Analyse UFAPEC septembre 2016 par A. Floor

19.16/ Quelle place à l'école pour les élèves dyspraxiques ?

Introduction

Nouer ses lacets, boutonner son manteau, tenir en équilibre sur son vélo, monter les escaliers, se servir un verre d'eau… autant d'étapes franchies avec succès par bon nombre d'enfants, mais qui exigent pour d'autres une concentration de tous les instants, sans toujours atteindre le résultat espéré. L'entourage immédiat de ces enfants "maladroits" pourra y voir dans un premier temps de la mauvaise volonté, de la paresse, de l'inattention… Souvent l'entrée dans le monde scolaire va mettre en évidence les difficultés, interpeller et désarçonner enseignants et parents sur l'évolution en dents de scie de ces enfants. A côté d'une certaine maladresse très variable d'un enfant à l'autre, ces enfants seront en difficulté dans des domaines très variés tels que le découpage, le graphisme, le dénombrement, le positionnement spatial et temporel, la prise de notes, la lecture… La dyspraxie est un handicap invisible qui s'exprime à des degrés divers et avec des symptômes différents d'un enfant à l'autre. Sans diagnostic, par méconnaissance, par indifférence et non reconnaissance de leurs spécificités, ces enfants "maladroits", capables du pire comme du meilleur, ne seront pas pris en charge, pas rééduqués et risquent fort de se retrouver en échec à l’école, parfois orientés sans tenir compte de leurs motivations, lignes de forces et faiblesses et plus tard dans leur vie en général notamment en matière d'emploi Pour certains, le risque de décrochage scolaire est important, tant les efforts demandés lors des apprentissages scolaires sont épuisants. Une école de la réussite ne serait-elle pas précisément une école qui s'appuie sur les points forts de l'enfant pour optimiser ses compétences, qu'il soit dyspraxique ou non d'ailleurs ? Mais n'est-ce pas en demander trop aux enseignants qui se retrouvent devant des grosses classes, des parents de plus en plus exigeants et des élèves aux profils d'apprentissage très variés ? Une école de la réussite et de l'excellence pour tous ne devrait-elle pas intégrer tous les enfants et leur donner des chances égales de s'intégrer dans notre société ? Il y a là un enjeu de société important : comment intégrer les élèves dyspraxiques, ne pas les discriminer d'emblée via leur parcours scolaire et leur donner  des chances égales de réussite aujourd'hui et pour tout la vie ?

Dyspraxie, trouble d'acquisition de la coordination

·        Définitions

Les appellations ont évolué avec le temps et varient d'un pays à l'autre. Les deux appellations les plus employées actuellement sont la dyspraxie et le DCD (Developmental coordination disorder) traduit en français par trouble d'acquisition de la coordination (TAC). Le DCD est utilisé aux Etats-Unis et au Canada anglais tandis que la dyspraxie s'emploie plus couramment au Québec et en Europe.

Malgré les différences de terminologie, des points communs se dégagent de ces deux appellations. La dyspraxie est un trouble moteur :

  • qui touche la planification et la coordination des mouvements, cela en l'absence de déficit moteur primaire affectant les nerfs ou les muscles (…)
  • qui n'est pas causé par une déficience intellectuelle ou un trouble envahissant du développement
  • qui a des conséquences sur l'autonomie dans la vie quotidienne et sur les apprentissages scolaires[1].

·        Conséquences de ce trouble

Ce trouble entraine des difficultés plus ou moins sévères dans l’élaboration et dans l’automatisation de gestes volontaires. Faire du vélo, skier, manger avec deux couverts, écrire sont des activités "non naturelles" dans le sens où elles nécessitent un apprentissage. Une fois ces gestes appris, ils sont intégrés et exécutés sans y penser, sans y faire attention, sans fatigue. Ils deviennent routiniers sauf pour les dyspraxiques. Ceux-ci présentent des difficultés pour organiser (faire les gestes dans le bon ordre en vue d’atteindre un but déterminé) et coordonner ses gestes de manière adaptée au nouvel environnement auquel il est confronté. Le dyspraxique doit donc apprendre chaque variante d’une activité comme si elle était toute nouvelle. C’est pour cela qu’on appelle ce trouble celui du « comment faire ? » [2].

