Analyse UFAPEC mai 2016 par B. Loriers

10.16/ Refus de réinscription : c'est pour son bien !

Introduction

Le refus de réinscription l'année suivante dans un établissement scolaire est toujours signalé en fin d’année scolaire, fin juin ou début septembre. Il diffère de l'exclusion scolaire définitive[1] dans le sens où l'exclusion, elle, peut être notifiée à n'importe quel moment de l'année scolaire. Côté chiffres, 1487 refus de réinscription[2] dans l’enseignement fondamental et secondaire, ordinaire et spécialisé ont été signalés auprès de la DGEO pour l’année scolaire 2013-2014[3]. Mais ces chiffres reflètent-ils la réalité ? Selon plusieurs témoignages, contrairement à l'exclusion scolaire définitive, le refus de réinscription se passe souvent oralement, sans formalité, et donc sans possibilité pour l'élève ou ses parents de se défendre, sans arguments ni conseils d'orientation.

Face à ce constat, plusieurs questions viennent à nous. Pourquoi ce refus de réinscription, est-ce à chaque fois une sanction éducative ? Ne s'agit-il pas souvent d'une décision prise pour éloigner les élèves qui débordent du cadre scolaire ? N'est-ce pas aussi une ultime solution pour déguiser ou palier une réalité violente, difficilement gérable par l’équipe éducative, qui elle doit préserver l'intégrité physique et psychologique des membres de la communauté scolaire ?

Mais aussi, dans certains cas, le refus de réinscription n'est-il pas une décision pédagogique destinée à mieux orienter le jeune, décision assortie d'informations qui peuvent vraiment aider l'élève et sa famille ?

Profil des élèves faisant l’objet  d’un refus de réinscription

De manière synthétique, voici un aperçu du profil des élèves qui connaissent un refus de réinscription[4] :

  •  Les garçons représentent 80% des signalements et sont quatre fois plus signalés que les filles.
  • Les élèves mineurs âgés entre 14 et 16 ans. Les taux de refus de réinscription sont plus importants à 15 ans (19.2 % et 24%). Notons que 17% des élèves sont majeurs au moment du refus de réinscription.
  • Les refus de réinscription sont plus fréquents dans l’enseignement secondaire ordinaire (0.4%) que dans l’enseignement secondaire spécialisé (0.32%).
  • Le premier degré représente à lui seul 56,5 % des signalements de refus de réinscription.
  • En comparant le taux de signalements d’exclusion de la troisième année par rapport à la population scolaire, les élèves issus de la 3e année professionnelle, où le nombre de signalements reçus pour un refus de réinscription est très élevé, sont douze fois plus signalés exclus que ceux de la 3e année générale. 
  • Pour l’enseignement secondaire spécialisé, les signalements de refus de réinscription proviennent essentiellement du type d’enseignement I[5] (50,5%) et III[6] (39,2%).
  • En comparant le nombre de signalements réceptionnés avec la population scolaire[7] par province, les signalements de refus de réinscription sont plus fréquents dans la Région de Bruxelles-Capitale.

 

Motifs de refus de réinscription

Les motifs de refus de réinscription sont repris dans la dernière colonne du tableau A ci-dessous[8]. Vous pouvez observer que les motifs qui reviennent le plus souvent sont la perturbation systématique des cours, l’attitude négative face au travail, l’incitation à l’indiscipline et le refus d’autorité, d’obéissance et des sanctions. La première colonne de gauche reprend des motifs sous forme de codes, qui sont utilisés dans le 2ème tableau B.

