fait, ce sont les inégalités de proximité culturelle avec la culture scolaire qui sont en jeu. Elle transforme ainsi des différences culturelles en inégalités de réussite. »(10)

« De manière générale, il semble probable que, notamment aux premiers niveaux d’enseignement, les inégalités sociales de réussite s’expliquent davantage par les savoir-faire et les savoir-être inégaux, dont sont dotés les enfants par la socialisation familiale que par une ‘inégale distance’ entre une culture scolaire arbitraire, celle du groupe dominant et les cultures prévalant dans les différents milieux sociaux. (…) Si les socialisations familiales produisent des compétences inégales constituant de réels obstacles aux apprentissages, les perspectives d’action sont évidemment différentes que si tout s’explique par des programmes informés par un arbitraire culturel…arbitraire et contrôlé par un implacable ‘groupe dominant’ ».(11)

Donc, en famille, les enfants ne sont pas égaux face aux travaux à domicile à cause de l’encadrement dont ils peuvent bénéficier de la part de leurs parents. De plus, tous les enfants ne bénéficient pas des mêmes conditions de travail à la maison.

L’inégalité est également présente au niveau des conditions de travail.


Les conditions de travail différentes selon les milieux sociaux

L’environnement

« Il subsiste des différences entre milieux sociaux quant à la qualité de l’environnement quotidien et de son adaptation aux exigences scolaires, qu’il s’agisse de favoriser des rythmes de vie réguliers, de contrôler l’usage de la télévision, d’organiser de multiples activités éducatives et évidemment aussi d’aider au travail scolaire de l’enfant… Même si la volonté d’aider l’enfant semble assez généralisée, la capacité à aider son enfant varie selon le niveau d’instruction maternel, et les mères les moins instruites dépendent davantage des ressources de la parenté ou du voisinage. Les mères les plus instruites organisent quant à elles, la vie quotidienne de leur enfant autour de visées éducatives, en incluant des activités parascolaires, sportives et artistiques et en orchestrant le tout, travail scolaire inclus, de manière quasi professionnelle. Une chose est donc d’être mobilisé, une autre de pouvoir se mobiliser efficacement, avec les ressources intellectuelles et informationnelles disponibles. »(12)

Analysons l’attitude des parents face aux travaux à domicile, quel que soit le milieu socioprofessionnel.


Quelles sont les différentes attitudes des parents par rapport aux travaux à domicile ?

Lorsque l’enfant rentre à la maison, il sera plus ou moins aidé par ses parents selon le type d’engagement de ces derniers qui peut varier de la non implication à la mobilisation.

Jean-Paul Caille propose une typologie des différentes formes d’engagement parental par rapport aux travaux à domicile :

  1. Les absents : ils n’apportent pas d’aide aux devoirs et ne proposent pas de cours particuliers à leurs enfants.
  2. Les effacés : ils proposent une aide irrégulière aux enfants et sont absents des autres domaines liés à la scolarité.
  3. Les attentifs interviennent rarement directement auprès de leur enfant pour les devoirs mais montrent un intérêt certain pour le suivi de leur scolarité.
  4. Les appliqués : dont le soutien est relativement intense puisque la vérification des devoirs et les discussions sur la scolarité sont quotidiennes.
  5. Les mobilisés accordent du temps pour l’aide au travail scolaire, ainsi que pour les relations avec les enseignants ; ils cherchent également à créer un environnement familial favorable à la scolarité.(13)

Les deux premières catégories ne suivront pratiquement par les enfants lors des travaux à domicile tandis que les trois dernières s’y impliqueront de manière plus ou moins forte.

Les parents peuvent aussi développer quatre grandes conceptions par rapport aux travaux à domicile :

  • ils permettent d’apprendre la rigueur du travail individuel,
  • ils contribuent à développer les apprentissages acquis à l’école,
  • les travaux à domicile ne devraient pas trop empiéter sur les autres activités de l’enfant,
  • ils constituent une cause d’inégalité entre les enfants.

