Analyse UFAPEC 2008 par J. Feron

37.08/ Accueil et intégration des élèves d’origine immigrée

Introduction

Depuis de nombreuses années, la Belgique a fait le choix d’une politique d’immigration restrictive comparée à d’autres pays de l’union européenne.
Les problèmes de l’accueil d’une forte population d’origine étrangère ne sont-ils pas avant tout liés à une intégration culturelle (connaissance de la langue et des codes sociaux) et économique (possibilités d’un emploi et d’une progression sociale) insuffisante ou même nulle ? Quels sont les moyens mis en œuvre pour améliorer cette adaptation et pour aider ces populations à éviter un repli sur soi dû, entre autre, à un accueil autochtone souvent très mitigé ?

L’Ecole doit continuer à tendre vers un idéal d’ascenseur social et d’ouverture, de culture et d’apprentissages pour tous. La question soulevée dans cette analyse, est de voir ce qui est mis en place dans le système scolaire pour aller dans ce sens et plus particulièrement pour les élèves migrants ou issus de l’immigration.

Le 14 octobre 2008, à l’occasion des 10 ans de la classe passerelle de l’ITN (institut technique de Namur), l’UFAPEC en collaboration avec la Croix Rouge organisait une rencontre-débat sur le thème de l’accueil des demandeurs d’asile à l’école. Les faiblesses des dispositifs actuels ainsi que d'autres questions ont été soulevées et les débats se sont changés en requêtes.

Si nous voulons améliorer les performances de nos élèves en Belgique, cela passera par la mise en place d’actions ciblées et énergiques concernant les populations scolaires socio-économiques faibles et/ou d’origine étrangères.

Faits

«Accroître la mixité socioculturelle et l’équité au sein du système d’éducation sont deux objectifs nécessaires et urgents en Belgique, tant les résultats de l’étude PISA démontrent une grande disparité entre les élèves autochtones (francophones, ainsi que flamands) et immigrés de la première et de la seconde génération. Par exemple, le résultat moyen des élèves belges en lecture (mais aussi en mathématiques) est plus avancé d’environ deux années scolaires, par rapport au résultat moyen des élèves immigrés non européens scolarisés dans le pays.(1) »

D’après les enquêtes PISA de 2000 et 2003, nous sommes la région d’Europe qui accueille le plus d’élèves migrants de 15 ans et les écarts observés entre élèves autochtones et ceux issus de l’immigration sont les plus élevés de tous les pays participant à l’enquête.

En 2007, la Belgique francophone accueillait 63961 élèves étrangers dont plus de 51% venant hors UE. Mais c’est sans compter les immigrés de la 2ème génération et de la 3ème (Belges de naissance) qui ne maîtrisent pas totalement le français oral et/ou écrit.

Problématique

En Communauté française notre politique scolaire est basée sur une politique éducative essayant de combler les inégalités socio-économiques des élèves. Dans ce but, elle a notamment développé des dispositifs essayant de répondre aux difficultés de scolarisation des jeunes dont ceux issus de l’immigration :

  • les écoles à discrimination positive (D+) qui reçoivent des moyens humains et financiers complémentaires pour faire face à ces difficultés. Décrété depuis juin 1998, l’octroi de ce statut est basé sur un indicateur de niveau socio-économique du quartier. Cependant certaines écoles refusent le statut « D+ » qui correspond malheureusement à une image dévalorisante, et qui leur fait une mauvaise publicité.
  • les classes du premier degré différencié, 1è et 2è D ou S, qui ont remplacé «les classes d’accueil B» depuis septembre 2008(2) et qui sont des classes « préparatoires » au 2è degré du secondaire pour des élèves n’ayant pas les acquis du CEB. Avec une volonté de proposer aux élèves un parcours différencié à l’aide de grilles horaires souples.

D’autre part,

  • les «classes passerelles», lancées dès 2001, visant spécifiquement les enfants «primo-arrivants», tels que définis par décret(3) c’est à dire : être âgé de 2 ans et demi à 18 ans, être arrivé sur le territoire national depuis moins d’un an et avoir introduit une demande de reconnaissance ou avoir été reconnu comme réfugié ou apatride ; ou être mineur accompagnant une personne ayant introduit une reconnaissance ou ayant été reconnu comme réfugié ou apatride ; ou être ressortissant d’un pays en voie de développement (selon une liste de l’OCDE).

    Ces classes peuvent être fréquentées par les élèves durant une période variant d’une semaine à six mois – renouvelable dans les limites d’un an maximum –, période au cours de laquelle ils bénéficieront d’un encadrement spécifique leur permettant notamment de s’adapter au système socioculturel et scolaire du pays et d’être orientés par le Conseil d’intégration(4) vers le niveau et la filière d’enseignement qui leur conviennent le mieux.

