Analyse UFAPEC juin 2025 par S. Ryelandt

07.25/ Élèves en échec, parents en échec ?

La plupart {des parents} sont « suffisamment bons » (…).
Cela ne signifie pas qu’ils sont parfaits, mais qu’ils font de leur mieux.
Ils n’ont pas besoin de plus de recettes, mais de davantage de reconnaissance.

Isabelle Roskam

Introduction

À certaines étapes de leur scolarité, de nombreux élèves ne parviennent pas à répondre de manière satisfaisante aux attendus scolaires[1]. En a résulté, durant de longues années, des décisions fréquentes de redoublement, ou encore de changement de filière dans l’enseignement secondaire, comme l’a mis en lumière en 2015 l’évaluation de notre système éducatif opérée à la genèse du Pacte pour un enseignement d’excellence (Pacte). Aujourd’hui, avec le nouveau tronc commun[2], opter d’office pour un redoublement ou un maintien en cas de mauvais résultats d’un élève n’est plus possible, le redoublement, désormais appelé « maintien », étant devenu tout-à-fait exceptionnel[3]. Mais, nous verrons que certains prescrits, liés au tronc commun et à une nouvelle approche des besoins et des difficultés des élèves, semblent encore insuffisamment connus de certains acteurs éducatifs.

Une situation d’échec n’est pas sans conséquences pour l’élève, mais aussi pour sa famille. Auprès du jeune, elle peut provoquer de la tristesse, de la colère, voire un rejet de l’école, en particulier lorsqu’il a le sentiment de ne pas avoir été reconnu dans ses efforts ; elle peut aussi malmener sa confiance, voire son estime de lui : suis-je incompétent ? Ai-je ma place à l’école ? Pour les parents, une telle situation peut engendrer de l’inquiétude et du stress (quel avenir pour notre enfant, ne risque-t-il pas d’être stigmatisé, isolé en perdant ses copains ?), des sentiments de culpabilité (qu’ai-je mal fait ?), d’impuissance et encore, pour certains, de honte, etc.

Pourquoi l’échec scolaire a-t-il un tel impact sur les familles, allant jusqu’à ébranler certains parents dans leur sentiment de compétence ? Après tout, l’échec scolaire n’est-il pas avant tout une « affaire d’école » ? Les parents seraient-ils fautifs si leur enfant échoue ? Et, s’ils se sentent coupables, est-ce parce que l’école les juge ? Comment communique cette dernière en cas de mauvais résultats ?

Avec ce sujet, nous réfléchissons à l’échec scolaire, à ses causes, à la responsabilité des différents acteurs éducatifs, avec notamment la question de la prise en charge de la remédiation – dans ou en dehors de l’école -, et à la communication de l’école vers les familles. Nous y réfléchissons dans le cadre des réformes en cours (nouvelle procédure de maintien, etc.).

Échec scolaire, c’est quoi ?

Qu’est-ce qu’« un élève en échec scolaire » ? En tant que parent, élève ou enseignant, comment définissons-nous spontanément l’échec scolaire ? Avec quels mots l’exprimons-nous et à quelles images l’associons-nous ?

Dans son ouvrage « Peut-on lutter contre l’échec scolaire ? », le professeur de psychologie de l’éducation, Marcel Crahay, en donne deux définitions. La première, qu’il a adoptée pour pouvoir plus facilement étudier et mesurer ce phénomène complexe et difficilement appréhendable, est la suivante : un élève dont il est décidé qu’il ne sera pas promu, c’est-à-dire qu’il ne pourra pas passer dans la classe supérieure[4]. Avec cette première définition, il assimile donc l’échec au redoublement, ce dernier étant, selon lui, le meilleur indicateur de l’échec[5]. La seconde définition, plus juste sur le plan fondamental pour Marcel Crahay, qu’il a reprise du professeur de pédagogie Gilbert de Landsheere, est la suivante : toute situation où un objectif éducatif n’a pas été atteint[6].