Ces quatre conceptions ont été développées par Eric Mangez(14) qui les a classées selon une catégorisation proposée par Luc Boltanski dans le cadre des ses analyses en matière du traitement de l’idéologie dans la sociologie.(15)

  1. Les catégories « domestiques », guidées par le respect de règles, du sens de l’effort, l’autodiscipline,… Exemple : les travaux à domicile permettent d’acquérir les exigences et la méthode du travail autonome.
  2. Les catégories « industrielles » renvoient à l’efficacité dans l’apprentissage. Exemples, il faut maintenir les devoirs à domicile pour augmenter le rendement scolaire.
  3. Les catégories « inspirées » (qui tiennent en compte l’imaginaire, le rêve, …) par lesquelles la problématique des devoirs est envisagée dans le cadre de la vie globale de l’enfant (l’affectif, le social, le culturel, la créativité, …). Exemple : les travaux à domicile ne doivent pas prendre trop de temps de manière à permettre à l’enfant de jouer, de rencontrer les autres,…
  4. Les catégories « civiques » par lesquelles les personnes peuvent s’abstraire des particularités de leur vie pour servir le bien commun. Exemple : dans la mesure où les enfants sont inégalement accompagnés et équipés dans le cadre de la famille, les travaux à domicile pourraient accentuer les inégalités.

On trouve le plus souvent dans les deux premières catégories les parents qui sont plutôt favorables aux travaux à domicile tandis que, dans les deux dernières, se retrouvent les parents qui y sont moins favorables, notamment pour des raisons d’inégalité de chances des enfants.

Faudrait-il adopter une attitude « civique » et supprimer les travaux à domicile pour favoriser une meilleure égalité entre les enfants ?

Faudrait-il aussi adopter une attitude « inspirée » pour donner l’occasion aux enfants plus de liberté pour mieux s’épanouir après l’école.

Afin de répondre à ces questions, il serait utile de s’interroger sur les types de travaux qui sont généralement demandés aux élèves et de dégager ceux qui sont susceptibles de renforcer l’inégalité sociale.


En quoi consistent les travaux à domicile ?

On peut distinguer 4 grands types de travaux à domicile(16) :

  1. Les devoirs de pratique dont l’objet est de renforcer les acquis d’une leçon antérieure : la rétroaction est ici essentielle pour corriger rapidement les erreurs des élèves et éviter que ces dernier ne les répètent.
  2. Les devoirs de préparation qui visent à donner aux élèves une connaissance du sujet prochainement étudié en classe. L’efficacité dépend de directives suffisamment claires et du respect du rythme de l’enfant
  3. Les devoirs de prolongement dont l’objet consiste à faire utiliser par les élèves des concepts dans d’autres situations ou d’étendre les connaissances des élèves à de nouveaux concepts. Il est difficile de déterminer les effets directs sur l’apprentissage. Ce travail peut être source de motivation notamment pour les élèves performants qui s’ennuient avec les devoirs de pratique.
  4. Les devoirs de créativité qui relèvent davantage de l’analyse, qui mettent à contribution des concepts dans un contexte nouveau. Cela suppose que les devoirs soient stimulants.

Sans pour autant nier leur intérêt pédagogique, les auteurs de cette classification craignent que les deux derniers types de devoirs ne creusent les inégalités sociales.

Quoiqu’il en soit, une condition nécessaire à tous les devoirs est le contrôle régulier des travaux pour permettre aux élèves de mieux comprendre le sens des apprentissages et ce qui est attendu d’eux

Lors de la consultation de l’UFAPEC de 2000, les parents avaient répondu de la manière suivante à la question « En général, en quoi consiste ce travail à domicile ? » :

  • entraînement d’un apprentissage réalisé en classe : 83 % (pratique),
  • mémorisation de ce qui été vu en classe : 75 % (pratique),
  • recherche de documents : 42 % (prolongement)
  • classement-achèvement du travail réalisé en classe : 40 % (pratique),
  • préparation d’un travail de classe : 31 % (préparation).

Ces trois derniers aspects prennent de plus en plus d’importance dans le courant des études primaires :

  • la recherche de documents : de 22 % en 1ère année à 54 % en 6ème année ;
  • le classement-achèvement : de 29 % en 1ère année à 44 % en 6ème année ;
  • la préparation : de 18 % en 1ère année à 41 % en 6ème année.

