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Réussir dans l’enseignement spécialisé : est-ce utile ?
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13.24/Et2 - Réussir dans l’enseignement spécialisé : est-ce utile ?
Le désir d’estime sociale, qui fonde l’estime de soi, définit l’homme.
L’intérêt que lui portent les autres nourrit son identité
et son sentiment d’exister.
Charles Gardou
Introduction
Réussir ses études secondaires, est-ce utile pour les élèves qui relèvent de l’enseignement spécialisé ? Cette question de parents est à l’origine de la construction de notre étude.
Contextualisons quelque peu. Actuellement, le modèle dominant en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) et en Europe est d’inclure autant que possible les élèves à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire. La plupart des bénéfices d’une école inclusive sont aujourd’hui connus et reconnus. Il s’agit notamment de favoriser une plus grande inclusion sociale de l’enfant en côtoyant une « mini-société » via l’école ordinaire.
Un cadre légal existe et, selon lui, notre système scolaire devrait faire une place de plus en plus grande aux élèves à besoins spécifiques en mettant en place des aménagements raisonnables. Cela n’empêche pas que l’école inclusive soit encore plus de l’ordre du rêve que de la réalité. Malgré la création des pôles territoriaux, cela reste compliqué à mettre en œuvre pour de nombreux élèves et leur famille, mais aussi pour les enseignants. Cela est notamment dû au manque de moyens dans les écoles, de formations et à une difficulté de décloisonnement entre l’enseignement spécialisé et l’ordinaire. Par ailleurs, l’inclusion n’est pas indiquée pour tous les élèves au vu de l’organisation du système scolaire. Nous y avons d’ailleurs consacré une étude en 2022.[1]
Qu’en est-il pour les élèves à besoins spécifiques pour lesquels la scolarisation dans l’ordinaire n’est pas ou plus possible et qui fréquentent l’enseignement spécialisé ? Poursuivre sa scolarité dans l’enseignement spécialisé pose des questions fondamentales pour la suite du parcours (études, formation, insertion socioprofessionnelle, etc.), mais aussi en matière d’épanouissement personnel. Des parents de jeunes déjà scolarisés dans le spécialisé ou qui vont y être orientés sont inquiets et nous interrogent. Il en va de l’avenir de leur enfant.
Les enjeux de société sont importants en termes de réussite scolaire mais aussi de :
- construction identitaire et estime de soi : mon handicap ce n’est pas mon identité ;
- citoyenneté : j’ai une place à prendre dans la société ;
- autonomie : je suis un adulte avec le droit de choisir ma vie et non de la subir ;
- reconnaissance sur le marché du travail : j’ai acquis des compétences que je mets à disposition d’un lieu de travail moyennant un salaire, un défraiement ou du moins une gratuité d’accès dans l’organisme où j’accomplis un travail journalier.
Le questionnement central de notre étude est celui-ci : dans une société dite inclusive et accessible aux personnes avec un handicap, réussir ses études secondaires dans l’enseignement spécialisé permet-il l’insertion socioprofessionnelle ? La réussite ou la certification dans l’enseignement spécialisé sont-elles utiles ? Ne faut-il pas penser une autre approche ?
Grâce à cette publication, nous entendons interroger les droits des élèves à besoins spécifiques inscrits dans l’enseignement spécialisé et plus largement les droits de la personne en situation de handicap dans la société.[2] Les personnes avec un handicap, une déficience, une différence ont-elles la possibilité d’exercer le droit à une identité reconnue en dehors de leur handicap ainsi que le droit à la construction d’un projet de vie personnel pour une vie épanouie ? Les personnes avec un handicap ont-elles vraiment le droit à une vie sociale, citoyenne, conjugale et parentale ? Les personnes avec un handicap ont-elles vraiment le droit à une activité professionnelle, bénévole ou occupationnelle ?
De façon plus spécifique, le système d’évaluation actuel dans l’enseignement spécialisé est-il cohérent et porteur de sens ? Permet-il l’émancipation du jeune ? Réussir, avoir un diplôme ou une qualification de l’enseignement secondaire spécialisé, est-ce reconnu socialement et professionnellement ? Quelle motivation le jeune a-t-il à poursuivre son parcours dans l’enseignement spécialisé ? L’enseignement spécialisé tel qu’il est organisé, prépare-t-il suffisamment les élèves à leur vie d’adulte ? Qu’est-ce qui est mis en place pour permettre au jeune de se trouver, se projeter puis se lancer dans la vie adulte ?
