Analyse UFAPEC Février 2022 par F. Baie

02.22/ Parents invisibles, pourquoi ?

Introduction

Certains parents ne sont pas toujours présents aux réunions de parents (rencontre avec l’enseignant, remise des bulletins, fêtes, structures de représentation parentale) organisées par l’école ou par l’association de parents. On a aussi le sentiment qu’ils ne suivent pas toujours l’éducation ou la scolarité du jeune. Les directeurs et enseignants, et même certains parents, se plaignent parfois de ces « parents fantômes ». Comment explique-t-on aujourd’hui cette invisibilité qui existe parfois ? Certains la ressentent comme un manque d’implication, mais ne faut-il pas aller plus loin ?

Il n’est pas étonnant de n’avoir que cinq parents à notre réunion de parents. Les parents de notre école sont devenus des parents invisibles, démissionnaires sur tous les plans. Ce n’est pas qu’ils n’aiment pas leurs enfants, mais ils ne savent plus comment les éduquer. Rien ne fait peur aux enfants, surtout quand ils sont grands, même plus la police ! , affirmait un parent lors d’une réunion que nous avons organisée dans le cadre d’une animation dans une école secondaire à encadrement différencié (école défavorisée) de Bruxelles. Ces questions et cette réflexion nous ont donné le point de départ pour écrire une analyse sur ce sujet important de « l’invisibilité » des parents dans l’éducation comme dans la scolarité de leur enfant.

Cette invisibilité n’est certainement pas générale, mais nous ne pouvons pas la nier. Ce serait nous mettre des œillères que de ne pas l’aborder. De très nombreux parents sont présents dans l’éducation et à l’école, mais il y a encore une minorité de parents qui ne sont pas au « rendez-vous ».

A quoi cette absence est-elle due ? Certains sociologues parlent de véritable désertion. N’est-ce pas un mot « trop fort » ? Ne faut-il pas plutôt parler d’un manque d’implication ? Ou alors est-ce encore autre chose ? Et si on parle d’implication, ne faudrait-il pas nuancer ? En effet, on peut être impliqué dans l’éducation des enfants et pas dans la scolarité. Selon les familles, l’école a une importance variable et, par ailleurs, certains parents pensent que l’école n’est pas de leur ressort ou qu’ils ne sont pas des interlocuteurs compétents.

Les directions des écoles à encadrement différencié (là où nous trouvons une majorité de parents d’un niveau social et économiquement faible) ont souvent des difficultés à avoir des parents à leurs réunions de parents, à faire suivre les devoirs… Les organes de démocratie scolaire sont davantage fréquentés par une minorité socio-culturellement plus favorisée. Le partenariat rêvé avec les parents précarisés n’est hélas pas toujours atteint et on peut le comprendre[1]. Les animateurs de l’UFAPEC travaillent activement, collaborent avec les directions et entrevoient des pistes pour que ces parents soient plus présents et représentés. L’UFAPEC prône le partenariat école-familles et est convaincue de la nécessité de donner aux parents une place dans l’école. L’avis des parents compte ! La présence des parents et leur implication dans la scolarité, dans l’éducation et dans la vie de l’école apporte beaucoup et est un vecteur de réussite et d’épanouissement des enfants. L’absence parentale peut dès lors poser problème.

Mais n’est-ce que dans les écoles à encadrement différencié que nous pouvons retrouver cette absence parentale ?  Si il y a parfois un manque d’implication des parents dans les organes les représentant, est-ce parce que les parents s’essoufflent sur le plan éducatif comme le prétend plus haut ce parent que nous avons rencontré ? L’éducation des adolescents dans notre société actuelle deviendrait-elle trop difficile et les parents n’ont-ils comme choix que de baisser les bras ?

Dans de précédentes analyses[2], nous avions abordé le burn-out parental. Est-ce que cette invisibilité ne serait-elle pas liée au burn-out parental et aux nombreuses tâches que les parents doivent assumer dans une société qui en demande peut-être toujours plus, ou est-ce une question de temps, de priorité ? Ceci n’est évidemment qu’une hypothèse… A nous de nous questionner.

