Analyse UFAPEC juin 2024 par F. Baie

11.24/ Communiquer entre parents d’élèves quand on parle des langues différentes

Introduction

Certaines écoles, souvent celles à encadrement différencié[1], accueillent un public de parents dont le niveau socio-économique est bas et où le brassage au niveau des origines sociales et culturelles est important. Il arrive que des écoles rassemblent plus d'une centaine de nationalités différentes dans leurs murs[2]. Certains parents parlent encore leur langue d’origine et ne maitrisent pas bien le français. Dans plusieurs de ses analyses, l’UFAPEC s’interroge sur les raisons d’être et les stratégies possibles pour soutenir et faciliter la communication entre l’école et les parents qui ne maitrisent pas la langue française[3]. Cette fois, l’UFAPEC désire approfondir la question de la communication entre les parents eux-mêmes.

Les parents ont le droit de pouvoir participer et de donner leur avis à l’école. Devenir partenaires de l’école, contribuer au projet, être actifs et co-éducateurs est un enjeu majeur soutenu par l’UFAPEC. Pour prendre « leur place » à l’école, les parents doivent pouvoir se comprendre, s’interroger et s’exprimer. Comprendre la langue de l’école, en l’occurrence le français (en Fédération Wallonie-Bruxelles), représente pour certains d’entre eux un véritable obstacle.

Comment et pourquoi mieux communiquer au sein des réunions et activités de parents, au sein des associations de parents (AP) et des conseils de participation (CoPa), lorsque la langue diffère ? Quel en est l’enjeu pour les parents ?

Droits en péril 

À l’école, les parents ont le droit de pouvoir être représentés, mais aussi de représenter les autres parents. Comment être le porte-parole de tous les parents si la langue est une barrière qui empêche de relayer les avis, attentes de certains parents ? Comment également pouvoir être représentés si on éprouve des difficultés à s’exprimer et à se faire comprendre ? Cet enjeu de représentativité en rejoint un autre, celui de faire vivre la démocratie à l’école.

La difficulté d’exercer les droits de participation et d’expression ne pourrait-elle pas devenir une menace pour certains parents, déjà fragilisés socioéconomiquement ou d’origine étrangère, de perdre partiellement ou totalement certaines prérogatives ? En effet, à force de ne pas pouvoir s’exprimer de manière aisée en français, certains ne risquent-ils pas de se décourager à participer aux débats entre parents ? Ne les voyant que peu, ne risque-t-on pas aussi de les exclure en ne leur donnant plus la parole ?

Pour certains d’entre eux, il est difficile de s’associer aux débats. Comment se sentir intégré dans l'école, s’engager dans l’AP et le CoPa, comprendre les règles de l’école, comprendre ses attentes, accompagner leur enfant dans sa scolarité, développer des liens sociaux avec d’autres parents, communiquer avec eux, être soutenu dans l’exercice de sa parentalité, si on ne comprend pas ce que l’on dit et si on ne peut s’exprimer facilement en français ?  Le risque n’est-il pas aussi de rester en ghetto, de ne pas oser aller vers l’autre ?

La non-maitrise de la langue française est une barrière pour oser s’engager dans les organes essentiels de participation et de représentation qui existent au sein de l’école. Que mettent en place les AP et les CoPa pour que chaque parent puisse participer et communiquer lorsque la langue diffère ? Quels sont aussi les freins à ces démarches ?

Et est-ce d’ailleurs aux parents de l'à l’AP ou du CoPa de mettre des choses en place ou de proposer à l'école des moyens ? N’est-ce pas trop les assister ?  

Les parents doivent-ils se préoccuper davantage de ceux qui ne parlent pas le français ?

Dans les AP et les CoPa, les avis sont partagés. La plupart des parents estiment que se comprendre entre parents est essentiel. C'est pourquoi des parents, qui agissent dans un esprit collectif, choisissent souvent l'amélioration de la communication comme un de leurs objectifs privilégiés, afin d’intégrer toutes les familles. Une meilleure compréhension va motiver les plus fragilisés à vouloir s’intégrer, à vouloir davantage participer. Cependant, tous les parents ne sont d’accord. Dans le camp des réfractaires au soutien des parents qui ne parlent pas bien le français, on trouve ceux qui disent que tout le monde doit savoir parler la langue du pays d'accueil (en l'occurrence le français pour les parents des écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles) pour s’intégrer et s’adapter[4].

