Analyse UFAPEC décembre 2014 par B. Loriers

27.14/ Comment accompagner le traumatisme collectif dans le cadre scolaire ?

Introduction

En novembre dernier, une jeune fille quitte sa maison pour se rendre à l’école. Elle n’y arrivera jamais, et on retrouvera quelques jours plus tard son corps sans vie. Comment les enseignants et la direction de son école peuvent-ils traiter les jours qui suivent au niveau de son absence en classe et du vide traumatisant provoqué par son décès violent?

Les exemples d’accidents traumatiques qui peuvent marquer de manière violente l’ensemble d’un établissement scolaire ne manquent pas : décès brutal d’un élève ou d’un membre de la communauté éducative, incendie, explosion, accident de car de Sierre où une école a perdu 22 de ses élèves lors d’un voyage scolaire, accident d’un élève qui revient de retenue en mobylette et qui se tue…

Notre réflexion nous amène à creuser la notion de traumatisme collectif. Autre questionnement : quel est le rôle des centres PMS, des équipes mobiles de la fédération Wallonie-Bruxelles, et des familles en cas d’événement traumatique?

Enfin, en quoi le retour au quotidien, les groupes de paroles et certains rituels peuvent-ils aider à retrouver la sérénité nécessaire au fonctionnement d’une école ?

Définition du traumatisme collectif

Le traumatismerésulte d’une exposition directe à la mort, qui, selon la psychologue Carole Damiani[1], «déborde les capacités d’élaboration de celui qui en a été témoin, soit parce qu’il a lui-même éprouvé un sentiment de mort imminente, soit parce que les circonstances du décès ont été particulièrement violentes ». La psychologue Catherine Viard ajoute que la personne traumatisée subit une perte de sens, de valeurs, de repères et est incapable d’y répondre par les réflexes et les défenses habituels[2].

Une autre définition du traumatisme distingue le physique et le psychique. « Le traumatisme physique blesse le corps mais peut aussi, comme le traumatisme psychique, atteindre le mental. Les causes se situent dans tous les événements perturbant de l'existence : deuil, chômage, rupture, accident, etc. La psychanalyse le définit comme un événement grave vécu par un individu qui ne peut l'assimiler »[3].

Notons que tous les décès auxquels on assiste ne sont pas nécessairement traumatisants. Par exemple, la mort naturelle de personnes âgées déclenche un « simple » deuil.

Un traumatisme collectif désigne une expérience de violence hors du commun au cours de laquelle l’intégrité physique et psychique d’un groupe a été menacée.

Les indicateurs du traumatisme collectif peuvent être nombreux : angoisses extrêmes, des phobies de prendre le bus, d’entendre une explosion, hystéries collectives … Après l’accident de car de Sierre, de nombreux parents ont refusé que leur enfant parte en voyage scolaire avec un car. Et d’autres parents d’élèves ont eu très peur, et l’angoisse persiste encore : ils ne veulent plus confier leur enfant à une entreprise d’autocars.

Certains parents veulent que leur enfant se promène avec une bombe lacrymogène en poche, pour éloigner les mauvais rôdeurs. Mais peut-on vivre sans risques ?  L’écueil n’est-il pas de tomber dans une sorte de surprotection parentale et de continuelle angoisse, toutes deux nuisibles à l’épanouissement de nos enfants ?

D’autre part, les enfants ont-ils besoin de savoir ce que ressentent les adultes (enseignants, parents, …) en cas de traumatisme collectif ? N’est-ce pas transmettre un peu d’humanité que de partager avec les enfants ce que l’on ressent, sans quoi les enfants risquent de croire que être adulte consiste à ne plus rien ressentir comme émotions ? Dans une actualité traumatisante, « préparer les enfants ou intervenir avec eux revient d’abord à se demander comment les adultes peuvent éviter d’être submergés par leurs émotions, sans pour autant être insensibles »[4].

Enfin, notons l’importance de la durée pour soigner un traumatisme : réagir de suite, mais aussi après quelques temps. Dans certains cas, la manifestation de la souffrance et des différentes émotions est différée.

Instaurer des groupes de parole

Dans tous les cas, il faut prendre le temps d’analyser la situation. Une communication précise et juste au sein de l’école et envers les parents à propos de l’accident traumatisant, pouvant virer à la paranoïa, ne peut-elle pas éviter les non-dits et les fausses informations ? Ces annonces claires pourront-elles atténuer un tant soit peu la douleur collective ? Une communication adéquate diffusée à l’ensemble de la communauté scolaire permet tout d’abord d’objectiver les faits et d’éviter la propagation de rumeurs. Inutile cependant de céder à la tyrannie du «tout dire» en entrant dans des détails sordides : des mots adaptés tels que «elle a choisi d’arrêter de vivre» suffisent.