Les deux définitions proposées par Marcel Crahay sont intéressantes car elles nous amènent chacune à penser l’échec scolaire et ses causes de manière différente : la première met avant tout le focus sur les élèves, qui sont sanctionnés par l’institution scolaire pour ne pas avoir répondu suffisamment bien ou suffisamment vite à ses attendus ; la seconde vise davantage les processus éducatifs et pédagogiques et l’accompagnement des enseignants, qui n’ont pas permis à certains des élèves de se retrouver en situation de « réussite ».

Alors, finalement, en cas d’échec scolaire, qui est responsable ? L’élève, sa famille, les professionnels de l’enseignement ou encore, plus globalement, un système éducatif qui, par son fonctionnement, sa culture, et notamment l’usage d’une « évaluation-sanction », encourage un certain taux d’échec chaque année ?

Une tendance à rendre responsable l’élève et ses parents

Selon les témoignages de différents acteurs scolaires (parents, élèves, enseignants), dont ceux de parents obtenus dans le cadre d’une enquête effectuée par l’UFAPEC en 2024[7], il existe une tendance forte à blâmer l’élève et sa famille en cas d’échec scolaire.

De nombreux parents expliquent l’échec d’un élève par le fait qu’il était fatigué ou malade, qu’il est anxieux, trop lent, immature… Ou encore, qu’il n’a pas suffisamment travaillé. D’autres évoquent des problèmes familiaux[8]. Peu de parents pointent la responsabilité de l’école et, quand ils le font, c’est bien souvent à la suite d’une situation d’échec qui touche leur enfant. Bien souvent, seuls les parents avec un certain capital socio-culturel sont en mesure de pointer cette responsabilité.

Des enfants eux-mêmes s’accusent de leur situation d’échec, en venant à se déconsidérer : si j’ai souvent du rouge dans ma feuille (…), si l’institutrice me dit toujours que je me trompe, peut-être que finalement c’est normal : c’est que je suis moins doué que les autres, que je suis sans doute moins intelligent, plus bête (…)[9].

Enfin, de nombreux enseignants invoquent des causes non scolaires pour expliquer leurs décisions de redoublement[10]. C’est par exemple le cas de cette enseignante qui justifie une décision de maintien d’une de ses élèves par le fait que cette dernière (…) avait de grosses difficultés, déjà au niveau familial. Elle vivait seule avec sa maman ; elle a un père inconnu, mais totalement absent. Elle n’était pas du tout prête[11]. Selon ce témoignage, si l’élève est en échec, c’est essentiellement à cause d’un contexte familial « compliqué », peu soutenant. D’autres enseignants invoquent des particularités de l’élève : problèmes psychologiques, maturité faible, motivation et mérite insuffisants, voire manque d’intelligence ou d’aptitude…

Mais, face à l’échec scolaire, s’il est sans doute parfois plus facile pour l’école de rendre responsables l’élève et sa famille, il est évident que de nombreux enseignants se remettent en question, interrogeant leur fonctionnement et leurs pratiques, se demandant ce qu’ils ont « loupé ».

Une responsabilité partagée

En réalité, pour expliquer un échec scolaire, différents facteurs, souvent interconnectés, doivent être pris en compte :
- « le jeune » avec son vécu et ses particularités comme d’éventuelles difficultés d’apprentissage, son assiduité au travail, une confiance en lui plus ou moins forte, etc. 
- « l’environnement familial et social » : le jeune vit-il dans un climat suffisamment sécurisant, tant sur le plan matériel que relationnel ? Ses parents ou les adultes qui en sont responsables s’intéressent-ils à sa scolarité ?
- « l’école et ses acteurs éducatifs » : l’enfant ou l’adolescent se sent-il à l’aise dans son école ? Les projets éducatifs et pédagogiques lui conviennent-ils ? Les enseignants répondent-ils suffisamment à ses besoins ? etc.

À ces différents facteurs, s’ajoute celui d’« un système éducatif » qui, par certains de ses dispositifs, comme « l’évaluation scolaire », en particulier dans son rôle sanctionnateur[12], facilite l’échec des élèves issus de milieux socio-culturels et économiques faibles, éloignés de la culture scolaire[13]. En effet, étant donné les biais cognitifs dont il peut difficilement se départir lorsqu’il corrige une copie d’élève, l’enseignant a par exemple tendance à privilégier des informations qui correspondent à ses valeurs et à sa culture, ce qui amène beaucoup de subjectivité dans ses évaluations. L’élève favorisé, dont la culture familiale est souvent proche de la culture scolaire, est ainsi avantagé car, dans ses copies, il peut plus facilement mettre en valeur des caractéristiques et des qualités attendues par l’enseignant, comme le fait de développer un propos audacieux, original et créatif dans une dissertation[14].