Et au-delà de cette invisibilité, ne faut-il pas nous interroger aussi sur les attentes de l’école ? En effet, demander aux parents d’être davantage présents sous prétexte d’une meilleure communication école-familles n’est-il pas, en fin de compte, culpabilisant pour les parents si ils n’arrivent pas à être « là » ? La sociologue, Danielle Mouraux parle des familles rondes et des écoles carrées[3]. Il faut sans doute se rappeler que l’école et les familles n’agissent pas et ne pensent pas de la même manière. La première est plutôt dans le cognitif, le collectif, l’universel, l’écrit, l’abstrait, l’évaluatif ; la seconde est plus dans l’affectif, l’individuel, le particulier, l’appréciatif, l’oral, le pratique. Les codes familiaux et scolaires sont différents. Dès lors, cette attente de l'école de « plus de présence des parents » ne dévoile-t-elle pas les inégalités entre parents qui partagent la culture scolaire et vont s’impliquer et les autres éloignés du monde de l’école et qui brillent par leur absence ?

Invisibilité des parents dans les organes représentatifs de l’école : seulement dans les écoles à encadrement différencié ?

Les animateurs de l’UFAPEC constatent que dans les écoles, plus dans le fondamental que le secondaire, les parents sont présents et prêts à s’investir et à s’impliquer positivement dans la vie de l’école. Mais cet investissement n’est pas si facile et demande d’abord la création d’une relation de confiance réciproque.

Dans certaines écoles, les directeurs doivent même parfois freiner le trop plein d’énergie. Mais lors de leur travail sur le terrain, les animateurs de l’UFAPEC rencontrent parfois aussi un sentiment de vide ou quelque chose qui ressemble à un manque d’investissement de la part des parents. Ils entendent le désarroi des directions d’école qui ne savent plus comment faire pour amener les parents à s’intéresser à la vie scolaire des enfants. Quand il s’agit d’élire des parents pour le comité de l’association de parents et pour le conseil de participation, les parents ne se bousculent pas. Dans ces écoles-là, il y a souvent très peu de candidats. Et c’est surtout en secondaire, quand les enfants deviennent des ados, quand les parents ne se rencontrent plus à l’entrée et à la sortie de l’école, que c’est compliqué d’avoir des personnes qui se proposent à investir ces organes de représentation parentale. Les animateurs de l’UFAPEC constatent que dans les écoles fondamentales, les enfants sont fiers de voir les parents s’investir dans les lieux de représentation parentale ou participer aux activités et fêtes organisées par l’école. Dans les écoles secondaires, c’est plus ardu, les élèves sont plus souvent gênés de voir leurs parents débarquer et ne semblent pas donner autant d’importance à la présence parentale. Les directeurs appellent alors les animateurs de l’UFAPEC pour booster un peu les troupes et réattirer ces « parents fantômes ».

A l’UFAPEC, on le constate, cette absence parentale est encore plus flagrante dans les écoles à encadrement différencié. Pierre Périer, sociologue, explique cette absence : A partir de ce tournant des années 1980, les parents sont davantage sollicités par l'école qui attend d'eux une coopération pour les apprentissages scolaires. Et cette sollicitation met au jour les inégalités de ressources et de compétences des parents face à l'école. A ce moment-là, le modèle de relation parents -école s'individualise avec, d'un côté, des parents stratèges consommateurs d'école et de l'autre des parents qui n'entrent pas dans ce jeu, des parents "invisibles". Du fait des autres, ils sont surexposés. On voit émerger la notion de parent "démissionnaire". Mais c'est l'école qui fabrique cette catégorie de parents qui ne répondent pas à ses attentes. Elle le fait de façon unilatérale. Cette attente de l'école dévoile les inégalités entre parents et pointe du doigt ceux qui sont trop absents ou qui ne répondent pas aux demandes de l'école. Ce sont les parents des enfants qui ont le plus de difficultés scolaires qui répondent le moins aux attentes[4].

