Analyse UFAPEC Février 2024 par A. Pierard

01.24/ La musique, accessible aux élèves à besoins spécifiques ?

Introduction

La musique est un vecteur d’éducation globale. Par des apprentissages multiples (chant, danse, instrument, etc.), l’éducation musicale peut toucher tous les élèves. Comme nous l’avons abordé dans une analyse précédente, la musique peut contribuer à leur bien-être.[1] Quels sont les bénéfices de la musique pour les élèves à besoins spécifiques ?

A plusieurs reprises, lors de réunions du regroupement des parents de l’enseignement spécialisé, certains parents ont évoqué les bienfaits de la musique pour leur enfant : calme, détente, expression des émotions, épanouissement, concentration, etc. Selon les profils des enfants, certains y trouvent une source d’épanouissement ou de reconnaissance. Ces parents évoquent aussi les difficultés d’accès aux activités d’apprentissage musical.

Comme tous les enfants, les élèves à besoins spécifiques ont droit aux loisirs et à un épanouissement personnel de qualité. Par rapport au respect de ces droits via l’accès à la musique, les élèves à besoins spécifiques sont-ils tous égaux ? L’apprentissage musical est-il accessible à ces élèves ?

Qui sont les élèves à besoins spécifiques (EBS) ?

Comme définis dans le code de l’enseignement, les besoins spécifiques sont des besoins reconnus résultant d'une particularité, d'un trouble, d'une situation permanents ou semi-permanents d'ordre psychologique, mental, physique, psychoaffectif faisant obstacle au projet d'apprentissage et requérant, au sein de l'école, un soutien supplémentaire pour permettre à l'élève de poursuivre de manière régulière et harmonieuse son parcours scolaire dans l'enseignement ordinaire ou dans l'enseignement spécialisé.[2]

Que ce soit dans l’enseignement spécialisé ou dans l’enseignement ordinaire (avec intégration ou aménagements raisonnables), le parcours scolaire des élèves à besoins spécifiques est un chemin parfois semé d’embuches. Certains parents parlent d’un parcours du combattant pour leur enfant dans la défense de leur droit à un enseignement de qualité.

Si l’accès égalitaire à l’éducation est déjà un défi en soi, les parents vont-ils trouver la motivation nécessaire quand il s’agit d’élargir l’accès de leur enfant à des activités dans les domaines culturels ou artistiques ?

L’éducation musicale (sensibiliser et ouvrir tous les enfants à la musique) fait partie des référentiels et a sa place à l’école. Est-elle mise en place de manière équitable dans les écoles ordinaires et spécialisées ?

L’apprentissage musical (pratiquer un instrument, le chant ou la danse) se fait en dehors de l’enseignement obligatoire. Les académies et autres lieux d’apprentissage musical sont-ils ouverts à la différence et accessibles aux élèves à besoins spécifiques ?

Quels sont les bénéfices de la musique pour les EBS ?

  • Une place pour le ressenti et émotions

La musique est avant tout une expérience citoyenne car elle permet de se rassembler, de partager des émotions, d’exprimer des sentiments et des ressentis et de susciter la cohésion. L’éducation musicale est avant tout celle de l’humain. Il s’agit ici de reconnaitre les élèves à besoins spécifiques dans leur globalité, pour leur personnalité à part entière. La rencontre artistique replace au premier plan l’humanité de chacun. Elle remet en mouvement la formidable dynamique du désir de vivre et d’être en relation avec les autres. L’enfant se sachant entendu va ainsi développer sa créativité.[3] Ayant des impacts positifs, la musique va améliorer l’expression et l’estime de soi, souvent mises à mal en raison du trouble ou du handicap, des élèves à besoins spécifiques, leur créativité, leur épanouissement.

  • Un facilitateur de communication

La musique est un langage à part entière. Dans ce sens, elle peut faciliter la communication avec des élèves dont les besoins spécifiques affectent le langage et la communication. Comme l’explique Geneviève Schneider, musicienne intervenante dans différents lieux de vie des enfants, la chanson est un mode d’expression privilégié pour essayer d’établir une relation avec les enfants. Sa mélodie provoque un état émotionnel non-verbal que le corps exprime : sourires, larmes, chair de poule… Sa forme, ses rythmes, sa cadence sont autant de repères temporels et s’accordent au rythme interne des organes. Le texte de la chanson touche à l’imaginaire, au symbolique.[4]

Des chercheurs ont démontré l’impact positif de l’éducation musicale sur les compétences de communication. La musique s’est avérée particulièrement bénéfique pour les personnes ayant des troubles du spectre autistique et celles atteintes de démence. Une meilleure communication peut conduire à une amélioration des compétences sociales et fournit en outre aux individus les moyens d’expression de soi.[5] La musique renforce les capacités communicationnelles.

