Analyse UFAPEC 2009 par J-L. van Kempen

02.09/ Comment revaloriser l’enseignement de qualification ?

Introduction

L’enseignement qualifiant (technique et professionnel) scolarise près de 50 % des élèves des quatre dernières années de l’enseignement secondaire : au 2ème degré, 42,5 % des élèves fréquentent l’enseignement technique de qualification ou l’enseignement professionnel. Cette proportion s’élève à 49 % au 3ème degré.[1]
 
En fin d’études, le « taux de certification » est assez élevé dans chacune des formes : en 6ème générale, 93,4 % des élèves réussissent, 90,7 % en 6ème technique de transition, 87,6 % en technique de qualification et 81,3 % en 6ème professionnelle.[2]
 
Pourtant, l’enseignement de qualification n’est pas bien considéré, notamment parce qu’il est perçu comme filière de « relégation ».
 
Les raisons de sa dévalorisation résultent, d’une part, de sa situation par rapport aux autres filières et, d’autre part, de sa prise en considération au sein de la société.
 
La présente analyse consiste à dégager les différentes raisons de la dévalorisation de l’enseignement qualifiant et les moyens de le resituer à sa juste valeur. 

Pourquoi l'enseignement de qualification est-il dévalorisé ?

L’enseignement qualifiant souffre principalement des différentes hiérarchisations entre les filières qui prévalent au sein des différentes formation et entre les catégories de professions dans la société.
 
Cette situation est aggravée par la diminution du nombre d’emplois disponibles associée à la tendance à prolonger la durée de la formation.
 
  1. La hiérarchisation entre les filières

Lorsqu’un élève de l’enseignement secondaire général, se voit attribuer une « attestation d’orientation B » (réussite avec restriction) par le conseil de classe de fin d’année, il a, le plus souvent, la possibilité de passer sans redoubler dans une année supérieure de l’enseignement technique de qualification ou professionnel.[3] Cette formule laisse supposer que l’enseignement technique et professionnel est plus facile puisqu’il est possible d’y accéder, même après avoir échoué dans une année de l’enseignement général.

 
La hiérarchisation entre les trois filières (général, technique et professionnel) est donc ainsi consacrée. L’enfant se sent « relégué » vers l’enseignement de qualification (réputé plus facile) après un échec plutôt que d’y être « orienté ».
 
La seule étape qui nécessite une préparation sérieuse à l’enseignement technique n’est prévue qu’en 4ème année de « ré-orientation » afin de permettre le passage de la 4ème année générale à la 5ème année de l’enseignement technique.
 
Lorsqu’un élève se voit attribuer une « attestation B », ses parents sont souvent « désorientés ». En effet, il n’est pas facile pour eux d’envisager un enseignement technique (et a fortiori professionnel) pour un enfant qui ne manifeste pas nécessairement un attrait particulier pour une activité pratique ou manuelle.
 
  1. La confusion entre le rôle d’évaluation et d’orientation du conseil de classe
 
A la fin de la 2ème année de l’enseignement secondaire, le conseil de classe est chargé d’orienter les élèves « vers la forme d’enseignement la mieux adaptée à leurs aspirations et à leurs capacités. » (art. 21 du décret « Missions ») et « le conseil de classe est responsable de l’orientation. Il associe à cette fin le centre PMS et les parents » (art. 22).
 
Le Conseil de l’Education et de la Formation a souligné dans son avis n° 78 intitulé « Orientation et information sur les études, les formations et les métiers »[4] la confusion entre les missions d’évaluation et d’orientation des élèves par les enseignants :
 
« Il apparaît dans bien des dispositions décrétales et réglementaires, et il y a des confusions à éviter. Ainsi, par exemple, l’année scolaire se conclut, pour chaque élève, par une AOA, une AOB ou une AOC, c’est à dire une attestation d’orientation A, B ou C. (…) Il s’agit, en réalité, d’attester d’une évaluation ; le terme « orientation » y a perdu et son sens et sa portée. (…)
 
Il ne semble pas adéquat de maintenir cette confusion : le conseil de classe ne peut être en même temps responsable des décisions d’évaluation et seul responsable de l’orientation des élèves. Les membres d’un conseil de classe doivent être conscients de leur impact en matière d’orientation lorsqu’ils attribuent des attestations. Il faut qu’ils connaissent les orientations d’études existantes et les compétences requises dans les différents types d’enseignement. »
 
  1. La plus grande proportion d’élèves en difficulté
 
Une autre résistance des parents face au passage dans l’enseignement de qualification est la réputation qu’il est « moins bien fréquenté » que les écoles d’enseignement général. 
 