D’après P. Vandenheede(5), la deuxième génération de l'immigration des années 70 et 80 a appris le français par le biais de sa pratique et de son intérêt communicationnel (indispensable à l’époque) tout en gardant ses langues d'origine pour leurs valeurs culturelles et émotives. Tandis que depuis les années 90, le français n'est plus une langue de communication vitale pour les populations immigrées (les communautés sont suffisamment importantes pour trouver tous les services nécessaires en leur sein) mais seulement la langue de l'école et cela s’explique par :

  • l'agrandissement des familles d'origines immigrées et le regroupement familial ;
  • l'arrivée de nouvelles migrations ;
  • et la ghettoïsation d'un certain nombre de quartiers et d’écoles.


« Concrètement, nous nous trouvons aujourd'hui face à deux grandes nouvelles catégories de jeunes: les primo-arrivants tels que définis par le décret, et les pseudo-primo-arrivants. Ces derniers se divisent également en deux catégories distinctes, d'une part ceux qui sont arrivés il n'y a pas longtemps mais qui ne maîtrisent pas le français, d'autre part, ceux qui sont nés en Belgique ou assimilés et qui ne maîtrisent pas le français non plus.(6) »

« (…) les méthodes d’accueil et d’intégration des élèves migrants et issus de l’immigration, parlant ou non le français, sont laissées à la discrétion des équipes scolaires concernées. Hormis les classes passerelles, l’enseignement du français à des enfants immigrés n’est pas envisagé comme «une langue étrangère ou seconde». Les enfants migrants n’entrant pas dans la définition du « primo-arrivant » sont traités comme les enfants autochtones.(7) »

Débat

1. Accueil spécifique

Seules les classes passerelles sont spécifiquement prévues pour l’accueil d’enfants migrants et pour faire face aux difficultés rencontrées, de nouvelles adaptations sont urgentes :

  • rallonger la durée pour certains élèves qui n’ont jamais étés scolarisés par exemple (3 ans seraient plus adapté comme au Canada et aux Etats Unis).
  • revoir les conditions d’accès. Le statut des enfants, leur nationalité, la durée de leur séjour, autant de critères qui disqualifient un nombre important d’entre-eux qui ont pourtant besoin d’un enseignement approprié. Ce qui pousse trop souvent à une orientation de ces élèves vers l’enseignement spécial (surreprésentés dans le type 8 – troubles de l’apprentissage).
  • plusieurs niveaux successifs et de petits groupes sont indispensables pour palier à l’hétérogénéité des publics rencontrés et à l’arrivée de nombreux élèves en cours d’année.
  • déterminer les responsabilités et favoriser des partenariats d’action entre l’école, les centres d’accueil, les écoles de devoirs, les centres d’éducation permanente pour adultes, associations locales, les parents, etc.
  • stabiliser l’existence et l’encadrement des classes ; disposer d’enseignants formés et reconnus pour les compétences particulières à ce type d’enseignement.

     

« Toutefois, certains témoins mettent en garde contre une institutionnalisation rigide de l’accueil des primo arrivants. (…) Une prise en charge responsable des primo-arrivants se baserait ainsi sur le constat de leur présence et sur un soutien scolaire qui, sans les marginaliser, les intégreraient à leur école et leur permettraient de suivre un cursus normal.(8) »

2. Causes des moins bons résultats scolaires ?

« Pourquoi les élèves d’origine étrangère connaissent-ils un taux d’échec plus important ? À cette question, deux études basées sur les données issues de l’enquête internationale PISA apportent des réponses franchement opposées.

L’analyse de l’Aped(9) (Appel pour une école démocratique) aboutit à la conclusion selon laquelle du côté francophone, « les déterminants socio-économiques suffisent à rendre compte pleinement des résultats scolaires des enfants issus de l’immigration, sans qu’il soit nécessaire d’imaginer l’action supplémentaire de facteurs spécifiquement liés à l’origine nationale ». Une étude de l’ULB, commandée par la Fondation Roi Baudouin(10) , montre au contraire qu’il y a « d’autres facteurs qui sont à la base de l’écart entre élèves autochtones et élèves issus de l’immigration que les facteurs socio-économiques et la langue parlée à la maison» tant en Flandre qu’en Communauté française.»(11)

3. Leviers d’action à l’intégration scolaire :

Un rapport d'Eurydice de 2004(12) fait le point sur l'intégration scolaire des enfants migrants en Europe et reprend les dispositifs mis en place dans chaque pays. Il s’en dégage quatre enjeux pour intégrer ces populations au système scolaire :