Très souvent, ces difficultés motrices sont associées à des troubles touchant la perception visuelle de l’espace. La dyspraxie devient visuo-spatiale, si s'ajoute à la maladresse pathologique de la praxie[3] celle du regarder et de la perception de l'espace. La dyspraxie visuo-spatiale constitue une des formes les plus fréquentes de dyspraxie.

Rappelons que ces troubles ne peuvent être expliqués ni par un retard mental, ni par un déficit sensoriel, ni par un trouble du développement psycho-affectif. L’enfant ne présente pas de retard intellectuel, comprend ce qu’il doit faire et ne souffre pas de déficit sensoriel ou moteur. Malgré cela, l’enfant n’arrive pas à exécuter la consigne. Il n’y a pas non plus de lésions cérébrales pouvant expliquer ces difficultés.

La dyspraxie est un trouble spécifique des apprentissages avec un fort retentissement scolaire et social. Ce trouble n’est pas « évolutif » c’est-à-dire qu’il ne va pas s’aggraver. L’enfant va progresser mais l’écart de performances par rapport à la moyenne se marque et s’accroît entre 5 et 10 ans en termes de production (écriture/dessin) ou d’exécution[4].

Combien d'enfants concernés ?

Il n'existe pas de recensement de cas de dyspraxie en Belgique ou en France. En revanche, il existe des études de prévalence qui ont été réalisées dans différents pays : Australie, Suède, Niger, Singapour, Grande-Bretagne. Cette demi-douzaine d’études épidémiologiques donne des taux de prévalence (nombre de personnes atteintes à un moment donné) variant de 1,8 à 18 % chez des enfants de 5 à 12 ans. Dans ces études, menées aussi en Australie, en Afrique ou en Asie, les garçons sont plus touchés que les filles. La variation s'explique par le fait que le seuil de dépassement de l'échelle d'évaluation du mouvement standardisé varie d'un pays à l'autre[5].

Pour le docteur Alain Pouhet[6], 3 % des enfants scolarisés en France sont concernés par la dyspraxie[7]. En France, depuis le 11 février 2005, la dyspraxie a été reconnue comme un handicap[8] à part entière. En Belgique, comme les autres troubles d'apprentissage, la dyspraxie n'est toujours pas reconnue comme un handicap par l'INAMI. Cette non-reconnaissance aura un impact en termes de soutiens financiers pour les frais médicaux, l'achat d'ordinateur ou de logiciels entre autres.

Si aujourd'hui, on peut faire le diagnostic précocement et donner des soins pour que ces enfants aient une vie tout à fait[9] normalePierre-Yves Libois[10] nous assure qu'on est loin du compte en Belgique. Il faut bien comprendre que certains enfants dyspraxiques ont été sacrifiés par le système. C'est une question de choix. Mais en cas de dyspraxie, les séances d'ergothérapie ne sont toujours pas remboursées dans notre pays. Certaines choses sont faites, il faut bien l'admettre. A Charleroi par exemple, il existe deux centres de réhabilitation. Ils sont complètement saturés[11].

Trouble trop méconnu, complexe à diagnostiquer

Ce trouble du "comment faire" se manifeste pour 80 % des enfants vers l'âge de 4-5 ans, dès les premiers apprentissages scolaires (découpage, coloriage…). Or ce trouble reste encore fort méconnu d'après le docteur Caroline Huron[12]. Une synthèse récente vient de révéler que, pour les pathologies neurodéveloppementales, 398 études scientifiques ont été publiées sur la dyspraxie en vingt-cinq ans, contre 12 000 sur les troubles d'attention et 16 000 sur l'autisme[13]. Le docteur Pouhet déclare quant à lui qu'il s'agit d'une pathologie médicale très gênante sur le plan scolaire, qui devrait être prise en charge le plus précocement possible, actuellement fortement méconnue, car peu de médecins, psychologues ou rééducateurs savent la reconnaître faute d'information et de formation. La grande majorité des enseignants n'en a jamais entendu parler.[14]

Mon fils de 10 ans est dyspraxique. Il a été diagnostiqué à 7 ans.

En maternelle, combien de fois n'ai-je pas entendu :

"Oh, votre fils ne peut toujours pas mettre son manteau tout seul à l'endroit, ni fermer sa tirette.