Ensuite, si une attention particulière doit être accordée aux témoins directs de l’événement, il faut permettre à tout le monde d’exprimer ce qu’il ressent, de poser des questions qui le préoccupe, … et pourquoi pas dans des groupes de parole encadrés par des adultes ? Une piste pour accompagner le traumatisme collectif en classe ne serait-il pas de prévoir un moment de discussion, une fois par semaine, où les élèves pourraient apporter leurs questions ? : « Pourquoi les adultes ne peuvent pas séduire les enfants ? Quelle est la frontière entre le bien et le mal ? Quelle est la différence entre fantasme et acte ? Pourquoi a-t-on supprimé la peine de mort ? Pourquoi la justice doit prendre du temps et pourquoi le criminel a droit à un avocat ? Qu’est-ce que la présomption d’innocence ? Où mettre la limite entre la liberté de l’individu et la protection de la société ? »[5]

Dans le cas spécifique d’un suicide d’un membre de l’établissement scolaire, élève ou adulte, certains craignent une contagion si le thème est abordé dans le cadre d’un groupe de parole. Pour Carole Damiani, « un suicide est toujours multifactoriel, et répond à des motivations très complexes : on ne se suicide pas comme ça ! Parler de la mort permet au contraire d’éviter que ne s’installent des angoisses et des sentiments de culpabilité. A cet égard, il est préférable d’explorer ce qui motive chez le jeune ce ressenti («Pourquoi te sens-tu responsable de la mort de ton enseignante ?»), plutôt que de le balayer d’un revers de main («Mais non, tu n’es absolument pas responsable de ce qui est arrivé !»), au risque de ne pas réussir à aider le jeune à surmonter sa culpabilité »[6].

D’autre part, faire son deuil est une démarche individuelle, même si, dans un premier temps, l’échange en groupe permet d’extérioriser à travers les mots ou les différentes émotions ressenties, via une célébration collective. Mais pour éviter que le groupe ne se structure autour de ce traumatisme, il faut parfois que les espaces de parole proposés deviennent ensuite individuels. « A cet effet, il convient de mettre en place des permanences pour accueillir les élèves et les adultes qui souhaiteraient personnellement évoquer leurs sentiments ou déposer un trop-plein émotionnel »[7].

Organiser le travail quotidien et des rituels pour gérer la transition ?

En classe, les apprentissages scolaires et le retour au quotidien peuvent aider les élèves à un retour à une certaine stabilité. C’est aussi une façon de se mettre à l’abri de tensions vécues à l’extérieur, des préoccupations des adultes, du chaos.

Outre le quotidien, les rituels aident à gérer les crises, car ils ont un pouvoir rassurant, sécurisant. Selon la psychologue Evelyne Josse, ils installent des repères, permettent un contrôle sur ce qui se passe ; ils tissent aussi des liens sociaux, en donnant le sentiment d’appartenir à une communauté, et peuvent dans certains cas réduire l’isolement ; ils réduisent également le stress et par ce fait les conflits[8]. Une « célébration » en classe ou au niveau de tout l’établissement scolaire peut aider les élèves confrontés de près ou de loin à une mort brutale : moment de discussion, moment de silence ou de musique, de recueillement en groupe[9]. Mais l’école fait-elle assez de place à ses rituels, les gère-t-elle bien ? Associe-t-elle de près ou de loin les familles, et si oui, en reçoit-elle le soutien ?

Faire appel à des spécialistes

Tous les adultes sont-ils à même d’apporter leur aide ?Si un parent, un enseignant, etc., craque devant les élèves, cela peut renforcer leur inquiétude. Mieux vaut dans certains cas faire appel à des personnes extérieures, qui seront peut-être plus sereines pour répondre aux angoisses des élèves ; car parfois, l’école ne suffit pas pour guérir d’un traumatisme, et les spécialistes peuvent aider les élèves et l’équipe éducative à se sortir d’une forte déstabilisation du groupe.

En cas de traumatisme collectif vécu dans le cadre scolaire, le Centre Psycho-Médico-Social de chaque école est au service des élèves, de l’école et des parents, afin de « promouvoir les conditions psychologiques, psychopédagogiques, médicales et sociales qui offrent aux élèves les meilleures chances de développer harmonieusement leur personnalité »[10].

De plus, certains penseront que l’école n’est pas le lieu idéal pour gérer le traumatisme, trop intime pour être soigné en milieu scolaire.