  • l'information des parents. La plupart des pays ont mis en place différentes mesures d’assistance pour aider les familles de primo-arrivants à inscrire leurs enfants à l’école et suivre leur scolarité. Soit des informations en langue étrangère sur le système scolaire, soit le recours à un interprète. En Belgique, c’est ce dernier système qui est recommandé.
  • la maîtrise de la langue d’enseignement. Soit un enseignement bilingue ; soit l’intégration directe dans une classe du même âge, avec soutien en classe ou en dehors ; soit une période transitoire permettant d’acquérir les compétences nécessaires, notamment linguistiques (comme nos classes passerelles); soit un enseignement séparé sur une plus longue durée.
  • le soutien à la langue d’origine. Considérés comme un pont entre la culture d'origine et la culture d'accueil, de nombreux dispositifs visent à enseigner aux élèves immigrants leur langue maternelle. Dans certains pays dont le nôtre, des accords bilatéraux avec des pays à forte émigration permettent des cours de la langue d’origine pour les élèves immigrés.
  • le développement d'une approche interculturelle. Le dialogue interculturel doit faciliter l’intégration des élèves immigrants. Cette dimension est présente dans presque tous les programmes d’enseignement, note le rapport Eurydice. L'approche est plutôt transversale, à travers l’ensemble des matières ou certaines matières plus propices (histoire, géographie, langues étrangères, ...). D'autres moyens sont mis en oeuvre tels l’organisation de fêtes mettant en valeur la diversité culturelle, des échanges d’élèves entre pays ou des rencontres avec des représentants des communautés immigrées.(13)

Conclusions

Dans beaucoup de cas, l’accueil et l’intégration des jeunes migrants dépendent uniquement de la bonne volonté de leur école et de leurs enseignants. Et des moyens concrets… entre théorie et pratique il y a dissonance !
Pourtant, on l’a vu, des mesures existent mais elles sont insuffisantes, elles n’ont pas les moyens de leur politique (encore à évaluer en ce qui concerne le 1er degré différencié) ou devraient être améliorées.

« En effet, il semble utile de faire évoluer la classe-passerelle vers le concept de ‘classe d’accueil ou de FLES’, ainsi que l’on en voit des exemples en France et de le proposer à tous les élèves dont le français n’est pas la langue maternelle. Cela inclurait donc tous les élèves qui en sentent le besoin, immigrés originaires de pays en développement ou non (jeunes de la deuxième génération, étudiants néerlandophones, expatriés originaires de pays occidentaux, etc.).

Si la dimension budgétaire de ces mesures n’est pas négligeable, il est sage de prêter attention aux insistances de l’OCDE qui précise qu’il est ‘infiniment plus coûteux de ne rien faire’ tant l’expérience aujourd’hui généralisée de l’échec scolaire pour les enfants de migrants pose des problèmes de confiance en l’Etat, de participation citoyenne et d’insertion sociale.(14) »
 

 

Julie FERON
Analyse UFAPEC 2008
 

 

 

(1)MANCO A., VAES HAROU A., “Elèves immigrés non francophones dans le cycle secondaire en Communauté française de Belgique : enseignements d’une recherche-formation” in Diversités et Citoyenneté La Lettre de l’IRFAM n°13. I/2008.
(2)DESCAMPS M. « Le nouveau 1er degré au 1er septembre 2008 » Présentation lors de la table ronde des régions UFAPEC le 17 mai 2008. « Organisation du 1er degré (1ère et 2ème année) et décret sur le premier degré différencié ou comment amener le plus grand nombre d’élèves à obtenir le Certificat d’Etude de Base le plus tôt possible et ainsi rejoindre la filière commune ? »
(3) Décret du 14 juin 2001 visant à l’insertion des élèves primo-arrivants dans l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française. Modifié en 2006.
(4)Il est mis en place un Conseil de classe particulier intitulé le Conseil d’intégration. Au niveau de l’enseignement secondaire, le Conseil d’intégration est habilité à délivrer, à l’issue du passage de l’élève dans la classe-passerelle, une attestation d’orientation vers n’importe quel niveau ou filière d’enseignement, hormis la 6e ou la 7e année d’études.
(5)VANDENHEEDE P. « Il y a aussi des primo-arrivants dans les écoles de devoirs!» in A feuille T n°88, avril 04
(6)ibidem.
(7)MANCO A., VAES HAROU A., “Elèves immigrés non francophones dans le cycle secondaire en Communauté française de Belgique : enseignements d’une recherche-formation” in Diversités et Citoyenneté La Lettre de l’IRFAM n°13. I/2008.
(8)ibidem
(9)HIRTT N., « PISA 2003 et les mauvais résultats des élèves issus de l’immigration en Belgique. Handicap culturel, mauvaise intégration, ou ségrégation sociale ? ». juin 2006.
(10)JACOBS Dirk, REA Andrea, HANQUINET Laurie, « Performances des élèves issus de l’immigration en Belgique selon l’étude PISA: une comparaison entre la Communauté française et la Communauté flamande ».
Fondation Roi Baudouin. Mars 2007.
(11)« Echec des élèves issus de l’immigration, le débat est relancé » in Alter Educ n°141 - Actualités du 23/02 au 09/03/07.
(12)Eurydice, le réseau d’information sur l’éducation en Europe, « L’intégration scolaire des enfants immigrants en Europe » 2004.
(13)BODSON X., « Le point sur la prise en charge des élèves étrangers dans l'enseignement » in Alter Educ. 28 Septembre 2004.
(14)MANCO A., VAES HAROU A., op.cit.
 

 

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