Oh, votre fils ne sait toujours pas dessiner un bonhomme complet. 

Oh, votre fils ne veut pas participer aux bricolages. 

Oh, votre fils ne tient toujours pas convenablement son crayon. 

Oh, votre fils ne sait toujours pas ouvrir sa boîte à tartines tout seul. Si je ne le fais pas pour lui, il ne mange pas. 

Mais il a beaucoup de vocabulaire, et parle très bien. Le déclic va arriver! Il va se prendre en main."

Le PMS est venu l'observer en classe, mais ne nous a pas aidés à voir plus clair.

L'apprentissage de la lecture n'a pas été facile. Nous y avons passé vraiment beaucoup de temps notamment avec des lettres magnétiques pour assembler les sons plus ludiquement. En 2e primaire, un instituteur extraordinaire nous a dit : "il y a un décalage dans les compétences de Pablo que je ne comprends pas. Il est capable du meilleur comme du pire, alors que je reste persuadé qu'il s'applique toujours". Cette parole très sensée nous a ouvert les yeux. Nous sommes allés faire un test chez un logopède et avons entendu pour la première fois le terme dyspraxie. Pablo est très doué pour le décodage des consignes orales, mais dès qu'il doit décoder une consigne visuelle, c'est la foire. Ses yeux voient bien, mais son cerveau ne sait pas bien analyser les informations visuelles. Le décalage ressenti par son instituteur était expliqué[15].

Etablir un diagnostic de dyspraxie n'est pas chose aisée. En effet, il n'existe pas d'examen médical aussi évident qu'une prise de sang, un scanner, etc., pour poser un diagnostic. L'enfant devra passer une batterie de tests et cela peut prendre plusieurs mois, voire une année scolaire complète, entre le premier rendez-vous et la remise du diagnostic. Le bilan est loin d'être systématique, exhaustif, complet, il est plutôt raisonné dans le sens où il se construit à partir des symptômes scolaires et est  orienté par les premiers examens de "débrouillage", mais il devra surtout être spécifique à cet enfant-là[16].

Le site infor-dyspraxie conseille aux parents d'établir la chronologie des difficultés rencontrées avec l’enfant (sa manière de se déplacer avant de marcher ; les petits faits qui ont étonné dans son développement ; les difficultés rencontrées à la maison, à la crèche ou à l’école maternelle…).

La dyspraxie est un puzzle, chaque pièce prise séparément n’est pas significative. La diagnostiquer n’est donc pas simple. Facilitez le travail des médecins et thérapeutes en créant un dossier, sorte de puzzle complété, dans lequel vous mettrez ce qui a éveillé votre attention : vos observations, quelques dessins de l’école maternelle, un cahier d’écriture... les premiers avis médicaux ou remarques d’enseignants. Ce classeur complété progressivement pourra permettre une analyse plus fine des difficultés rencontrées par votre enfant[17].

S'il y a un quelconque soupçon de dyspraxie, le site infor-dyspraxie conseille de faire un bilan précis chez un neuropsychologue, car chaque dyspraxie est différente (assurez-vous que les patriciens choisis connaissent bien la dyspraxie, parlez-en avec votre médecin).

Louis a 16 ans aujourd’hui. En 3e maternelle, le CPMS a détecté des difficultés visuo-spatiales chez lui. Il a alors été proposé par le CPMS de le maintenir en 3e maternelle et ce pour deux raisons. Il est né en fin d’année et il pouvait encore bénéficier du tâtonnement expérimental (Ecole Freinet), ce dont il n’a pas profité vu sa dyspraxie (mais nous ne le savions pas à l’époque). En 1e primaire, nous avons été appelés fin septembre par l’enseignante pour difficultés visuo-spatiales. Nous avons d’abord consulté une orthoptiste, mais de ce côté-là il n’y a avait rien de particulier. Nous avons alors décidé de réaliser un bilan multidisciplinaire chapeauté par un neuropédiatre dans une clinique. Louis a été testé par des neuropsychologue, psychomotricien et logopède. Entre notre premier rendez-vous à l’hôpital et la remise du diagnostic de dyspraxie, il a bien fallu un an. La seule chose qu’on nous a dite, c’est de le changer d’école, car il ne serait jamais autonome et que la pédagogie Freinet ne lui convenait pas. Nous avons reçu des conseils de rééducation chez un neuropsychologue et un psychomotricien. Nous avions l’impression qu’à ce moment-là (il y a presque dix ans), personne ne savait trop ce qu’il fallait faire comme rééducation, les gens tâtonnaient[18].

