Analyse UFAPEC 2011 par Anne Floor

13.11/ La médiation par les pairs ou le conflit comme outil d’apprentissage


Parfois en décalage avec la culture dominante de l’institution, des sessions de formation à la communication, au développement d’habiletés sociales, à la régulation positive des conflits forment des îlots de résistance, des îlots de contre-culture, dont on peut espérer qu’ils se multiplient.

Bruno De Dobbeleer.

Introduction

A l’école, les conflits entre jeunes font partie du quotidien. La manière de les gérer aura des répercussions évidentes sur le climat scolaire global. Les réponses en la matière sont très diverses. Dans de nombreux pays (Etats-Unis, Canada,…), de vastes programmes de prévention de la violence sont lancés où l’école travaille avec des associations qui développent des approches positives de gestion des conflits. La médiation par les pairs constitue une de ces pratiques. On observe aussi en Belgique l’intervention de « professionnels » extérieurs qui viennent dans les écoles pour apprendre aux enfants et aux adultes à faire face aux conflits. Le conflit n’est plus perçu comme quelque chose de positif ou de négatif mais bien comme une opportunité de changement, d’acceptation de la différence et de meilleure connaissance de soi. Mais cette régulation non violente des conflits n’est pas naturelle, comme nous l’avions déjà relevé dans les deux analyses précédentes. Elle présuppose des compétences et des habiletés sociales qui doivent faire l’objet d’un apprentissage, d’un entraînement. Ce que le gouvernement de la Communauté française a bien compris en accordant des moyens financiers pour l’intervention d’opérateurs spécialisés dans le but de former les élèves à la médiation scolaire et à la délégation d’élèves.[1]

La médiation entre élèves ou « par les pairs » offre, en même temps qu’un apprentissage à la gestion coopérative des conflits, la possibilité de mettre en pratique des concepts qui resteraient autrement abstraits. Selon J-P. Bonafé-Schmitt, l’objet de la médiation entre pairs est de favoriser une plus grande implication des parties dans le règlement des conflits, de surmonter leur désaccord à partir d’une compréhension mutuelle de leurs besoins et intérêts.[2] La médiation s’efforce d’éviter le repli sur soi des élèves ou membres de la communauté éducative et restaure ou construit une véritable communauté scolaire. Cependant la mise en place d’un tel processus n’est pas si aisé; en effet, les protagonistes ne se tournent pas spontanément vers les médiateurs, ce n’est pas un réflexe naturel. Il faut donc institutionnaliser le processus et l’inscrire dans le temps.

Qu’est-ce que la médiation par les pairs ?

« Le médiateur » n’a pas pour mission d’être juge ou arbitre mais plutôt d’aider à recréer un climat de dialogue et de respect entre des personnes qui ne s’écoutent plus et les aider à mettre des mots sur leur dispute. Passer d’un rapport de forces à un rapport de sens.

« Par les pairs » signifie que les médiateurs sont des jeunes du même âge ou plus âgés qui au sein de l’école partagent le statut d’élève au même titre que les protagonistes du conflit. Les élèves médiateurs ont pour mission d’aider les médiés[3] à trouver une solution durable au conflit qui les oppose sans avoir à faire appel à la violence ou à l’autorité d’un adulte.

Bref aperçu historique

Le premier programme de médiation scolaire de ce type remonte à 1981 aux Etats-Unis. Il s’agissait d’un programme de médiation « par les pairs » dans des lycées et les rapports de l’époque indiquent que la majorité des affaires portées en médiation ont été réglées et que le nombre global des bagarres a diminué. Les lycéens iront d’ailleurs plus tard jouer le rôle de médiateurs dans les écoles primaires de leur quartier. Par la suite, les expériences se sont multipliées pour arriver en 1998 à ce que presque la moitié des établissements scolaires des Etats-Unis aient un programme de médiation et /ou de gestion des conflits. En Europe francophone, de nombreux projets de médiation par les pairs se sont développés souvent d’abord à l’initiative d’enseignants, de militants de la médiation ou de mouvements prônant la non-violence. Vu le succès rencontré par ces projets, l’Etat a ensuite développé des initiatives à l’instar des initiatives privées.[4] Le développement de la médiation scolaire est indéniable et revêt de multiples formes, ce n’est pas un mouvement homogène.

