Retour à 100% à l’école : surtout pas un retour à l’anormal

12 mars 2021

Carte blanche parue dans La Libre Belgique du 12/03/2021

Le temps passe vite : juin, c'est déjà demain. Et juin, ça rime habituellement avec “examens”. En termes de rituels, la société a déjà fait mieux, disons-le franchement. C’est que l’école, ce n’est pas que le scolaire, il ne faut pas l’oublier : ce sont aussi des embrassades, des musiques partagées avec l’écouteur de l’autre, des petits écrans visionnés à plusieurs l’un contre l’autre pour y voir quelque chose, des rires éclatants, des voix qui portent, des collations partagées, des confidences murmurées, des relations de séduction, des sorties sur le temps de midi entre potes, bref des vraies relations sociales. Les adolescent·e·s y vivent leur vie d'adolescence, qui ne se réduit pas au seul “métier” d’élève. Or, depuis un an, toutes les décisions politiques les résument à cette dimension de leur identité - être élève -, sans jamais ni les consulter ni les interpeller directement. Les jeunes ont fait des efforts, assez docilement admettons-le, et se sont adaptés au cadre sanitaire nécessaire et à des relations sociales restreintes, masquées et distantes. Ils ont participé à rendre les apprentissages scolaires prioritaires. Mais à présent, il est grand temps que leurs autres besoins soient satisfaits, car ils sont essentiels à la construction de leur identité et à leur bien-être : on ne peut les mettre entre parenthèses plus longtemps.

Place aux jeunes !

Depuis un an, l’école obligatoire est donc restée prioritaire, tous les jeunes ont pu s’y rendre au moins à 50%. Pourtant, leur moral n’est pas forcément au beau fixe. Ceci a bien été entendu par le gouvernement, qui a donné tout récemme t des moyens humains aux établissements pour développer des activités non scolaires de bien-être. Nous saluons vraiment cette initiative, tout en réclamant que les élèves soient directement associé·e·s au choix des activités non scolaires visant le bien-être : par les jeunes, avec les jeunes et pour les jeunes, c’est la moindre des choses.

Nous sommes convaincu·e·s que le bien-être des élèves à l’école est facteur de motivation et d'accrochage scolaire. Encore faut-il que les conditions de bien-être ne soient pas définies avec les seules lunettes parentales, enseignantes, adultes. Par exemple, mettre de la musique aux intercours pour détendre l’atmosphère et évaluer à l’identique ne sert pas à grand-chose. Place aux jeunes ! L’école est un de leurs lieux de vie, les élèves y passent un tiers de leur temps quotidien. Il leur appartient donc de définir les conditions dans lesquelles s’y sentir bien, et dans lesquelles leur cerveau sera disponible pour les apprentissages.

Gare à l’effet “rattrapage” !

L’école a beaucoup changé en un an, sur le plan des interactions avec les élèves et les parents, de l’organisation des classes, de la pédagogie, de la communication. Et sur le plan des évaluations ? Cette pratique pédagogique, qui occupe le temps scolaire de manière importante et génère des moments de tension et de stress (plus ou moins importants selon les élèves), ne participerait-elle pas à plomber le moral des jeunes ? 

Enseignants et élèves le disent, chacun-e avec ses mots : bien souvent, la course aux bouclages des programmes rythme la journée et les semaines. Contrôles des acquis et bulletins en ligne de mire, la pression scolaire est toujours au rendez-vous. Malgré le fait qu’une circulaire ait balisé les apprentissages essentiels pour l’année scolaire 2020-2021. Mais qui en tient réellement compte ? Cette circulaire a-t-elle bien circulé ? Est-elle suffisamment comprise et mise en pratique ? Et si ne ce n’est pas le cas (comme nous en laissent présager les retours que nous en avons), quelles seront les conséquences sur les décisions des conseils de classe en fin d’année ? 

En juin 2020, étant donné les conditions exceptionnelles, la Ministre de l’éducation avait demandé de la bienveillance aux conseils de classe : le redoublement et les examens de passage devaient être exceptionnels, les orientations devaient se faire sur base d’un choix positif. Si l’on se réfère aux chiffres du redoublement (qui sont passés de 13,2% à 6,8% dans le secondaire), il semble que la Ministre ait été entendue. Nous ne pourrions que nous réjouir de ce constat, si seulement le passage dans l’année supérieure était le résultat d’un accompagnement réel de l’orientation. 

