Analyse Ufapec juin 2012 par Bénédicte Loriers

20.12/ Pourquoi certains parents n’en peuvent plus ?

Introduction

Nombreux parents sont persuadés que l’avenir de leur enfant repose entièrement sur leurs épaules, et qu’à ce titre ils doivent se couper en quatre pour lui.A force de viser la perfection, certains parents se retrouvent ainsi épuisés physiquement et mentalement, avec des difficultés de couple et une vie sociale réduite au néant. Le terme épuisement est défini comme une absence de forces, une grande faiblesse physique ou morale[1]. Surcharge de travail, absence de reconnaissance ou de récompense, … certains parents ont du mal à gérer ce stress. Comme pour le burnout professionnel, les conséquences sont la fatigue, l’épuisement, et parfois la dépression. Mais quels sont au juste les parasites extérieurs qui rendent cette mission parentale si difficile de nos jours?

Témoignage

« Je ne vois que des petits tortionnaires qui mettent en danger ma survie. Cela fait de moi une « mauvaise mère » et d’eux de « mauvais enfants ». Je bous de colère. Celle-ci est à peu près contenue pendant la nuit, mais elle finit toujours par exploser la journée. Une sourde angoisse monte petit à petit. La rage intérieure que je tente de maîtriser est croissante, et j’explose fréquemment. Je crie fort. De plus en plus fort. Je tape maintenant facilement : des fessées le plus souvent, des gifles parfois. Je me sens complètement étrangère à moi-même et en total décalage avec l’idée que je me fais d’une mère « suffisamment bonne ». Il me prend très souvent l’envie de partir, de quitter toute la famille. Par trois fois, lors de sorties au parc, j’ai été à deux doigts de franchir le pas ». Happy end malgré tout, la scolarisation de ses enfants lui permet de construire un projet professionnel et de renaître à la vie [2].

Idéal inatteignable

De nos jours, le projecteur est braqué sur l’enfant avant même sa naissance : haptonomie, musique classique, yoga, puis petits repas maison, … certains parents veulent à tout prix ressembler à l’image de la mère ou du père parfait, qui fait tout ce que les experts recommandent pour leur enfant. Catherine Halpern écrit que « les mères doivent être disponibles et  avoir des attitudes éducatives réfléchies, jouer avec ses enfants, leur montrer les dangers, trouver des sanctions parfois sophistiquées (…) [3] ». Pour Philippe Béague[4], l’abus d’experts nuit à la santé des enfants et de leurs géniteurs. A force de dévorer des manuels d’éducation, les mères se sont souvent vissé dans la tête un idéal inatteignable.

Questions existentielles

Etre un bon parent relève de plus en plus du défi. Pourquoi ? Chaque étape du développement de l’enfant suscite des questions existentielles : « Combien de temps laisser pleurer bébé le soir avant d’intervenir ? Les fessées sont-elles à proscrire absolument ? Faut-il le pousser à faire une activité sportive ou culturelle, ou bien le laisser libre d’occuper son temps comme il l’entend ? Quel est le bon moyen pour réagir face à un ado qui n’a envie de rien ?(…) Il s’agit de trouver la bonne attitude éducative, écouter les nombreux avis (grands-parents, amis, pédiatre, média, experts) sur ce qu’il convient de faire dans telle ou telle situation … sans qu’il existe de solution « clé en mains ». On comprend dès lors le succès des dispositifs de soutien à la parentalité, qui tentent d’épauler pères et mères sur ce périlleux chemin (…)[5]. »

Une autre cause de l’épuisement parental, souvent maternel, est tirée de la théorie de l’attachement[6], qui « constate que les mères sont culpabilisées car elles craignent de créer des carences affectives. Elles sont persuadées que l’avenir de leurs enfants est entre leurs mains et qu’à ce titre elles doivent tout faire pour eux. Quoi qu’il leur en coûte[7]. »

