Analyse UFAPEC 2008 par D. Houssonloge

01.08/ Une personne sur dix ne sait pas lire. L'école productrice d'illettrisme?


Introduction
Aujourd’hui, en Communauté française, une personne sur 10 soit 10% de la population soit plus de 400.000 personnes sont encore analphabètes.

Or, la lecture est fondamentale puisqu’elle est la compétence des compétences, le passage obligé pour accéder aux autres apprentissages.. Parce que la lecture est sollicitée dans toutes les matières, on peut donc dire qu’un élève qui a du retard en lecture à la fin de la 1re année de scolarisation est un décrocheur en puissance (Carnine, 1998)  .

La maîtrise de la langue maternelle orale mais aussi écrite est essentielle. Elle permet d’avoir une pensée plus claire et donc d’être mieux compris, entendu, reconnu pour pouvoir prendre sa place d’adulte et de citoyen

Les politiques et pédagogues semblent unanimes sur la question. Christian Dupont, notre ministre de l’enseignement compte lui aussi en faire un des chevaux de bataille de sa législature et pourtant…

Dans un pays où la scolarité est obligatoire depuis 70 ans, on est en droit de se demander si l’école n’est pas « productrice d’illettrisme » pour reprendre l’expression de Charles. Pepinster dans la Revue de l’Observatoire consacrée à la question .
Et si l’école produit des analphabètes, pourquoi ?

Précisons notre propos : évaluer la capacité de notre système d’enseignement à apprendre à lire et écrire.
Par conséquent, nous n’aborderons pas ici les adultes n’ayant pas eu de scolarité ou relevant de l’immigration.

Définition de l’analphabétisme

Qu’entend-on exactement par « analphabète » ou « illettré » ?

On distingue généralement l’ « analphabète » : « personne n’ayant jamais été en contact avec l’écrit, n’ayant jamais été à l’école » de l’ « analphabète fonctionnel », le plus présent chez nous, « personne incapable de lire et d’écrire, en le comprenant, un exposé bref et simple de faits en rapport avec la vie quotidienne », définition de l’UNESCO de 1958, et ce malgré une scolarité de base.
Le terme d’ «illettré » plus utilisé en France est synonyme d’analphabète fonctionnel

L’analphabétisme, facteur prépondérant d’exclusion

Ne pas pouvoir lire un journal ou un courrier, ne pas savoir consulter un horaire, un mode d’emploi, ne pas pouvoir écrire son CV, ne pas savoir remplir un formulaire, ne pas accéder à l’univers de l’informatique, ne pas pouvoir suivre la scolarité de son enfant, ne pas pouvoir exercer pleinement sa citoyenneté sont de lourds handicaps. A l’heure où le marché de l’emploi est saturé, les analphabètes sont de plus en plus hors du circuit du travail. L’analphabétisme est tristement synonyme de précarité et de repli sur soi.

Situation socioprofessionnelle et degré de scolarisation des personnes analphabètes :
Parmi les adultes (plus de 18 ans) suivant une formation d’alphabétisation en 2005, 30 % dépendent du CPAS, 19 % sont des femmes au foyer, 22 % des demandeurs d’emploi, étudiants, demandeurs d’asile ou détenus.

Un état des lieux de l’alphabétisation a été réalisé par le Comité de pilotage de la CF en 2006 et offre des informations en la matière.
Cette étude montre clairement que les personnes peu scolarisées sont majoritairement inactives.
Tout âge confondu, les personnes peu scolarisées s’insèrent difficilement sur le marché du travail mais des possibilités d’emploi existent cependant, spécialement pour les hommes.Pour les jeunes (18-24 ans), l’écart se creuse entre peu et plus scolarisés La scolarisation et donc la maîtrise de l’écrit deviennent un critère prépondérant d’accès au travail.
Raison de plus pour s’interroger sur cette école dont sortent trop d’analphabètes même fonctionnels.