Si on peut entendre cet argument, il y a aussi la réalité de terrain : l'immigration des personnes peu qualifiées et peu scolarisées reste un parcours semé d'embuches pour elles. De nombreux facteurs peuvent freiner l'apprentissage de la langue.

Il faut prendre en compte le fait que certains parents primo-arrivants n’ont pas encore eu la possibilité ou la capacité de suivre des cours de français. D’autres ont peu de contacts en dehors de leur famille ou leur communauté, particulièrement les mamans.

De plus, toutes les familles n'ont pas accès au parcours d'intégration : certaines sont en situation illégale. D'autres encore sont en attente de régularisation durant des années.

Quelles stratégies pour communiquer avec les parents qui parlent des langues différentes ?

Nombreuses sont les stratégies des AP et des CoPa pour permettre aux parents de communiquer entre eux lorsqu’ils ne partagent pas la même langue; mais certaines d’entre elles ne sont pas utilisées fréquemment, par la peur du manque d’effort des parents à s’intégrer. Par ailleurs, ces méthodes ne sont pas toujours réalistes (insuffisance de personnes disponibles, manque de temps pour les mettre en œuvre, traduction pour un public bien ciblé et pas pour un autre, impossibilité de traduire pour toutes les nationalités représentées dans l’école) ou sont énergivores.

Faire appel à des interprètes professionnels, par exemple, est une démarche intéressante, mais elle a un coût. Pour remédier à cela, l’AP ou le CoPa demande parfois de l'aide à une personne ou à plusieurs personnes faisant partie de ces organes pour pouvoir traduire. Parfois aussi, c'est un enseignant, un éducateur ou un médiateur socioculturel qui joue ce rôle d’interprète pour faciliter la communication entre parents. Certaines écoles à encadrement différencié[5] utilisent d’ailleurs les moyens financiers et humains supplémentaires qui leur sont octroyés pour engager une personne qui pourra, entre autres, jouer ce rôle. De nombreux organismes ou associations existent parfois même au sein de la commune ou de la ville et sont sollicités par les écoles pour les services d’interprétation.

Certaines AP réalisent un répertoire des parents bénévoles qui connaissent une ou plusieurs langues et qui peuvent servir de traducteurs lors de telle ou telle réunion. Cloé Bauret[6], présidente de l'AP du collège Saint-Louis à Liège, explique que son AP a envoyé un mail avec un formulaire à tous les parents de son école pour leur demander s'ils connaissaient plusieurs langues et s'ils pouvaient aider à traduire dans certaines circonstances. Nous avons eu 37 réponses de parents, ce n'est pas si mal ! C'est une action d'AP qui ne demande pas beaucoup de travail et qui est tellement utile ! Cela parle aux gens parce que c'est du concret, affirme-t-elle. Ce répertoire peut servir pour les réunions entre parents, mais aussi quand l'école a besoin de traducteurs pour les réunions parents-école.

L'école, à la demande de l’AP ou du CoPa, organise parfois, au sein de son infrastructure, des cours d’alphabétisation, des cours de français mais cela demande du temps et de l’énergie pour mettre ces cours en place.

De nombreux moyens existent pour faciliter la compréhension de tous comme celui d’utiliser des outils de traduction ou des plateformes. Ceux-ci permettent parfois une traduction instantanée. Les exemples de stratégies ne manquent pas. L’UFAPEC les développe dans son guide des AP[7]

Pourtant, ces méthodes ne sont pas toujours accueillies par les parents et les différents acteurs de l’école de manière positive, car certains disent que c’est "pousser le bouchon un peu trop loin" que de faciliter autant la tâche aux personnes qui ne maîtrisent pas bien le français. Que toutes ces stratégies ne vont pas inciter les parents à fournir des efforts pour apprendre la langue française. Pour certains, comme Sakine[8], enseignante dans une école secondaire à encadrement différencié, amener tout sur un plateau n’est pas la solution, mais favoriser, au contraire, davantage les cours de français et d’alphabétisation serait une meilleure solution.

Pistes et conclusion

Face à ces avis contradictoires et aux difficultés rencontrées pour mettre en place certaines stratégies pour maintenir les droits des parents à la participation et à l’expression, l’enjeu en vaut-il la peine ? Pour l’UFAPEC, il est indispensable d’améliorer les échanges école-familles, mais également les échanges entre parents. Il s’agit de permettre à chaque parent d’élève, y compris celui qui rencontre une difficulté à comprendre la langue française, d’exercer son rôle de parent et de citoyen. Les familles sont toutes différentes et c’est une richesse pour une école qui se veut inclusive. L’école est certainement une institution essentielle par laquelle les familles défavorisées et d’origine étrangère ont l’occasion de s’intégrer dans notre société.