  • Intelligences multiples et reconnaissance des spécificités de chacun

Reconnaitre les intelligences multiples, c’est faire l’éloge de la différence, de la diversité humaine. Comme expliqué dans notre précédente analyse, la théorie d’Howard Gardner, psychologue américain, reconnait l’intelligence multiforme des élèves moins scolaires et des élèves à besoins spécifiques. L’essence de la théorie des intelligences multiples est le respect des nombreuses différences parmi les individus.[6] Chacun est reconnu dans son unicité et sa singularité.

  • D’autres méthodes d’apprentissage

En développant d’autres méthodes pour apprendre, l’éducation musicale peut soutenir les apprentissages des élèves à besoin spécifiques (stimulation, concentration, mémorisation, apaisement, etc.).

  • Il suffit souvent de partir d’une mélodie pour désinhiber chez les enfants dyslexiques ou bègues la capacité d’articuler correctement. Au lieu de leur demander de parler, on leur demande de chanter. Et ce procédé est efficace, car la vitesse d’émergence d’un mot dans le cerveau est multipliée par trois quand l’information est chantée plutôt que parlée.[7]
  • La musique a aussi le pouvoir de canaliser l’énergie débordante des enfants hyperactifs.[8]

La musique peut donner un sentiment d’accomplissement et le goût de la réussite aux élèves à besoins spécifiques. S’ils ont moins de facilités dans d’autres matières mais qu’ils trouvent leur voie dans la musique, ils vont pouvoir montrer qu’ils sont compétents dans quelque chose. C’est essentiel pour l’estime d’eux-mêmes.

Un apprentissage accessible à tous ?

  • L’éducation musicale à l’école

Comme expliqué dans notre précédente analyse, la mise en pratique de l’éducation musicale n’est pas la même dans toutes les écoles. Elle fait partie des référentiels[9] mais toutes les équipes ne lui donnent pas la même importance, n’ont pas les mêmes moyens et la même formation pour la mettre en place et l’adapter aux besoins spécifiques des élèves. L’adaptation sera parfois plus facile pour une classe dans l’enseignement spécialisé, où tous les élèves ont des besoins assez proches, que pour un élève en inclusion dans une école ordinaire.

En décembre 2023, nous avons recueilli le témoignage de plusieurs enseignants provenant de diverses écoles. Ces témoignages montrent la motivation des enseignants face à l’éducation musicale, les bénéfices pour leurs élèves mais aussi les différences de réalité selon les écoles ou les besoins spécifiques des élèves et les difficultés qui peuvent être rencontrées.

  • Je suis enseignante en primaire spécialisé de type 3 auprès d’élèves ayant des troubles du comportement. L’éducation musicale, par le chant ou la découverte d’instruments de musique a un pouvoir recentrant et apaisant pour mes élèves. C’est toujours un plaisir de vivre ces moments avec eux.
  • Enseignant en secondaire spécialisé de type 4, je travaille auprès d’élèves ayant un handicap physique. Lorsque nous organisons des activités d’éducation musicale, nous préparons cela en pensant aux besoins de nos élèves. Nous essayons par exemple de leur faire découvrir la cyclodanse[10]. C’est une révélation pour certains.
  • Dans notre école maternelle, nous accueillons une petite fille trisomique. Dans les rituels quotidiens, nous accordons une place au chant et à la danse. Cette élève y trouve son compte autant, si pas plus, que les autres élèves de la classe. Elle est épanouie lors d’activités musicales et cela fait plaisir à voir.
  • Dans notre école, il y a un élève malvoyant en deuxième secondaire. C’est épatant de voir comme il vibre avec la musique. On ne sait pas lui faire découvrir le langage musical sur partition. L’utilisation d’un instrument de musique est plus compliquée. Je me demande comment on pourrait s’adapter à un élève sourd.
  • Dans notre école, nous accueillons plusieurs élèves à besoins spécifiques. Il faut continuellement se former et s’adapter à leurs besoins, aussi pour l’éducation musicale. Pour donner un exemple, nous prenons le temps avec les élèves dyslexiques[11] lors de l’apprentissage de chansons car ils peuvent présenter des problèmes de coordination sur le rythme. On travaille en deux temps : lecture du texte, ensuite apprentissage du rythme. Cette année, nous découvrons avec deux élèves que la manipulation d’un instrument de musique est plus compliquée quand on a une dyspraxie[12] ou un handicap physique.
  • L’apprentissage musical