 

Codes

Motifs

Exclusions

Refus

A1

Coup et blessure porté sciemment envers un élève

28,8%

15%

A2

Coup et blessure porté sciemment envers un membre du personnel

8,9%

2,8%

B1

Introduction ou détention d'un instrument, outil, objet tranchant, contondant ou blessant par un élève

0,4%

0,2%

B2

Introduction - Détention de substance(s) inflammables

4,8%

2%

B3

Toute manipulation d'un instrument hors de son usage didactique

2,9%

1%

B4

Introduction ou détention d'arme(s) à feu par un élève

1,8%

1%

C1

Consommation et détention de substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques

6,3%

2,2%

C2

Vente/Trafic de substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes ou antiseptiques

2,6%

0,3%

D1

Extorsion à l'aide de violences ou de menaces, de fonds, de valeurs, d'objets ou de promesses, aux dépens d'un élève ou d'un membre du personnel

2,3%

0,5%

E1

Pression psychologique insupportable, par insultes, injures, calomnies ou diffamation, envers un membre du personnel

18,1%

10,4%

E2

Pression psychologique insupportable, par insultes, injures, calomnies ou diffamation, envers un élève

15,1%

9,1%

F

Jeux à risque

5,1%

4,2%

G1

Indiscipline lors d'une sortie extrascolaire

7,4%

4%

G2

Perturbation systématique des cours

51,2%

60,7%

G3

Attitude négative face au travail

49,9%

59,3%

G4

Incitation à l'indiscipline

54,8%

63,2%

G5

Refus de l'autorité - d'obéissance - des sanctions

30,1%

36%

G6

Non-respect du contrat moral

4,3%

8,6%

H0

Faits ou propos racistes

2,5%

1,3%

I1

Violences sexuelles verbales

1,7%

0,8%

I2

Attouchement(s) non désiré(s)

1,7%

0,7%

I3

Acte(s) sexuel(s) non désiré(s)

0,5%

0,1%

J1

Cyberviolence

1,8%

0,9%

J2

Consommation et détention d'alcool

1,4%

1,1%

K1

Dommages aux locaux et au matériel scolaire (vandalisme)

6,7%

4,1%

K2

Dommage aux biens personnels

1%

0,7%

K3

Vol - Recel

3,6%

1,9%

K4

Incendie volontaire ou tentative d'incendie

0,4%

0,2%

 

Pour une vue d’ensemble, le tableau suivant[9] B montre qu’il n’y a pas de différence significative entre les motifs justifiant une exclusion ou un refus de réinscription. Il y a plus de motifs d’incivilités pour les refus de réinscription et plus de motifs de violence physique pour les exclusions par rapport aux refus de réinscription.

tableau des motifs d'exclusion

Il faut encore savoir que les élèves majeurs doivent se réinscrire eux-mêmes (et non leurs parents); le risque est grand que certaines écoles se débarrassent des cas "difficiles" en invoquant le fait qu'ils oublient de se réinscrire.

Le refus de réinscription n'est-il pas aussi un moyen déguisé de "trier" les élèves, en essayant d'augmenter "les performances" et/ou la réputation de l'école ?

Procédure de refus de réinscription

En cas de refus de réinscription, le chef d'établissement doit envoyer une lettre recommandée, entre le 30 juin et le 5 septembre, invitant l'élève et ses parents s'il est mineur à discuter de la situation. Cette rencontre doit avoir lieu au plus tôt 4 jours ouvrables après la réception du courrier.

Avant cette rencontre avec le chef d'établissement, l'élève (et/ou ses parents) est en droit d'accéder aux informations qui sont reprises dans son dossier disciplinaire. Cela permet de vérifier que les motifs invoqués pour le refus de réinscription répondent bien aux dispositions légales. Dans le cas contraire, il existe des possibilités de recours.

Cette procédure est reprise dans l'analyse portant sur l'exclusion scolaire définitive[10]: le refus de réinscription est considéré comme une exclusion définitive sur le plan juridique. Ce type de procédure est le plus souvent utilisé pour des élèves ayant accumulé une série d'entorses au règlement d'ordre intérieur de l'école, et ce tout au long de l'année scolaire.

Mais cette procédure est-elle chaque fois respectée pour tenir compte de la défense du jeune concerné ? Notons aussi la difficulté de trouver un autre établissement scolaire qui convient au jeune, notamment quand on est le 5 septembre.

