Analyse UFAPEC février 2012 par D. Houssonloge

03.12/ L'intelligence émotionnelle, une des clés de la réussite scolaire

Introduction

Dans le cadre de la lutte contre l’échec scolaire, l’école et son système sont régulièrement interrogés et remis en question.

Pour réussir à l’école, de la maternelle au supérieur, divers éléments sont essentiels, comme la motivation[1] et l’estime de soi[2].

Depuis une vingtaine d’années, l’intelligence émotionnelle ou la capacité à maîtriser et exploiter ses émotions est également prise en compte et reconnue dans la réussite scolaire comme dans la réussite professionnelle ou même privée. Le concept d’intelligence émotionnelle est apparu pour contrebalancer la dictature du QI à laquelle beaucoup d’élèves et leurs parents se sont heurtés. Aujourd’hui, chacun s’accorde à dire que l’être humain n’est pas qu’un cerveau et que l’intelligence d’un élève ne se mesure pas à son seul QI. On dira d’un enfant qui réussit mal en raison de difficultés cognitives ou psychologiques ou qu’il manque de motivation ou qu’il n’est pas « scolaire », mais on n’entend plus dans les conseils de classe, du moins nous l’espérons, qu’un enfant est « bête » ou « limité ». Le test de quotient intellectuel mis au point par le psychologue français Alfred Binet au début du XXe siècle et encore pratiqué pour mesurer l’intelligence d’un enfant a d’ailleurs été largement critiqué et relativisé. Certains vont même plus loin : il ne mesurerait pas l’intelligence, mais le conformisme social. Un élève qui partage les mêmes codes culturels que l’école ou des codes similaires aura généralement un bon QI (par exemple, les enfants d’enseignants). En cela, le test de QI est prédictif, il évalue la maitrise du langage et la logique mathématique sur lesquelles les futurs examens portent eux aussi.[3]

Qu’est-ce que l’intelligence émotionnelle ? Vient-elle détrôner le QI ? Qu’offre-t-elle en plus à l’élève dans ses apprentissages ? Qu’est-ce qui est mis en place dans nos écoles pour la développer ? Les parents peuvent-ils aussi apporter quelque chose ?

Définition

L’intelligence émotionnelle c’est celle du cœur. Elle permet d’identifier et gérer ses émotions pour les utiliser positivement. Pouvoir développer son intelligence émotionnelle, c’est maîtriser ses pulsions et pouvoir différer la satisfaction de ses désirs, maintenir un équilibre émotionnel, être empathique et entretenir des relations harmonieuses avec les autres, savoir se motiver et faire preuve de persévérance malgré les difficultés à affronter. [4]

L’émotion,elle, est encore définie de façon assez négative : « état de conscience complexe, généralement brusque et momentané, accompagné de troubles physiologiques ».[5] On a pensé longtemps que le cerveau rationnel et le cerveau émotionnel étaient deux structures différentes et que les émotions étaient l’apanage des femmes, êtres irrationnels par excellence.[6]

Fort heureusement, la recherche a permis de découvrir toute l’importance de l’émotion dans nos vies : « nous ne pourrions être raisonnables sans ces mouvements intérieurs qui font aussi notre humanité. […] L’é-motion est un mouvement vers le dehors, un élan qui naît à l’intérieur de soi et parle à l’entourage, une sensation qui nous dit qui nous sommes et nous met en relation avec le monde. » [7] L’émotion nous informe et nous guide. Elle est à la fois biologique et pulsionnelle. 

Il y a quatre grandes émotions : la peur, la colère, la tristesse et la joie. Au-delà se déclinent toute une série d’émotions secondaires ou sentiments comme la culpabilité, la rage, l’envie, l’excitation, la tendresse, l’amour, etc. [8]

Le QI détrôné par le QE ?

En 1995, Daniel Goleman, psychologue américain, publie son livre, traduit en 1997 en français, L’intelligence émotionnelle : comment transformer ses émotions en intelligence.[9] Il y défend l’idée que l’intelligence émotionnelle est l’aptitude maîtresse à la base de toutes les autres, y compris de l’intelligence intellectuelle. Goleman va montrer que le QE (quotient émotionnel) prédit la réussite encore mieux que le QI. En effet, ce ne sont pas les personnes qui ont le meilleur QI qui réussissent le mieux. Selon Goleman, l’intelligence émotionnelle bloque ou amplifie notre capacité mentale de penser, d’apprendre, de résoudre un problème.

