Etude UFAPEC Août 2024 par S. Ryelandt

12.24/Et1- Évaluer les élèves, pour quoi et pour qui ?

Les comptes de la réalité ne sont pas clairs
Du moins ce qui ne l’est pas,
C’est notre lecture de ses résultats

Roberto JUARROZ

Introduction

Depuis des années, l’UFAPEC relaie, à travers ses études, ses analyses, ses communiqués de presse et ses différents mandats dans les instances politiques et associatives, les préoccupations des parents de l’enseignement libre catholique en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Une attention particulière est portée aux nombreux élèves qui peinent à se sentir bien à l’école et à s’orienter de manière positive dans leur parcours scolaire. Trop d’élèves, qu’ils « réussissent » à l’école ou qu’ils soient « en échec », vivent leur scolarité en espérant que « cela se termine le plus vite possible », ou encore avec le sentiment que l’école n’est pas faite pour eux… Certains s’ennuient ou suivent les cours et activités de manière passive, un bon nombre stresse à l’idée d’échouer aux examens…

De mai à juillet 2023, lors de la construction du nouveau Mémorandum de l’UFAPEC, en concertation avec des parents et associations de parents engagés dans le concret de la vie des écoles, un groupe de travail s’est penché sur les thématiques du sens de l’école, du plaisir d’apprendre et de la construction d’un parcours positif[1]. Lors des échanges, la question de l’évaluation scolaire est assez vite devenue centrale, parce qu’elle semble impacter négativement le parcours de nombreux élèves (stress, échec, etc.). L’enquête « Comportements, bien-être et santé des élèves », réalisée tous les quatre ans depuis le début des années 2000 par l’École de santé publique de l’ULB, et dont la dernière a été menée en 2022 auprès d’élèves scolarisés de la 5e primaire à la fin du secondaire en FWB, montre une tendance au stress en augmentation depuis 2010[2]. Ce stress, principalement lié au travail scolaire (évaluations, sessions d’examens…), s’accentue plus on avance dans la scolarité[3].

Pour les nombreux élèves qui sont en échec dans une ou plusieurs matières, qui redoublent ou qui vivent des phénomènes de relégation scolaire (orientation forcée vers des filières qualifiantes, voire vers les CEFA[4] ou vers l’enseignement spécialisé), l’école peut avoir un impact très négatif sur leur estime d’eux-mêmes, alors en pleine construction, et sur leur rapport aux autres et au monde. Souvent, les redoublants sont stigmatisés et menacés de stéréotypes (mauvais élève, individu peu intelligent ou paresseux, etc.), que certains finissent par intérioriser et parfois confirmer[5]. Les recherches scientifiques montrent que le redoublement peut être à la source de séquelles psycho-affectives menant à un sentiment d’incapacité intériorisé chez le jeune et que ce même redoublement augmente la probabilité d’un décrochage scolaire[6].

En lien avec le stress, l’échec et la menace de l’échec, le travail scolaire peut aussi induire des rapports sociaux compétitifs entre élèves et affecter négativement les rapports que les élèves ont avec les enseignants. L’enquête de l’École de santé publique de l’ULB, qui se penche sur ce vécu relationnel des élèves à l’école, révèle que près de la moitié des élèves, issus principalement du secondaire, ont une perception négative des relations entre les élèves de leur classe, et que plus d’un tiers des élèves ont une perception négative des relations avec les professeurs, etc[7].

La menace de l’échec a également un effet pervers en ce qui concerne la motivation des élèves dans leur travail, que ces derniers éprouvent ou non des difficultés d’apprentissage. Préoccupés par la réussite des épreuves, beaucoup d’élèves travaillent à l’école dans une logique de performance plutôt que dans une logique d’apprentissage. L’objectif d’avoir de bonnes notes entraine de nombreux élèves à « bachoter » (travailler intensivement la veille d’un test…), plutôt qu’à apprendre en profondeur, et, pour un nombre restreint d’élèves, à tricher… Certains, avec un vécu d’échec ou de mauvais résultats, renoncent à s’investir scolairement, allant jusqu’à remettre des copies « blanches » à leurs professeurs. S’ils font cela, c’est notamment, de manière inconsciente, pour protéger et conserver leur (fragile) sentiment de compétence. Le professeur de psychologie sociale suisse Fabrizio Butera n’hésite pas à parler de « survie scolaire » : Tant que les notes seront utilisées, dans la grande majorité des cas, pour rendre visibles les différences entre élèves, les comparer et in fine faciliter le processus de sélection, elles ne produiront que de la menace et des réactions de ‘survie’ scolaire[8].