Images de soi écorchées

Le refus de réinscription peut engendrer une détérioration de l’identité des élèves concernés. Ceux-ci se construisent une image négative au niveau scolaire suite aux échecs et aux orientations mal vécues. Leur identité, leur image de soi et leur représentation de ce qu’ils valent risquent d'être mutilées. Souvent, les élèves qui se retrouvent dans des établissements parfois appelés "de la dernière chance" ont perdu toute motivation. Ils se rendent compte que le parcours scolaire est défini et qu’ils n’ont plus de cartes à jouer.

Une ambiance lourde faite de méfiance, de cynisme, de désenchantement règne sur ces établissements : certains élèves enchaînent les comportements inadéquats, pour redonner du sens à leur place dans l’établissement scolaire. Ils s’amusent en faisant les idiots, en provoquant, en papillonnant pour être valorisés aux yeux de leurs pairs. Ils tentent parfois de compenser la dignité perdue dans leur parcours scolaire par le prestige de leurs « bêtises » auprès des autres élèves. La résignation désenchantée de ces élèves s’exprime aussi dans la multiplication des signes de défi à l’attention des enseignants[11].

Refus de réinscription = sanction éducative ?

Peut-on parler de sanction qui éduque, qui élève quand un responsable d'école refuse de réinscrire un élève ? Partant de l'idée que les erreurs ne sont pas nécessairement des fautes commises par des coupables qu'il faudrait punir sévèrement, Benoit Galand[12] envisage le côté formatif de la sanction en posant les questions suivantes : quelles sont les finalités poursuivies par une sanction (place de la loi, groupe, responsabilité, forme de la sanction), et quelles en sont les caractéristiques (place du sujet et de la parole, sanctionner l'acte pas la personne, penser la sanction dans un rapport au temps plutôt que dans un rapport à l'espace, procédure réparatoire) ?

Plutôt que le point final d'un problème à régler, Benoit Roosens, permanent à l'asbl Changements pour l'égalité, envisage toute sanction comme le point de départ d'un processus de construction et de responsabilisation[13].

Mais certains enseignants ne voient pas d'alternative au refus de réinscription. Patricia Volvert[14], psychologue, rencontre des tas de profs qui sont malades à l'idée d'aller donner cours dans telle ou telle classe et qui n'en peuvent plus. Je ne veux pas que l'on mette tout sur le dos des écoles, car elles ne peuvent pas faire toute l'éducation non plus. Parfois elles sont en bout de chaine, avec des jeunes qui manquent de repères, de cadrage, de soutien et d'organisation familiale. C'est très difficile à gérer parce que les classes sont grandes, et que ce n'est pas toujours évident pour un prof ces élèves-là qui mettent la pagaille.

Réorientation constructive

Et si le refus de réinscription d’un élève est inévitable, il est des circonstances où ce refus peut se transformer en chance de partir d’une page blanche, de reconstruire un nouveau projet de vie avec le jeune et sa famille, projet qui lui "colle" davantage. Certains jeunes tirent profit de cette sanction, en se lançant dans une réflexion approfondie sur leur orientation, parfois avec l'aide de certains profs, parents, centre PMS, et autres services spécialisés, comme par exemple le SIEP (Service d'information pour les études et les professions).

Conclusion

Pour éviter la sanction du refus de réinscription, une des premières pistes est de bien faire connaître aux élèves et à leurs parents le règlement d'ordre intérieur propre à l'école, en début d'année scolaire, et de le rappeler au cours de l'année si nécessaire.

Dans d'autres situations, le refus de réinscription est inévitable, et est parfois vécu comme une injustice qui éloigne le jeune de son groupe d'amis. L'Ecole gagnera en respect si elle réagit aux difficultés comme un catalyseur d'intégration, plutôt que comme première étape vers l'exclusion sociale, ou comme un système reproducteur d'inégalités. L'UFAPEC craint que les motifs de refus d'exclusion soient trop souvent subjectifs, tels que des résultats scolaires insuffisants ou une série de petites incivilités, nombreux retards à l'école, de l'impertinence, du chahut, ou que la position de l'élève (ou de ses parents) ne soit pas à chaque fois entendue.