Donc, la plupart des travaux à domicile proposent plutôt des exercices « pratiques ». Les aspects « prolongement » et préparation prennent une plus grande importance à l’approche de la 6ème année.

L’aspect pratique constitue la forme de devoirs qui devrait convenir à tous les enfants pour autant qu’ils aient été attentifs en classe et qu’ils aient bien compris la matière. Il s’agit aussi du travail qui permet à l’enseignant d’évaluer le niveau de compréhension et de maîtrise de la matière et d’apporter les remédiations nécessaires.

Les travaux à domicile « pratiques » sont donc bien utiles pour tous les enfants, et plus particulièrement ceux qui connaissances des difficultés d’apprentissage.

Les parents avaient formulé les attentes suivantes à la question « quelle est, selon vous, l’utilité des travaux à domicile ? »:

  • fixer les notions apprises à l’école (72 %),
  • donner aux parents l’occasion de suivre le travail de l’enfant (63 %),
  • développer l’autonomie de l’enfant (55 %),
  • apprendre l’effort (43 %),
  •  favoriser la recherche personnelle de l’enfant (41 %),
  • remédier à certaines insuffisances de l’élève (41 %),
  • offrir aux parents une occasion de partager avec leurs enfants (25 %),
  • préparer des activités à l’école (13 %),
  • donner une occupation à l’enfant après l’école (6 %).

Donc, les parents attendent des travaux à domicile qu’ils aident à fixer les notions acquises à l’école, à favoriser l’autonomie et le sens de l’effort et permettre un suivi par les parents.

 

 

Les travaux à domicile peuvent-ils être source de conflits ?

Il en faut pas négliger les tensions que peuvent susciter les travaux à domicile dans la mesure où le parent doit jouer le rôle de l’enseignant à la maison. La famille est obligée de recommencer l’école après l’école.

« Les parents peuvent juger déplaisant le fait d’avoir à s’occuper des devoirs. C’est non seulement le cas en France mais aussi à l’étranger puisque, par exemple, un quart des québécois sont critiques par rapport au déroulement des devoirs au sein de la famille(17) . Une étude de 1994 (pour le Conseil supérieur de l’Education au Québec) indiquait que si 70 % des parents soutiennent leurs enfants, nombreux sont ceux pour qui cette situation est vécue comme un ‘véritable cauchemar’ : 34 % des parents disent que les devoirs sont source de stress et de lutte dans la vie familiale. Les enjeux qui entourent la réussite académique créent, chez de nombreuses familles, de l’anxiété pour l’avenir de leur enfant. Cette pression, liée à la réussite scolaire peut alors se traduire par des conflits entre parents et enfants lors des devoirs. »(18)

« Bien que les auteurs reconnaissent le bienfait de l’implication des parents dans la scolarité des enfants, leur implication dans les devoirs à la maison relève pour certains du ‘paradoxe de la clôture scolaire’(19) . Ce travail à domicile en vient en effet à brouiller la distinction entre chargés d’instruction et chargés d’éducation. Alors que l’école décharge les familles de la tâche d’instruction, elle la renvoie à travers des devoirs à la maison. »(20)

Lorsque l’UFAPEC avait interrogé les parents de l’enseignement primaire en 2000, 19 % d’entre eux étaient tout à fait d’accord et 40 % étaient d’accord en partie pour remplacer les travaux à domicile par des travaux individuels à l’école


Les travaux à domicile s’inscrivent-ils dans un processus de lutte des places ?

