Analyse UFAPEC mars 2015 par B. Loriers

01.15/ Comment parler à nos enfants de la fusillade contre Charlie Hebdo ?

Introduction

Les attentats de janvier 2015 en France ont été vécus comme un véritable traumatisme collectif, traumatisme qui a été renforcé par les opérations antiterroristes menées à Verviers et Bruxelles : la violence est possible partout, même chez nous.

Le temps est venu de sortir de l’émotion, de prendre une distance critique, et de construire une réflexion avec les enfants, avec les jeunes, en menant un travail sur le long terme, à l’école et à la maison. Il n’est pas trop tard. Après le traumatisme collectif que les classes ont connu suite à ces actes barbares, l’éducation aux médias et à l’information est plus que jamais nécessaire, dans une société qui semble tout à coup avoir perdu ses repères.

 

Un traumatisme collectif pour les classes

Pointons avant tout le fait que tous les enfants ne réagissent pas de la même manière à un événement traumatisant comme celui des attentats de Paris.

Notons aussi les atouts du groupe classe en cas de traumatisme collectif comme ces attentats. L’émotion individuelle peut être travaillée collectivement avec l’enseignant, et plus qu’à la maison, l’enfant pourra partager son ressenti avec le groupe, d’où l’importance d’instituer des moments de paroles réguliers qui peuvent apaiser les troubles et le questionnement de l’élève[1].

Contre la peur ou la colère, pour soigner des traumatismes collectifs, il y a les débats, mais aussi la mise en place de certaines actions individuelles ou collectives : un rassemblement, une célébration, une bougie allumée, un dessin pour exprimer ce que l’on ressent, un texte…

 

Ecouter, informer, expliquer

Il est tentant de vouloir protéger nos enfants de ces actes barbares, mais leur cacher la vérité, bercer les enfants d’illusions ne les feront pas grandir. Ils doivent pouvoir y mettre leurs propres mots, leurs propres idées, pour aboutir à un réel échange, en classe et à la maison.

Avant toute chose, n’est-il pas essentiel de partir des questions des élèves, de nos enfants, de ce qu’ils expriment, de ce qu’ils connaissent ?

Et puis, on peut expliquer simplement les faits pour dédramatiser. En exemple, citons la brève explication de Serge Tisseron sur ces attentats : « Des dessinateurs ont fait des dessins (satiriques) du dieu musulman. Dans la religion musulmane, on n'a pas le droit de représenter dieu. Deux hommes ont décidé de tuer ces dessinateurs. On ne tue pas quelqu'un parce qu'il fait des dessins. Depuis toujours des gens en veulent à ceux qui sont différents ou qui ne pensent pas comme eux. Beaucoup de gens, y compris des musulmans, sont scandalisés par ce qui s'est passé[2] ».

On peut aussi expliquer quelques concepts qui sont récurrents dans les médias : attentat, terrorisme, victimes, agresseurs, radicalisme…

Enfin, il faut expliquer ou faire découvrir aux élèves le contexte du journal satirique Charlie Hebdo. Cet hebdomadaire était peu connu avant ces attentats : pas de lecteurs réguliers, ni de publicité, ni de soutien de capitaux industriels. Notons que nous lisons plus efficacement un journal, une revue, on visionne plus lucidement une émission télévisée quand on connait ses financements, ses producteurs, ses tendances politique et/ou philosophique, ses destinataires…

Peut-on rire de tout ? Un dessin satirique est souvent un coup de poing, et ce n’est pas toujours évident de l’encaisser ou de le comprendre. C’est le propre de la satire, qui est « un écrit ou un dessin qui s’attaque aux mœurs publiques ou privées, ou qui tourne quelqu’un ou quelque chose en ridicule[3] ». « On peut comprendre que pour certains dessiner le prophète avec une barbe dans laquelle est représentée une bombe choque. C’est souvent d’ailleurs le but d’une caricature. Mais elle doit avoir un sens et rechercher une solution ou dénoncer une situation.»[4]. On doit pouvoir dire qu’on n’est pas d’accord avec des mots, mais pas avec des armes…

Vincent Magos, responsable du programme Yapaka précise que « ce qui est touché, au-delà de la liberté de parole, c’est la question du jeu, essentielle pour l’enfant et pour l’adulte dans sa vie quotidienne. Ce que faisait Charlie Hebdo, c’est travailler avec nos angoisses et nos folies. Par le dessin, il transporte nos angoisses dans l’espace ludique. Rire de ce qui est catastrophiquenous permet de vivre ensemble. La caricature nous fait jouer avec ce qui fait peur. Et ce jeu-là est fondamental dans le social[5]. »

Elargir aux enjeux sociétaux qui découlent de ces attentats : on peut parler à nos enfants de liberté de la presse, de liberté d’expression, de respect de l’autre, de tolérance, de dialogue inter convictionnel, de toutes ces valeurs bafouées.

A propos de la liberté d’expression, Charb, l’ancien rédacteur en chef, décédé dans l’attentat du 7 janvier, déplorait en 2013 que les journalistes ne se servent pas de toute la liberté qu’ils ont[6].

On peut aussi aborder avec nos jeunes la violence intrinsèque de notre société. Les terroristes vivent de cette société-là : exclusions scolaires, chômage, manque de solidarité entre individus, injustices sociales, manque de budget pour nos prisons, etc.

Cependant, l’école doit pouvoir offrir des moments de réflexions aux élèves, régulièrement, où ils savent qu’à ces heures de cours-là, ils pourront échanger, questionner, écouter, et finalement se forger leurs propres opinions, et cela en lien avec les discussions qui prennent forme en famille.