Pour ce sociologue, même s’ils sont invisibles, les parents issus de milieux précarisés ne sont pas indifférents à la vie scolaire de leur enfant. Les animateurs de l’UFAPEC constatent qu’on juge souvent les parents précarisés comme non impliqués ou en décalage avec l’école. Ils ne sont pourtant pas démissionnaires et savent pertinemment bien que l’école est quelque chose d’important. Ils aimeraient d’ailleurs que leurs enfants réussissent, obtiennent un diplôme. La réussite de leur progéniture serait en soi une revanche sur ce qu’ils n’ont souvent pas obtenu. Leurs conditions de vie difficile, qui ressemble bien souvent à de la survie (chômage, revenu très bas, difficultés matérielles d’existence, soucis en tous genres), ont des impacts sur la scolarité de leurs enfants. Ils ne connaissent pas toujours les codes de l’école. Ce qui pour certains semble, de facto, logique ou implicite en termes de savoirs et de méthodologie ne l’est pas pour d’autres. Certains parents rencontrent des problèmes de compréhension du fonctionnement, parfois très obscur, de l’institution scolaire. Leur manque d’assurance les rend réticents à investir les organes de représentation parentale. Ils ne sont pas toujours convaincus que leur collaboration et leur participation à l’école apportera quelque chose de plus ou en tous cas que cela aura un impact immédiat sur la réussite de leur enfant. Manque de temps pour les rencontres avec les enseignants, problème de maîtrise de la langue française, sentiment de ne pas être à la hauteur ou à ne pas avoir une place légitime, tout cela explique que ces parents sont parfois invisibles.

Ces constatations rejoignent les recherches effectuées par Catherine Blaya, pédagogue française et professeur en sciences de l’éducation. Si les enfants sont parfois en décrochage scolaire dans les écoles à encadrement différencié, les parents eux aussi peuvent l’être ou, en tous cas, se sentir complètement en décalage par rapport à l’école. L’école peut culpabiliser certains parents qui sont peu présents, elle peut les stigmatiser et n’a pas toujours le comportement adéquat pour donner à ces familles précarisées leur juste place. En adoptant souvent une position autoritaire et hiérarchique, elle loupe le coche pour permettre à ces familles de se sentir en confiance. Les rapports entre l’École et les familles, notamment les familles d’origine populaire, sont basés sur une interdépendance oscillant de part et d’autre entre un désir de coopération, une demande d’une plus grande présence des familles dans l’école, une attitude de culpabilisation et de stigmatisation. Tout en rejetant parfois avec véhémence toute mission éducative pour rappeler leur rôle d’instruction, les représentants de l’institution scolaire, particulièrement en période de conflits, se positionnent dans une relation hiérarchique, légitimant les normes de la classe moyenne aux dépens de celles des classes populaires, toujours aussi peu présentes, réfractaires à la coopération ou craintives d’une rencontre basée sur des préjugés à leur encontre, tels que le désinvestissement voire la défaillance et le manque d’autorité parentale[5].

N'y a-t-il pas encore aujourd’hui une méconnaissance de la part de certaines institutions scolaires des réalités sociales, économiques et culturelles de certaines familles issues des milieux socio-écononiquement faibles ? Ne faut-il pas encore perfectionner la formation initiale et continuée des enseignants à ce sujet pour parvenir à une plus grande visibilité des « parents fantômes » qui ne se sentent pas encore légitimes dans leur rôle d’acteur scolaire ? Pointer la formation des enseignants est une chose, mais cela ne suffit sans doute pas. Il faut aussi sensibiliser les parents et les associations de parents à s’ouvrir à l’autre et aux différences culturelles. Dans une précédente analyse Aïcha nous expliquait qu’elle ne sentait pas toujours bien accueillie à l’école : J'ai essayé d'intégrer l'association de parents, mais quand je me suis rendue aux réunions, je n'ai pas eu facile à me faire une place. Parfois, la différence dérange. (…) Depuis que l'école s'est agrandie, il y a une invisibilité du public étranger dans l'organisation des activités. Le public de l'école a changé, certaines mamans m'ont dit qu'elles se sentaient mal à l'aise, même en traversant un couloir. Elles ont difficile, car les autres parents de l'école, soit par crainte, soit par méconnaissance, restent entre eux[6]L’absence parentale des familles populaires, souvent d’origine étrangère, est complexe et demande une empathie. Se mettre à la place de l’autre, comprendre les freins (barrage de la langue, codes familiaux différents de ceux de l’école, cultures différentes, manque d’estime de soi, échecs vécus, sentiment de hiérarchisation, sentiment d’illégitimité, incompréhension et culpabilisation de ne pas toujours être présents ou compétents…), semble être nécessaire pour construire ensemble.