Importance d'un diagnostic précoce et d’une prise en charge individuelle pour une communication efficace avec l’école

Le défaut de connaissances sur la dyspraxie aura un impact sur le moment du diagnostic dans la vie de l'enfant. Au plus celui-ci sera tardif, au plus l'estime de l'enfant sera touchée. Souvent est aussi évoquée la peur de l'étiquetage, de la stigmatisation. Or les enfants dyspraxiques sont bien conscients qu'il y a quelque chose qui cloche, ils voient bien qu'ils ont besoin d'aide pour s'habiller, qu'écrire est une épreuve, qu'ils sont maladroits. Même tout petits, les enfants se comparent et perçoivent les différences.

Ma main, elle souffrait, c'est parce qu'elle avait du mal à écrire, elle faisait tout de travers (…). Je le savais depuis que j'étais tout petit, mais bon, je ne pouvais pas leur expliquer. Ils ne me croiraient pas, alors je leur ai laissé découvrir.

- Tu as l'impression qu'ils ne comprennent pas?

- Oui, ils ont du mal à voir mes efforts. Ça fait de la peine[19].

Nous sommes allés faire un test chez un logopède et avons entendu pour la première fois le terme dyspraxie. Et tout s'est alors éclairé: 

Voici pourquoi, petit, il ne parvenait pas à dire où il avait mal lorsqu'il était tombé (et les chutes étaient quotidiennes vu son manque d'équilibre). 

Voici pourquoi, encore à 10 ans, lorsqu'il a la commissure de la lèvre gercée, il met de la crème sur sa joue. 

Voici pourquoi il présente des troubles organisationnels (dans quel ordre effectuer les étapes pour obtenir le résultat escompté ? Là est toute sa question ! Telle une recette de cuisine, si on inverse des étapes, le repas n’aura pas la même allure. Il doit sans cesse gérer des recettes de cuisine mélangées).

Voici pourquoi la psychomotricité fine reste défaillante. La vitesse d’exécution d’un geste, son harmonie et la précision sont insuffisants (pour ne pas verser le lait jusque par-dessus le bord de la tasse, quel défi !  Pablo devra décider de s’arrêter à la moitié et aura ainsi une tasse pleine au trois-quarts.).

Voici pourquoi il déteste les BD avec tous ces dessins remplis de détails ! Comme cela lui semble confus !

Voici pourquoi sur un vélo, Pablo a le sentiment d'être en Formule 1 à 200 km/heure. A cette allure, vous aussi auriez peur de ne pas négocier votre tournant au bon moment. 

Voici pourquoi chaque jour est un défi pour lui alors que, pour les autres enfants, les solutions se trouvent plus spontanément[20]

Par ailleurs, deux enfants peuvent recevoir un diagnostic de dyspraxie et ne présenter quasiment aucun symptôme en commun. Cette variabilité des tableaux cliniques rend le diagnostic complexe, désarçonne parents, enseignants et thérapeutes. Comme le dit très bien le docteur Alain Pouhet : Il n'y a pas une, mais des dyspraxies et chaque enfant est un cas particulier. (…) Chaque prise en charge est individuelle et découle du bilan précis d'un enfant particulier avec ses besoins individuels dans un contexte singulier et changeant (compétences et adhésion de l'auxiliaire de vie scolaire[21], des enseignants, d'une année à l'autre)[22].

Le rôle et la responsabilité des neuropsychologues, orthoptistes, logopèdes, ergothérapeutes, en bref des personnes qui suivent l'enfant en rééducation, seront d'expliquer clairement à l'enseignant ou aux enseignants ainsi qu'aux parents :

  • ce que l'enfant peut faire -et doit-faire seul ;
  •  ce qu'il ne peut faire qu'avec aide, bien explicitée ;
  •  ce qu'il ne peut - et ne pourra jamais ou de façon insuffisamment rentable - faire seul[23].

