Etude UFAPEC décembre 2019 par O. Hardenne & JP. Schmidt

23.19/ET2 - Comment les parents perçoivent et régulent la consommation télévisuelle de leur enfant ?

Les bonimenteurs et les camelots des boulevards n'étaient guère dangereux car leur impact était limité ; ils n'étaient que des amuseurs. Aujourd'hui, les télévisions participent largement à ce rôle d'amuseurs, mais elles interviennent simultanément, sans en avoir le mandat, dans la formation des esprits.
Qu'elles puissent se donner comme objectif de décerveler les citoyens donne la mesure du danger.

Albert Jacquard

Introduction

Aujourd’hui plus encore qu’avant, l’enfant compose avec différentes sphères socialisantes, dont la famille, l’école, les amis, les écrans qui sont tous des acteurs dans la socialisation. Depuis la création de la télévision dans les années 1920 jusqu’à sa parfaite implantation dans chaque foyer aujourd’hui, de nombreux changements se sont opérés dans la manière de regarder et de réguler la télévision. Aujourd’hui, l’enfant peut la regarder chez lui, dans sa chambre, depuis son poste de télé ou même un ordinateur ou un smartphone. Il peut accéder à des épisodes à la chaine de ses dessins animés dans la voiture et même au restaurant et mettre pause quand bon lui semble. Il est vrai que les écrans, les nouveaux médias ainsi que les nouvelles plateformes de streaming comme YouTube, Netflix ou encore Amazon Prime offrent une multitude d’images et d’informations à l’enfant qui les consomme. La télévision a par ailleurs beaucoup changé puisqu’actuellement, nous pouvons accéder à Internet grâce aux Smart-TV, prendre des abonnements de vidéos à la demande, etc. C’est pourquoi nous parlons de la consommation de la télévision au sens large en utilisant le terme consommation télévisuelle et en questionnant leur gestion par les parents. Nous envisageons de traiter de la régulation de la télévision, donc du contrôle que les parents imposent à cette utilisation par leur enfant. Nous le verrons, la télévision et ses nouveaux canaux ont pris une place importante dans les loisirs des enfants, ce qui questionne parents et chercheurs. Nous souhaitons par cette étude mettre à jour les pratiques familiales concernant ces consommations télévisuelles, afin de dessiner quelles formes ou quels types de régulation pourraient s’en dégager et pour quelles raisons elles ont été envisagées.

Les informations et les images diffusées par ces multiples supports télévisuels sont intégrées par l’enfant. Ces nouvelles technologies sont une manière innovante de mener à une socialisation secondaire. Bien souvent, cette socialisation dépasse le cadre de la socialisation primaire[1] qu’offre la famille et la détourne même de temps à autre, les parents pouvant parfois être démunis face à l’omniprésence des écrans. Ce concept qu’est la socialisation est, comme l’explique Murielle Darmon, sociologue, l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit […] par la société globale et locale dans laquelle il vit, processus au cours desquels l’individu acquiert […] des façons de faire, de penser et d’être qui sont situées socialement, ou plus simplement : la façon dont la société forme et transforme les individus[2]. La télévision est perçue différemment dans la société et ce débat existe ainsi depuis de nombreuses années. Mais personne n’a encore réellement élucidé le statut réel de ces écrans. La télévision est une activité divertissante pour la famille, mais aussi pour les enfants, apportant des supports éducatifs, d’informations, de méthodes de canalisation, etc. Mais pour d’autres, c’est une source de désinformations et une activité inutile, voire mauvaise. Cette étude nous permettra de relever les différents avis concernant ces écrans et de comprendre comment ils influencent les pratiques familiales.

Ainsi, pour certains, la télévision et son évolution actuelle sont valorisantes et permettent de multiples apports à l’enfant s’ils sont utilisés correctement et au bon âge comme le relève Serge Tisseron[3], pédopsychiatre ; d’autres sont opposés à l’utilisation de la télévision par les enfants comme Michel Desmurget[4], chercheur français spécialisé en neurosciences cognitives, qui relate les méfaits des écrans dans Tv-lobotomie. Malgré l’existence de cette ambivalence, notre étude ne porte pas sur ce sujet. Elle est plutôt tournée sur les enjeux sociétaux qui se posent aux parents aujourd’hui par l’implication grandissante de ces nouvelles technologies dans la socialisation des enfants. L’UFAPEC s’intéresse d’ailleurs beaucoup à la question des nouvelles technologies et de leurs impacts sur l’éducation. Soucieuse de répondre aux préoccupations régulièrement exprimées par les parents lors de rencontres en associations de parents ou en régionales[5], elle s’investit notamment dans différents projets d’éducation aux médias comme le projet TANDEM[6] et a également rédigé de nombreuses analyses sur le sujet disponibles sur le site de l’UFAPEC[7]. L’UFAPEC est également membre du CSEM[8] (Conseil Supérieur de l’Éducation aux Médias), qui stimule et promeut l’éducation aux médias.