Avec l’apprentissage musical, on touche la question de l’inclusion sociale des élèves à besoins spécifiques de manière plus large, au sein de notre société, car on sort de l’enseignement obligatoire. En plus des différences socio-économiques qui sont source d’inégalités, les familles ont parfois peur du regard des autres sur la différence de leur enfant. Comme l’explique Nadège Emorine, les familles ne sont pas toujours à l’aise pour inscrire leur enfant à besoins spécifiques à des activités d’apprentissage musical. On se rend compte que très peu souvent, elles osent franchir les portes des écoles de musique, certainement de peur d’être refoulées. L’école de musique est pourtant bien un lieu ouvert à tous, elle accueille tout le monde. Mais force est de constater, que trop souvent, rien n’est réfléchi, peu d’aménagements sont réalisés, le même cursus pour tout le monde, et les élèves n’ont qu’à s’adapter.[13]

Même si les élèves à besoins spécifiques ont droit aux loisirs et à un épanouissement personnel de qualité, dans la pratique, ces droits ne sont pas toujours respectés. Les lieux ou les activités ne sont pas toujours spécialement adaptés. Des bâtiments ne sont pas accessibles, l’encadrement humain n’est parfois pas suffisant, du matériel adapté n’est pas forcément disponible, etc. Selon les besoins spécifiques des enfants, des aménagements s’avèrent souvent nécessaires, mais ne sont pas toujours mis en place.

Aménager les apprentissages musicaux, cela peut aussi passer par l’adaptation des résultats attendus de l’enfant, au regard de ses besoins spécifiques. Les académies et autres lieux d’apprentissage musical peuvent-ils revoir leurs exigences ? Quand il y a des acquis attendus, comme dans l’enseignement artistique à horaire réduit (ce que sont les académies), c’est souvent un frein à l’inclusion des élèves besoins spécifiques. Faut-il revoir ou faire fi des résultats pour viser une inclusion sociale dans une activité de loisir plaisant à l’élève ?

Les structures organisant des activités d’apprentissage musical n’ont pas toutes la même ouverture, la même bienveillance éclairée ou le même niveau d’exigence de formation face à la différence. L’inclusion via l’apprentissage musical n’est pas toujours facile. Il y a encore du chemin à faire pour une société plus inclusive, comme nous le disent ces deux témoignages :

  • Le fils de Sibel est en fauteuil roulant et souhaite suivre des cours de chant. Il ne sait pas accéder à ces cours car l’académie près de chez nous n’est pas un lieu accessible pour lui. L’escalier de l’entrée est un frein insurmontable. Nous n’avons pas la possibilité de faire de longs trajets vers un lieu plus accessible. Nous souhaitons lui trouver des activités où il peut rencontrer des jeunes du quartier.
  • La fille de Lucie, 5 ans, est inscrite à un cours de danse. J’ai parlé de la trisomie de Marie dès l’inscription à la prof qui l’a accueillie les bras ouverts et lui porte une attention particulière pendant le cours. Marie se plait à la danse, mais comme elle a des difficultés de langage, elle reste souvent sur le côté au début ou à la fin des cours et elle ne semble pas bien intégrée dans le groupe. Aurions-nous dû faire de la sensibilisation auprès du groupe ? Est-ce à la prof de le faire ?[14]

Selon les moyens et la motivation de l’équipe, des stratégies d’adaptation peuvent se mettre en place au niveau de l’environnement, des ressources à disposition, des objectifs visés, etc. Accepter la différence de l’enfant, c’est porter un regard juste sur lui.

Cécile Benoît, directrice de l'école de musique municipale de Sancé et professeur de musique, ouvre son établissement au handicap, étant elle-même formée à l’accueil d’élèves à besoins spécifiques et disposant de lieux adaptés. Il faut faire fi de ses croyances et être prêt à tout changer afin d’adapter sa pédagogie. Ce peut être une toute nouvelle approche de l’apprentissage : abandon de l’écriture, adaptation physique de l’instrument, adaptation totale à la personne.[15]

Conclusion

La musique a des bénéfices et des bienfaits significatifs pour les élèves à besoins spécifiques. Il est donc essentiel, comme demandé dans notre précédente analyse, que l’éducation musicale se fasse dans des conditions optimales pour tous, dans l’enseignement ordinaire comme dans l’enseignement spécialisé.