Selon le docteur Pouhet, la place des paramédicaux est fondamentale, tant pour la prise en charge individuelle que pour le lien avec les parents et l'école : Ils doivent adapter leurs exigences au niveau de développement de l'enfant et transférer ce point fondamental du statut de l'enfant "apprenant" auprès des équipes pédagogiques : il ne faut ni saturer, ni dégoûter un enfant des apprentissages en raison d'exigences scolaires inatteignables[24].

Et après les primaires ? Après le CEB ?

En primaire, les élèves dyspraxiques vont soit fréquenter l'enseignement ordinaire avec plus ou moins d'adaptations selon les équipes enseignantes soit bénéficier de projets d'intégration soit fréquenter le type 8 de l'enseignement spécialisé. Celui-ci s’adresse aux enfants n’ayant pas de troubles de l'intelligence, de l'audition ou de la vision mais présentant des troubles qui se traduisent par des difficultés importantes dans le développement du langage, de la parole ou dans l'apprentissage de la lecture, de l'écriture, du calcul. Les enfants « dys » peuvent donc s’y retrouver si leurs difficultés sont telles que, dans un premier temps, une intervention particulière dans le cadre de l'enseignement ordinaire ne peut suffire. Une modification du décret enseignement spécialisé du 3 mars 2004 insérée le 14 juillet 2015[25] redéfinit d'ailleurs les conditions d’orientation dans l’enseignement spécialisé : en cas d’orientation vers l’enseignement spécialisé, pour les élèves qui relèveraient de l’enseignement spécialisé des types 1 (destiné aux élèves présentant un retard mental léger), 3 (destiné aux élèves présentant des troubles de comportement et/ou de la personnalité) ou 8 (destiné aux élèves présentant des troubles instrumentaux et des troubles d’apprentissage), le rapport d’inscription doit désormais décrire l’accompagnement et les aménagements raisonnables mis en place dans l’enseignement ordinaire et démontrer que ceux-ci se sont révélés insuffisants pour assurer un apprentissage adapté aux besoins spécifiques de l’élève[26].

Le type 8 n'existant plus en secondaire et comme l'enseignement vise de plus en plus à être inclusif, les élèves dyspraxiques qui ont réussi leur CEB vont fréquenter l'enseignement secondaire ordinaire.

Après la réussite du CEB par sa fille, un papa exprime toute son inquiétude pour l’entrée en secondaire si aucun aménagement n’est mis en place :

Ça a été six ans de bataille. L'émotion a vite été remplacée par une remise en question. Parce que maintenant, c'est le secondaire qui arrive, et on ne sait pas ce qui nous attend. Ce qui m'énerve, c'est que nous sommes en train de nous rendre compte que rien n'est mis en place. Tout ce que nous demandons, c'est que notre fille puisse apprendre comme les autres, et pas dans la souffrance. Mais je ne me fais pas d'illusion, si rien ne change, ma fille a peu de chances de réussite[27].

Un élève dyspraxique dans l'enseignement ordinaire qui ne bénéficie d'aucun aménagement pédagogique ni d’outil adapté risque bien de vivre des échecs scolaires et de glisser petit à petit de l'enseignement général, vers l'enseignement technique et ensuite vers le professionnel[28], sachant que la dextérité manuelle n'est pas leur fort.

Pour pas mal d'écoles, j'ai l'impression qu'avoir un enfant dyspraxique dans une classe, c'est plus un boulet qu'une opportunité. Comme ma fille ne rentre pas dans le cadre, certaines écoles veulent l'orienter vers l'enseignement différencié. C'est hors de question! Elle a réussi son CEB, et elle a le droit d'aller en première secondaire, comme les autres.[29]

Même les projets d'intégration vont s'interrompre puisque les écoles spécialisées ne sont plus habilitées à suivre les élèves en secondaire, sauf en cas de changement de type (passage du type 8 vers type 4[30]). Dans certains cas, moyennant un rapport d'orientation précisant le type d'enseignement spécialisé qui correspond le mieux aux besoins de l'élève, l'élève dyspraxique pourra être orienté vers l'enseignement secondaire spécialisé de type 4[31]. Ce rapport est établi pour le type 4 sur la base d'un examen pluridisciplinaire (données médicales, socio-familiales et psycho-pédagogiques), par un CPMS, par un office d’orientation scolaire et professionnelle ou par tout autre organisme organisés, subventionnés ou reconnus par la Communauté Française. L'élève peut alors fréquenter l'enseignement spécialisé de type 4 ou bénéficier de projet d'intégration de l'établissement d'enseignement spécialisé de type 4 dans l'enseignement ordinaire.