Cette étude portera donc sur les questions suivantes : comment les parents régulent-ils la consommation télévisuelle des enfants ? Sont-ils influencés par la littérature normative[9] ? Qu’est-ce qui explique la divergence entre les principes et les pratiques éducatifs ? Cette étude nous permettra d’identifier les pratiques parentales afin d’éclairer les utilisations réelles comparées à celles qui peuvent être décriées dans la société. Nous tenterons donc de mettre en avant les différentes méthodes éducatives en les illustrant par des exemples concrets de la vie des familles et ainsi proposer une vision quotidienne de ces méthodes.

Les parents seront ici au centre de la recherche en étant questionnés sur leurs modes de régulation, sur leurs pratiques concernant les écrans. Nous étudierons aussi la socialisation qu’ils ont inculqué à leur enfant par rapport aux écrans. De fait, dans la société actuelle, les écrans, la télévision ainsi que les nouveaux canaux audio-visuels occupent une place importante dans l’espace de vie et les loisirs des enfants. Les parents sont les garants de l’éducation de l’enfant et à ce titre, imposent des règles de vie, de comportement et de consommation. Nous avons donc jugé primordial de démontrer l’importance que les écrans et la télévision ont pu prendre dans la vie des enfants et du fait que cette question de régulation nécessite un grand intérêt dans l’éducation actuelle des enfants. En outre, nous avons bien conscience que nous n’englobons pas tous les écrans ni toutes les nouvelles technologies. Ce cadre est restreint étant donné que l’utilisation de la console de jeu, du smartphone au sens large et de l’Internet sont régulées différemment de la consommation télévisuelle, avec d’autres règles et d’autres arguments notamment, et ce en fonction des âges[10]. Chaque parent, et donc chaque famille, impose ses propres pratiques éducatives en fonction de ses valeurs, de l’éducation parentale reçue, mais aussi du niveau socio-économique et socio-culturel. Différents principes de régulation ressortent donc des entretiens. Néanmoins, nous constatons qu’il y a une certaine marge de manœuvre entre les principes éducatifs que les parents nous donnent durant les entretiens et les pratiques réelles que ces parents mettent en place au sein de leur famille.

La première partie de cette étude aborde l’émergence des écrans dans la vie des enfants, l’impact sur la socialisation et les différents modèles éducatifs existants. La seconde partie concerne les résultats de notre enquête effectuée auprès de dix parents d’enfants dans la fin des maternelles-début du primaire. La dernière partie reprendra les pistes et conclusions qui peuvent découler de l’analyse des entretiens.

 

(télécharger l'étude complète ci-contre -63p)

 

 

Ophélie Hardenne & Jean-Philippe Schmidt

 


[1] La socialisation primaire concerne celle de l'enfance et de l'adolescence sur laquelle se construisent la personnalité et l'identité sociale. Elle se fait essentiellement avec la famille. La socialisation secondaire est celle qui se déroule à la fin de l'adolescence et durant la vie adulte, dans les différents milieux sociaux que fréquente l'individu : écoles, études, sports, vie professionnelle, groupes de pairs, activités extraprofessionnelles, etc. S'appuyant sur la socialisation primaire, la socialisation secondaire la complète, la prolonge ou la transforme. Définition issue du site : http://toupie.org/Dictionnaire//Socialisation_primaire_secondaire.htm

[2] Darmon M., La socialisation, Collection Armand Colin 3e édition, Paris 2011, p. 6.

[3] Tisseron, S., Enfants et écrans : ne créons pas une nouvelle catégorie diagnostique qui nous ferait oublier notre responsabilité., 2018. Retrieved from : https://sergetisseron.com/blog/enfants-et-ecrans-ne-creons-pas-une-nouvelle-categorie-diagnostique-qui-nous-ferait-oublier-notre-responsabilite/

[4] Cf Desmurget, M., Conférence, TV Lobotomie – la vérité scientifique sur les effets de la télévision., 2012. https://www.youtube.com/watch?v=NvMNf0Po1wY

[5] Depuis plusieurs années, la question de l’éducation aux médias revient sans cesse de la part des parents. Ceux-ci nous posent énormément de questions et de multiples conférences ont essayé de répondre aux interrogations. Un outil “Internet à la maison en 10 questions” (https://internetalamaison.be/) ainsi que le projet Tandem (www.mediatandem.eu) sont issus de cette réflexion parentale.

[6] Pour plus d’informations, le site du projet : www.mediatamdem.eu

[7] Toutes les analyses et études sur le sujet se retrouvent sur le site de l’UFAPEC, dans l’onglet ressources de l’UFAPEC : http://www.ufapec.be/nos-analyses/

[8] Pour plus d’informations, http://www.csem.be/

[9] Par littérature normative, nous entendons la littérature qui donne des conseils et des règles, qui place ainsi les normes à respecter en matière d’écrans et de consommation télévisuelle.

[10] Octobre, S., Détrez, C., Mercklé, P., Berthomier, N., L’enfance des loisirs : Trajectoires communes et parcours individuels de la fin de l’enfance à la grande adolescence, Paris 2010, p. 27.

 

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