Renoncer à la perfection

Les rédacteurs du « Manuel de survie pour parents d’ados qui pètent les plombs » proposent aux parents de renoncer à la perfection: « Et si votre maladresse, vos hésitations et l’approximation de vos mots et de vos gestes lui offraient un terreau suffisamment riche pour qu’il puisse grandir ? Vous pouvez lui donner plus que vous ne le croyez, en particulier parce que vous n’avez pas toutes les cartes en main. Un jeune ne se construit pas seulement au contact de ses parents[8]  ». L’enfant, le jeune doit pouvoir sortir de sa famille, souvent source de troubles. Pour la sociologue Sandrine Garcia, la famille est pathogène, « que ce soit parce que le père vient à manquer, parce que les mères ne sont jamais à la hauteur de leurs tâches, parce que l’inceste rôde, parce qu’on attend trop de ses enfants, qu’on ne sait plus dire non ou au contraire qu’on se montre trop violent[9]. »

Trouver un équilibre au sein d’une complexité de rôles

Avant mai 68, les mères étaient souvent à la maison et tombaient parfois en dépression dès que les enfants quittaient le nid familial. Aujourd’hui, de nombreuses mères travaillent à l’extérieur, mais beaucoup sont dans un sentiment de culpabilité. Philippe Béague[10] nous propose d’oublier d’être un parent parfait :« l’important est que nos enfants aient des parents structurants ». Nous ne sommes plus dans la logique de quelques-uns de nos grands-parents qui étaient persuadés qu’il fallait souffrir sur terre. Nos enfants ont droit à avoir des parents qui éprouvent du plaisir à vivre, en trouvant un équilibre entre la famille, le travail, le couple, les loisirs, … Les difficultés à trouver cet équilibre nous mettent dans un état de nervosité, et cette ambiance provoque parfois des parents qui sont débordés, qui n’en peuvent plus. Cet équilibre est à trouver au sein de la famille, dans laquelle les rôles se complexifient. Auparavant, les rôles du père et de la mère étaient bien définis : la mère s’occupait du foyer et des enfants, et le père était affecté au travail extérieur. De nos jours, les rôles changent. On manque de temps, et donc la vie à la maison est moins calme. Certains hommes s’investissent dans la maison, les repères ont changé, et chacun doit réinventer son rôle, en complément du rôle de l’autre. Il faut donc beaucoup de dialogue dans le couple car ce n’est pas simple d’être sur la même longueur d’onde en matière d’éducation. Difficulté supplémentaire de taille : on est plus exigeant maintenant par rapport au couple, car on tient à sa liberté et son bonheur.

De plus, nombreux couples se séparent, avec chacun des règles différentes dans sa propre maison. Les enfants de parents divorcés se posent très vite la question du sens de leur vie, car ils doivent vivre pour eux-mêmes. Le divorce place souvent les parents dans un sentiment de culpabilité, et les espaces de dialogue et de rencontres permettent de prendre du recul par rapport aux difficultés. Ce recul permet de retrouver le respect de soi-même.

Baliser pour survivre

Qu’est-ce qu’éduquer pour nous aujourd’hui ? D’abord faire le bonheur de nos enfants avant tout ? Peut-être, en partie, mais cela ne suffit pas, il nous faut placer des repères, des balises, un cadre pour que nos enfants s’y retrouvent.

Les enfants sont des êtres de pulsion et de curiosité, de violence naturelle, d’agressivité nécessaire pour qu’ils trouvent leur place. Ils veulent tout essayer, et les parents doivent être là pour passer du plaisir à la notion de réalité.

Lorsque les parents se retrouvent à rappeler des règles incontournables, ils sont parfois dans cette souffrance d’imaginer que leur enfant souffre de respecter les limites imposées. Philippe Béague[11] rappelle que les enfants ont besoin d’adultes qui se tiennent debout, qui osent dire NON (exemple des balises que les parents doivent installer pour la gestion des écrans, balises rappelées dans la recherche-action[12] de l’UFAPEC, sur les enfants du Net et leurs parents).

Notre société actuelle est de moins en moins cadrée, tout ce qui faisait structure perd de son autorité : l’Ecole, l’Eglise, les patrons, … au nom de la démocratie et de l’épanouissement de l’individu qui prime sur la collectivité ou l’institution. Philippe Béague rappelle que, en éducation, nous ne sommes pas dans cette logique de démocratie, car l’autorité est indispensable. Les parents ont des droits sur leurs enfants car ils en sont responsables.

