Analyse UFAPEC 2008 par D. Houssonloge

10.08/ L’enfant-roi, fait isolé ou produit de notre société ?

Introduction


Ils crient, insultent, menacent, cassent ou cognent, ces enfants tout puissants, nouveaux chefs de famille qui font la loi. Face à eux, des parents et des adultes épuisés, déroutés.

Depuis une décennie, la littérature, les médias mais aussi la famille, l’école et les professionnels de l’enfance nous parlent beaucoup de l’enfant-roi en pleine expansion. Si la téléréalité amplifie le réel, elle est néanmoins révélatrice des préoccupations des auditeurs : « Sur M6 aujourd'hui, «Super Nanny» a remplacé Dolto. Tailleur strict, chignon sévère, elle joue les adjudants parachutistes dans de (vraies) familles sens dessus dessous, parents dépassés, enfants infects, au bord de l'hystérie. Il existe d'autres variantes de ces nouveaux gourous pour familles en capilotade, comme «le Grand Frère» sur TF1. »(1)
L’objectif de cette analyse n’est pas d’être un traité d’éducation, il en existe déjà pas mal, mais bien de tenter de répondre aux questions suivantes : L’enfant-roi, qui est-il ? Victime ou tyran ? Quelles conséquences pour l’enfant, sa famille et son entourage ? Quelle est l’importance du phénomène ? Les enfants-rois sont-ils des cas isolés ou le fruit de notre société ? Si dimension sociétale il y a, quelle en est l’origine ? Les parents sont-ils démissionnaires ou au contraire trop zélés ? Quelles pistes pour aider les parents et l’école ?

Inquiétude et ras-le bol sur le terrain


L’UFAPEC est régulièrement interpellée sur la problématique. Inquiétude voire désarroi mais aussi ras-le-bol sont exprimés par les parents comme par les enseignants.

Pour répondre à la demande, des soirées- débats sont organisées dans les écoles. Philippe Béague, président de la Fondation Dolto mais aussi des sociologues, psychologues, psycho-pédagogues, philosophes apportent leur éclairage et suscitent la réflexion(2) .

En 2007, sous la direction de Bernard Petre, chercheur indépendant, et en partenariat avec l’UFAPEC, des groupes de travail de parents et d’enseignants puis finalement un colloque traitent de la question(3) . Les directions d’école constatent que le phénomène d’enfants-roisse développe. Si les enfants-rois restent minoritaires, ils n’en nécessitent pas moins une énorme attention au détriment des autres enfants.

Définition


Selon la définition de Jean-Marie Ledain, psychologue scolaire, l’enfant-roi est égocentrique, revendique et se plaint constamment, refuse d’aider, a besoin de capter l’attention et de se faire remarquer, est intolérant aux frustrations, est agressif et manque de socialisation(4).

Bernard Petre complète cette définition en précisant encore que l’enfant-roi est le nombril de la famille, sans limite et sans devoir, amoral, égoïste, seul, manipulateur, considéré trop tôt comme adulte, à qui on passe tout et dont on réalise tous les désirs. S’il est tyran, et nous rejoignons ce point de vue, il est aussi victime de ses parents comme de la société(5).

Ampleur du problème


Après une telle définition, il est clair que pour le jeune, les conséquences sont désastreuses et à l’opposé de son épanouissement. La psychanalyste Simone Korff Sausse montre dans Plaidoyer pour l’enfant-roi qu’en réalité cet enfant n’est pas si roi que cela. On lui donne beaucoup mais on lui en demande aussi énormément(6) : « Il est gâté, certes, mais il est aussi confronté à des situations familiales, scolaires et sociales extrêmement complexes, souvent frustrantes, imposées par des adultes eux-mêmes impliqués dans des existences compliquées, qui lui demandent de s’en débrouiller. Et c’est ce qu’il fait. Avec une grande intelligence, en déployant une étonnante inventivité, des stratégies nouvelles, inédites, originales, qui sont autant de modalités d’adaptation à la société dont il sera le futur adulte. Peut-être est-il temps de faire place au point de vue de l’enfant, remarque l’auteur »(7) .
Mais l’enfant-roi n’est pas seul, son comportement a des répercussions dans la famille où parents, frères et sœurs, grands-parents vont subir sa tyrannie.
L’environnement dans lequel s’inscrit l’enfant-roi va lui aussi en faire les frais. A l’école, l’enfant-roi « neutralise » l’équipe éducative, remet en question les lois et les règles de l’école. Comme a pu le constater Bernard Petre dans sa recherche-action, on ne peut pas donner de chiffres mais les enfants-rois sont en augmentation et il y en a trop. Cela ne veut pas dire que proportionnellement, il y a un gros pourcentage. Cela veut dire que les enfants-rois ont un impact énorme sur leur entourage, qu’ils font des dégâts et qu’ils mobilisent beaucoup d’énergie au détriment du reste du groupe(8).