Adéquation de l’école par rapport aux besoins de la population

Niveau de lecture de nos élèves en Communauté française
D’après Les indicateurs de l’enseignement réalisé par la CF pour 2007,

Dès le début des primaires, des élèves sont en difficultés de lecture.
En 2ème primaire :
En matière de compréhension, environ 30% des élèves sont en échec.
Des facteurs tels que le sexe de l’enfant, la présence ou pas de livres à la maison, la profession des parents ou le fait de redoubler la 2ème influencent peu les résultats entre élèves. Cela signifierait donc qu’au départ les enfants ont des capacités égales face à l’apprentissage de la lecture.
Cependant, en matière d’attitudes envers la lecture, là on observe des différences plus marquées. Cela indique que dès le début de l’apprentissage de la lecture, la motivation joue un rôle important dans le maintien et le développement ultérieur des compétences dont il faut impérativement tenir compte pour éviter le décrochage.
On observe encore de moins bons résultats dans les classes avec des élèves potentiellement en difficultés (milieu défavorisé ; le français n’est pas parlé à la maison ; élèves ayant déjà doublé)

En 5ème primaire
Environ 33 % des élèves sont en échec pour l’ensemble de l’épreuve écrite.
Si on ne peut pas conclure à une baisse de niveau de la 2ème à la 5ème primaire (où le score moyen est de 67 %), on constate malheureusement que les élèves de milieux socio-économiques ou culturels ont des résultats moindres. Idem pour les classes.
Il y a donc des clivages sociaux marqués dès la 5ème primaire qui donnent plus ou moins de chances à un enfant de 9 ans d’apprendre à lire

En 2ème secondaire
En 2ème commune et complémentaire, 18 % peuvent être classés comme « analphabètes fonctionnels » et 60 % en 2ème professionnelle avec un niveau élémentaire (stratégie de repérages de mots, inférences très simples). La situation est dramatique quand on sait qu’à ce stade, l’apprentissage de la lecture est considéré comme acquis.
Les clivages sociaux se marquent toujours tant au niveau individuel - statut par rapport à l’immigration, pratiques de lecture au sein des familles, pratiques et attitudes personnelles des élèves – qu’au niveau des classes qui accueillent un nombre significatif d’élèves « à risque ». Les moyens accrus dont disposent les écoles à discrimination positive ne suffisent pas à combler ces différences .

Identification des facteurs d’échec
Même si le niveau général de lecture a baissé ces dernières années, la cause étant d’abord sociétale - les élèves d’aujourd’hui sont d’abord des enfants de l’image - on ne peut pas associer l’analphabétisme à un désintérêt de l’élève qui justifierait les éternels : « ils ne savent plus rien », « ils ne veulent plus apprendre ». Au contraire, même si les jeunes lisent autrement et autre chose, ils lisent .

Les causes de l’illettrisme, elles, sont multiples : « elles peuvent être d’ordre individuel, sociofamial, socioculturel, sociocognitif. Elles sont cependant toujours liées à la relation difficile, voire antagoniste, entre une appartenance sociale et le « monde des savoirs scolaires » »

Une enquête menée auprès d’adultes ayant été scolarisés et suivant des cours d’alphabétisation montre que ces personnes :
- ont connu un échec scolaire précoce, entraînant l’arrêt du processus d’apprentissage, le décrochage rapide et beaucoup de redoublement
- n’ont pas bénéficié d’un soutien pédagogique adapté
- ont ressenti un fort sentiment de rejet de la part de l’école
- ne se sont pas sentis reconnus dans un cadre culturel éloigné de leur milieu familial d’origine

L’école, mauvaise élève
Chaque année, 10 % des jeunes soit plus de 5000 élèves sortent de l’enseignement primaire ordinaire sans avoir obtenu le CEB et la majorité ne rattrapera pas ses lacunes en secondaire. Soulignons encore qu’à ces 10 % s’ajoutent une majorité des élèves de l’enseignement spécial de type 1 (handicap mental léger), très souvent, filière de relégation liée à des problèmes sociaux.