Pour Jacques Cornet, les devoirs à domicile sont à analyser dans le cadre de la lutte des places en vue d’obtenir la meilleure situation pour ses enfants :

« Les devoirs à domicile sont utilisés par les familles qui en ont les moyens pour valoriser la place de leurs enfants (en en faisant une expérience familiale formatrice), mais l’absence (….) de devoirs à domicile sera aussi utilisé par les mêmes familles dans le même but (en les remplaçant par d’autres expériences formatrices).(21)

« Dans une société inégale qui prône à la fois la liberté individuelle et l’égalité, il y a et il y aura inéluctablement concurrence pour occuper les ‘bonnes’ positions sociales et obtenir de ‘bonnes’ conditions d’existence. Le raisonnement est simplement logique : si on est toujours plus libre, si on veut toujours plus et si on a toujours plus le droit d’avoir autant que celui qui a plus, tout en ayant toujours plus de liberté d’essayer d’avoir plus que les autres, alors la lutte des places est toujours plus forte.
A l’école, les familles tentent d’obtenir le meilleur pour leurs enfants, un meilleur pour soi qui signifie nécessairement un mieux que les autres puisque la seule réussite intéressante est celle qui est accompagnée par les échecs des autres. Chaque famille développe des stratégies pour valoriser sa position, avec les ressources dont elle dispose et selon ses représentations du système éducatif et ses propres capacités à y jouer.»(22)

Donc, la présence des travaux à domicile aussi bien que leur absence peuvent poser des problèmes d’inégalités entre les enfants. Cette problématique dépasse très largement celle des travaux à domicile et devrait se situer plus globalement au niveau de l’occupation des temps de loisirs après l’école.


Comment réduire les différences sociales ?

Le Professeur Jean-Pierre Pourtois a étudié la notion d’échec/réussite scolaire dans des milieux pauvres (c’est-à-dire là où les parents des enfants ne survivent que grâce aux allocations de chômage ou au revenu d’intégration). Il a tenté de cerner les facteurs qui permettent de mieux comprendre les processus par lesquels se réalise l’insertion scolaire de ces enfants arrivés au terme de leur scolarité primaire.

L’idéal-type de l’enfant qui réussit en milieu pauvre présente les caractéristiques suivantes :

  1. en matière de dynamique personnelle : il met en avant son travail et l’effort fourni de telle sorte que sa réussite est placée sous son contrôle personnel ;
  2. pour ce qui est de la dynamique familiale, ses parents accordent plus d’importance aux études quand il s’agit d’envisager l’avenir ;
  3. en matière d’apprentissage cognitif, ses parents privilégient des attitudes qui suscitent le développement de la pensée et la recherche personnelle ;
  4. quant aux besoins sociaux, ils sont relativement mieux assurés dans la mesure où la famille tend à s’ouvrir davantage au monde extérieur ;
  5. concernant la dynamique environnementale, les enseignants croient à ses dons et à ses mérites et présentent à son égard une expectation d’un plus haut niveau.(23)

Bien au-delà des travaux à domicile, les chances de réussite d’un enfant de milieux défavorisés dépendent des stimulations apportées par les enseignants et ses parents pour favoriser le développement de sa pensée, le sens de la recherche et l’ouverture vers le monde extérieur. L’enfant disposera ainsi de moyens de mieux contrôler ses progrès.

Les travaux à domiciles pourraient contribuer à poursuivre ces objectifs, plus particulièrement en favorisant l’effort personnel de l’enfant et en offrant aux parents la possibilité de mieux suivre les apprentissages scolaires de leur enfant.

 

Conclusions

C’est justement parce que les travaux à domicile se déroulent, le plus souvent, à la maison et grâce à l’aide d’un parent, qu’ils entraînent des inégalités. Tous les enfants ne bénéficient pas des meilleures conditions de travail et tous les parents n’ont pas la disponibilité, la formation et la patience nécessaires pour encadrer leurs enfants après l’école.

Faut-il pour autant supprimer les travaux à domicile ? Nous ne le pensons pas. Sans eux, les inégalités entre enfants subsisteraient, notamment par le biais des loisirs ou des cours particuliers d’après 4 heures qui pourraient être plus facilement financés dans les familles plus aisées. Les travaux à domicile offrent également la possibilité d’une pratique et d’une fixation des notions apprises en classe.

Les travaux à domicile constituent un moyen, pour les parents, de mieux suivre les programmes scolaires (pour autant qu’ils s’y intéressent) et, pour l’enseignant, d’évaluer si la matière a bien été assimilée par l’élève (pour autant qu’il soit sûr que l’enfant n’a pas été aidé pour le faire).