Les cours de français et d’alphabétisation des parents sont à encourager et à faciliter au sein des établissements scolaires, et à l’extérieur de l’école, afin de permettre une meilleure intégration de tous les parents dans la sphère scolaire.

L’UFAPEC met aussi l’accent sur le rôle essentiel des éducateurs et des médiateurs socioculturels et leur reconnaissance au sein des établissements scolaires, car ils peuvent jouer également un rôle important dans cette dynamique.

L’UFAPEC rappelle qu’il est essentiel que les parents se rencontrent, se parlent et que des allers-retours s'opèrent entre tous les parents et leurs représentants. C’est pourquoi l’UFAPEC, dans son dernier mémorandum, recommande de créer des canaux d'information entre les parents et les autres acteurs de l'école, entre les différents organes de représentation des parents et entre les organes de représentation des parents et les parents[9]

Afin que TOUS les parents puissent donner leur avis, puissent comprendre le projet de l’école, puissent prendre leur « place » à l’école, puissent échanger entre eux, l’UFAPEC invite les membres du comité de l’AP ou les représentants au CoPa à veiller à mettre en place une série de dispositifs d’accueil et de stratégies pour faciliter la communication entre parents.

Dès l’inscription des enfants à l’école, il serait intéressant de leur distribuer, par exemple, un questionnaire pour savoir s’ils ont besoin d’aide. Il est en effet utile d’être au courant s’ils sont demandeurs que certaines informations soient traduites.

S’assurer que les parents soient tous informés du fonctionnement de l’école, de l’AP et du CoPa est nécessaire. Les codes scolaires et les structures de représentation et d’expression de la voix des parents devraient être mieux appréhendés par les nouveaux dès leur arrivée comme parent à l’école. Même si, ne nous leurrons pas, il reste difficile de faire participer ceux qui ne maîtrisent pas la langue française dans les organes tels que l’AP et le CoPa, faciliter leur intégration et leur compréhension des codes de l’école est, pour l’UFAPEC, un enjeu majeur.   

 

France Baie

 


[1] Les écoles à encadrement différencié ont souvent un public de parents et d’élèves dont le niveau socio-économique est bas. Voir le décret organisant un encadrement différencié au sein des établissements scolaires de la Communauté française afin d’assurer à chaque élève des chances égales d’émancipation sociale dans un environnement pédagogique de qualité – 30 avril 2009 - https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/34295_003.pdf

[2] Voir Interview du directeur de l’Institut Saint-Laurent à Liège, Pierre-Henri Defays effectuée par France Baie le 9 février 2023 in BAIE F., Parents présents dans l’AP et le CoPa : partout ?, étude UFAPEC n°10.23, novembre 2023, p. 20 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/1023-et3-participation-parents-defavorises.html

[3] PIERARD A., La communication entre l’école et les parents qui ne parlent pas le français, analyse UFAPEC n°17.12, mai 2012 - https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2012/1712-parents-parlant-pas-francais.pdf et BAIE F., Comment l’école communique-t-elle avec les parents qui ne maîtrisent ni la langue française ni les codes scolaires ?, analyse UFAPEC n°08.21, juin2021 -https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2021/0821-Parents-sans-codes-scolaires.pdf

[4] À ce sujet, les autorités ont mis en place un parcours d'intégration en Wallonie et à Bruxelles. Voir : https://www.wallonie.be/fr/demarches/beneficier-dun-parcours-dintegration-en-tant-que-primo-arrivant et https://www.bruxelles.be/parcours-daccueil-obligatoire-bruxelles

[5] Décret organisant un encadrement différencié au sein des établissements scolaires de la communauté française afin d’assurer à chaque élève des chances égales d’émancipation sociale dans un environnement pédagogique de qualité – 20/04/2009 - https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/34295_003.pdf - Voir aussi: https://inscription.cfwb.be/lencadrement-differencie/    

[6] Interview de Cloé Bauret, présidente de l’AP du collège Saint-Louis à Liège, effectuée par France Baie, le 16 avril 2024.

[8] Interview de Sakine effectuée par France Baie, le 15 janvier 2024.

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