Si les constats préoccupants du mal-être à l’école sont relativement récents (de plus en plus d’experts s’intéressant à cette question), ceux liés à l’inefficacité, mais aussi à l’iniquité de notre système scolaire, sont anciens. Les recherches scientifiques ont démontré que, d’une part, les systèmes éducatifs qui recourent plus fréquemment au redoublement ne sont pas plus performants que ceux qui privilégient le passage automatique de classe, et que, d’autre part, ces systèmes amplifient les inégalités sociales de performance. La pratique massive du redoublement est symptomatique d’un système éducatif qui exclut ses élèves les plus « faibles », ceux qui éprouvent des difficultés scolaires, ces derniers étant souvent issus de milieux défavorisés[9].

Bien avant le Pacte pour un enseignement d’excellence (Pacte), des réformes ont été mises en place pour tenter de parvenir à plus d’efficacité et d’équité scolaires, mais sans parvenir à des résultats (suffisamment) satisfaisants[10]. En 2015, à la genèse du Pacte, une évaluation de tous les paramètres du système éducatif et les apports des travaux de groupes de travail (composés de personnes de terrain et d’experts) ont mis en lumière les taux d’échecs importants (menant à des redoublements, à des orientations forcées…), la grande dispersion des résultats des élèves (les mauvais résultats touchant beaucoup plus les élèves issus de milieux socio-économiques faibles) et la séparation des élèves en fonction de leurs résultats scolaires. Les taux de décrochage scolaire préoccupants, ainsi que le mal-être global des acteurs de l’école ont aussi été mis en évidence. Cette analyse de notre système scolaire a conduit à la nécessité de repenser l’école de manière globale.

Le Pacte, qui s’inscrit dans une approche systémique, se concrétise par différentes réformes récentes et en cours (nouveau tronc commun, nouveaux référentiels et plans de pilotage, nouveaux rythmes scolaires, etc.)[11], et par de nouveaux dispositifs progressivement mis en place (accompagnement personnalisé, dossier d’accompagnement de l’élève (DAccE), etc.)[12]. Ces réformes et ces nouveaux dispositifs bouleversent aujourd’hui les structures de l’école et le « faire école ».

Dans cette étude, nous nous intéressons plus particulièrement à une pratique centrale de l’école, l’évaluation scolaire, en lien avec les réformes actuelles, car, pour les auteurs du Pacte, une des conditions de la réussite d’une refondation de l’enseignement est de parvenir à un changement de paradigme en matière d’évaluation. Une école plus juste, plus efficace, plus inclusive, où les différents acteurs scolaires se sentent bien, nécessite de penser autrement l’évaluation scolaire.

Cette étude a pour objectifs d’informer et de donner, dans une perspective avant tout sociologique, des clés de compréhension aux lecteurs sur la question de l’évaluation scolaire dans le cadre des réformes du Pacte, d’identifier des freins majeurs liés à une nouvelle conception et de nouvelles pratiques d’évaluation, de relayer la parole de professionnels de l’enseignement, d’élèves et de parents, concernés par ces questions, et de susciter des débats. Un changement de paradigme de l’évaluation peut-il réellement permettre de mieux respecter le droit de tous les jeunes à une éducation de qualité, qui amène un maximum d’élèves à progresser dans ses apprentissages et son devenir ? Alors que nous restons dans le bas du classement des pays de l’OCDE[13], un changement de paradigme de l’évaluation peut-il, parmi d’autres mesures, rendre notre système scolaire plus efficace et équitable ?

Nous limitons notre sujet à l’enseignement ordinaire et aux années scolaires correspondant au nouveau tronc commun (TC), de la première primaire à la troisième secondaire. Et, si nous nous intéressons de manière globale à tous les élèves, l’étude ne se préoccupe pas spécifiquement du cas particulier des élèves à besoins spécifiques (avec des troubles d’apprentissage). Une autre étude de l’UFAPEC est consacrée à l’évaluation dans l’enseignement spécialisé[14].