Venant renforcer cette subjectivité de l’acte évaluatif, qui a tendance à se faire au détriment des élèves issus de milieux défavorisés, la manière dont certaines équipes éducatives « décident du sort » des élèves en fin d’année (passage dans l’année supérieure ou non) se fait encore malheureusement parfois en recourant à des éléments extérieurs, comme le soutien parental existant ou non, qui, en ce qui concerne le suivi du travail à domicile par exemple, est souvent « plus faible » ou « moins efficace » dans les familles défavorisées, étant donné leurs moindres moyens ou facilités. Le témoignage de l’enseignante évoqué plus avant, qui justifie un maintien d’élève par des causes familiales - elle a un père inconnu - en est un bon exemple.

Notons que, dans de nombreuses écoles, des équipes éducatives veillent à prendre leurs décisions de réussite ou de maintien en prenant en compte l’enfant dans sa globalité, et, ce faisant, les facteurs familiaux sont plutôt invoqués en faveur de la réussite de l’enfant. Une équipe peut ainsi décider d’attester de la réussite d’un élève malgré son échec à une épreuve certificative, comme le certificat d’études de base (CEB), car, plutôt que de s’arrêter aux mauvais résultats de cette épreuve, elle prend en compte une multitude d’éléments comme, pour n’en citer que quelques uns, l’évolution positive des résultats scolaires durant l’année, une mauvaise gestion du stress durant les épreuves qui a impacté négativement les résultats, ou encore des difficultés familiales vécues par l’enfant au moment de la passation des tests, etc.

Mauvais résultats scolaires : quelle communication de l’école vers la famille ?

Lors d’une rencontre école-parents pour une remise de bulletin, Brigitte, technicienne de surface et maman de Mia, 9 ans, scolarisée dans une école libre catholique en région wallonne, apprend que sa fille risque de redoubler sa 4e primaire : sa titulaire nous a dit que Mia avait de grosses lacunes, et du retard par rapport à ses camarades de classe, et, qu’étant donné qu’il ne restait que deux mois avant la fin de l’année scolaire, il fallait prévoir quelqu’un d’extérieur à l’école pour la suivre et l’aider, explique Brigitte, qui ajoute qu’à sa question concernant d’éventuelles cours de rattrapage à l’école, l’enseignante a répondu que ce n’était pas possible, qu’il n’y avait pas moyen[15]. Cette manière de rendre l’enfant responsable de ses « insuffisances » scolaires illustre bien ce qui a été dit plus haut.

Brigitte est sortie de cette rencontre choquée, ne comprenant pas ce qui se passait car, jusqu’ici, même si elle savait que sa fille rencontrait des difficultés d’apprentissage dans deux disciplines, elle avait néanmoins globalement de bons résultats scolaires. Voir sa fille effondrée face à sa titulaire, qui la compare négativement aux autres élèves et qui ne lui donne aucun retour positif - elle n’a trouvé aucun mot rassurant pour la petite, elle lui a juste dit « tu n’as pas bien travaillé » - a été difficile à vivre pour cette maman, qui éprouvait dans sa chair la douleur de sa fille, ayant elle-même vécu un parcours scolaire émaillé d'échecs, de redoublements, mais aussi d'humiliations[16].

En plus de vivre des émotions douloureuses, Brigitte s’est sentie coupable, se demandant ce qu’elle avait mal fait, et ce d’autant plus qu’elle nous dit s'être sentie jugée par l’enseignante, notamment en ce qui concerne le suivi du travail à domicile "insatisfaisant". À ce sujet, rappelons qu'un cadre légal définit le travail à domicile (durant le tronc commun), stipulant que ce dernier doit toujours pouvoir être réalisé sans l’aide d’un adulte[17]. Pour Brigitte, le fait que l’école ne mettent rien en place pour sa fille est incompréhensible : je ne comprends pas pourquoi les enfants en difficulté sont toujours mis à part. Je trouve cela vraiment triste et dommage. N’est-ce pas justement eux qu'on doit mettre en avant et aider ? N’est ce pas le rôle de l’école de tirer les plus faibles vers le haut, pour qu’ils puissent évoluer dans la vie[18] ?