Cette orientation vers un type du spécialisé qui ne leur est pas spécifiquement adressé constitue un obstacle pour les parents et les élèves qui vont se trouver confrontés à des pairs porteurs d'handicaps physiques plus lourds. Les enseignants du type 4 auront aussi à se former à la dyspraxie pour accompagner au mieux ces nouveaux élèves. La navigation s'annonce donc bien complexe pour l'élève dyspraxique et ses parents entre un enseignement secondaire ordinaire qui est poussé à l'inclusion et l'enseignement secondaire spécialisé de type 4 qui accueille, faute d'un type 8.

Il a eu ce parcours- là, car un dyspraxique n’est pas manuel et la seule possibilité que leur offre l’enseignement en Belgique, c’est une orientation vers le professionnel. J’ai essayé qu’il reste le plus longtemps possible dans le général, je savais que cela n’allait pas aller au niveau manuel. C’est pour cela qu’il a un parcours aussi bizarre. A partir de la 6e primaire, il a été suivi en intégration sur notre proposition. L’école a trouvé que c’était une bonne idée. Malheureusement, l’instituteur détaché par l’école spécialisée n’était pas du tout spécialisé en dyspraxie. Il a bénéficié des aménagements pour le CEB qu’il a réussi. Il est donc passé en 1e secondaire dans une école secondaire ordinaire sans plus d’intégration, car le type 8 n’existe pas en secondaire. Mais, à la Toussaint, cela n’allait pas du tout. J’ai demandé alors une réunion avec les deux CPMS (celui de l’école actuelle et celui de l’école primaire), la logopède et la titulaire. J’ai alors demandé de pouvoir faire une première secondaire aménagée en deux ans. L’école était d’accord, mais pas Louis. J’ai alors obtenu une dérogation pour bénéficier de l’intégration en type 4, il a pu être suivi en projet d’intégration type 4 forme 4 (handicap moteur). Il a pris son ordinateur à l’école, celle-ci lui a installé une prise électrique dans la classe. Début mai, cela n’allait plus du tout et il est passé dans l’école secondaire spécialisée. Il se trouvait dans une 1e-2e. Il a passé son CE1D, a raté les maths (30 %), mais a été délibéré et est passé tout de même en 3e TQ hôtellerie-restauration. Il a réussi sa 3e TQ hôtellerie-restauration et a abandonné durant sa 4e TQ. Il est pour le moment en stage chez un boulanger de la région et il s’y plait énormément. En secondaire, il est un élève parmi 20-25 élèves qui font la cuisine et tout le monde doit faire la même chose en même temps et très vite. Or aller très vite, c’est impossible pour lui. Lors de son premier stage chez le boulanger, on lui a dit qu’il ne devait pas aller aussi vite. Les critères de l’école ne sont pas les mêmes que ceux des professionnels. Dans son école secondaire, les enseignants me disaient : « Moi je ne fais pas attention à son handicap, il doit faire la même chose comme tout le monde !!! »[32]

Conclusion

La dyspraxie est un handicap invisible qui met en difficulté l'école dans sa globalité. Le type 8 en primaire, que cela soit par sa fréquentation ou par le biais des intégrations, peut constituer une réponse pour certains. Mais une fois le CEB réussi, ces élèves sont lancés dans la nature et les parents partent à la quête de l'"Ecole" qui veut bien de leur enfant au profil particulier. Sans aide, sans aménagement, sans accompagnement dans et en dehors de l'école, le risque de perdre pied est grand. Les choix sont restreints : retourner dans l'enseignement spécialisé dans un type destiné aux enfants handicapés physiques, bénéficier de l'intégration via le type 4, rester au prix d'efforts immenses de la part de l'enfant, des familles[33] (cours particuliers, rééducations, ordinateur…) et des équipes enseignantes dans l'enseignement de transition, s'orienter ou être orienté dans des filières nécessitant un minimum de dextérité manuelle dans le qualifiant…

