Analyse UFAPEC 2008 par J-L. van Kempen

12.08/ Comment favoriser l'objectivité en matière d'évaluation ?

Introduction

Toute personne qui est amenée à évaluer les performances d’un autre tente généralement de le faire de manière objective. Toutefois, il apparaît que tout examinateur est influencé, bien malgré lui, par ses représentations et par l’environnement (l’école, la classe,…).

L’évaluation remplit aussi d’autres fonctions que celles précisées dans les textes officiels.

Le décret « missions » précise que l’évaluation formative consiste « à apprécier le progrès accompli par l’élève et à comprendre la nature des difficultés qu’il rencontre lors d’un apprentissage ». Les épreuves à caractère sommatif « visent à établir le bilan des acquis des élèves ».

L’évaluation remplit, en fait, d’autres fonctions à l’école et dans la société.


Les difficultés de l’évaluation objective

L’objectivité du correcteur-examinateur est difficile à atteindre puisqu’il apparaît que son mode de cotation peut varier sur un certain laps de temps. Le professeur Gilbert De Landsheere avait demandé à 14 historiens de réexaminer des copies plus d’un an après les avoir évaluées une première fois (toute trace de correction ayant été effacée). Dans 92 cas sur 210 (44 %), la décision de réussite ou d’échec a différé entre les deux corrections(1).

Des différences d’appréciations peuvent également apparaître entre correcteurs : chacun d’eux dispose de critères, parfois inconscients, qui lui sont propres(2).


Les diverses fonctions de l’évaluation scolaire

L’évaluation scolaire remplit d’autres fonctions que celle qui consiste à mesurer les compétences et les connaissances des élèves.

L’évaluation est aussi un moyen par lequel l’enseignant joue sa crédibilité face à ses élèves et ses collègues.

Face à ses élèves : « L’évaluation est d’abord un élément central dans la négociation au cours de laquelle l’enseignant fait face à ses élèves. (…) Le but de ce dernier étant de piloter la classe dans une progression du savoir, l’évaluation est un moyen de donner à la performance ou à la connaissance sollicitée un statut nouveau : désormais, la mobilisation de cette performance ou de cette connaissance peut être demandée(3).»

Face à ses collègues : « Pour un enseignant, l’évaluation est aussi un élément crucial dans sa relation avec ses collègues. Au moment de décider de la réussite ou de l’échec des élèves, l’enseignant est confronté à un dilemme similaire, quoique plus aigu : faire échouer un élève dont le niveau de performance est à la limite de ce qu’il croit devoir être exigé, c’est courir le risque d’interrompre inutilement la scolarité d’un élève, mais cette erreur possible, l’enseignant sait qu’il est fort peu probable qu’on la lui reproche. En revanche, laisser réussir ce même élève, c’est prendre le risque qu’il se montre incapable de suivre l’enseignement du collègue du niveau supérieur ; et là, la probabilité de reproches venant de collègues est bien plus élevée. On touche ici au cœur même de ce qu’il faut bien appeler une culture de l’échec. Un professeur chez qui tous les élèves réussissent est suspect : il aura tôt fait de se tailler une réputation de « prof facile » et, peut-être même, de ‘mauvais prof’(4) ».

L’école étant un rouage de la société, l’évaluation scolaire est également un moyen de lui rendre des comptes :
« L’évaluation informe la société que l’élève Untel mérite de se voir décerner tel diplôme, ce qui, selon les cas, implique plus ou moins directement qu’il aura un rôle social déterminé. Inversement, la société a délégué ce pouvoir de décision aux évaluateurs. (…) Les effets de l’évaluation peuvent avoir de plus larges visées : si le niveau scolaire ‘monte’ ou ‘descend’, ce n’est pas sans effet sur la société. Enfin (…) l’institution scolaire agit ou réagit sur l’enseignant par le biais des programmes et instructions officiels, de l’inspection, de la formation initiale et continue, etc.(5) »

Philippe Perrenoud a dénoncé la base idéologique de la pratique de l’évaluation normative et de ses dérives :
« Tout groupe social engendre des normes d’excellence. Un degré élevé de maîtrise d’une pratique est source d’efficacité, de prestige, de pouvoir, de profits matériels ou symboliques, de distinction. (…). L’école n’a pas inventé les hiérarchies d’excellence, elle n’en a pas le monopole. (…) Les liens entre les hiérarchies scolaires et d’autres hiérarchies d’excellence sont d’autant plus explicables que l’enseignement se veut une préparation à la vie : les classements scolaires ne sont en ce sens que la préfiguration de hiérarchies qui ont cours dans la société globale, en vertu de modèles d’excellence suffisamment valorisés pour trouver place dans le curriculum. (…) Quelles que soient les raisons pour lesquelles l’école établit des hiérarchies d’excellence, il importe de saisir qu’elle fabrique alors une réalité nouvelle, qu’elle produit sur les élèves une série de jugements qui donnent aux inégalités réelles une signification, une importance et des conséquences qu’elles n’auraient pas en l’absence d’évaluation. (…) Dans le champ couvert par les normes d’excellence, l’école prétend attribuer à chacun son vrai niveau d’excellence et fonder sur cette évaluation des décisions sans appel(6)."