Ce témoignage, qui est bien entendu une expérience singulière, non généralisable, est néanmoins interpellant à plusieurs niveaux : la communication peu empathique de l’enseignante, qui semble ne pas tenir compte des sentiments de l’enfant et de sa maman ; le fait de mettre le focus sur les difficultés de l’élève, sans parler de ce qui va bien ; la comparaison avec les autres enfants ; la demande de prise en charge des difficultés d’apprentissage de Mia par la famille, car l’école n’aurait pas les moyens de s’en occuper, etc. Nous reviendrons plus loin sur ce dernier point.

Le vécu de Brigitte, ses ressentis - stress et tristesse, culpabilité – son incompréhension et sa déception envers un système scolaire qui n’a rien à proposer pour sa fille, est partagé par d’autres parents et ne concerne pas que des familles socio-culturellement ou économiquement moins favorisées.

Ainsi, Patrice, enseignant en haute école, explique qu’au moment d’apprendre que son fils allait redoubler sa 3e année secondaire, un fort sentiment de culpabilité l’a envahi : il se reprochait de ne pas avoir suffisamment suivi la scolarité de Louis, d'avoir été négligent, d'avoir trop fait confiance à son fils[19]… Mais, n’est-ce pas une bonne chose que de faire confiance à son enfant ? N’est-ce pas désolant que de mauvais résultats scolaires amènent un parent à devenir méfiant ? Comme le dit Isabelle Roskam, professeure de psychologie du développement à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain), être parent, ce n’est pas piloter la vie d’un autre. C’est proposer un cadre, un accompagnement et faire confiance à la capacité de l’enfant de s’autodéterminer. Elle rappelle qu’en tant que parent on ne maitrise pas tout. (…) Le développement de l’enfant résulte d’une équation complexe : facteurs personnels, environnementaux, culturels, biologiques… Le parent en fait partie, mais il n’est ni tout puissant ni seul responsable[20].

Comme pour Brigitte, les difficultés scolaires de Louis, ses mauvais résultats, ont généré chez Patrice une déception globale envers l’école qui n’a pas su ou pas pu aider son fils. Concernant la communication école-parents, Patrice la juge insuffisante et insatisfaisante, notamment avec des bulletins scolaires et des grilles critériées[21] incompréhensibles, qui ne lui ont pas permis d'anticiper la situation d'échec scolaire de son fils[22].

De nombreux parents, comme Patrice, témoignent de leurs difficultés à comprendre les bulletins scolaires[23], qui constituent pourtant l'un des principaux outils d’information et de communication des enseignants vers l’élève et ses parents concernant le suivi pédagogique. Des incompréhensions existent par exemple concernant les différentes compétences évaluées (par exemple : critiquer, se questionner, communiquer, etc.) : que recouvrent-elles ? Quel poids ont-elles en termes de réussite ou d’échec scolaire ? Le fait que les enseignants ne s’accordent souvent pas entre eux sur la définition de ces compétences complexifie d’autant plus la lecture des bulletins par les parents, surtout dans l’enseignement secondaire où l’enfant a souvent une dizaine de professeurs…

La relation de défiance des parents envers l’école, qui s'est créée tant pour Brigitte que pour Patrice, est préoccupante car, dans un tel contexte, comment des enfants peuvent-ils s’engager positivement dans leur scolarité et comment une coéducation positive école-parents, nécessaire à la réussite scolaire et au bien-être de l’enfant, peut-elle encore s’établir ?