Les filières techniques et professionnelles accueillent un grand nombre d’élèves ayant connu un ou plusieurs redoublements et ayant abouti dans cette forme d’enseignement plus souvent à la suite d’un processus de relégation que d’un choix réel.
 
Les retards des élèves sont plus importants dans l’enseignement technique et professionnel. Le retard moyen d’un élève de 3ème année secondaire est d’environ 4 mois dans le général, il passe à 8 mois dans le technique de transition, à plus d’un ans dans le technique de qualification et à 1 an et 3 mois dans le professionnel. En 3ème année secondaire, le taux de redoublement est plus important dans l’enseignement technique et professionnel : 11,4 % dans la forme générale (3 G), 26,2 % en technique (et artistique) de transition (3 TT), 32,8 % en technique (et artistique) de qualification (3 TQ) et 23,2 % dans la forme professionnelle (3 P).[5]
 
L’enseignement de qualification regroupe donc un plus grand nombre d’élèves en difficulté, ce qui fait craindre aux parents la mauvaise ambiance, voire les influences néfastes.
 
« La concentration d’élèves en situation d’échec scolaire dans tout ou partie de ces filières, par le biais des effets de pairs opérant de manière négative dans le cas d’espèce, compromet l’activité même de transmission des savoirs. La fonction qualifiante de ces filières peut alors céder le pas à des activités relevant du traitement social du mal être des jeunes ou simplement de la gestion des problèmes de discipline ou de violence. »[6]
 
Ces filières sont également fréquentées par un plus grand nombre d’élèves issus du milieu populaire.
 
Les indicateurs de l’enseignement confirment les écarts des indices socioéconomiques moyens des quartiers où habitent les élèves selon la filière d’études : en 2005-2006, cet indice était de + 0,31 en 4ème générale, - 0,09 en 4ème technique de qualification et - 0,34 en 4ème professionnelle.
 
« Dans de nombreux pays, on observe, chaque fois que des choix de filières ou d’orientation se présentent, qu’à niveau scolaire comparable, les enfants de milieu populaire visent moins haut (notamment quand ils sont de niveau scolaire médiocre), ou se rallient plus volontiers aux conseils, par ailleurs plus prudents, de leurs enseignants. Ces comportements révèlent une confiance en soi et dans les capacités de son propre enfant inégale selon les familles ; elle est plus forte dans les milieux aisés et instruits, alors que réciproquement, une autosélection plus sévère, qui conduit à éliminer soi-même les choix perçus comme les plus risqués, marque les comportements des familles de milieu populaire. De fait, tous les choix revêtent une dimension stratégique dans la compétition scolaire qui s’amorce dans le secondaire et incorporent tous une recherche de la distinction, l’objectif étant de donner à son enfant quelque chose que les autres n’ont pas. »[7]
 
  1. Les tensions des rôles des enseignants
 
Les enseignants du technique et du professionnel sont confrontés à des incertitudes quant aux finalités de leur travail. Avant de développer des qualifications professionnelles, les enseignant sont souvent amenés à (re)socialiser les jeunes qui ont souvent connu un parcours scolaire (mais aussi familial et social) difficile, en développant des qualités humaines telles que la confiance en soi.[8]
 
  1. L’orientation postposée vers l’enseignement technique
 
Depuis la généralisation de l’enseignement secondaire rénové (à partir des années 70), les deux premières années du degré d’observation fonctionnent sur le modèle de l’enseignement général. L’instauration de ce premier degré commun sur le modèle de l’enseignement général renforce la perte de légitimité des valeurs de référence. « Ainsi, la norme de l’enseignement général s’imposant à tous pour les deux premières années de l’enseignement secondaire, le choix pour la filière technique en troisième année apparaît encore plus nettement comme un second choix. En outre, pour les élèves en rupture par rapport au modèle éducatif de l’enseignement général (et très souvent en échec scolaire), la seule alternative devient alors l’orientation précoce dans la filière professionnelle »[9].
 