L’effet-établissement

Notre système d’enseignement se caractérisant par de grandes différences de niveaux entre les écoles, certains élèves ont les dispositions de réussir dans une école et pas dans l’autre.

« Les stratégies développées par les établissements varient en fonction de la place qu’ils occupent sur le quasi-marché scolaire. D’un côté, les établissements occupant une position de force sur la quasi-marché scolaire y développent des stratégies actives (« spécialisation » dans un « créneau scolaire » ou une population donnée, procédures implicites de sélection, pratiques d’aiguillage des élèves « non désirables »…) ; à l’autre extrême, les établissements en position faible subissent davantage la concurrence et disposent d’une moindre marge de manœuvre dans la gestion de leur population scolaire (ils doivent s’adapter à leur situation)(7).»

L’effet de classe

Les résultats d’un élève peuvent également être directement influencés par l’environnement de sa classe. L’échec et le redoublement des élèves peuvent être tributaires de la classe qu’ils fréquentent. Certains effets de la classe ont été évalués depuis bien longtemps et notamment l’effet Posthumus et « la constance macabre ».

L’effet Posthumus

Un enseignant a tendance à classer les élèves, quel que soit le niveau général de la classe selon une courbe de Gausse de manière à ce qu’on trouve dans chaque classe la même proportion de faibles, de moyens et de forts. Un élève peut donc être considéré comme fort dans une classe et faible dans l’autre suivant les résultats obtenus par ses camarades.

La loi de Posthumus avait été définie dès 1947 de la manière suivante : « un enseignant tend à ajuster le niveau de son enseignement et ses appréciations des performances des élèves de façon à conserver d’année en année, approximativement la même distribution (gaussienne) de notes(8) ».

« En conséquence, un élève moyen (selon un test passé à un échantillon représentatif des élèves d’un âge déterminé) peut obtenir un résultat terminal de 80 -90 % si la majorité de ses condisciples de classe sont plus faibles que lui. Un autre élève, également moyen, peut obtenir en fin d’année un résultat de 50-60 % si ses condisciples de classe sont plus forts que lui et risque d’être jugé par l’enseignant trop faible pour être promu(9) ».

Les enseignants n’ont pas nécessairement conscience de leur attitude en cette matière bien qu’ils reconnaissent généralement qu’ils adaptent leurs pratiques d’évaluation au niveau des élèves.

La constante macabre

Ce phénomène a été interprété par André Antibi, professeur à l’université P. Sabatier de Toulouse et à Sup-Aéro(10).

Sous la pression de la société, les enseignants semblent obligés, pour être crédibles, de mettre un certain pourcentage de mauvaises notes, même dans les classes de bon niveau. En effet, les parents et les élèves eux-mêmes suspecteraient à priori un professeur d’une matière importante dont la moyenne de classe serait de 14 ou 15 sur 20. Selon André Antibi, la raison essentielle de l’existence de cette constante est le fait que la société fait jouer au système éducatif un rôle de sélection et de classement des élèves.


Les attitudes et comportements des élèves

La manière dont un enseignant perçoit les élèves exerce également une influence non négligeable sur sa manière d’évaluer ses compétences.

Effet Pygmalion

L’effet Pygmalion ou prophétie auto-réalisante a été mis en évidence par Robert Rosenthal qui avait désigné, de manière tout à fait aléatoire un certain nombre d’élèves qui étaient, soi-disant, pourvus d’une intelligence extraordinaire. Il s’avère que ces élèves ont brillamment réussi parce que les enseignants en étaient convaincus à l’avance(11).

L’élève réussira mieux s’il est bien considéré par les enseignants. « Tout sujet tend à répondre aux attentes que l’on place en lui – que celles-ci soient positives ou négatives. Autrement dit, valorisez un individu, il voit ses performances augmenter objectivement. A contrario, rabaissez-le, brimez-le dans ses initiatives, dans ses possibilités d’expression, son estime de soi dégringole et le voilà qui fonctionne de moins en moins bien(12).»


Les attitudes et comportements des enseignants

L’origine sociale peut aussi influencer les enseignants mais dans des sens opposés. « Certains correcteurs ont parfois tendance à attribuer de meilleures notes aux enfants issus des milieux les plus favorisés(13) alors que dans d’autres circonstances, ce sont justement les élèves issus des milieux défavorisés qui sont ‘surcotés’, notamment pour des raisons de ‘paternalisme bienveillant’ et de correction – si minime soit-elle – volontaire des inégalités sociales et scolaires(14) ».
L’apparence physique peut influencer le correcteur. Des élèves jugés « plus beaux » ou « plus proches des idéaux médiatiques » par les enseignants peuvent être mieux cotés(15).