Pour l’UFAPEC, il importe que les parents et l’école travaillent en partenariat pour avancer effectivement, dans une dynamique de coéducation, qui respecte le rôle et les compétences de chacun[24]. Lorsque l’enfant revient de l’école, n’a-t-il pas besoin avant tout de retrouver un cadre sécurisant, reposant, ressourçant, empli de chaleur et d’affection, qui lui permette de réellement rentrer « chez lui » ? L’école ne peut pas attendre du parent qu’il devienne un enseignant pour son enfant, ni lui demander de faire appel à des cours particuliers pour pallier ce qui n’a pas été intégré en classe. En faisant porter aux parents la charge de la réussite scolaire, ou encore, en les « accusant » de ne pas être suffisamment présents ou soutenants pour leur enfant, « l’école » n’adopte-t-elle pas une attitude délétère, peu propice à une coéducation positive et, in fine, au bien-être et à la réussite scolaire de l’enfant ?

Les parents ont besoin de reprendre confiance, pense Isabelle Roskam, qui observe qu’aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, beaucoup de parents vont mal et sont fragiles, notamment parce qu’ils interprètent la moindre difficulté rencontrée par leur enfant, à l'école notamment, comme un signe d’échec de leur part[25]. Le culte de la performance, le non droit à l’erreur, le concept de « parentalité positive » qui est devenu une norme, faisant croire qu’il existerait un parent idéal, fait que, dans nos sociétés occidentales, de nombreux parents se mettent la pression, ayant l’impression de ne jamais en faire assez concernant leur enfant. Pour Isabelle Roskam, plutôt que de les surveiller et de les culpabiliser, il faut soutenir les parents : la plupart sont « suffisamment bons », pour reprendre la belle expression du pédiatre Donald Winnicott. Cela ne signifie pas qu’ils sont parfaits, mais qu’ils font de leur mieux. Ils n’ont pas besoin de plus de recettes, mais de davantage de reconnaissance[26]. Car, explique-t-elle, un parent qui s’épuise à tenter d’être un parent parfait et qui, dans le même temps, doute de ses capacités parentales, risque le burn-out parental, qui se caractérise notamment par une perte de plaisir dans la relation avec l’enfant et une distanciation émotionnelle[27].

Vers une plus grande responsabilisation des écoles

Pour les acteurs du Pacte, dans une perspective d’un enseignement plus équitable et efficace, il n'est plus question que l'école externalise la prise en charge des difficultés des élèves, en demandant aux parents de mettre en place, par exemple, des cours particuliers. L'école est donc responsable de l’évolution positive et de la réussite de chacun de ses élèves. Pour que le maintien dans une année du tronc commun puisse effectivement devenir exceptionnel, les équipes éducatives doivent adopter une dynamique de prévention et d’anticipation de l'échec scolaire (plutôt que d’être dans un réflexe « échec-sanction »), ce qui demande une meilleure prise en compte et en charge des besoins des élèves. Dans ce cadre, de nouveaux dispositifs ont été instaurés dans toutes les années concernées par le tronc commun, comme les périodes d’accompagnement personnalisé[28], ou encore le DAccE (dossier d'accompagnement de l'élève)[29], qui doit permettre d’assurer le suivi des difficultés décelées d’un élève et de mettre en place rapidement des actions de remédiation à l’école.

Qu'une enseignante dise à une maman, dont l'enfant éprouve des difficultés scolaires, que l'école n'a pas les moyens de s'en occuper et que l’enfant risque de redoubler, si la famille ne met pas en place de la remédiation, n'est pas acceptable. Et c’est bien pour contrer ces dynamiques violentes envers les élèves et leurs parents que le pacte a développé ces dispositifs spécifiques. Dans le cas de Mia, qui se trouve dans une année scolaire déjà concernée par le tronc commun, comment se fait-il que l'enseignante n'ait pas communiqué autour du DAccE et des « bilans de synthèse », qui devraient pourtant être établis, étant donné les difficultés d’apprentissages persistantes de Mia ? En tant que parent, Brigitte aurait dû être invitée à consulter le DAccE et ces bilans, notamment pour prendre connaissance des actions de soutien mises en place à l’école[30], ce qui n’a pas du tout été le cas.