Devenir médiateur : un travail sur soi

La formation et la pratique de la médiation permettent de mieux se connaître soi. L’enfant futur médiateur sera amené à identifier et à analyser ses propres réactions face au conflit (évitement, indifférence, contre-violence, empathie…). Ainsi il prendra conscience de la part de violence que chacun a en soi et des manières possibles de la gérer. Il sera aussi sensibilisé à la Communication non violente (CNV) pour faire la distinction, d’une part, entre les faits et leur interprétation et, d’autre part, d’écouter activement, en reformulant les propos de l’autre pour s’assurer de l’avoir bien compris et éviter les malentendus. Le médiateur en herbe aura aussi à accepter que les points de vue puissent être différents. Impartialité, neutralité, confidentialité et créativité constituent les éléments de base d’une médiation sans laquelle la confiance ne peut s’instaurer. Or le médiateur n’a d’autorité et de reconnaissance que parce que les parties en médiation la lui reconnaissent.

Effets observés

Dans sa synthèse sur les études et recherches réalisées en France et en Amérique du Nord sur les effets et limites de la médiation entre pairs[5], Marianne Souquet souligne qu’il n’est pas clairement établi que la médiation par les pairs ait un effet quelconque sur la violence ni sur la diminution du nombre d’expulsions. Par contre, le climat de l’établissement s’améliore dans la plupart des cas (environnement plus favorable à l’apprentissage, résultats scolaires satisfaisants, environnement solidaire et convivial). En France, la plupart des acteurs des établissements concernés sont de l’avis que les relations intra-classe et inter-classes s’améliorent.[6] Au niveau de la gestion de la classe, de nombreux enseignants ayant suivi une formation à la gestion des conflits disent utiliser les techniques apprises, notamment une meilleure écoute, une communication non menaçante et des techniques de résolution de problèmes.[7] Les avis des jeunes médiateurs sont globalement positifs. Dans sa recherche-action réalisée dans des zones d’éducation prioritaires (zep) de Lyon et Rouen (écoles primaires, collèges et lycées professionnels) où des élèves médiateurs ont été formés à résoudre des conflits au sein de leurs établissements, J-P. Bonafé-Schmitt relève que les jeunes médiateurs ont conscience d’avoir modifié leur comportement : il semble que non seulement ils aient bien intégré leur rôle dans les médiations formelles, mais qu’ils aient aussi modifié leur attitude quand ils pratiquent la médiation informelle dans le sens où ils interviennent plus dans l’esprit de la médiation. Les enseignants des élèves médiateurs ont aussi observé l’évolution des comportements de leurs élèves. Ce qui va dans le sens d’une généralisation de l’enseignement de la gestion des conflits à tous les élèves et pas uniquement aux futurs médiateurs. Une étude américaine[8] qui porte sur un programme plus étendu que la médiation et qui inclut aussi l’enseignement de la négociation à tous, la pédagogie de la coopération et la création d’une instance de médiation par les pairs corroborent les observations françaises : après la formation, les élèves se montrent capables de négocier et de traiter des conflits sur le mode de la médiation, ils peuvent également transférer cette compétence à l’extérieur de l’école. L’intégration de l’enseignement de la gestion des conflits dans une matière générale entraîne de meilleurs résultats scolaires. Le nombre de problèmes de discipline est descendu de 60% et les envois chez le principal de 95 %.[9]

Limites de la médiation

L’Antenne Scolaire d’Anderlecht[10] a fait une évaluation au bout de deux ans de programmes de médiation par les pairs mis en place dans deux écoles de l’entité. La phase de formation a été très riche tant pour les élèves que pour les enseignants. Les enfants ont acquis de réelles compétences qu’ils ont expérimentées entre eux et à la maison. Par contre l’exercice de la fonction de médiateur dans la cour de récréation a été décevante et n’a eu aucune influence mesurable sur la culture de l’école[11]. Il a été également constaté que les médiateurs ne se sont pas sentis pris au sérieux, exception faite du titulaire qui avait suivi la formation. La direction et les autres enseignants n’avaient pas le temps de s’engager et les enfants se sont sentis instrumentalisés ; ils exprimaient, d’une part, leur lassitude à traiter toujours les mêmes conflits entre les mêmes protagonistes, à organiser de fausses réconciliations et, d’autre part, ils ont mis le doigt sur les contradictions entre l’éthique de la médiation et le fonctionnement plus disciplinaire de l’école. A l’aune de ces résultats, on voit donc qu’il faut une réelle adhésion de l’ensemble de la communauté éducative pour que le projet tienne la route. Ce que confirme Bruno De Dobbeleer (A.S à l’Antenne Scolaire d’Anderlecht) : Cette pratique apparaît comme généreuse et séduisante, mais une simple adhésion de façade à ses principes fera capoter le projet. D’où l’importance de travailler l’institutionnel, de travailler ses valeurs avant de se lancer dans l’aventure.[12] Il conclut en disant que le partenariat avec des intervenants externes à l’école restent intéressant à développer à condition d’y associer activement les enseignants pour déboucher sur une continuation du projet porté en toute autonomie par les enseignants et la direction.