D’autres effets peuvent influencer de manière subjective l’évaluation(16) :

  • l’inertie : le correcteur a tendance à attribuer à un étudiant une cote comparable à celles que celui-ci à acquises auparavant ;
  • la stéréotypie : les oublis en faveur des bons élèves sont significativement plus élevés que pour les élèves faibles ;
  • le halo : la note est influencée par l’aspect physique de l’élève ;
  • les contrastes ou séquences : la copie qui suit une copie brillante risque d’être désavantagée et inversement ;
  • les différences entre correcteurs : les exigences des évaluateurs varient très fort selon leurs attentes et leurs conceptions.

Bien des expériences montrent qu’il est pratiquement impossible d’atteindre l’objectivité de l’évaluation comme le confirme François-Marie Gérard :
« Les tentatives tant théoriques que pragmatiques de rendre l’évaluation objective sont dès lors nombreuses, mais au bout du compte, elles semblent toutes déboucher sur un échec : atteindre l’objectivité semble être de l’ordre de la chimère, du rêve inaccessible(17). »


Conclusions

En matière d’évaluation, comme dans bien d’autres, il faut tenir compte des difficultés de tout évaluateur-examinateur d’être entièrement objectif, ce qui devrait l’inciter à redoubler d’attention afin d’éviter de prendre une décision qui pourrait être arbitraire.

Il est évidemment impossible de rejeter toute subjectivité qui est inhérente à toute évaluation d’une situation ou d’une personne. Voici quelques pistes proposées en vue d’essayer de tendre vers plus d’objectivité :

  • Faire prendre conscience aux enseignants des aspects subjectifs qui peuvent influencer l’évaluation d’un élève.
  • Permettre aux enseignants de consacrer suffisamment de temps à l’évaluation.
  • Inviter l’enseignant à définir clairement ses critères d’évaluation.
  • Favoriser les évaluations des mêmes épreuves par différents examinateurs.
  • Instaurer des systèmes d’évaluation externe.

« Il faut être réellement conscient des choix qui sont faits, savoir pourquoi on fait tel choix plutôt qu’un autre, savoir quelles sont les implications des choix effectués, vérifier que ces choix permettent de préparer la décision consécutive à l’évaluation de la manière la plus rigoureuse possible(18). »
 

 

Jean-Luc van Kempen

 


 (1) DE LANDSHEERE G., Evaluation continue et examens. Précis de Docimologie, Bruxelles, Editions Labor, Paris, Editions Nathan, 1992.
(2) REPI, Revue Pédagogique Interne d’HEMES, L’évaluation, problèmes liés à la correction des évaluations, 2006, n° 3.
(3)CRAHAY Marcel, Peut-on lutter contre l’échec scolaire ?, Pédagogie en développement, Bruxelles, Paris, février 2007.
(4)CRAHAY Marcel, op.cit.
(5)CARDINET Jean, Pour apprécier le travail des élèves, Institut roman de recherche et de documentation pédagogique, Neuchâtel, 1984.
(6)PERRENOUD Philippe, La fabrication de l’excellence scolaire, Genève, Droz, 1984.
(7)DAUPHIN N., VERHOEVEN M., WALTENBERG D, Mobilité scolaire, quasi-marché et « désinstitutionnalisation » des rapports sociaux école-parents : une enquête dans le fondamental en Communauté française dans L’école, six ans après le décret « missions », FRENAY Mariane et MAROY Christian (EDS), L’école, six ans après le décret « missions », GIRSEF, Louvain-la-Neuve, janvier 2004.
(8)DE LANDSHEERE G., Examens et évaluation continue. Précis de docimologie, Bruxelles, Paris, Labor, Nathan, 1980.
(9)CRAHAY Marcel, Peut-on lutter contre l’échec scolaire ?, Pédagogie en développement, de Boeck Université, Bruxelles, Paris, février 2007.
(10)ANTIBI André, La Constante Macabre ou Comment a-t-on découragé des générations d’élèves ?, Math’Adore, Toulouse, 2003.
(11)ROSENTHAL R., JACOBSON L, Pygmalion à l’école, Casterman, Tournai, 1971.
(12)MRAX, Petite Psychologie sociale et racisme, Petite leçon de discrimination appliquée, décembre 2005.
(13)POURTOIS J-P, BONACINA R., DELBECQ A., SEGARD M., Le niveau d’expectation de l’examinateur est-il influencé par l’appartenance sociale de l’enfant ?, Revue française de pédagogie, 44, 34,37, 1998.
(14)DARDENNE B., Psychologie sociale, Liège, Université de Liège, 1999.
(15)MERLE P. Sociologie de l’évaluation scolaire, Paris, PUF, 1998.
(16)LECLERCQ Dieudonné, NICAISE J., DEMEUSE M., Docimologie critique : des difficultés de noter des copies et d’attribuer des notes aux élèves, dans Introduction aux théories et aux méthodes de la mesure en sciences psychologique et en sciences de l’éducation. Liège ; Les Editions de l’Université de Liège, 2004.
(17)GERARD François-Marie, L’indispensable subjectivité de l’évaluation, Antipodes, n° 156, avril 2002, 26-34.
(18)GERARD François-Maire, op. cit.
 

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