Concernant la menace de redoublement communiquée à la famille par l’enseignante, notons qu’une décision de maintien ne peut être prise que si au moins deux des trois bilans de synthèse ont bien été complétés au cours de l’année[31], et que la famille a été systématiquement informée et concertée durant l’année dans le cadre de la mise en place de dispositifs spécifiques complémentaires de différenciation et d’accompagnement personnalisé et de l’élaboration des bilans de synthèse[32]. À défaut, le parent a toutes les raisons de refuser la décision de ce maintien dans le cadre de la procédure afin que cela puisse être apprécié par la chambre de recours[33].

À l’UFAPEC, nous nous réjouissons de la place donnée aux parents dans le cadre du DAccE, qui doit permettre un réel partenariat école-parents, en particulier lorsqu’un enfant éprouve des difficultés persistantes, mais nous constatons que de nombreux parents ne sont pas informés de l’existence de ce nouveau dispositif, alors qu’ils devraient l’être. L’école a en effet l’obligation de transmettre en début d’année scolaire un document d’information aux parents qui explique le fonctionnement du DAccE et reprend les objectifs poursuivis, les modalités d’accès des parents, les informations qui sont contenues dans le DAccE, les droits des parents, etc[34]. Si cette information de l’école vers les parents ne se fait pas, les parents peuvent interpeller la direction, voire le pouvoir organisateur, et, sans retour de leur part, nous rappelons que les représentants des parents au conseil de participation (CoPa) peuvent être sollicités et intervenir.

Perspectives et conclusion

Les causes de l’échec scolaire sont complexes. Elles relèvent de différents facteurs, souvent interconnectés : l’enfant, son environnement familial et social, l’école, le système scolaire…. Pourtant, fréquemment, une partie significative des acteurs scolaires (élèves, enseignants, parents…) a tendance à penser qu’en cas d’échec, seul l’élève et sa famille sont responsables. S’il redouble, s’il est sanctionné, c’est de sa faute : il n'a pas assez étudié, sa famille aurait dû mieux le suivre, etc.

Pour de nombreux parents dont l’enfant est en échec scolaire, des sentiments de tristesse, d’incompréhension, de culpabilité, ainsi qu’une perte de confiance en ses compétences, sont fréquents. La communication, parfois maladroite, peu empathique, voire jugeante ou infantilisante, de certains enseignants accentuent le désarroi de ces parents, mais aussi de leur enfant. Par ailleurs, lorsqu’il leur est demandé de prendre en charge la remédiation scolaire, ils se retrouvent dans une situation où ils doivent sortir de leur rôle parental, tout en devenant responsables de la réussite scolaire de leur enfant.

Avec le nouveau tronc commun, dans une perspective d’un système éducatif plus égalitaire et plus équitable, il n’est plus question d’externaliser la remédiation scolaire. L’école est responsable, elle doit prendre en compte et en charge les besoins de chacun de ses élèves et, lorsqu’elle met en place des actions de soutien, elle le fait savoir aux parents, notamment via le DAccE. Le maintien d’un élève ne peut s’envisager que de manière exceptionnelle, lorsque, malgré toutes les actions de soutien mises en place, les difficultés rencontrées par l’élève restent trop importantes pour assurer un parcours de réussite scolaire.

Pour l’UFAPEC, cette responsabilisation demandée aux écoles ne peut se faire que dans la logique du nouveau parcours d’apprentissage du tronc commun qui doit permettre notamment de mieux respecter les rythmes d’apprentissage de chaque élève, d’offrir à chaque classe un encadrement renforcé, avec l’attribution de périodes d’accompagnement personnalisé, qui peuvent, par exemple, servir à des processus de co-enseignement. Par ailleurs, dans une perspective de diminution drastique de l’échec scolaire, nous pensons qu’un changement de paradigme de l’évaluation scolaire est nécessaire. Enfin, le fait que les enseignants puissent davantage considérer les parents comme des partenaires de la réussite scolaire de l’enfant et les reconnaitre dans leur rôle de premier éducateur et soutien affectif de leur enfant, nous semble indispensable. Pour ce faire, il est nécessaire que la formation des enseignants intègre davantage cette dimension de coéducation.

