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Évaluer les élèves, pour quoi et pour qui ?
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Évaluer les élèves, pour quoi et pour qui ?
22 août 2024
Dans cette étude, nous nous intéressons à l’évaluation, cette pratique pédagogique centrale de l’école, en lien avec les réformes actuelles du Pacte pour un enseignement d’excellence. Pour les auteurs du Pacte, une modification fondamentale de posture en matière d’évaluation de la part de l’ensemble des acteurs est une condition à la réussite d’un nouveau parcours d’apprentissage.
De mai à juillet 2023, lors de l’élaboration du nouveau Mémorandum de l’UFAPEC, en concertation avec des parents et des associations de parents, un groupe de travail s’est penché sur les thématiques du sens de l’école. Lors des échanges, la question de l’évaluation scolaire est assez vite devenue centrale, d’abord dans une approche positive de la problématique liée au plaisir d’apprendre, au goût de l’effort et à la capacité à identifier et à s’appuyer sur ses acquis ; mais aussi parce qu’elle semble impacter négativement le parcours de nombreux élèves, qui ne trouvent plus ce plaisir ou qui sont stressés par les enjeux de l’évaluation…
Notre sujet est limité à l’enseignement ordinaire et aux années scolaires correspondant au nouveau tronc commun, de la première primaire à la troisième secondaire. Et, si nous nous intéressons de manière globale à tous les élèves, cette étude ne se préoccupe pas spécifiquement des élèves à besoins spécifiques (avec des troubles d’apprentissage). Une autre étude est consacrée à la réussite dans l’enseignement secondaire spécialisé.
Contenus de l’étude
À travers l’éclairage de la recherche scientifique, la première partie de l’étude cherche à comprendre en quoi l’évaluation scolaire, telle qu’elle est encore le plus souvent pensée et pratiquée aujourd’hui dans les classes, est la clef de voûte d’un système éducatif peu efficace et inéquitable et constitue un frein majeur à une école où apprentissage rime avec progrès et réussite pour tous, engagement et plaisir d’apprendre.
La deuxième partie se penche sur les changements attendus par le Pacte en termes d’évaluation : à quoi doit servir l’évaluation, à quoi ne peut-elle plus servir ? Nous nous intéressons aussi à la manière dont les professionnels de l’enseignement perçoivent cette demande de changements de leurs pratiques professionnelles. Par ailleurs, dans le contexte scolaire actuel, ces changements peuvent-ils être aisément mis en œuvre ? Certaines réformes, comme le nouveau tronc commun ou la réforme des rythmes scolaires, impactent-elles actuellement les pratiques d’évaluation dans les écoles ? Des professionnels du SeGEC, un sociologue, une formatrice en haute école, une directrice d’école et une enseignante apportent leurs expertises et leurs regards sur ces questions, tout en identifiant des difficultés et des freins aux changements.
La troisième partie de l’étude s’attache à relayer le vécu des parents : les évaluations impactent-elles la santé de leur enfant, le climat familial ou les relations que les parents ont avec l’école ? Qu’attendent-ils des évaluations scolaires ? etc. Pour répondre à ces questions, une enquête a été menée auprès des parents des écoles de l’enseignement libre catholique.
Un changement de paradigme de l’évaluation nécessaire
Cette étude a permis de mettre en lumière la place centrale, souvent envahissante, qu’occupe l’évaluation dans les pratiques pédagogiques scolaires, amenant certains enseignants à adapter tous les apprentissages en fonction des tests à venir, ce qui constitue un risque d’appauvrissement de l’enseignement et de la pédagogie. Cette dominance des pratiques évaluatives crée chez la plupart des élèves un rapport instrumental aux apprentissages : c’est avant tout pour réussir ses tests et pour « passer son année » que le jeune travaille et étudie.
La menace de l’échec qui pèse sur les épaules des élèves, et qui va en s’accentuant plus on progresse dans les années, est éprouvante, en particulier pour les enfants qui rencontrent des difficultés d’apprentissage. Une majorité de parents disent que leur enfant, qu’il soit dans l’enseignement fondamental ou secondaire, est stressé, voire très stressé par les évaluations, alors qu’une majorité de ces enfants sont de « bons » élèves. Nombre d’entre eux vivent leur scolarité en ayant peur de se tromper, d’échouer, de ne pas répondre aux attentes, de décevoir… D’autres sont découragés, voire en colère, par rapport à un système éducatif qu’ils vivent comme injuste et peu soutenant.
Alors que tous les experts de l’éducation disent, depuis des années, qu’aucune mesure objective des compétences réelles des élèves n’est possible, étant donné l’existence de très nombreux biais évaluatifs, et qu’en définitive la réussite des uns ne se crée et ne se définit jamais qu’en fonction des performances et de l’échec des autres, l’évaluation est malgré tout toujours largement utilisée dans nos écoles pour sanctionner les élèves et les « classer » selon leurs résultats ! Les écoles plus « élitistes » et les premières années du secondaire sont particulièrement concernées par ce mécanisme réussite-échec, qui permet de répartir les élèves dans différentes filières et différentes écoles pour parvenir ainsi petit-à-petit une forme d’homogénéisation des groupes classes. Si des enseignants et des parents remettent en cause ce fonctionnement, ce n’est pas le cas de la majorité, qui considère qu’une évaluation conduisant chaque année à l’échec d’un nombre significatif d’élèves est normale et que ces situations d’échec seraient de la seule responsabilité de l’élève (et de sa famille).
Faut-il arrêter d’évaluer les élèves ou envisager autrement l’évaluation ?
Faut-il dès lors arrêter d’évaluer les élèves ? Non, car faire le point sur les acquis est important pour les apprentissages, mais les experts de l’éducation, comme les auteurs du Pacte, dénoncent fermement l’évaluation de type normatif, qui vise l’excellence de quelques-uns seulement.