  1. L’augmentation de la tendance à entreprendre des études supérieures
 
La hausse des niveaux de diplômes combinée à la diminution du nombre d’emplois aboutit à la baisse relative de la valeur des titres scolaires et à une accentuation de la hiérarchisation entre les filières. Un diplôme de l’enseignement secondaire supérieur est devenu nécessaire mais pas suffisant pour s’insérer dans le monde du travail.
 
Parmi les détenteurs du diplôme de l’enseignement secondaire supérieur (CESS), 75 % tentent les études supérieures (dont 28,3 % l’université) et cette proportion s’élève à 99 % chez les diplômés de l’enseignement secondaire général.[10]
 
Une proportion très importante de jeunes poursuivant des études supérieures et ils considèrent que l’enseignement général prépare mieux à l’enseignement supérieur.
 
    • La concurrence entre l’enseignement secondaire qualifiant et le supérieur non universitaire
 
Les élèves qui se destinent à une profession technique ont également plus de chances de s’insérer sur le marché de l’emploi après avoir réussi des études de l’enseignement supérieur technique de type court qui proposent, en trois années, les sections d’études suivantes : aérotechnique, automobile, chimie, construction, électronique, informatique et systèmes, techniques de l’image, techniques graphiques, techniques et services, textile.[11]
 
« A la déqualification de l’enseignement secondaire répondrait peut-être, la professionnalisation d’une partie de l’enseignement supérieur qui, jusqu’ici, avait surtout une vocation académique et/ou pédagogique, mais qui ce faisant capterait une part croissante de la demande traditionnellement dévolue au secondaire technique et professionnel »[12]
 
Les différentes réformes de l’enseignement secondaire ont pratiquement contribué à accentuer encore davantage la hiérarchisation entre les filières et, par conséquent, la dévalorisation de l’enseignement de qualification.
 
  1. La prégnance d’une culture humaniste et civique au sein de la société
 
D’autres raisons de la dévalorisation de l’enseignement technique et professionnel peuvent également être signalées en analysant les mentalités en vigueur au sein de la société.
 
La société a trop tendance à valoriser l’intellectuel par rapport au manuel, la théorie par rapport à la pratique, l’intelligence (la tête) par rapport à l’habileté (la main), etc.
 
« La prégnance d’une culture humaniste et civique a priori hostile aux logiques industrielles, technologiques ou marchandes servant traditionnellement de référence à ces filières. Il semble que cette culture humaniste soit dominante parmi les enseignants du secondaire, y compris ceux oeuvrant dans les filières technique et professionnelle. Mais elle est aussi et surtout présente parmi l’ensemble des acteurs de la société, à commencer par les parents et les élèves. »[13]
 
  1. L'effacement de la culture ouvrière

La « culture ouvrière » ne parvient plus à s’affirmer face à la « culture intellectuelle dominante ».

« Comme jadis, les élèves de ces sections (professionnelles) ont principalement une origine populaire. Mais la culture de ce milieu n’est plus la même à cause des grandes transformations technologiques et économiques que connaissent nos sociétés industrielles. Ce n’est plus une culture ouvrière fière d’elle-même et emportée par la crédibilité d’un modèle alternatif de société ; c’est plutôt une culture marquée par la montée du chômage, des inégalités sociales, et souvent même, de l’exclusion. Dès lors, les élèves des sections professionnelles ne font plus partie d’une jeunesse soumise au strict contrôle social d’un milieu intégré et porteur d’un projet dans lequel elle peut inscrire son existence sociale ; c’est plutôt une jeunesse vivant dans l’incertitude aux visages multiples (matérielle, affective, normative) et dès lors, affectée par de graves problèmes de socialisation. »[14]

Comment revaloriser l’enseignement technique et professionnel ?

Compte tenu de l’état des lieux établi ci-dessus, un groupe de travail de l’UFAPEC chargé de rédiger les principales revendications des parents de l’enseignement catholique, a formulé les propositions suivantes pour revaloriser l’enseignement qualifiant :
 