Dans son mémorandum, l'UFAPEC défend la création d'un type 8 dans le 1er degré du secondaire, entre autres pour les élèves du primaire spécialisé qui veulent réintégrer l’enseignement secondaire ordinaire. Ils bénéficieraient ainsi des modalités de l’intégration dans l’enseignement ordinaire (ils ne seraient plus obligés de s’inscrire dans d’autres types, qui ne correspondent pas à leur profil, pour en jouir). En effet, un élève en intégration a droit à la présence et au soutien de l’enseignant du spécialisé quatre heures par semaine[34]. De plus, en instaurant un socle commun de compétences jusqu’à 14 ans, la création d’un type 8 jusqu’à l’âge de 14 ans est d’autant plus indiquée.

Avec les élèves dyspraxiques se pose à nouveau et de façon encore plus lancinante la question de savoir quelle école nous voulons et vers quelle société nous nous dirigeons. L'inclusion, on en parle de plus en plus, mais la souhaitons-nous vraiment ? Les parents et les enfants dyspraxiques rencontrent tant d'obstacles sur leur chemin qu'il est parfois tentant de croire à une simple bonne résolution, alors qu'aucun moyen financier et/ou humain n'est alloué aux écoles, aux directions et enseignants. Une prise en charge par des spécialistes et un accompagnement adéquat sur le long terme coûte extrêmement cher aux familles. Situation qui laisse bien des enfants et jeunes sur le carreau, contraints de se débrouiller avec leur handicap invisible. Même dans la société civile, des voix s'insurgent et s'opposent à l'inclusion au nom d'un certain niveau à maintenir dans l'école. Comment faire comprendre qu'adapter, aménager, permettre l'usage d'un ordinateur en classe, autoriser les livres audio, etc., ce n'est pas diminuer les exigences et distribuer des diplômes au rabais ? Les élèves dyspraxiques ont des forces, des compétences particulières à apporter dans les classes et dans la société en général, encore faut-il leur laisser leurs chances. Le voulons-nous ? Dans son mémorandum, l'UFAPEC prône une communication plus positive dans les médias par rapport aux troubles des apprentissages. On constate par exemple que les dyslexiques bénéficient des retombées positives d’une meilleure information (enseignants, autres élèves, parents…). Michèle Mazeau insiste sur les expériences réussies d'adultes dyspraxiques: Il existe des hommes ou des femmes dyspraxiques de 25-35 ans qui, grâce aux outils de compensation, sont devenus journalistes, avocats, psychologues, économistes ou historiens de l'art. Des "réussites"obtenues le plus souvent en cherchant à valoriser ce qui va bien chez l'enfant, en adaptant le monde à l'enfant et non l'inverse. Il s'agit presque là d'une conception philosophique, trop nombreux étant les parents et accompagnants qui souhaiteraient qu'on s'attaque à ce qui ne va pas, qu'on se rapproche du normal[35].

 

Anne Floor

 

[1] BRETON Sylvie et LEGER France, Mon cerveau ne m’écoute pas, CHU Sainte-Justine, p.28-29.

[2] Vous trouverez en annexe une présentation plus large des différents symptômes de la dyspraxie.

[3] Vient du grec « praksis » qui signifie action ordonnée vers une fin.

[4] Service de productions pédagogiques, La dyspraxie…un trouble d’apprentissage peu connu dans le monde scolaire, SeGEC (2008-2009) http://patrickjjdaganaud.com/6-INEE%20CATASTROPHES/FORMATION-INTERVENTION/BELGIQUE/Dyspraxie_trouble_apprentissage_peu_connu.pdf

[5] HURON Caroline, L’enfant dyspraxique Mieux l’aider à la maison et à l’école, Odile Jacob, 2011, p. 15.

[6] Médecin français spécialisé en médecine physique et réadaptation, formateur d’adultes en neuropsychologie infantile. Voir son site : https://sites.google.com/site/dralainpouhet/activite-de-formateur

[7] POUHET Alain et MOUCHARD GARELLI Claire, Présentation de la dyspraxie visuo-spatiale. http://www.coridys.fr/wp-content/uploads/2016/06/dyspraxie-visuo-spatiale-aides.pdf

[8] Le handicap y est défini comme « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un troubles de santé invalide ». IINPES (2009) Troubles “dys” de l’enfant : guide et ressources pour les parents.