Aujourd’hui, dans les classes, l’évaluation sommative à visée normative et sélective, utilisée pour « générer des points » et « compléter des bulletins », est malheureusement privilégiée par de nombreux enseignants au détriment de l’évaluation formative et d’une articulation des évaluations formative et sommative, indispensable dans une perspective de maîtrise des apprentissages de chaque élève. Aujourd’hui également, les corrections se font essentiellement de manière soustractive : on cherche à repérer les erreurs plutôt qu’à mettre en valeur ce qui semble déjà acquis… Cette manière de corriger s’explique par une culture de l’échec, où l’erreur est considérée comme la trace d’un déficit plutôt que celle d’un apprentissage en train de se mettre en place.
Pour servir les apprentissages et viser la réussite de chaque élève, quel que soit son profil, l’évaluation devrait être positive, disent les experts de l’éducation, reconnaissant le droit à l’erreur et au tâtonnement, cherchant à valoriser les progrès accomplis. Cette manière d’envisager l’évaluation est celle du Pacte, dont les acteurs préconisent que les difficultés des élèves soient anticipées plutôt que sanctionnées !
Une réflexion autour de l’évaluation est en cours dans de nombreuses écoles, mais les freins au changement sont nombreux. Ils sont notamment liés à la pression scolaire et sociétale à la « réussite », cette dernière se concrétisant avant tout dans certaines filières et certains métiers ; à une certaine incompréhension, voire une méconnaissance, des différentes formes d’évaluation et de leurs finalités ; aux conditions pratiques du métier d’enseignant... Pour bon nombre d’entre eux, l’évaluation-sanction, qui va de pair avec la menace de l’échec, est indispensable pour pouvoir « faire classe » et obtenir l’attention des élèves. Même si une telle évaluation est dénoncée par certains parents, beaucoup d’autres sont demandeurs de cette évaluation-sanction, estimant qu’elle est nécessaire pour que leur enfant travaille !
Des pistes pour un changement de paradigme de l’évaluation
Des pistes pour parvenir à changer en profondeur la manière de penser et de pratiquer l’évaluation à l’école sont développées dans l’étude, comme le fait de donner toute sa place au développement de pratiques d’auto-évaluation qui, enseignées et encouragées dès le plus jeune âge, rendent l’élève davantage autonome et acteur dans ses apprentissages, tout en modifiant positivement la relation élève-enseignant. Travailler avec des pédagogies coopératives, comme le tutorat, nous semble également intéressant, car cela permet aux élèves de sortir d’un rapport hyper-individualiste aux apprentissages pour entrer dans un rapport plus solidaire où la notion de réussite devient plus collective et inclusive, où la coopération est reconnue et valorisée en tant que compétence, où l’objectif n’est plus de dépasser les autres, mais bien de se dépasser avec l’aide des autres.
Nous pensons également qu’il est nécessaire de pouvoir sortir d’une « logique de l’année » pour entrer dans une « logique du tronc commun », où la progression dans les apprentissages pourrait être envisagée sur un temps plus long, ce qui favoriserait une évaluation au service des apprentissages, tout en respectant davantage le rythme de chaque élève.
Dans une perspective d’évaluation au service des apprentissages, des dispositifs, très présents dans les écoles, méritent d’être questionnés, voire remis en question. Les sessions d’examens internes, qu’organisent les établissements d’enseignement secondaire, sont-elles pertinentes ? En effet, on sait qu’elles pénalisent les élèves les plus fragiles et qu’elles sont à la source de fortes inégalités de traitement pour les élèves, étant donné les fluctuations d’exigences des épreuves selon les écoles. Et, les examens de passage, qui externalisent la prise en charge de la remédiation scolaire, ont-ils encore lieu d’être dans une école qui doit assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale (code de l’enseignement) [1]? De nombreux parents apprécient ces examens, qui représentent, selon eux, une seconde chance pour leur enfant. Conserver ce dispositif, sans proposer des cours d’été gratuits aux élèves, n’est-il pas problématique ?
Pour la réussite d’un changement de paradigme de l’évaluation dans chaque école, il est essentiel pour l’UFAPEC que ce changement se réfléchisse non seulement avec les équipes éducatives, qui doivent être sensibilisées, encouragées et accompagnées, mais également avec les parents et les élèves, qui, eux aussi, doivent changer leur regard sur l’évaluation. Par l’intermédiaire de leurs représentants au conseil de participation, les parents et les élèves ont le droit de s’informer et de s’exprimer sur cette question, sans compter qu’un tel partenariat école-parents-élèves est essentiel à l’adhésion de chacun au projet éducatif et pédagogique de l’école.
Enfin, l’UFAPEC pense qu’il est indispensable que l’évaluation de l’élève se construise et s’apprécie en respectant les équilibres quant aux référentiels et aux domaines d’apprentissage définis par le Pacte. Les nouveaux domaines et cours du tronc commun, comme la « formation manuelle, technique, technologique et numérique » ou l’« éducation culturelle et artistique », doivent pouvoir être valorisés au même titre que certaines disciplines « reines », comme les mathématiques… En effet, au terme du tronc commun, la société a besoin que certains élèves choisissent positivement de s’orienter vers des métiers artistiques et techniques et qu’ils y développent une forme d’excellence !
Lire l'étude complète (74 pp.) >>
Pour toute question/contact presse :
Bernard Hubien, Secrétaire général
0476/52.74.77 – bernard.hubien@ufapec.be
[1] Cf. « Missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire, Code de l’enseignement, Titre IV, chapitre 1er : https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/49466_026.pdf