Les enfants ont droit à la parole, mais ils ne doivent pas envahir les adultes, par exemple en interrompant une discussion. Il faut leur apprendre à vivre avec les autres. Pour Philippe Béague, la frustration est parfois nécessaire, mais il est important de maintenir le dialogue avec l’enfant, ainsi, il pourra passer au-dessus de ses frustrations et castrations. « Dans cette société de consommation où les images publicitaires entretiennent sans cesse la confusion entre désirs et besoins, aidez-le à découvrir le plaisir de désirer plutôt que de posséder encore et encore[13]. »

Conclusion

L’épuisement n’est pas propre à la sphère professionnelle, on le retrouve aussi au sein de la famille.Le « métier de parent » porte en lui sa charge mentale, ses propres facteurs de stress et de burn-out, et la reconnaissance de l’épuisement parental s’inscrit dans la ligne de déculpabilisation des parents.

Le fait de rencontrer d’autres parents, de confronter les expériences, peut aussi soutenir la mère ou le père dans son rôle. En identifiant la fatigue physique et émotionnelle, les parents peuvent mieux la comprendre et réagir. Cela peut se faire lors d’échanges entre parents, de manière informelle, ou lors de rencontres plus formelles, comme par exemple au sein de « maisons de la parentalité » ou dans les associations de parents qui ouvrent le débat sur de nombreux sujets éducatifs. Ces échanges permettent de ne pas se focaliser sur son seul enfant, sur sa propre situation familiale, de prendre du recul.

Une autre piste pour lutter contre cet épuisement qui menace les parents, est de pouvoir déléguer, de pouvoir faire confiance à d’autres éducateurs. L’enfant est de nos jours un enfant du désir, et on en arrive à avoir du mal de laisser à d’autres la possibilité de s’en occuper. Le parent doit parfois accepter de déléguer son autorité à d’autres éducateurs, en légitimant leur responsabilité. En acceptant que d’autres adultes instaurent des règles, le parent permet à l’enfant de grandir. L’alliance éducative contribue certainement à l’épanouissement de l’enfant et du jeune et à un mieux-être du parent qui est soutenu dans son rôle. 

La parentalité est un processus, bien plus qu’un état. « Etre parent ne peut plus être vu comme un rôle qu’il suffirait d’endosser, mais davantage comme une activité à construire au quotidien, au contour flou, au contenu multiforme [14] ».On ne nait pas parent, on le devient.

 

 

Bénédicte Loriers

 

 

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[1]In Le nouveau petit Robert de la langue française 2009.

[2]Témoignage recueilli dans la revue Sciences Humaines n°232, HALPERN Catherine, Mères à bout de nerfs, décembre 2011, p. 37.

[3]HALPERN Catherine, Mères à bout de nerfs, in Revue Sciences Humaines n°232, Comment être parent aujourd’hui ? décembre 2011, p. 38.

[4]BEAGUE Ph., Ces mères parfaites qui n’en peuvent plus, in Le Vif n°34, 26 août 2011.

[5]MOLENAT Xavier, Comment devenir parent ?, in revue Sciences Humaines n°232, décembre 2011, p.34.

[6]Forgée par le psychanalyste John Bowlby après la seconde guerre mondiale, dans un contexte où de nombreux enfants ont été séparés de leurs parents, cette théorie fait de l’attachement continu et stable à une personne qui prend soin de lui (care-giver) un des besoins primaires du bébé, indispensable à son bon développement émotionnel et social (in MOLENAT Xavier, Comment devenir parent ?, in revue Sciences Humaines n°232, décembre 2011, p.38).

[7]MOLENAT Xavier, ibidem.

[8]Manuel de survie pour parents d’ados qui pètent les plombs, Yapaka.be, 2011, p.11.

[9]GARCIA Sandrine, Mères sous influence, de la cause des femmes à la cause des enfants, éditions La Découverte, Paris, 2011.

[10]Conférence de Philippe Béague, organisée par l’UFAPEC et l’association de parents de l’école Saint-Antoine de Marloie, le 22 mars 2012.

[11]Conférence de Philippe Béague, ibidem.

[13]Manuel de survie pour parents d’ados qui pètent les plombs, Yapaka.be, 2011, p.19.

[14]DECHAUX Jean-Hugues, Travail parental et parentalité, parlons-nous de la même chose ?, Informations sociales, n°154, 2009/4.

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