Dans un contexte sociétal qui voit exploser les situations de burn-out, tant professionnel que parental, les parents ont besoin d’être reconnus, valorisés, soutenus lorsque c’est nécessaire et, en particulier, ceux dont l’enfant est touché par des difficultés (scolaires ou autres) que, souvent, ils interprètent comme un signe d’échec de leur part. Notre société, qui voue un culte à la performance et aux résultats, n’aide pas les parents et leur enfant à accepter que non seulement « l’erreur » fait partie de tout apprentissage, mais qu’elle est également positive, nous rendant plus robuste et résilient, pour autant que l’on parvienne à surmonter ses difficultés et, in fine, à progresser.

 

Sybille Ryelandt

 


[1] Dans l’enseignement obligatoire, un « attendu » se définit comme le niveau de maitrise des contenus d'apprentissage visé pour les élèves au terme d'une année donnée ou d'un curriculum. Cf. code de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire, titre III, article 1.3.1-1. : https://gallilex.cfwb.be/sites/default/files/imports/49466_026.pdf

[2] Le tronc commun est un nouveau parcours d’apprentissage qui se déploie de la 1e maternelle à la 3e secondaire. Ses principaux objectifs sont de renforcer la qualité de l’enseignement et de réduire les inégalités scolaires.

[3] Dans le cadre du tronc commun, l’équipe éducative ne peut envisager le maintien (redoublement) d’un élève qu’en dernier recours, cf. circulaire 9516 de la FWB du 26-05-2025, Procédure de maintien exceptionnel dans une année du tronc commun (P1-P5) pour l’année 2024-2025 : https://gallilex.cfwb.be/sites/default/files/circulaires/2025-05/53016_0000.pdf

[4] CRAHAY M. (sous la direction de), Peut-on lutter contre l’échec scolaire, De Boeck éd., 2019 (4e éd), p. 27.
Pour info : c’est toujours un collectif (enseignants, direction d’école, spécialistes -logopède, etc.) qui décide d’un maintien. En FWB, dans l’enseignement fondamental, une telle décision est soumise à l’accord des parents ; ce n’est pas le cas dans l’enseignement secondaire, où le conseil de classe est souverain quant à la décision définitive d’un échec ou d’une réussite d’année.

[5] Idem.

[6] CRAHAY M., op. cit, p. 25 et CRAHAY M., Peut-on lutter contre l’échec scolaire, De Boeck éd., 2007 (3e éd.), p. 36

[7] L’enquête de l’UFAPEC auprès des parents a été menée dans le cadre d’une étude sur l’évaluation scolaire, cf. RYELANDT S., Évaluer les élèves, pour quoi et pour qui ?, étude UFAPEC août 2024 n°12.24/ET1 : https://www.ufapec.be/nos-analyses/1224-et1-evaluation.html

[8] RYELANDT S., op. cit., p. 60.

[9] Collectif, Le redoublement en fédération Wallonie-Bruxelles. Rapport d’expertise commandité par le groupe parlementaire du Parti Socialiste, mars 2014, p. 3 : https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/165801/1/Le%20redoublement%20en%20FWB.pdf

[10] CRAHAY M , op. cit. (2007), p. 152.

[11] Ibidem, p. 149.

[12] On distingue deux grands types d’évaluation : l’évaluation formative ou à visée formative, qui se fait avant une nouvelle séquence d’apprentissage et en cours d’apprentissage, et l’évaluation sommative, qui se fait au terme d’une ou de plusieurs séquences d’apprentissage et qui aide les enseignants à apprécier les compétences et les connaissances globales des élèves. Ce dernier type d’évaluation, le plus utilisé dans notre enseignement, est souvent celui d’une « évaluation-sanction » à visée performative plutôt que formative.

[13] L’évaluation de notre système éducatif opéré à la genèse du Pacte (2015), a mis en lumière une grande dispersion des résultats des élèves, et le fait que les élèves issus de milieux socio-culturels et économiques faibles sont davantage touchés par l’échec.

[14] Pour plus d’informations sur les différents biais cognitifs, lire : RYELANDT S., op. cit., pp. 14-17.