Lien entre burn-out parental et invisibilité des parents

Cette invisibilité des parents qui existe parfois ne serait-elle pas aussi liée au burn-out parental et aux nombreuses tâches que les parents doivent assumer dans une société qui en demande peut-être toujours plus, ou est-ce une question de temps, de priorité ? Ce manque de présence serait-il plus grand dans les écoles à encadrement différencié (écoles défavorisées) parce que les parents qui y sont ont plus de soucis (chômage, santé, problèmes financiers …) que les autres ?

Pour y voir clair, nous avons rencontré Moïra Mikolajczak[7], professeur de psychologie à l’UCLouvain et spécialiste du burn-out parental. Pour cette scientifique, il n’y a pas encore eu d’études significatives qui démontrent un lien évident entre le manque d’implication des parents et le burn-out parental spécifiquement dans les milieux socio-économiquement faibles. Il pourrait y avoir bien d’autres raisons qui pourraient expliquer ce manque d’implication de ces parents comme l’explique plus haut dans notre analyse le sociologue Pierre Périer. Pour Moïra Mikolajczak, les parents issus de milieux socio-économiquement faibles ne se désintéressent pas de l’éducation de leurs enfants, mais manquent de confiance et de reconnaissance. Je crois surtout que les parents issus de milieux précaires ont parfois l’impression que leurs voix ne comptent pas, que cela soit dans la société ou à l’école. Ces parents sont déjà tellement discriminés dans la vie de tous les jours, ils éprouvent des difficultés à avoir une influence au quotidien, pourquoi auraient-ils alors une influence à l’école ? S’investir dans une cause où le combat est perdu d’avance, où il est probable qu’ils ne se sentent pas à leur place et où ils ne sentent pas suffisamment reconnus n’est pas encourageant.

Pouvons-nous, cependant, maintenir l’hypothèse du lien entre le burn out parental et le manque d’intérêt de certains parents pour l’éducation de leurs enfants ? Apparemment, oui, car les parents qui se trouvent dans une situation sévère de burn-out parental vont avoir tendance à se désinvestir de l’éducation parce qu’ils sont littéralement exténués. En mode survie, ils gardent pour eux le peu d’énergie qu’ils ont encore. Après une phase où ils se désinvestissent affectivement de leurs enfants, suit une phase où ils se désinvestissent de l’éducation. Il arrive que le parent en burn-out qui faisait respecter les règles à la maison n’a plus le courage de les faire respecter. Le parent qui accompagnait son enfant dans ses devoirs, dans sa scolarité ne le fait plus. Quand le burn-out devient extrêmement sévère, on peut même observer des négligences physiques. Certains parents n’arrivent plus à satisfaire les besoins de base de leurs enfants, ils n’ont plus le courage de faire les courses, de donner les bains, de faire à manger, d’entretenir leur maison, d’amener leurs enfants chez le médecin.