Enfin, posons-nous aussi la question, en dehors de toute règle, de savoir s’il est sain pour des enfants d'être réinscrits dans une école qui ne veut plus d'eux, voire de leur famille ? Pour l'UFAPEC, tous les partenaires de l'école peuvent, en amont de sanctions graves, remotiver le jeune en perte de sens par rapport à son parcours scolaire, en lui permettant d'être réellement acteur de ce parcours. L'école est un lieu d'apprentissage du vivre ensemble : cela demande du temps pour installer du dialogue avec le jeune, en lui laissant une place à prendre au sein de l'établissement scolaire. De manière plus globale, porter attention au climat scolaire de l'école et de chaque classe devrait aider à diminuer les situations de violence, pour que chaque élève se sente prêt à apprendre.

Mais qu'offre-t-on aux écoles en termes de moyens (humains, matériels, financiers…) pour mettre en place des dispositifs qui permettraient de garder en leur sein des élèves qui ont un comportement violent, qui ne connaissent pas les codes scolaires, qui ne rentrent pas dans le projet de l'école, ou qui sont démotivés, ou que l'école considère comme "pas capables" ? Les profs sont-ils suffisamment formés à l'écoute active, le centre PMS est-il formé et suffisamment disponible pour réduire les difficultés ?
Quoi qu'il en soit, il s'agit toujours d'un enfant, d'un jeune à qui le monde adulte devrait ouvrir des portes et un avenir de réussite et d'inclusion dans la société.

 

 

Bénédicte Loriers

 

 


[1] LORIERS Bénédicte, L’exclusion scolaire définitive, début d’une spirale qui mène au décrochage social ?, analyse UFAPEC n°4, avril 2016: http://www.ufapec.be/nos-analyses/0416-exclusion-scolaire-definitive.html

[2] 2347 exclusions dans l’enseignement fondamental et secondaire, ordinaire et spécialisé ont été signalées auprès de la Direction générale de l’Enseignement obligatoire durant l’année scolaire 2013-2014.

[3] Etat des lieux des données relatives aux signalements d’exclusion et de refus de réinscription pour l’année scolaire 2013-2014, Fédération Wallonie-Bruxelles, Direction Générale de l’enseignement obligatoire.

[4] Etat des lieux des données relatives aux signalements d’exclusion et de refus de réinscription pour l’année scolaire 2013-2014, Fédération Wallonie-Bruxelles, Direction Générale de l’enseignement obligatoire.

[5] Le type I s’adresse aux élèves atteints de retard mental léger.

[6] Le type III s’adresse aux élèves atteints de troubles du comportement et/ou de la personnalité.

[7] La population scolaire de l’année 2012-2013

[8] Etat des lieux des données relatives aux signalements d’exclusion et de refus de réinscription pour l’année scolaire 2013-2014, Fédération Wallonie-Bruxelles, Direction Générale de l’enseignement obligatoire.

[9] Etat des lieux des données relatives aux signalements d’exclusion et de refus de réinscription pour l’année scolaire 2013-2014, ibidem.

[10] LORIERS Bénédicte, L’exclusion scolaire définitive, début d’une spirale qui mène au décrochage social ?, analyse UFAPEC n°4, avril 2016: http://www.ufapec.be/nos-analyses/0416-exclusion-scolaire-definitive.html

[11] BOURDIEU Pierre, Champagne Patrick : Les exclus de l'intérieur. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 91-92, mars 1992. Politiques. pp. 71-75 : http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1992_num_91_1_3008

[12] GALAND B., La sanction à l’école et ailleurs : serrer la vis ou changer d’outil ?, Bruxelles, Couleur livres, 2009. Benoit Galand est Docteur en psychologie et professeur en sciences de l’éducation à l’Université catholique de Louvain.

[13] ROOSENS B. (coordonné par), Exclusion scolaire définitive, agir dans la complexité, Changements pour l'égalité, éditions Couleur livres, Bruxelles, 2014.

[14] BOCART Stéphanie, Je rencontre des tas de profs qui sont malades à l’idée d’aller donner cours, in La libre Belgique, 9 avril 2014.

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