Un constat un peu similaire a été fait à l’Institut Saint-Etienne de Court Saint-Etienne[13] : des enfants de 5e et 6e années primaires sont formés à la gestion de conflits et interviennent pendant les récréations[14]. Une grande proportion de la communauté éducative porte le projet ; en effet, des animations ont lieu au sein de l’école tout au long de l’année avec comme fil rouge la CNV[15] et l’accent est mis dans toutes les classes sur une volonté d’aider les autres et de faire en sorte que les relations se déroulent de manière non-violente. Il y a donc une cohérence autour d’une mobilisation de tous pour que les enfants grandissent et s’épanouissent dans des relations saines et respectueuses. Cependant les enfants éprouvent des difficultés à tenir leur rôle de médiateur et ce en grande partie parce que le personnel surveillant n’est pas formé à la CNV : Le principal problème soulevé par ces médiateurs en herbe est de n’être pas suffisamment appelé à leur goût. En effet, les enfants en dispute ont plutôt le réflexe de faire appel au surveillant qui règle cela parfois différemment qu’avec la CNV et qui « oublie » la présence des enfants-médiateurs.

On voit donc que la place de médiateur en herbe est réellement difficile à tenir et dépend fortement du bon vouloir des adultes en présence et de leur adhésion réelle au projet.

Marianne Souquet relève par ailleurs que la plupart des chercheurs s’accordent pour démontrer que la médiation serait un processus « féminin ». Ce qui pourrait peut-être expliquer pourquoi les programmes de médiation ne diminuent pas significativement la violence physique. Dans son étude française[16], J-P. Bonafé-Schmitt parle de nombreuses réticences à la base du projet ; celles-ci émanent autant des élèves, des enseignants que des parents d’élèves et sont de plusieurs ordres : peur des représailles, méfiance, manque de légitimité de la fonction, … : On ne leur laisse pas vivre leur vie d’enfants » (…). De nombreux élèves pensent que les adultes ne les respectent pas et une majorité est favorable à la création de « lieux d’écoute ». Nous remarquons également, au cours de nos formations, la peur de certains adultes de la communauté éducative de perdre leur pouvoir. Les enseignants nous pointent aussi les limites de la médiation, qui ne « marcherait » que dans les conflits mineurs entre élèves non violents.[17] Il a aussi relevé un certain nombre d’éléments qui peuvent favoriser ou déforcer la médiation entre pairs. Tout d’abord, il règne une certaine confusion dans la représentation que les enfants ont du rôle du médiateur (arbitre ? justicier ? magicien ?) ; les médiateurs en herbe font plus souvent appel aux adultes quand ils sont jeunes alors qu’au lycée, ils préfèrent une discussion directe entre les parties et le recours à l’adulte est utilisé comme menace pour surmonter une situation de blocage. Et la supervision de leurs activités de médiateurs par un adulte est vécue comme une limite à leur autonomie, comme un obstacle à l’installation d’une relation de confiance entre les parties en conflit. Et surtout, il y a un « effet d’établissement », l’efficience de la médiation varie en fonction de l’investissement de la communauté éducative. Pour J-P. Bonafé-Schmitt, la médiation scolaire, comme les autres formes de médiation, représente encore une « contre-culture » et la légitimité ne se décrète pas mais s’acquiert.

Relevons aussi dans le cadre des limites de la médiation entre pairs que la médiation profite surtout aux élèves médiateurs, notamment quant à l’estime de soi. En donnant l’opportunité à tous les élèves de suivre une formation de base à la médiation, les répercussions seront aussi positives pour tous.