Qu’en penser ? L’idée que le quotient émotionnel a détrôné le quotient Intellectuel est un faux-débat et un abus de langage, une astuce vendeuse. En réalité, il est très difficile de mesurer le quotient émotionnel de quelqu’un. Ensuite, l’intelligence émotionnelle n’est pas opposée, mais complémentaire à l’intelligence « rationnelle ».

Pendant des siècles, l’Occident a connu le règne de la raison (le logos des philosophes grecs), réaffirmé par le philosophe et mathématicien français René Descartes et son célèbre « Cogito, ergo sum » (je pense, donc je suis), où celui-ci affirme la raison comme critère de la connaissance et non pas les sentiments ni l'imagination. [10]

A la findu XXe siècle, Goleman et d’autres scientifiques comme Antonio Damasio[11] ont le mérite d’avoir attiré l’attention sur l’importance des émotions, tout à fait niées jusque-là, dans le concept d’intelligence et dans le processus cognitif et de lutter contre la « fatalité » du QI.

Comme le rappelle Jean-François Marmion, il faut utiliser les résultats du QI avec une grande prudence. Face au succès qu’il rencontre auprès du grand public, il rappelle à juste titre que le test du QI n’est ni un jeu ni un thème astral ! Ce quotient a été mis au point au départ pour repérer les enfants qui risquaient de rencontrer des difficultés d’apprentissage et ainsi pouvoir leur venir en aide mais il a été source de nombreux malentendus. Rappelons encore que le QI ne mesure pas l’intelligence de quelqu’un mais ses performances par rapport à ses pairs du même âge. Un psychologue ne se base jamais sur les seuls résultats du QI pour évaluer l’intelligence d’un enfant mais sur une évaluation beaucoup plus globale.

Caroline Letor, docteur en sciences de l’éducation, chercheuse à l’UCL et auteur d’une thèse sur le sujet, que nous avons interrogée, précise encore que la différence entre intelligence intellectuelle et émotionnelle n’est pas seulement dans le rapport entre les deux mais aussi dans la manière de comprendre l’intelligence :

  1. parler d'IE c'est déjà parler d'intelligence multiple et supposer qu’il y en a plusieurs.
  2. parler d'intelligence multiple (Gardner[12]) c'est remettre en question la mesure de l'intelligence, la comparaison interindividuelle, (ne pas mettre les gens sur des échelles univariées +-) mais connaître le profil sur plusieurs axes de chaque personne. 

Dans cette perspective, elle est éducable, "formable" et non un trait de personnalité immuable. Certains psychologues tentent de "mesurer" l'intelligence émotionnelle mais cela reste difficile. Les échelles les plus valides (Moira Mikolajzak, Luminet à l'UCL) se rapprochent de tests de la personnalité (traits plus ou moins stables) qui s'écartent d'une définition d'intelligence émotionnelle comme intelligence qui permet d'identifier, réfléchir sur et avec émotions, les gérer... 

Bref, une bonne culture générale, de bonnes compétences logiques et mathématiques ne suffisent pas à assurer la réussite de quelqu’un. Il faut également pouvoir percevoir et gérer ses propres émotions de même que comprendre celles des autres.

Aujourd’hui, le nouveau paradigme ou modèle nous invite à harmoniser la tête et le cœur.

L’importance de l’intelligence émotionnelle va bien au-delà de la réussite d’un individu. C’est son bonheur qui est en jeu parce qu’elle le met en contact avec ce qu’il y a d’humain en lui.[13]

Isabelle Filliozat va plus loin dans son analyse : la démocratie est au prix d’une bonne gestion des émotions : « Les émotions que l’on ne veut pas écouter prennent le pouvoir. Fascisme et racisme sont des réponses émotionnelles à des peurs, des souffrances qui n’arrivent pas à se dire. La raison seule ne peut leur faire obstacle. Sectes et partis extrémistes profitent de l’insécurité et de l’analphabétisme émotionnel. […] Faute de gérer adéquatement nos émotions, véritables infirmes relationnels, nous nous heurtons les uns aux autres. […] Il est urgent d’apprendre à faire face à nos émotions. »[14]

De même, la complexité de notre société actuelle et ses défis requiert de développer notre intelligence émotionnelle. Le monde actuel demande autonomie, initiative, créativité, authenticité, empathie.[15]