Qu'en sera-t-il cette année ? Va-t-il y avoir un effet “rattrapage” ? Ceux-celles que le système n’aurait pas pu faire redoubler ou orienter en 2020 vont-ils-elles payer le prix fort cette année ? Faut-il encore rappeler que le redoublement et/ou l’orientation sont vécus par les élèves comme une sanction ? Que les élèves frappés par ces sanctions sont majoritairement issus de milieux défavorisés ? Ceux et celles qui ont été le plus durement touché·e·s par la crise sanitaire vont-ils-elles subir une fois de plus la violence du système ? 

Une fin d’année scolaire réinventée

Ces derniers mois nous ont amenés à systématiquement questionner la normalité de notre système éducatif, au niveau macro et au niveau des établissements. Depuis le 13 mars 2020, les enseignants, les directions d’école, les élèves et les parents ont fait preuve d’adaptabilité, d’innovation en tout genre, certes à géométrie variable. Pouvons-nous envisager un retour à l’école d’avant la crise sanitaire, comme si de rien n’était? Allons-nous assister à un retour “à la normale” - quand on sait que cette “normalité” est trop souvent injuste et violente ? 

Certains s’inquiètent des retards d’apprentissages, et se focalisent sur ceux-ci en se souciant trop peu des réels besoins des élèves. Avant de poursuivre le gavage intensif des savoirs, il est vraiment temps de s'intéresser à la disponibilité mentale de ces jeunes pour “avaler” tout ça. Pour apprendre, il faut que les conditions soient favorables. Soyons lucides: elles ne le sont pas. C’est pourquoi nous saluons les moyens dégagés et entendons bien que les adolescents, dans les écoles, soient acteurs des projets développés. 

Encore une fois, le mal-être des adolescents n’est pas encore suffisamment entendu et pris en charge par l’école, sans nul doute parce qu’elle est face à une situation qui la dépasse. C’est désormais une priorité. 

Sur le plan scolaire toutefois, il est temps de préparer, avec les élèves, la suite de leur parcours. Faisons de ces douze mois écoulés depuis le début de la pandémie en Belgique un levier pour rompre avec les habitudes d’un système scolaire qui trie et qui relègue, oubliant trop souvent de prendre en compte le projet du jeune. Mettons en place, dès aujourd’hui et durant les semaines qui nous séparent encore des vacances d’été, des procédures qui assurent au jeune que son projet scolaire soit pris en considération lorsqu’une attestation d’orientation ou une attestation de redoublement lui sera délivrée par le conseil de classe. Pour ce faire, nous pensons que les balises énoncées par la Ministre de l’éducation à la fin de l’année scolaire 2019-2020 restent pertinentes et doivent pouvoir être strictement appliquées dans tous les établissements scolaires en Fédération Wallonie-Bruxelles, sans exception. Pour rappel, les décisions du conseil de classe devaient être prises à la suite d’un dialogue en amont avec les parents et les élèves, les motivations des décisions devaient être détaillées, les examens de passage (ajournement) et le redoublement devaient être exceptionnels. Or, si cela a été majoritairement suivi, cela n’a pas été le cas partout. 

Si ces balises sont pertinentes, elles ne sont pas suffisantes. Les temps durant lesquels les élèves ont pu être en contact les uns avec les autres, favorisant ainsi du lien social, ont été largement amputés cette année. 

Quand les élèves se retrouveront, toujours masqués et avec distance, il ne faudrait pas qu’ils fassent l’objet de pressions en vue des sessions d’examen, les évaluations de fin d’année ne constituent pas la priorité dans le contexte actuel. Si, malgré tout, cela devait être le cas, nous demandons que les évaluations portent uniquement sur les “essentiels” identifiés par l’administration de la FWB effectivement enseignés et qu’elles soient précédées d’un diagnostic portant sur ceux-ci par l’enseignant pour chaque élève, transmis aux parents. Ceux-ci devront également être clairement avertis des modalités spécifiques à la fin de l’année qui seront mises en place. 

L’année a été longue et pénible pour chacun d’entre nous. Nous aurons tous, et les jeunes certainement, besoin d’un répit régénérant durant l’été, sans contrainte scolaire. Veillons ensemble à ce que l’école tire les leçons, tant positives que négatives, de la pandémie pour se réinventer à court, moyen et long terme. 

 

UFAPEC
Union francophone des associations de parents de l'Enseignement catholique

FAPEO
Fédération des associations de parents de l'Enseignement officiel

CEF
comité des élèves francophones

CERE
Centre d'expertise et de ressources pour l'enfance

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