[9] Cet adverbe « tout à fait » est à nuancer, car la maladresse persistera malgré tout. Son intensité peut néanmoins s’atténuer au prix de rééducations, d’adaptations et de contournements.

[10] Neurologue belge et spécialiste de l'accompagnement des enfants dyspraxiques.

[12] Le docteur Caroline Huron est psychiatre, chercheuse en sciences cognitives à l’INSERM.

[13] SERGENT Denis, La dyspraxie, handicap méconnu et sous-estimé, La Croix, 28/05/2012.

[14] POUHET Alain et MOUCHARD GARELLI Claire, Présentation de la dyspraxie visuo-spatiale. http://www.coridys.fr/wp-content/uploads/2016/06/dyspraxie-visuo-spatiale-aides.pdf

[15] Témoignage recueilli auprès d’une maman active dans la boîte à outils coordonnée par l’UFAPEC et l’APEDA.

[16] POUHET Alain, Abord pragmatique des dyspraxies de l’enfant en situation d’apprentissage scolaire. http://ww2.ac-poitiers.fr/ecoles/spip.php?article235

[18] Témoignage recueilli le 6 juin 2016 auprès d’une maman active dans la boîte à outils coordonnée par l’UFAPEC et l’APEDA.

[19] Témoignage d’Alexandre, 9 ans qui répond à une journaliste lors d’un reportage télévisé réalisé à l’occasion de la Journée des Dys, le 10 octobre 2009. Extrait du livre de Caroline Huron, L’enfant dyspraxique,  p. 71.

[20] Témoignage recueilli auprès d’une maman active dans la boîte à outils coordonnée par l’UFAPEC et l’APEDA.

[21] En France, l’auxiliaire de vie scolaire (AVS) est un professionnel intervenant dans des établissements scolaires, élémentaires, des collèges, des lycées, auprès d’enfants handicapés intégrés au sein d’une classe scolaire ordinaire ou une classe spécialisée, afin de faciliter l’intégration scolaire des élèves. L’AVS intervient au quotidien de la vie scolaire auprès de l’élève ou encore en appui aux équipes enseignantes. http://sante.lefigaro.fr/social/personnes-handicapees/auxiliaire-vie-scolaire/quest-ce-quun-auxiliaire-vie-scolaire-avs

[22] POUHET Alain et MOUCHARD GARELLI Claire, Présentation de la dyspraxie visuo-spatiale. http://www.coridys.fr/wp-content/uploads/2016/06/dyspraxie-visuo-spatiale-aides.pdf

[23] POUHET Alain, Abord pragmatique des dyspraxies de l’enfant en situation d’apprentissage scolaire. http://ww2.ac-poitiers.fr/ecoles/spip.php?article235

[24] POUHET Alain, ibidem.

[25]Décret organisant l’enseignement spécialisé du 3 mars 2004. http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/28737_022.pdf

[27] https://www.rtbf.be/info/regions/hainaut/detail_dyspraxie-un-ceb-reussi-et-deja-les-inquietudes-pour-le-secondaire?id=9339714

[28] Nous n’abordons pas ici le bien-fondé des orientations des élèves en échec vers l’enseignement professionnel.

[30] Le type 4 est destiné aux élèves handicapés physiques et qui n’entrent pas dans les conditions des types 5, 6 et 7 et dont l'état nécessite le recours à des soins médicaux et paramédicaux réguliers ou à l'emploi de méthodes orthopédagogiques. Les enfants dyspraxiques peuvent être orientés vers l’enseignement de type 4.

[32] Témoignage recueilli le 6 juin 2016 auprès d’une maman active dans la boîte à outils coordonnée par l’UFAPEC et l’APEDA.

[33] Sachant que cette alternative ne s’offre pas à toutes les familles tant du point de vue financier que du point de vue de la connaissance du système scolaire.

[35]SERGENT Denis, La dyspraxie, handicap méconnu et sous-estimé, La Croix, du 28/05/2012. 

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