[15] Interview de Brigitte (prénom d’emprunt) réalisée le 23 avril 2025.
La 4eprimaire équivaut à la 4e année du tronc commun si l’on se base sur les référentiels ou à la 7e année si on le considère dans l’absolu. L’UFAPEC préconise de parler de trois premières années de maternelles, avec le référentiel des compétences initiales, et des neuf années de tronc commun, déterminées par les référentiels du tronc commun.

[16] Idem.

[17] Cf. code de l’enseignement, op.cit., titre V. Article 2.5.1-1.

[18] Interview de Brigitte, op. cit.

[19] Interview de Patrice (prénom d’emprunt), effectuée le 14 mai 2025.

[20] BISSON J., Un parent sur cinq vit un mal-être parental durable. Entretien avec Isabelle Roskam, LE UN HEBDO, n°546, 21 mai 2025.

[21] Des grilles critériées sont utilisées dans le cadre de l’évaluation scolaire. Elles comprennent, pour chaque compétence évaluée, des critères d’évaluation et des indicateurs de réussite, une échelle de niveaux de maitrise (par exemple : non acquis, en voie d’acquisition…), etc.

[22] Interview de Patrice, op.cit.

[23] RYELANDT S., op.cit., pp. 56-58.

[25] BISSON J., op. cit.

[26] Idem.

[27] Idem.

Pour aller plus loin, lire : LORIERS B., Le burn out parental, maladie de notre civilisation ? analyse UFAPEC 2017 n°04.17 : https://www.ufapec.be/nos-analyses/0417-burn-out-parental.html

[28] Le nouveau dispositif d’accompagnement personnalisé, qui se met en place au rythme du tronc commun, accorde à chaque classe un encadrement renforcé (duo d’enseignants par exemple) durant deux périodes hebdomadaires minimum, cf. Décret relatif au dispositif de l’accompagnement personnalisé du 20-07-2022 : https://gallilex.cfwb.be/sites/default/files/imports/50427_000.pdf

[29] Entré en application à la rentrée 2023, le DAccE est un dossier individuel et unique qui vise à soutenir la réussite de chaque élève scolarisé en FWB, et que l’école doit obligatoirement mettre en œuvre. Les deux premiers volets (administratif et parcours scolaire) sont alimentés pour tous les élèves, Le troisième volet est pédagogique et n’est complété que pour les élèves qui rencontrent des difficultés d’apprentissage persistantes ou qui présentent un trouble d’apprentissage. Ce DAccE fera l’objet d’une prochaine analyse.

[30] Pour les élèves ayant des difficultés d’apprentissage persistantes, des bilans de synthèse, qui font partie du troisième volet du DAccE, sont obligatoirement complétés à trois moments clés de l’année (novembre, mars et juillet), indiquant notamment quel accompagnement à été mis en œuvre pour l’élève. Sans au moins deux de ceux-ci, l’élève ne peut être maintenu.

[31] Cette condition vise à assurer que la décision de maintien soit bien prise en dernier recours, c’est-à-dire uniquement lorsque les difficultés d’apprentissage persistantes ont été identifiées bien en amont et que les mesures de soutien déployées (telles qu’elles vous ont été transmises en cours d’année via les bilans de synthèse dans le DAccE) n’ont pas fonctionné. Cf. circulaire 8986 du 14/07/2023, intitulée Informations relatives à la procédure spécifique de maintien exceptionnel en 3e année de l’enseignement maternel et à la procédure de maintien exceptionnel dans une année du tronc commun dès l’année scolaire 2023-2024 : https://gallilex.cfwb.be/sites/default/files/imports/50766_000.pdf

[32] Idem.

[33] Cf. Circulaire 9516 de la FWB du 26-05-2025, intitulée Procédure de maintien exceptionnel dans une année du tronc commun (P1-P5) pour l’année 2024-2025, pp. 16-25 : https://gallilex.cfwb.be/sites/default/files/circulaires/2025-05/53016_0000.pdf.

[34] Cf. Circulaire 9377 de la FWB du 04-11-2024, intitulée DAccE : modalités d’accès et bilans de synthèse – Année scolaire 2024-2025 : https://gallilex.cfwb.be/sites/default/files/circulaires/2025-01/20241104c52277.pdf

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