Tout parent qui voit sa balance personnelle (stress-diminution du stress) se déséquilibrer aura tendance à baisser les bras au niveau éducatif. Il faut imaginer la parentalité comme une balance avec deux plateaux. Sur un des plateaux, il y a tous les facteurs internes ou externes qui vont augmenter votre stress parental (ex : votre enfant fait une chute à vélo, vous êtes perfectionniste dans ce que vous désirez donner à manger, vous désirez être un super parent…, tout cela augmente votre stress). Sur l’autre plateau, vous avez les facteurs internes et externes qui vont diminuer votre stress (ex: votre enfant va à l’étude, votre conjoint est très investi dans la scolarité de votre enfant,… tout cela diminue votre stress). Normalement, cette balance est en équilibre mais il y a certains moments où la balance peut être en déséquilibre parce qu’il y a trop de facteurs stressants (par ex. : votre enfant rentre dans l’adolescence et devient plus difficile, votre enfant devient anorexique…). Il peut y avoir beaucoup de facteurs pour lesquels le stress parental augmente et s’il n’y a pas d’augmentation des ressources, votre balance commence à se déséquilibrer. Parfois, ce n’est pas le stress qui augmente, mais les ressources qui disparaissent (par ex. : votre maman qui vous aidait devient démente, votre conjoint vous quitte…). C’est quand ce déséquilibre persiste que l’on devient très vulnérable et que l’on tombe en burn-out, nous explique Moïra Mikolajczak.

Certains parents sont devenus, comme l’explique Ludovic Gadeau[8], des « parents perdus ou désorientés » [9]. Les consultations psychologiques et pédopsychiatriques accueillent des parents venant consulter le plus souvent pour leur enfant, mais elles témoignent également du désarroi dans lequel certains parents se trouvent.

Eduquer, pour faire grandir…

Le rôle, tant de l’école que des parents, est de faire « grandir » les enfants dans un esprit bienveillant afin d’en faire des êtres humains heureux, épanouis et réfléchis. Aujourd’hui, cet objectif ne semble pas si facile à mener. Certes, pour devenir parents, il y fallut bien le temps d’une scène primitive où le désir les joignit, au lit, mais ici s’ouvre une perspective de parents qui n’auraient plus les capacités de produire, debout, la tâche qui leur est dévolue : à savoir fabriquer un être humain. Parents alités, malades, fourbus, ne sachant plus y faire avec leur progéniture, parents usagés jusqu’à la corde en passe de se faire usager de l’action sociale[10], affirme le psychanalyste Joseph Rouzel[11]. Notre société, en prônant des modèles éducatifs idéalistes qui permettraient d’obtenir des enfants plus que parfaits, ne renforce-t-elle la culpabilité de certains parents ? Et cette culpabilité n’entraîne-t-elle pas parfois une démission ou un essoufflement dans le chef des parents ? C’est en tous cas ce que craint Joseph Rouzel : devant l’impossible enchâssé dans tout acte d’éducation, comme le souligne Freud, il y a des parents qui tentent de s’en délester[12].  

Que ce soit dans les milieux précarisés ou les milieux privilégiés, certains adolescents en font voir de toutes les couleurs à leurs parents. Selon le médecin psychiatre Jacques-Antoine Malarewicz, notre société privilégie la jeunesse et donne beaucoup de pouvoir aux adolescents. Comme les adultes s'identifient facilement à eux, comme la vie de couple est devenue plus périlleuse, les parents sont de plus en plus dépendants de l'amour de leurs enfants et ont beaucoup de mal à leur poser des limites. C'est ce qui fait que ces adolescents répondent à la dépendance de leurs parents envers eux en restant plus longtemps plus proches d'eux. Enfin, les adolescents sont devenus exigeants, critiques envers les adultes. Ils supportent plus difficilement l'autorité. Tout cela signifie qu'en une génération, les relations entre parents et enfants ont été profondément bouleversées[13]..