-         modifier l’image négative trop souvent donnée à cette forme d’enseignement en montrant plus souvent dans les médias les réalisations de ce secteur;
  • revaloriser les activités manuelles dès le primaire;
  • mettre en place des structures d’accueil et d’encouragement du projet personnel de l’élève ;
  • favoriser une formation polyvalente qui permette aux jeunes de s’intégrer dans un grand nombre d’entreprises ;
  • développer les stages des élèves en entreprises, qui constituent une expérience enrichissante, tant pour les élèves (qui apprennent par la pratique), que pour les enseignants (qui peuvent mieux adapter leurs cours aux évolutions actuelles des entreprises modernes), que pour les entreprises (qui peuvent ainsi, éventuellement, sélectionner leur main d’œuvre future) ;
  • favoriser une simplification législative et administrative de manière à favoriser la mise en œuvre de stages ;
  • prévoir qu’une partie de l’horaire des enseignants soit consacrée aux relations avec les entreprises, à la recherche de possibilités de stages, à l’encadrement des élèves durant leur période de stages, etc.

Conclusions

L’enseignement technique et professionnel souffre d’une mauvaise réputation résultant essentiellement de la hiérarchisation entre les filières au sein de l’école et entre les professions dans la société.
 
L’orientation vers une section qualifiante est généralement une décision qui est prise par le conseil de classe alors que les enseignants ne se sentent pas suffisamment formés pour assurer ce rôle et qu’il existe une confusion entre la fonction d’orientation et celle d’évaluation au sein de l’école.
 
L’enseignement qualifiant a encore perdu une grande partie de sa notoriété par la tendance générale à allonger la durée des études en vue d’augmenter les chances d’exercer un emploi intéressant. Dans cette compétition, l’enseignement technique et professionnel ne constitue pas nécessairement la meilleure préparation à l’enseignement supérieur.
 
Le travail des enseignants de ces filières est encore rendu plus difficile dans la mesure où ils doivent assurer aussi bien un travail de formation que de (re)socialisation des jeunes.
 
Il importe dès lors d’améliorer l’image de ces formes d’enseignement, notamment en développant les stages pratiques et autres activités avec les entreprises afin que les jeunes qui s’y engageront le fassent en étant animé d’un véritable projet pour leur avenir et qu’ils retrouvent leur fierté de la « culture ouvrière ».
 
 
 
 
Jean-Luc van Kempen
 
 


[1] Chiffres de l’année scolaire 2005-2006 dans « Les indicateurs de l’enseignement », 2007.
[2] ETNIC, Les indicateurs de l’enseignement, n° 2, 2007, année de certification 2005.
[3] Moyennant l’avis du conseil d’admission qui « désigne l’ensemble des membres du personnel directeur et enseignant qui, pour chacune des années en cause, sont chargés, par le chef d’établissement, d’apprécier les possibilités d’admission des élèves dans une forme d’enseignement, dans une section et dans une orientation d’études. (Arrêté royal relatif à l’organisation de l’enseignement secondaire, 29-06-1984, art. 7, 2°).
[4] Avis du 21 juin 2002.
[5] ETNIC, Les indicateurs de l’enseignement, n°2, édition 2007, chiffres de 2005-2006.
[6] VANDENBERGHE Vincent, Un enseignement secondaire technique et professionnel (dé)valorisé ?, Cahier de Recherche du GIRSEF, n° 22, mars 2003, p 4.
[7] DURU-BELLAT Marie, Inégalités sociales à l’école et politiques éducatives, UNESCO : Institut international de planification et de l’éducation, Paris, 2003, p 27-28.
[8] GROOTAERS Dominique, FRANSSEN Abraham et BAJOIT Guy, Mutations de l’enseignement technique et professionnel et différenciation des stratégies éducatives in « Cahiers de la recherche en éducation », Volume 6, n° 1, 2001, Université de Sherbrooke, Canada, p 8.
[9] GROOTAERS Dominique, FRANSSEN Abraham et BAJOIT Guy, op.cit., p 8
[10] Les indicateurs de l’enseignement n° 2 de 2007, chiffres de l’année scolaire 2002-2003, p 42-43.
[11] Décret du 27 février 2003 établissant les grades académiques délivrés par les hautes écoles organisées ou subventionnées par la Communauté française et fixant les grilles horaires minimales.
[12] VANDENBERGHE Vincent, Enseignement et iniquité : singularités de la question en Communauté Wallonie-Bruxelles, Cahier de Recherche du GIRSEF, n° 8, novembre 2000, p 25.
[13] VANDENBERGHE Vincent, op.cit., p 26.
[14] GROOTAERS Dominique, FRANSSEN Abraham, BAJOIT Guy, op. cit. P 20-21

 

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