L’éducation musicale apprend aux élèves à besoins spécifiques et à tous les élèves, le vivre-ensemble dans la tolérance, la bienveillance et le respect de l’autre. La musique fait appel à notre nature humaine profonde. La différence ne doit pas être un obstacle à la musique pour tous, valeur que notre société se doit de défendre. Il nous semble essentiel de sensibiliser au handicap et à la différence comme source de diversité humaine pour une réelle ouverture à tous dans les structures d’apprentissage musical.

Dans ce sens, l’UFAPEC demande :

  • une meilleure formation des professionnels encadrant les activités d’éducation et d’apprentissage musical aux besoins spécifiques (sensibilisation, aménagements pédagogiques, outils adaptés, etc.) ;
  • la mise en place d’aménagements dans les structures d’apprentissage musical, car les élèves à besoins spécifiques ont droit à une éducation de qualité, y compris musicale ;
  • un travail avec les familles pour respecter les droits de leur enfant, prendre en compte ses besoins spécifiques et construire des projets personnalisés.

Adapter les structures d’apprentissage musical, cela peut se faire au niveau de la formation, de l’accessibilité des lieux, du matériel utilisé. On pourrait aussi imaginer l’existence de facilitateurs, comme dans le système scolaire (pôles territoriaux dans l’enseignement obligatoire ou cellules EBS dans l’enseignement supérieur), afin de soutenir les structures organisant des apprentissages musicaux dans l’accueil d’élèves à besoins spécifiques.

Les activités de loisirs comme l’apprentissage musical sont un lieu de partage et de rencontre favorisant l’inclusion sociale. Faire de la musique, c’est chanter, jouer, danser, mais aussi prendre conscience de la place de chacun, participer à la création de son identité et favoriser, pour tous, l’estime de soi.

 

Alice Pierard

 


[1] PIERARD A., L’éducation musicale, un antidote au décrochage scolaire ?, analyse UFAPEC n°22.23, décembre 2023, Ufapec - 22.23/ L’éducation musicale

[2] Code de l’enseignement, article 1.3.1-1 §5.

[3] SCHNEIDER G., « Musique et communication avec l’enfant polyhandicapé », paru dans la revue Contraste n°13, p. 4 et publié sur le site Réseau Lucioles, lundi 1er décembre 2008, Musique et polyhandicap

[4] SCHNEIDER G., op. cit.

[5] « Les bienfaits de la musique pour les personnes ayant des troubles du développement et des besoins éducatifs particuliers », in PercussionPlay, Les bienfaits de la musique pour TD et BEP

[6] HOURST B. et de BEAUREPAIRE A., Les intelligences multiples de vos enfants, Leduc.s, éditions, Paris, 2020, p. 58.

[7] DESY PROULX M., Pourquoi la musique ? Son importance dans la vie des enfants, éditions du CHU Sainte-Justine, Montréal, 2014, pp. 69-70.

[8] Idem, p. 71.

[9] Pour en savoir plus sur les référentiels : enseignement.be/référentiels

[10] La cyclodanse est une danse à part entière. Elle est pratiquée par des partenaires dont l’un est en fauteuil roulant et l’autre debout.

[11] La dyslexie est un trouble de la lecture et de l’écriture spécifique et durable. Elle peut se traduire à des degrés divers par des difficultés à épeler les mots, lire vite, écrire, lire à haute voix ou bien comprendre ce qui est lu.

[12] La dyspraxie se caractérise par une difficulté à réaliser des gestes coordonnés ou à organiser ses pensées. Les personnes dyspraxiques ont souvent des difficultés à accomplir des gestes simples du quotidien.

[13] EMORINE N., L’enseignement musical et le handicap : permettre l’accès, changeons nos regards, promotion 2010-2013, CEFEDEM Rhône-Alpes, L’enseignement musical et le handicap | Cefedem, p. 4.

[14] Témoignages recueillis les lundi 4 et mardi 5 décembre 2023. Pour préserver l’anonymat, nous avons utilisé des prénoms d’emprunt.

[15] KUBIK S., « L’accès à l’enseignement musical pour les enfants porteurs de handicap : quel état des lieux ? », in France musique, vendredi 9 décembre 2016, L’accès à l’enseignement musical pour les enfants porteurs de handicap

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