Le problème touche tous les niveaux socio-économiques et n’est pas limité à l’Europe.
Si le phénomène des enfants-rois était marginal il y a 20 ans, on parlait alors d’enfants « pourris gâtés », et donc pouvait être imputé aux parents, il semble qu’aujourd’hui le phénomène soit plus général et touche nombre de familles de près ou de loin.
La question de l'enfant-roi est interpellante parce qu’il est le symptôme exacerbé, systématique, de quelque chose qui est présent chez presque tous les enfants(9).
De plus l’enfant-roi va grandir. Quel citoyen, quel conjoint, quel employé deviendra-t-il ?

Débat


La théorie d’une génération spontanée d’enfant roi est certes séduisante parce que déculpabilisante mais elle n’est guère plausible ! L’enfant est d’abord le fruit de son éducation assurée par les parents et par extension par la société.

D’une part, il y a ceux notamment dans le milieu enseignant pour qui l’enfant-roi serait le produit de parents laxistes ou démissionnaires. D’autre part, il y a encore ceux, plus présents parmi les professionnels de l’enfance, pour qui l’enfant-roi, au contraire, aurait des parents trop zélés.
Une chose est certaine, l’enfant et son éducation sont au cœur des débats :
« Alors les experts de la jeunesse s'empoignent au chevet de cette famille qui ne sait plus où elle va. Symbolique de ce désarroi, la polémique sur la fessée et la claque fait rage […] C'est un excellent filon en librairie, où les parents se ruent sur les ouvrages sur la crise de l'autorité. »(10).

L’image de l’enfant et la complexification de la tâche éducative


Ce débat passionné et passionnant nous amène à l’enfant, à l’image et à la place qu’il a dans notre société aujourd’hui.
L’enfant occupe désormais une place centrale. « L’enfant est au cœur des préoccupations des sociétés et des familles, censées lui apporter à la fois le plus grand bonheur possible et tous les ingrédients nécessaires à son épanouissement mais aussi à sa future réussite sociale… »(11)
Il suffit de regarder la place de plus en plus grande qui lui est faite sur le marché : vêtements, jouets, matériel spécialisé, médias, gadgets en tout genre.
On peut même aller jusqu’à parler d’une vision sacralisée de l’enfance comme l’explique la sociologue Martine Fournier. Dans nos sociétés post-modernes (après 1960) où ont disparu les grands idéaux, l’enfant serait notre dernière utopie(12).

L’évolution du couple qui tend à être perçu aujourd’hui comme une alliance pouvant être dissoute et donc comme un investissement à court ou moyen terme a contribué à faire de l’enfant un des piliers les plus solides de la famille où le lien de filiation reste, lui, indissoluble. Un enfant, c’est pour la vie, le conjoint, on peut en changer(13). L’évolution de la famille contemporaine avec, outre les divorces et séparations, la femme qui travaille, la quasi disparition des familles « très » nombreuses, l’augmentation des familles recomposées, la multiplication des « éducateurs » autour de l’enfant – avant le père et la mère, aujourd’hui, il peut y avoir en plus les grands-parents, les beaux-parents, le demi-frère ou demi-sœur plus âgé, des tiers – tout cela a contribué a donné un autre statut à l’enfant(14).