Recommandations

Marianne Souquet clôture son article en énonçant les caractéristiques les plus importantes pour qu’un programme de médiation soit efficient :

  • Installer un groupe d’adultes référent afin qu’il y ait toujours un adulte disponible pour les élèves-médiateurs. La supervision par un adulte aide également à maintenir le projet dans le long terme, malgré le départ des élèves au terme de leur cycle scolaire.
  • Implication de l’ensemble de la communauté éducative (direction, enseignants, éducateurs, personnel de surveillance…). Investissement humain et matériel (mise à disposition de locaux, financement de la formation …).
  • Visibilité importante des médiateurs ; ils doivent être clairement identifiés et par là même reconnus dans leur fonction particulière.
  • Le groupe de médiateurs doit être représentatif de l’ensemble des élèves.
  • Formation commune des enseignants et des élèves. Les élèves médiateurs doivent être idéalement considérés comme des partenaires éducatifs dans l’exercice de leur démarche.
  • Importance d’une formation pratique. La théorie ne suffit pas. Les mises en situation et jeux de rôle sont bénéfiques pour asseoir chacun dans son rôle.
  • Le fait d’inscrire le programme de médiation dans le projet d’établissement assure une plus grande légitimité au processus et fait réellement évoluer les mentalités dans le sens d’une redéfinition des rapports entre élèves et membres de la communauté éducative et entre élèves eux-mêmes.
  • Une difficulté régulièrement rencontrée par les élèves médiateurs est la perception que les autres ont d’eux et de là découle la légitimité qui leur sera accordée. Pour éviter qu’ils ne soient vus comme des chouchous ou des mêle-tout, il peut être intéressant de donner à l’ensemble des élèves une formation de base à la médiation et de proposer une formation plus complète aux candidats médiateurs. De même si les générations de médiateurs se succèdent au sein de l’école, leur rôle sera mieux vécu et légitimé par les autres élèves.

Conclusion

Nous avons voulu explorer dans cette analyse les limites de cette pratique afin d’en mesurer pleinement les apports positifs d’un autre côté. Il s’avère que, malgré les difficultés, la médiation en milieu scolaire semble progressivement trouver sa place dans un mouvement à la fois psychologique et sociologique de remise en question de l’école, tout en apportant des éléments de réponse à la crise à laquelle notre société a à faire face.

La médiation par les pairs doit se limiter aux petits conflits du quotidien, elle n’est pas une réponse aux problèmes de délinquance. Elle constitue une démarche préventive, durable, utile tout au long d’une vie et dans tous les contextes de relations humaines. L’Ufapec encourage d’ailleurs vivement les écoles qui mettent en place des structures de médiation d’associer les parents et les associations de parents à leur projet afin que le processus puisse être compris et soutenu aussi dans les familles. Et même si la médiation par les pairs nécessite un investissement important, il est évident que l’instauration dans nos écoles de sessions de formation à la communication, au développement d’habiletés sociales, à la régulation positive des conflits est bénéfique pour tous et aura des répercussions bénéfiques dans et en dehors des murs de nos écoles.

 
 
Anne Floor 
 
 

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[1] http://gouvernement.cfwb.be/former-les-jeunes-la-mediation-25-11-10

[2] J-P. Bonafé-Schmitt, La médiation scolaire: une technique de gestion de la violence ou un processus

 in « violences à l’école-Etat des savoirs », coordonné par Bernard Charlot et Jean-Claude Emin, Ed. Armand Colin, 1997, p.255-282.

[3] Participants à la médiation

[4] J-P. Bonafé-Schmitt et coll., la médiation scolaire : étude comparative France-Etats-Unis, GLYSI, Université Lumière-Lyon II, juin 1997.

[5] M. Souquet, La médiation en milieu scolaire in Les médiations, la médiation, Erès, Collection « Trajets », 2003.

[6] J-P. Bonafé-Schmitt et coll, op.cit.

[7] M. Souquet, La médiation en milieu scolaire in Les médiations, la médiation, Erès, Collection « Trajets », 2003, p.283.

[8] D.W. Johnson, R.T. Johnson, Teaching Students to be Peacemakers, Cooperative Learning Center at the University of Minnesota, Minneapolis, 1995.

[9] M. Souquet, op.cit, p. 285.

[10] Voir annexe 2

[13] A.Floor, Le tutorat et le parrainage, de nouvelles manières d’apprendre pour une école de la réussite, Etude Ufapec 20.10.

[14] Pour plus d’infos, voir annexe 3.

[15] CNV : Communication non violente

[16] La formation des élèves-médiateurs s’est réalisée en plusieurs phases ; la première consistait à sensibiliser l’ensemble des élèves et de la communauté éducative à la notion de conflit et à la médiation pour ensuite dans un second temps dispenser une formation de 8 heures aux techniques de médiation aux jeunes volontaires.

[17] J.-P. Bonafé-Schmitt, op.cit.

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