La première partie de cette étude vise à comprendre en quoi l’évaluation scolaire, telle qu’elle est encore le plus souvent pensée et pratiquée aujourd’hui dans de nombreuses écoles en FWB (et ailleurs), est la clef de voûte d’un système éducatif peu efficace et inéquitable, et constitue un frein majeur à une école où apprentissage rime avec droit à l’erreur, progrès et réussite pour tous, accompagnement, soutien, adaptation, engagement, plaisir d’apprendre sans peur…

Dans la deuxième partie, nous nous intéressons à l’évaluation scolaire dans le cadre des réformes du Pacte. En quoi les pratiques d’évaluation sont-elles considérées comme un levier essentiel de changement ? Qu’est-ce qui doit changer ? À quoi l’évaluation doit-elle servir ? À quoi ne peut-elle plus servir ? L’évaluation scolaire, telle que le Pacte l’envisage, peut-elle aisément être mise en œuvre, en lien avec les réformes en cours et le nouveau contexte scolaire ? Certaines réformes, comme le nouveau TC ou la réforme des rythmes scolaires, impactent-elles les pratiques d’évaluation aujourd’hui dans les écoles ? Les écoles se sentent-elles suffisamment outillées et soutenues par rapport à ce changement ? Des freins au changement de paradigme de l’évaluation sont-ils identifiables ? Le contexte scolaire actuel permet-il aux enseignants de pratiquer l’évaluation telle que le Pacte l’envisage ? Entre ce qui est préconisé, ce qui est enseigné, et la réalité de terrain, qu’est-ce qu’il en est ?

La troisième partie, consacrée aux usagers de l’école, et plus particulièrement aux parents, a pour objectif d’écouter leur vécu par rapport à l’évaluation. Les changements attendus par le Pacte en matière d’évaluations scolaires vont-ils ou non dans le sens de ce que les parents attendent d’elles  ? Pour eux, à quoi doivent-elles servir ? Quels impacts ont-elles sur le climat familial, sur les relations que les parents ont avec l’école, sur la motivation scolaire de leur enfant ? Ces évaluations sont-elles source de stress pour les enfants ? Pour répondre à ces questions, une enquête a été menée auprès des parents des écoles de l’enseignement libre catholique.

Lisez ou téléchargez l'étude complète ci-contre (74p.)

 

Sybille Ryelandt

 


[2] Collectif, Comportement, bien-être et santé des élèves, enquête du Sipes-ULB, 2022 : https://sipes.esp.ulb.be/projets/hbsc   https://www.ulb.be/medias/fichier/hbsc2022-stress-scolaire-3_1698236557022-pdf
Les élèves interrogés sont issus de 266 écoles de Bruxelles et de Wallonie. Les résultats de 2022 doivent sans doute être relativisés, car ils ont été établis en plein contexte post-covid.

[3] Idem.

[4] Les CEFA ou centre d’Éducation et de Formation en Alternance, sont des établissements d’enseignement secondaire qui offrent un enseignement combinant la formation générale et la pratique professionnelle.

[5] CRAHAY M. (sous la direction de), Peut-on lutter contre l’échec scolaire, De Boeck, 2019 (4e éd.), p. 31

[6] Ibidem, pp. 432-433.

[7] Enquête « Comportement, bien-être et santé des élèves », op.cit.

[8] Cf. COENEN J.-P., Les notes à l’école, dossier de la Ligue des droits de l’enfant, 2019, p. 12 : https://www.liguedroitsenfant.be/wp-content/uploads/2021/04/ETUDE-Les-notes-a-lecole-1.pdf

[9] CRAHAY M. (sous la direction de), op.cit., p. 428.

[10] En 1997, le décret « Missions », qui a été le vecteur de nombreuses réformes, avait déjà pour objectif d’améliorer notre système éducatif dans le sens d’une plus grande égalité des résultats scolaires.

[11] Le nouveau tronc commun est l’un des deux piliers du Pacte, le second étant la réforme de la gouvernance avec la mise en place des plans de pilotage et des contrats d’objectifs. Ce nouveau TC est renforcé dans ses contenus (nouveaux référentiels, nouveaux domaines d’apprentissage, nouveaux cours), et redéfini, car étendu dans ses modalités (de la première primaire à la troisième secondaire). Les trois années de maternelle font partie de l’avant tronc commun (compétences initiales), tandis que les trois dernières années du secondaire font partie de l’après tronc commun (en cours de construction). Le tronc commun est actuellement organisé jusqu’en 4e primaire (année scolaire 2023-2024).

[12] Les nouveaux dispositifs sont expliqués dans la deuxième partie de l’étude.

[13] L’OCDE est l’Organisation de coopération et de développement économique. Elle organise notamment les enquêtes PISA.

[14] Cf. HOUSSONLOGE D. et PIERARD A., Réussir dans l’enseignement spécialisé : est-ce utile ? étude UFAPEC 2024 n°13.24 : https://www.ufapec.be/nos-analyses/1324-et2-reussite-ens-specialise.html

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