L’individualisation de notre société où prime l’épanouissement de chaque individu, la reconnaissance de l’enfant comme personne et donc comme sujet suscitée par Françoise Dolto en France, l’émergence des droits de l’enfant, tous ces éléments ont encore aider à donner une place centrale à l’enfant mais aussi à rendre la tâche éducative plus complexe et plus exigeante au point qu’aujourd’hui nombreux sont les parents en recherche des « bons » repères éducatifs. Comment fixer des critères objectifs alors que l’on parle de bonheur et d’épanouissement personnel ?(15) La théorie du sociologue François de Singly nous semble intéressante : « L’enfant est roi comme sont rois tous les individus de notre modernité »(16) parce que nous sommes dans une époque de l’individualisation. Loin de sombrer dans le pessimisme, ne peut-on y voir « la marque d’un enrichissement identitaire ? Ne peut-on penser en effet que « l’individu individualisé », l’individu des sociétés contemporaines, a une identité plus complexe ? »(17)

La parentalité, une véritable mutation sociale


Aujourd’hui être parent, c’est donc bien plus complexe et exigeant qu’autrefois.
Le sociologue Gérard Neyrand montre le paradoxe dans lequel se trouvent aujourd’hui les parents : respect dû à l’enfant-sujet mais autorité nécessaire à l’acte éducatif(18) . Les familles d’aujourd’hui doivent se situer entre deux pôles : d’une part, le pôle de la tradition familiale où il n’y avait pas de crise de l’autorité mais qui est aujourd’hui rejeté parce qu’il ne permet pas l’épanouissement de l’individu et d’autre part, le pôle de la démocratie familiale qui ouvre à la négociation et au dialogue mais qui concrètement n’est pas encore clairement défini et qui présente un risque majeur : à force de considérer l’enfant comme égal, l’adulte oublie qu’il a une position éducative à tenir(19) .
En d’autres termes, on ne peut plus revenir au martinet et on respire certainement plus librement dans les familles d’aujourd’hui mais on ne sait pas encore très bien quoi faire d’autre. La parentalité vit une période de transition, qui implique une recherche, des tâtonnements, parce qu’il y a non pas une démission mais un désir vrai et sincère des parents de bien faire et de rendre leur enfant épanoui(20).

Confusion entre épanouissement et désir de l’enfant


Face à ces bouleversements sociaux et familiaux, nombreux parents en sont arrivés à confondre épanouissement, bonheur et désir immédiat de l’enfant :
« Il ne veut pas aller à l’école quand c’est Madame Z, ça le rend malheureux, on ne peut pas le forcer. Il reste à la maison la moitié de la semaine. » « C’est lui (le petit bonhomme de 3 ans) qui choisit son école, c’est la 2ème école qu’il fréquente, si ça ne va pas on changera ».
Cette confusion engendre des enfants-rois dont la première victime est l’enfant.
Pourtant, Philippe Béague le rappelle, autorité ne veut pas dire pouvoir mais responsabilité envers l’enfant. Les enfants ont besoin de repères, de balises, de soutiens, d’interdits(21).

Conclusions


Le développement d’enfants-rois est symptomatique d’une crise de l’autorité liée à l’émergence de la société de l’individualisation axée sur l’épanouissement personnel, à la place prépondérante qu’a acquis l’enfant dans notre société et à la complexification de la tâche éducative.
Loin d’être démissionnaires, les parents veulent au contraire trop bien faire.
L’enfant lui ne peut pas attendre pour grandir et donc pour avoir des repères éducatifs.
Une certitude est clairement exprimée aujourd’hui : si l’enfant est une personne, il n’en est pas pour autant un adulte. Devenir parent c’est aussi exercer une autorité. Autorité expliquée après 2 ans puis négociée à l’adolescence pour finalement devenir une autorité morale avec le jeune adulte(22) .

La famille n’est pas une réalité isolée, elle est intégrée dans la société. Etre parent nous dit le psychanalyste Jean Florence, est une affaire de culture et donc l’affaire de tous(23) . A ce titre, l’alliance éducative dont rappelons-le, le premier bénéficiaire est l’enfant, est fondamentale entre parents, éducateurs, enseignants et tous les professionnels de l’éducation. Prêts à relever le défi ??
 