La société a donné une place plus importante aux jeunes et demande aux parents d’être présents et impliqués malgré une tâche éducative et scolaire complexifiée. A côté de cela, les parents, dans notre société actuelle, sont souvent happés par leurs problèmes personnels et professionnels (séparation, divorce, solitude, famille monoparentale, violence intra familiale, stress au travail ou perte d’emploi, deuil, manque d’argent, maladies, manque de temps, manque d’autorité, manque de limites, manque de communication avec leurs enfants, gestion des écrans…) et doivent faire face également aux problèmes de leurs enfants (échec scolaire, harcèlement, solitude, ennui, manque d’estime d’eux-mêmes, manque de contact avec leurs pairs, manque de repères, manque d’amis, mauvaises fréquentations, assuétudes, alcool, troubles d’apprentissage, problèmes psychologiques, manque de communication avec leurs parents et autres). Cette accumulation d’échecs et de problèmes a pour conséquence que les parents ont souvent envie de baisser les bras au niveau éducatif. A quoi bon, il ne m’écoutera de toute façon pas. Je ne sais plus quoi faire !, devient une rengaine.

Pistes et conclusion

Être parent (et surtout parent d’adolescents) peut être très stressant et certains parents, qui sont déjà épuisés, peuvent ne plus avoir le temps ou l’énergie de s’investir dans l’éducation ou dans les organes de représentation des parents, parce qu’ils doivent effectivement prioriser. Quand la balance se déséquilibre et que le burn-out parental apparaît, il semble difficile à ces parents de se concentrer sur l’éducation de leurs enfants, ils doivent d’abord prendre soin de leur santé mentale. Les parents voulant être trop parfaits, s’imposant des exigences trop élevées, ont parfois l’impression de perdre pied. Ils doivent tout d’abord se reconstruire avant de s’investir dans l’éducation de leur enfant. Mais on le sait, par ailleurs, cet investissement et cette implication est importante pour la réussite et l’épanouissement du jeune. La culpabilisation de ces parents décrocheurs n’apportera en tous cas rien de bon.

Nos adolescents élevés dans une société individualiste en demandent beaucoup à leurs parents. Aujourd’hui, on fait passer ses besoins avant ceux du groupe. Nos enfants sont élevés dans cette culture individualiste et font également passer leurs besoins avant ceux des autres et donc aussi de leurs parents. Que cela soit dans les milieux favorisés ou défavorisés, ce stress est omniprésent.

L’invisibilité des parents, certes plus importante[14] dans les écoles à encadrement différenciée (défavorisées), ne dépend apparemment pas que de ce burn-out parental, mais est multifactorielle. Le peu de présence des parents issus de milieux défavorisés peut être également lié au manque de maîtrise de la langue française, au manque de confiance en eux et à leurs compétences, au manque de reconnaissance, à la non compréhension des codes scolaires, à la stigmatisation et aux préjugés qu’ils ressentent à leur égard quand ils s’approchent de l’école, à la hiérarchisation qu’ils vivent parfois comme un déséquilibre (l’école toute puissante ou infantilisante), au manque de compréhension du fonctionnement très opaque de l’institution scolaire, à un sentiment d’illégitimité, etc. L’école semble encore avoir du travail pour attirer ces parents invisibles ou fantômes aux réunions de parents, dans les organes de représentation (association de parents ou conseil de participation). Inviter les parents invisibles dans des lieux moins hiérarchisés comme des cafés des parents, des réunions plus conviviales et festives, où ils peuvent, sans se sentir jugés, avoir droit au chapitre et se découvrir légitimes semble être un bon début pour gagner leur confiance. Pour l’UFAPEC, la formation initiale et continuée des enseignants doit se perfectionner pour connaître les réalités sociales des milieux plus précaires. Les associations de parents et les parents ont eux aussi leur rôle à jouer dans l’ouverture à l’autre et aux différences culturelles.

Dans son dernier Mémorandum[15], l’UFAPEC insiste pour que l’on améliore les échanges d’informations individuelles avec les parents et que l’on se mette au diapason de chaque public. Concernant la relation parents-école dans sa dimension individuelle, nous demandons que ce partenariat soit construit en tenant compte des différences d’accès aux clés de compréhension des codes scolaires, des contraintes horaires des parents et des potentielles barrières culturelles. L’une des difficultés les plus fréquentes dans la relation individuelle se situe dans le hiatus entre la posture pédagogique de l’enseignant et la posture émotionnelle et affective du parent. De part et d’autre, enseignants et parents (et plus largement tous les acteurs de l’école) doivent trouver les clés d’un partenariat compréhensif et respectueux du rôle de chacun pour développer ensemble les pistes qui pourront bénéficier au mieux à l’enfant.