Pour que ces discussions se déroulent dans les meilleures conditions possibles, il est nécessaire de mettre un cadre[7] : on écoute l’autre avec respect et sans jugement. On parle en « je ». Ce que je vis est vraipour moi, mais pas forcément pour l’autre. On accepte l’autre dans ses différences et sesressemblances.L’enseignant éprouvera plus de facilité s’il parvient à reformuler pour permettre une meilleure compréhension au groupe, en s’assurant que la reformulation convienne à l’interlocuteur. Il pourra aussi poser des questions pour clarifier la situation vécue par la personne, et pour comprendre la signification de certains mots : c’est important car la représentation que je me fais n’est pas forcément celle de l’autre. Il pourra aussi répéter ce que l’élève dit afin de l’aider à réfléchir sur ses propres mots, et synthétiser pour y voir plus clair (pour les 2 interlocuteurs ou pour le groupe) et vérifier si sa synthèse convient à l’autre.

Enfin, le prof pourra donner une place aux périodes de silence peut être utile aux échanges, car ce silence permet à l’autre de s’écouter lui-même, de réfléchir, d’ajuster son discours.

L’animateur de la discussion devra aussi permettre au groupe de réagir en étant attentif à ce que chacun s’exprime en « je » et que le jugement ne soit pas de la partie.

Et si l’enseignant n’est pas à l’aise pour aborder ce sujet, ou si le sujet est trop délicat à aborder avec certains élèves, il peut aussi le signaler à sa classe, et inviter des intervenants extérieurs à la classe pour en parler.

 

Pour qu’ils deviennent des CRACS…

Suite aux attentats de janvier 2015, et aux opérations antiterroristes de Verviers et Bruxelles, les espoirs se portent sur nos familles, mais aussi sur les écoles et sur le milieu culturel, de manière urgente quand on lit et entend les réactions non-unanimes des élèves sur l’horreur du meurtre, notamment sur les réseaux sociaux et dans les cours de récréation. L’enjeu, le débat est ici plus que jamais l’occasion de faire des nos enfants et élèves des citoyens responsables, actifs, critiques et solidaires (CRACS).

Mais l’école laisse-elle suffisamment de place pour que les enfants puissent parler de la société dans laquelle ils vivent, pour qu’ils puissent se forger leurs propres idées, même à propos d’actes les plus fous, qui ne doivent pas rester tabou ? Existe-t-il des conseils, des lieux de parole, identifiés comme tels, où chaque enfant, chaque jeune aurait la possibilité de développer sa propre identité ?

L’apprentissage du vivre-ensemble n’est en aucun cas contraire à la transmission de savoirs scolaires.

Cependant, l’école ne peut pas tout assumer. Les parents sont aussi responsables d’ouvrir le débat à la maison, pour décrypter images et messages, pour apprendre à développer un esprit critique qui donne du sens à l’actualité : apprendre à confronter ses sources, à vérifier, à se contraindre à lire des points de vue différents sur un même sujet. Il faut plus que jamais éduquer aux médias, au numérique, à l’histoire, à la géographie, aux maths, au français, aux sciences, aux arts, au dessin. Apprendre à réfléchir, à publier, à calculer, à coopérer, à dialoguer, à philosopher, à instiller le doute. Plus que jamais, l’école a un rôle essentiel à jouer. Plus que jamais, nous, parents, devons élever nos enfants, c’est-à-dire les tirer vers le plus haut possible. Les parents ont pour rôle d’informer avec des mots adaptés à l’âge de l’enfant, pour l’introduire dans la société, qu’il s’agisse d’événements heureux, dramatiques ou violents.

Le grand défi est de parler pour donner du sens aux évènements, même si ce qui s’est passé est dépourvu de raison. Le travail des journalistes, caricaturistes a du sens, et à partir de cela, on peut oser le débat. Ce travail pédagogique est « d’autant plus indispensable aujourd’hui alors que nous savons que la parole est parasitée par des discours radicaux de diverses origines circulant sur Internet »[8].

De plus, des événements comme les attentats de janvier 2015 nous offre la possibilité, avec nos enfants, de prendre du recul par rapport à l’information qui nous est servie quotidiennement par tous les médias sans exception : internet, presse écrite, télévision et radio. A nous de décrypter avec nos enfants de quelle manière l’information que nous recevons est traitée en amont. C’est tout l’enjeu d’une éducation aux médias, devenue indispensable pour vivre de manière critique dans notre société hyper médiatisée.

 



[1]LORIERS Bénédicte, Comment accompagner le traumatisme collectif dans le cadre scolaire ? http://www.ufapec.be/nos-analyses/2714-traumatisme-collectif/

[3]Larousse 2008.

[4]DUQUESNE Renaud, Ne faut-il pas soutenir les supporters du Standard ?, in Le Vif, 26 janvier 2015 :http://www.levif.be/actualite/belgique/ne-faut-il-pas-soutenir-les-supporters-du-standard/article-opinion-363337.html

[6]CHARB, Un dessin, ça ne mérite ni la mort, ni un incendie, http://www.lcp.fr/videos/reportages/167056-charb-un-dessin-ca-ne-merite-ni-la-mort-ni-un-incendie, 2013.

[7]LORIERS Bénédicte : Parler de la mort avec les ados en milieu scolaire : http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2014/2514-mort-ados.pdf

[8]MICHEL Etienne, Vivre ensemble, quelques ressources pédagogiques, 26 janvier 2015 : http://enseignement.catholique.be/segec/fileadmin/DocsFede/Service_segec/etude/2015/Ressources.pdf

 

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