Notre enseignement même avec son système de remédiation (redoublement, accompagnement des élèves en difficultés) ne répond pas à sa mission d’amener tous les élèves à la maîtrise des savoirs de base (décret Mission, 1997).
D’où la propension à recourir aux logopèdes, professeurs particuliers pour des sommes qui s’avèrent vite astronomiques et qui sont loin d’être à la portée de toutes les bourses.
Or ce sont les enfants de milieux défavorisés présentant le plus de difficultés parce que peu habitués à la culture de l’écrit qui ont le plus besoin de ces soutiens mais qui en sont privés faute de moyens financiers.

Alors que l’école est censée assumer seule et gratuitement l’apprentissage de la lecture, on voit se développer une marchandisation des savoirs qui renforce encore les clivages sociaux.

Si la compétence et la motivation de la grande majorité des enseignants sont tout à fait appréciables, notamment dans les milieux défavorisés, notre système d’enseignement est néanmoins inégalitaire et manque à sa mission d’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

La famille, un maillon essentiel

La famille peut-être dans les 2 extrêmes, un frein ou un levier à l’apprentissage de la lecture.
Dans la scolarité de l’enfant, la famille et l’école sont complémentaires mais également différentes. Méconnaissance, malentendu, incompréhension, jugements et critiques peuvent très vite s’installer.
Si des parents sont taxés de démissionnaires, l’école et les enseignants ont aussi droit à leur lot de critiques.
Dans l’intérêt de l’enfant, tout l’enjeu est d’aller au-delà des différences voire des antagonismes entre ces deux corporations et d’arriver à une reconnaissance du rôle et de la valeur de chacun.
Cela est d’autant plus marqué dans les milieux défavorisés comme l’explique Jean-Pierre Pourtois de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Éducation de l’Université de Mons-Hainaut : « J’ai constaté très tôt qu’il était impossible d’apprendre aux enfants, à lire surtout, parce qu’ils n’étaient pas autorisés à apprendre de façon explicite par leurs parents » . Après avoir réuni les parents de ses élèves, Jean-Pierre Pourtois a identifié le sens des obstacles en provenance des milieux familiaux : peu d’intérêt pour les matières scolaires, peu de motivation, orientation vers des métiers manuels, barrières liées aux ressources humaines et aux personnes qui appartiennent aux « monde du discours » comme les enseignants.
Les parents de milieux socio-économiques défavorisés ont rarement d’emblée un bon contact avec l’école : peurs, méconnaissance, souvenir d’un vécu scolaire douloureux, sentiment de rejet voire d’abandon, sentiment de l’inutilité de l’école, manque de compétences pour accompagner l’enfant, les causes sont nombreuses pour ne pas oser faire confiance à l’école.

C’est certainement aux professionnels de l’école et à ses satellites à faire communiquer et mieux se comprendre « martiens » et « vénusiens » sans paternalisme ou moralisme aucun.

Pistes

1. Intensifier la phase d’ « imprégnation » dès l’entrée en maternelles pour l’école pour donner le goût de lire à l’enfant. Qu’il ait au quotidien l’occasion de se faire raconter des livres mais aussi de les toucher, de les manipuler, qu’il puisse s’éveiller à la culture, au langage, qu’il puisse avoir accès à la bibliothèque de l’école ou de la classe