À travers toutes ces questions, nous touchons également à la question du sens de l’évaluation et de la valeur de la certification à l’école. Une réflexion spécifique sur l’évaluation dans l’enseignement ordinaire est abordée dans une autre étude publiée concomitamment par l’UFAPEC[3].
Menant ces deux études en parallèle et en concertation, nous avons été frappées par le décalage manifeste quant à la disponibilité de sources bibliographiques. Pour l’enseignement ordinaire, elles foisonnent et la question préoccupe les acteurs scolaires au plus haut point. Pour l’enseignement spécialisé, par contre, très peu de choses existent. Est-ce représentatif de l’intérêt porté à la scolarité des personnes porteuses d’un handicap ? L’enseignement spécialisé est-il considéré, ou non, comme un enseignement à part entière et de qualité ? Ce désintérêt est-il significatif du rôle exclusif encore assigné à l’école aujourd’hui : former, évaluer et certifier des jeunes productifs et performants pour l’entrée dans un métier ou dans l’enseignement supérieur ? Si oui, quelle place et quelle reconnaissance donne-t-on à l’enseignement spécialisé ? Car l’enseignement spécialisé, ce sont aussi de nombreux jeunes avec des besoins particulièrement importants qui sortent chaque année de l’école épanouis et autonomes. Ce sont, en grande majorité, des jeunes qui ne décrochent pas et qui, au contraire, poursuivent leurs études secondaires au-delà de leurs 18 ans. Cet enseignement spécifique vient heurter nos représentations habituelles. Face à un système scolaire en questionnement, cet enseignement « à part » a-t-il quelque chose à apporter à l’école ordinaire ? Cet enseignement différent peut-il nous faire avancer dans notre réflexion sur le sens de l’école et son intérêt pour l’apprenant ?
Les réalités des écoles et des élèves de l’enseignement spécialisé sont très variées selon les types et les formes d’enseignement. Cependant, écrire plusieurs publications en fonction de ces différentes nomenclatures n’aurait pas eu beaucoup de sens ; il ne s’agit que d’une catégorisation.[4]
De nombreux élèves pourraient rentrer dans des cases différentes : en effet, beaucoup relèvent d’un type d’enseignement, mais ont des troubles associés qui concernent un autre type. Il arrive d’ailleurs qu’un élève soit changé de type ou de forme d’enseignement[5] au cours de sa scolarité. Il arrive aussi que des élèves réintègrent l’enseignement ordinaire ou, au contraire, soient dirigés vers l’enseignement spécialisé au cours de leur parcours scolaire. Nous avons donc fait le choix d’une étude unique abordant la diversité et la complexité de la population scolaire de l’enseignement spécialisé.[6]
Lisez ou téléchargez l'étude complète ci-contre (56p.)
A. Pierard et D. Houssonloge
[1] HOUSSONLOGE D. et PIERARD A., S’il te plait, dessine-moi une école pour tous ! L’école inclusive, entre idéal et réalité, étude UFAPEC, décembre 2022, Etude UFAPEC sur l'école inclusive.
[2] Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées adoptée le 13 décembre 2006 et ratifiée par la Belgique le 2 juillet 2009, convention ONU.
[3] RYELANDT S., Évaluer les élèves, pour quoi et pour qui ?, étude UFAPEC, août 2024, étude UFAPEC sur l'évaluation
[4] PIERARD A., La typologie de l’enseignement spécialisé est-elle obsolète ?, analyse UFAPEC 2023 n°13.23, Analyse UFAPEC sur la typologie
[5] Les types et formes de l’enseignement spécialisé sont explicités aux pages 13 et 14 de cette étude.
[6] Nous n’aborderons pas les spécificités de l’enseignement de type 5 (destiné aux élèves malades et convalescents), car la réalité de ces écoles et de leurs élèves est particulière. En fonction de leur état de santé, ce n’est parfois qu’un passage de quelques mois ou d’un an dans ces établissements, alors que le reste de la scolarité de ces élèves se poursuit dans l’enseignement ordinaire.