Comment développer l’intelligence émotionnelle chez l’enfant

Peu à peu, des recherches confirment ce besoin de développer l’intelligence émotionnelle de l’enfant. Goleman a cofondé le ‘Collectif pour l’apprentissage de l’intelligence émotionnelle’ au centre d’études sur l’enfant de l’université de Yale et d’autres travaux vont dans le même sens, comme le test des bonbons. Le test des bonbons (ou de la guimauve) a été réalisé par le professeur Walter Mischel aux États-Unis dans les années ‘60 avec des enfants de quatre ans dans une garderie. L’enfant laissé seul un moment, peut soit patienter en attendant l’expérimentateur et obtenir 2 bonbons à son retour soit se servir immédiatement d’un seul bonbon. La majorité des enfants se ruent sur le bonbon, incapables d’attendre, une minorité a su patienter. Environ quatorze ans plus tard, les différences entre les enfants « impulsifs » et les « patients » se sont révélées spectaculaires. Les seconds étaient à l’entrée dans l’âge adulte, efficaces, confiants et dignes de confiance, savaient conserver leur sang-froid et résister aux pressions. Ils prenaient des initiatives et se lançaient dans des projets. Inversement, les enfants qui avaient le moins patienté, avaient les moins bons résultats scolaires. Mischel a ainsi montré qu'il y avait un lien entre la performance scolaire et la capacité à contrôler ses émotions.

Joseph Chbat, professeur canadien de philosophie, conclut que si les états émotionnels de l’élève sont positifs, comme la maîtrise des pulsions, l’optimisme, l’espoir, le rire, la performance de l’élève est alors meilleure et le succès plus assuré. Si, au contraire, ces états sont négatifs, comme l’anxiété, les soucis, le pessimisme, la performance est alors inférieure et l’échec survient.[16]

L’école est le lieu idéal pour apprendre et développer son intelligence émotionnelle. À l’école les enfants sont confrontés à un groupe, à des pairs, à des règles, à un environnement générateur d’éventuels conflits.

À l’école, l’apprentissage de l’intelligence émotionnelle est encore peu développé, même si les professionnels de l’éducation ont de plus en plus conscience de son importance. L’enfant ne peut pas laisser sa vie affective au vestiaire comme s’il n’était qu’un cerveau. Sans être guidé et soutenu, l’élève ne pourra pas affronter et gérer certaines émotions, celles qu’il peut vivre dans le cercle familial, mais aussi à l’école, comme la peur face aux épreuves, à l’échec, au ridicule, la timidité face à l’adulte et au groupe, le manque de confiance ou au contraire, l’impulsivité, l’extraversion, l’égocentrisme, l’intolérance et l’agressivité.

Caroline Letor nous donne quelques éclairages sur la situation en Communauté française. L’intelligence émotionnelle se présente comme une compétence transversale qui s’inscrit dans plusieurs cours. S’il n’y a pas encore de module proprement dit dans le cursus des futurs enseignants, diverses formations continuées se mettent en place. Dans la formation à l’intelligence émotionnelle, il y a deux grandes facettes :

  • développer l’intelligence émotionnelle de l’enseignant, de l’éducateur au sens large : apprendre à analyser et gérer ses propres émotions mobilisées jusque-là dans l’action de façon implicite, intuitive et non-planifiée. Cela passe notamment par la gestion du climat, des conflits, la communication non-violente, l’écoute, le dialogue.
  • développer l’intelligence de l’élève. Cet objectif est encore plus implicite chez l’enseignant. Cela passe par apprendre à l’élève la discipline, réfréner son impulsivité…

Caroline Letor propose elle aussi quelques pistes pour les parents dans le développement de l’intelligence émotionnelle de l’enfant :

  • mettre un cadre à l’enfant, lui donner des repères
  • amener l’enfant à réfléchir, le confronter à des situations
  • être un modèle de cohérence entre ce qu’on dit et ce qu’on fait soi-même

Pour Isabelle Filliozat, une des clés de l’apprentissage des émotions est la parole de l’adulte, une autre est l’écoute de la parole de l’enfant. Filliozat rejoint Letor dans son analyse : les parents ont leur rôle à jouer, en servant d’abord de modèle, en osant exprimer et parler de leurs émotions, en développant une relation harmonieuse avec leur enfant, mais aussi en l’aidant à identifier et exprimer ses émotions.