Pour diminuer les effets du traumatisme collectif, l’école et les familles ne devraient-elles pas intervenir de suite, proposer une écoute immédiate, et pour cela faire appel à des intervenants extérieurs à l’école, des professionnels spécialisés ? Bref, l’école ne devrait-elle pas être plus réactive et ouverte en cas de traumatisme collectif ?

Le Service des équipes mobiles de la Fédération Wallonie-Bruxelles, par exemple, intervient« lorsqu’un établissement scolaire fait face à une situation à la suite d’un fait précis ayant pour conséquence une rupture dans le bon fonctionnement de l’établissement. En cas de situation exceptionnelle (par exemple, décès, …), les intervenants évaluent d’abord les premiers besoins de l’établissement et déterminent le nombre d’intervenants en fonction de ces besoins. Le Service des équipes mobiles apporte ensuite un appui dans la gestion de la crise : par exemple, aider à l’organisation logistique, aider le chef d’établissement au pilotage de son école (communication aux élèves, aux parents, aux enseignants et/ou aux médias), et collaborer avec les autres services présents. Il a également comme rôle d’écouter et de soutenir les personnes concernées (élèves et adultes). L’objectif est de favoriser un retour au fonctionnement habituel de l’établissement le plus rapidement possible »[11].

Quel est le rôle des familles pour accompagner le traumatisme collectif ?

« Je suis malade quand ma fille prend le bus », ou « Mon fils ne veut plus aller seul à l’école »… Quand les parents vont bien, l’enfant ou le jeune se porte mieux. Il est utile en cas de traumatisme collectif de mettre sur pied un dispositif d’information et d’écoute pour les parents d’élèves. Pour Carole Damiani, « les échanges entre les parents et les personnels de l’établissement doivent en outre permettre un meilleur encadrement et un meilleur suivi des enfants et des adolescents fragilisés par l’événement traumatique »[12].

Pour prolonger la réflexion : partenaire de l’équipe éducative, l’association de parents ne peut-elle pas aussi apporter son soutien aux élèves et à l’équipe pédagogique en cas de choc traumatique collectif ?

Conclusion : gérer les traumatismes collectifs en faveur d’une école socialisante

Même si la vie scolaire doit continuer après un traumatisme collectif, la direction et les enseignants ont tout intérêt à prévoir des moments où l’on s’arrête, pour en parler, pour réfléchir, pour méditer, pour prendre de la hauteur par rapport à la brusquerie des évènements. L’école est un lieu où l’on cherche à comprendre, où l’on apprend à penser, y compris dans les limites de l’impensable, du non-maîtrisable. « Reconnaître cette part de maîtrisable et faire entendre à l’enfant qu’il y a moyen de vivre avec, c’est également aider ce dernier à grandir »[13].

Les événements dramatiques sont chaque fois des occasions de penser ensemble à de nombreux thèmes au fil des questions et sans les devancer, entre humains qui tentent de vivre dans un monde où on ne peut échapper aux catastrophes. La gestion du traumatisme collectif confère à l’école une forme d’institution « socialisante », qui dépasse la dimension scolaire : par les actions collectives entreprises pour soigner les blessures mentales, les élèves ont davantage le sentiment d’appartenir à un groupe. «Le groupe devient la référence et aide le jeune dans sa construction identitaire par le vécu des mêmes choses, le dialogue, la compréhension »[14].

Enfin, tout événement traumatique vient perturber l’équilibre institutionnel de l’école, et cette perturbation est souvent accentuée quand les médias s’en mêlent. Les enseignants ont-ils pour rôle d’aider les élèves à prendre de la hauteur par rapport à une surenchère d’émotions provoquée volontairement par une certaine presse ?

 

Bénédicte Loriers

 

 

 

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[2]VIARD-CHEVREL Catherine, Les traumatismes, violences à l’école, violence de l’école, enfances et Psy n°54, 2012, p.74.

[4]Comment aider les enfants en cas d’événement tragique ?décembre 2014, www.yapaka.be.

[5]Comment aider les enfants en cas d’événement tragique ?décembre 2014, www.yapaka.be.

[6]DAMIANI C., ibidem.

[7]DAMIANI C., ibidem.

[8]JOSSE E., Reconstruire le quotidien après un traumatisme collectif, http://www.resilience-psy.com/spip.php?article172, 2006.

[9]LORIERS Bénédicte, Parler de la mort avec les ados en milieu scolaire, analyse UFAPEC 2014.

[12]DAMIANI C. ibidem.

[13]Comment aider les enfants en cas d’événement tragique ?décembre 2014, www.yapaka.be.

[14]PIERARD Alice, Vivre l’adolescence, le rôle du groupe et de l’école, analyse UFAPEC 2013 : http://www.ufapec.be/nos-analyses/1013-ado-grp-ecoles/

 

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