2. Renforcement et soutien de l’apprentissage de la lecture : prévention, accompagnement des élèves au sein de l’école ou au sein de « maisons de l’enseignement », équivalent des maisons médicales pour le scolaire – qui mettraient à disposition une équipe pluridisciplinaire (logopédie, cours particuliers, etc) à des prix démocratiques
3. Pédagogie globale : réelle application du travail en cycle et d’un accompagnement différencié de l’élève ; pédagogie de l’auto socioconstructivisme pour des élèves acteurs dans l’acquisition de leurs apprentissages ; pédagogie du projet injectant une motivation là ou le décrochage guette
4. Collaboration et soutien avec la famille : rencontre régulière d’information et d’échange autour de la thématique ; là ou nécessité et demande, module d’accompagnement des familles pour pouvoir aider son enfant en collaboration avec organismes d’alphabétisation,etc.
5. L’école, catalyseur d’intégration : plus de mixité sociale pour éviter les classes ou écoles ghettos ; moyens accrus pour les écoles défavorisées et encadrement différencié ;
6. Formation des enseignants : intensification du module « lecture » dans une optique de compétences transversales (la lecture est indispensable dans toutes les matières)
7. Action école-famille :
- Comme cela a pu être débattu lors de nos groupes de travail à Namur en janvier et mai, certaines associations de parents se lancent pour défi de permettre aux enfants de lire, de manipuler l’objet « livre ». Ces actions se font pour la plupart du temps en collaboration avec les différents acteurs de l’école .
- A l’école Sainte Catherine à Tamines, face au désintérêt des enfants pour le livre, une foire aux livres et aux ordinateurs intitulée « Ordi- livres » accueille chaque année les enfants et leurs parents afin qu’ils y rencontrent des auteurs, des informaticiens et d’autres amuseurs publics dans une ambiance de fête.
- A l’école Saint-Jean à Genappe le dragon de la lecture, vêtu d’une salopette blanche, a été installé le long des escaliers dans la salle polyvalente de l’école. Sa salopette est colorée en fonction de l’effort consenti à la lecture par les élèves.(idem pour Sainte Marie à Ans)
- A l’école Saint Remy-Sainte Walburge, une maman offre l’heure du conte sur le temps de midi.

Conclusion

L’unanimité étant faite depuis 70 ans sur une école publique et gratuite accessible à tous et sur la lecture comme clé des apprentissages d’une part et sur l’inadéquation de notre enseignement à apprendre à lire à tous les élèves d’autre part, ne faudrait-il pas enfin mettre en adéquation moyens et objectifs de l’enseignement ?
Quelles pistes parviendront à convaincre et seront ENFIN mises en œuvre ?


Bibliographie
§ www.wallonie-en-ligne.net, Nadia Baragiola, Les non alphabétisés dans la société wallonne en mutation, 1987
§ Illettrisme, Analphabétisme, L’Observatoire n° 20, revue d’action sociale et médico-sociale, 1998
§ Dossier Lecture, Parents et Ecole, n° 35, 2002
§ Colloque Lire-ensemble, organisé par le Ministre de l’Enfance Jean-Marc Nollet, 2003
§ Interventions pédagogiques efficaces et réussite scolaire des élèves provenant de milieux défavorisés. Chaire de recherche du Canada en formation à l’enseignement, Université de Laval, 2004,
§ Contrat pour l’école, Ministère de la Communauté française, 2004-2005
§ Catherine Sterck, L’échec scolaire n’est pas une fatalité. Prévention de l’analphabétisme, Lire et Ecrire, 2005
§ D. Rossi, A. Godenir, S. Denghien, Prise en compte des situations d’illettrisme en milieu scolaire, Lire et Ecrire, 2005
§ Dossier Lecture, Parents et Ecole, n° 47, 2005
§ État des lieux de l’Alphabétisation en Communauté française- Wallonie-Bruxelles, deuxième exercice – Données 2005-2006
§ Questions sur l’alphabétisation, Lire et Ecrire, 2006
§ Diplômes et certificats délivrés dans l’enseignement de plein exercice. Evolution de 1995 à 2006, Etnic.
§ Les indicateurs de l’enseignement en 2007, Ministère de la Communauté Française
§ « L’orthographe à la dérive. Info ou intox ? », conférence-débat du professeur Francine Thirion de l’UCL, 3 mai 2007 au Collège Saint Quirin à Huy, en collaboration avec l’UFAPEC
§ www.lalibre.be, Les priorités du nouveau patron de l’enseignement, entretien de Christian Dupont par L. Gérard et P. Piret, 05/04/2008
§ Bons lecteur, Traces de changement, mars-avril 2008
§ Joseph Stordeur, Le chemin sera long pour apprendre à mieux lire, revue du CODIEC Liège, avril 2008
§ L’encadrement différencié et renforcé, Ministère de la Communauté française, 2008
§ La collaboration enseignants-parents pour le mieux-être des enfants. Entrevue avec Jean-Pierre Pourtois, Réalisée par André C. Moreau et Joanne Pharand
§ www.hemes.be, Analphabétisme et Education Permanente, quelques éléments d’histoire
§ www.eleves.be , Premier degré différencié
 

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