Dominique Houssonloge

 

(1)http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2277/articles/a377857.html, Agathe Logeart, Claire Fleury Le Nouvel Observateur, Nos enfants sont-ils des têtes à claques ?, 26 juin 2008
(2)Soirée-débat sur Les parents sont-ils démissionnaires ? avec Philippe Béague, psychanalyste et président de la Fondation Françoise Dolto, organisé par l’association de parents de l’école Notre Dame de Meux et l’UFAPEC le 31 janvier 2005 - Soirée-débat L’enfant roi avec Jean-Marie Ledain, psychologue scolaire, le 27 janvier 2005, organisé par l’association de parents de l’école Emanuel à Sprimont et l’UFAPEC - Soirée-débat sur L’autorité en question, quels repères pour grandir ? avec Philippe Béague organisé par l’UFAPEC le 1er juin 2005 à l’Ecole de la Sainte Famille à Vierset-Barse – L’importance du rôle éducatif : des parents tous démissionnaires ?avec Philippe Béague, organisé par l’AP des Instituts Notre-Dame et Saint-Joseph de Bastogne en association avec l ' INDSE 1er degré et l’UFAPEC le 1er juin 2006 à Bastogne - Soirée-débat sur Les familles sont faites pour être quittées avec J.-M. Longneaux, philosophe, le 15 mai 2007 à Liège, organisé par l’association de parents du Centre scolaire Saint-Benoît-Saint-Servais avec le soutien de l’UFAPEC
(3)Colloque Enfant-roi ? organisé le 31 mai 2007 à LLN par la Fédération de l’Enseignement Fondamental Catholique
(4)Intervention sur L’enfant roi de Jean-Marie Ledain, le 27 janvier 2005, organisé par l’association de parents de l’école Emanuel à Sprimont et l’UFAPEC
(5)Colloque Enfant-roi ? Op. cit.
(6)Intervention de Simone Korff Sausse, psychanalyste au Colloque Enfant-roi ? Organisé le 31 mai 2007 à LLN, op. cit.
(7)http://www.oedipelesalon.com/article.php3?id_article=159, Simone Korff Sausse "Plaidoyer pour l’enfant-roi"
(8)Colloque Enfant-roi ? op.cit.
(9)Rencontre avec Bernard Petre dans Entrées libres, n° 21, septembre 2007, Dossier, p. 2
(10)http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2277/articles/a377857.html, Agathe Logeart, Claire Fleury Le Nouvel Observateur, Nos enfants sont-ils des têtes à claques ?, 26 juin 2008
(11)Martine Fournier, L’enfant du 21ème siècle, dans Sciences humaines, sept.-nov. 2007, p.26
(12)ibidem, p. 29. – Laurence Gavarini, La passion de l’enfant. Denoël, 2001, rééd. Hachette, 2004
(13)Martine Fournier, ibidem, p. 27
(14)Louis Maurin, Familles : la grande transformation dans Sciences humaines, n° 69, 3ème trimestre 2006 – Nouvelles familles, conférence-débat d’Eliane Devleeshouwer, psycho-pédagogue et thérapeute à la Fondation Dolto, à la maison communale de Wanze, le 16 juin 2008
(15)Bernard Petre dans Quels repères pour grandir, sous la direction de Philippe Béague de la Fondaion Dolto, Chroniques sociale et Couleur livres, 2004, p. 31
(16)Martine Fournier, ibidem
(17)http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=DIA&ID_NUMPUBLIE=DIA_153&ID_ARTICLE=DIA_153_0003, Et l’enfance qui finit. Introduction par François DE SINGLY, | érès | Dialogue, 2001/3 - n° 153, p. 4
(18)Quels repères pour grandir, sous la direction de Philippe Béague, op.cit., p. 85
(19)ibidem, p. 88-89
(20)Bernard Petre dans Quels repères pour grandir, op. cit. p. 43
(21)Philippe Béague dans Quels repères pour grandir, op. cit., p. 6-7
(22)Intervention sur L’enfant roi de Jean-Marie Ledain, op. cit.
(23)Jean Florence dans Quels repères pour grandir, p. 104
 

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