Selon Filliozat, développer la confiance en soi est la base de la réussite et du bonheur. Elle développe le concept : confiance de base, mais aussi confiance en ses désirs, en ses sentiments, en ses jugements, en ses capacités, en son aptitude à entrer en relation avec les autres, à se sentir utile. Vaincre sa timidité pour oser parler en public est aussi une compétence émotionnelle à développer. Or, la moitié de la population se dit timide. L’enfant qui aura eu la chance d’être regardé, apprécié et valorisé par ses parents, alors qu’il était petit, aura du plaisir à être regardé et observé plus tard.[17]

Conclusion

Pour réussir à l’école, on a enfin compris qu’il ne suffisait pas de bien réfléchir et de maitriser des savoirs. Développer son intelligence émotionnelle, savoir identifier, gérer ses émotions, comprendre celles des autres pour pouvoir communiquer et être en relation avec eux, est tout aussi important.

Le couple cognition-émotion est complémentaire dans la notion d’intelligence et dans le développement des apprentissages. L’intelligence est multiple et d’’autres formes existent encore comme Howard Gardner l’a montré récemment. La théorie de Gardner a permis le développement de nouvelles formes d’apprentissages comme la suggestopédie, les Neues Lernen,… qui seront abordées dans une prochaine analyse, prolongement de notre réflexion et de notre questionnement sur les conditions de réussite à l’école.

Avoir un bon QI, avoir une intelligence « rationnelle » et des diplômes ne suffit plus dans une société de plus en plus complexe. De nombreux films, comme Les Intouchables, mettant en scène des entretiens d’embauche illustrent bien cette réalité. Au-delà du diplôme, des compétences, des expériences, l’humain doit être pris en compte.

Les parents ont un rôle important à jouer, dès le plus jeune âge, en servant de modèles, en mettant des balises, en permettant à l’enfant de vivre et réfléchir à des situations tout en développant sa confiance en lui. L’école aussi. Terrain d’expérimentation par excellence des émotions et des relations entre jeunes, l’école, en perte de sens, a tout à gagner à développer l’intelligence émotionnelle pour plus de confiance, de motivation, de réussite et un meilleur vivre ensemble des adultes de demain.

A ce titre, l’UFAPEC demande que cette dimension essentielle soit intégrée dans la formation des enseignants. Une formation à l’intelligence émotionnelle, la leur d’abord, puis celle des élèves qui leur sont confiés, est une des clés de la réussite scolaire.

 

 

Dominique Houssonloge

 

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[1]Bénédicte Loriers, Quel est le rôle des parents dans la motivation à apprendre ? Analyse UFAPEC 2011 - http://www.ufapec.be/nos-analyses/2911-motivation-parents/

[2]Anne Floor, L’estime de soi en milieu scolaire – Analyse UFAPEC 2010 - http://www.ufapec.be/nos-analyses/3010-estime/

[3]Isabelle Filliozat, L’intelligence du cœur. Marabout, 1997 - Jean-François Marmion, Le QI est-il cuit ?  in Revue Sciences humaines, n° 190 – février 2008

[4]Mélanie Germain et Nicole Royer, L’intelligence émotionnelle. EduTIC Mauricie, Université du Québec à Trois-Rivières. http://www2.uqtr.ca/hee/site_1/index.php?no_fiche=1298

[5]Le nouveau Petit Robert de la langue française, 2009.

[6]Isabelle Filliozat, op. cit., p. 30.

[7]Op. cit, pp. 30-31

[8]Op. cit., p. 33

[9]Daniel Goleman, L’intelligence émotionnelle : comment transformer ses émotions en intelligenceTrad. T. Piélat, Paris, Éditions Robert Laffont, 1997.

[10]René Descartes, Le Discours de la méthode. Pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences.1637

[11]Antonio R. Damasio, L’Erreur de Descartes : la raison des émotions.Paris, Odile Jacob, 1995.

[12]Howard Gardner, Les intelligences multiples. Retz, 2004

[13]Isabelle Filliozat, op. cit., p. 13

[14]Op. cit. pp. 13-14

[15]Op. cit., p. 15

[16]Joseph Chbat, professeur au Collège André-Grasset, L’intelligence émotionnelle selon Daniel Goleman. – Montréal - http://www.cvm.qc.ca/aqpc/Auteurs/Chbat,%20Joseph/Chbat,%20%20Joseph%20(15,3).pdf

[17]Op. cit., p. 141

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