Les familles rondes et l’école carrée, dont nous parle la sociologue Danièle Mouraux, avec leurs spécificités, ont encore du pain sur la planche pour se comprendre. L’invisibilité de certains parents ne semble pas être une désertion ni nécessairement un manque d’implication, mais s’explique parfois autrement. Certains préjugés, stigmatisations, comportements devraient être rejetés pour faire fi de la culpabilité que ressentent certains parents quand ils ne sont pas (toujours) présents.

 

France Baie 

 

 


[1] BAIE France, Comment faciliter le partenariat école-familles dans l’enseignement fondamental à encadrement différencié ? , étude UFAPEC n°11.18, août 2018 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/1118-partenariat-familles-ecoles-encadrement-differencie.html - lien vérifié le 6 février 2022.

[2] LORIERS Bénédicte, Pourquoi certains parents n’en peuvent plus ?, analyse UFAPEC n°20, juin 2012 - https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2012/2012-epuisement-parents.pdf -LORIERS Bénédicte, Le burn-out parental, maladie de notre civilisation ? , analyse UFAPEC 04.17, avril 2017 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/0417-burn-out-parental.html - liens vérifiés le 4 février2022.

[4] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2019/09/17092019Article637043024900105953.aspx - lien vérifié le 8 février 2022. Voir aussi le livre de Pierre Périer – PERIER Pierre - Des parents invisibles : l’école face à la précarité familiale, 2019, Paris : PUF, 288 p. 

[5] BLAYA Catherine, Décrochage scolaire : parents coupables, parents décrocheurs ?, dans Informations sociales, 2010/5 (n°161) , p. 15. https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2010-5-page-46.htm - lien vérifié le 6 février 2022.

[6] BAIE France, L’émancipation sociale des femmes issues de l’immigration passe-t-elle aussi par leur implication à l’école ?, analyse UFAPEC n°24.16 , novembre 2016 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/2416-emancipation-femme-immigrees-via-ecole.html - lien vérifié le 6 février 2022.

[7] Interview de Moïra Mikolajczak effectuée par France Baie – le 13 janvier 2022.

[8] Docteur en psychologie clinique et pathologique et enseignant-chercheur en psychopathologie à l'Université Grenoble Alpes (France)

[9] GADEAU Ludovic, La parentalité désorientée, mal du XXIe siècle ?, mai 2021, Yapaka - [Livre] La parentalité désorientée, mal du XXIe siècle ? | Yapaka – lien vérifié le 10 février 2022.

[10] ROUZEL Joseph, Du bon usage des parents, in La lettre de l’enfance et de l’adolescence, 2001/4 (n°46), pp.  35-42 - https://www.cairn.info/revue-lettre-de-l-enfance-et-de-l-adolescence-2001-4-page-35.htm - lien vérifié le 10 février 2022.

[11]. Éducateur spécialisé pendant vingt ans, il est actuellement superviseur, formateur et psychanalyste en cabinet. Il a créé et dirige l’Institut Européen Psychanalyse et Travail social (PSYCHASOC) dont les formateurs interviennent en formation continue dans les établissements sociaux, médico-sociaux, hospitaliers, scolaires -https://www.dunod.com/livres-joseph-rouzel - lien vérifié le 10 février 2022.

[12] ROUZEL Joseph, Du bon usage des parents, in la lettre de l’enfance et de l’adolescence, 2001/4 (n°46), pages 35 à 42 - https://www.cairn.info/revue-lettre-de-l-enfance-et-de-l-adolescence-2001-4-page-35.htm - lien vérifié le 10 février 2022.

[14] Nos animateurs, sur le terrain, le remarquent. Et les directeurs nous en font part.

[15] Mémorandum UFAPEC 2019, p.65 - https://www.ufapec.be/files/files/Politique/memorandum/MEMORANDUM-2019.pdf - lien vérifié le 24 février 2022.

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