La réussite d’un enfant (a fortiori dans le milieu social plus défavorisé) dépend de la dynamique personnelle qu’il pourra dégager. Et celle-ci résultera en grande partie du soutien et des encouragements que pourront lui apporter enseignants et parents. Pour ce faire, les travaux à domicile constituent un des moyens de favoriser la complémentarité entre la famille et l’école. Le rôle de la mère de famille étant si important dans l’aide apportée aux travaux à domicile, il serait également important qu’elle puisse compter sur un système de formation permanente à l’école.

Jean-Luc van Kempen
Analyse UFAPEC 2008
 

 

(1)Article 78, § 4 du décret « Missions » du 24-07-1997.
(2) UFAPEC, Les travaux à domicile à l’école primaire, l’avis des parents, plus de 6000 parents issus de 135 écoles avaient participé à cette consultation menée entre avril et juin 2000.
(3) TEDESCO E, MANESSE D, VARI S, Les attitudes et comportements des maîtres à l’égard du travail scolaire à la maison dans l’enseignement élémentaires, Paris, INRP, coll. Rapports de recherche, n° 2, 1985.
(4)DURU-BELLAT Marie, HENRIOT-VAN ZANTEN Agnès, Sociologie de l’école, Ed. Armand Collin, Paris, 1992, p 168.
(5) MAULINI O, 2000, « Entre l’école et la maison, un seul devoir : la circulation des savoirs», Bulletin du Groupement Cantonal genevois des Parents d’élèves des écoles Primaires et enfantines (GAPP), n° 80 – 2000, p 24-26.
(6)GLASMAN Dominique, Le travail des élèves pour l’école en dehors de l’école, rapport établi à la demande du Haut Conseil de l’Evaluation de l’Ecole, décembre 2004.
(7)VANDER GUCHT Daniel, Les investissements éducatifs (scolaires, culturels et sportifs) des familles, enquête réalisée en 1995 et 1996 auprès de 1000 familles belges de Bruxelles et de Wallonie, ULB, 2000.
(8)VANDER GUCHT Daniel, op.cit.
(9)DURU-BELLAT Marie, HENRIOT-VAN ZANTEN Agnès, Sociologie de l’école p 168
(10) DURU-BELLAT Marie, Inégalités sociales à l’école et politiques éducatives, Institut international de planification et d’éducation, Unesco, Paris, 2003, p 33
(11) DURU-BELLAT Marie, op.cit. p 37
(12) DURU-BELLAT Marie, Inégalités sociales à l’école et politiques éducatives, Institut international de planification et d’éducation, Unesco, Paris, 2003, p 39
(13) CAILLE J-P, « Formes d’implication parentale et difficulté scolaire au collège », Education et formation, n° 36 – 1993, p 35-45.
(14) MANGEZ Eric, Régulation et complexité des rapports familles-écoles. Eléments d’analyse, Cahier de Recherche du GIRSEF, Louvain-la-Neuve, n° 13, février 2002.
(15)VRYDAGHS David, Le traitement de l’idéologie dans la sociologie de Luc Boltanski, Contextes, 18 octobre 2006.
(16)HONG, THOPHAM, CARTER, WOZNIAK, TOMOFF, « A cross cultural examination of the kinds of homework children prefer », Journal of research and development in education, n° 34 – 2000, p 28-39.
(17) FORESTIER M, KHAN S., Devoirs d’enfants, devoirs de parents ? L’opinion des enfants sur l’implication des parents dans les devoirs à domicile, Mémoire de Licence, Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, 1999.
(18) GLASMAN Dominique, op.cit.
(19) MAULINI, op.cit.
(20)GLASMAN Dominique, op.cit.
(21)CORNET Jacques, op.cit.
(22)CORNET Jacques, « ‘Changements pour l’égalité’ et la qualité », La Revue Nouvelles, n° 8, 10-08-05.
(23)POURTOIS J-P, DESMET H, LAHAYE W, La protension en éducation familiale, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education, Université de Mons-Hainaut, Mons, 2003.
 

 

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