Analyse UFAPEC novembre 2020 par JP. Schmidt

13.20/ Mal de dos, mal du siècle. Et le cartable dans tout ça ?

Introduction

Dès l’entrée à l’école maternelle, le cartable est un objet attendu, mais aussi choyé, vénéré, admiré par les enfants. C’est cet objet qui marque l’entrée à l’école et qui fait lien entre l’établissement et la maison. En fonction de l’âge, l’utilisation du cartable évolue au fil du parcours scolaire… Avec le temps, l’objet prend une importance toute particulière, la fonction identitaire, la mode et les envies consommatrices des enfants et ados apportent parfois leur lot de crise dans les foyers.

En primaire, le cartable va s’alourdir entrainant de potentiels problèmes de santé. En début d’année scolaire, des parents nous contactent pour aborder cette problématique. Des enfants se plaignent déjà de maux de dos ou de douleurs lombaires. Des spécialistes de la santé et des parents sont inquiets pour les enfants : comment prévenir les maux de dos ou comment gérer au mieux le poids du cartable ? N’y a-t-il pas une réglementation en la matière vu les abus constatés ? Porter un sac trop lourd semble avoir plusieurs conséquences au niveau du dos mais aussi au niveau du cou, des genoux, de la posture. Le port inadéquat du cartable est un des facteurs à l'origine de ces plaintes, avec le manque d'exercices et le mauvais maintien. Le cartable est-il le seul responsable ?

Le mal de dos est le mal du siècle dont se plaint la majorité de la population quel que soit le métier ; le mal de dos handicape certains au quotidien avec des conséquences importantes pour la personne comme pour la société : soins de santé parfois très lourds et risqués, arrêt de travail temporaire ou définitif, réorientation professionnelle. Dès lors, comment remédier dès l’école à cet enjeu de santé publique ?

Evolution du cartable dans le temps et pour le jeune

Au XIXe siècle, l’école reste réservée à une certaine partie de la population. L’école se veut déjà gratuite, mais il y a un coût pour l’achat de matériel que sont la plume, l’encre, les cahiers et d’autres affaires. Comment transporter tout cela ? Pour faire des économies, les familles équipent leurs enfants de « sacs » confectionnés à la maison comme les musettes ou des contenants en bois. Le « cartable » est né. Mais cette confection n’est pas confortable et ne protège pas trop des intempéries et de certains chocs. C’est lourd et peu maniable.
Au XXe siècle, il y aura le cartable en carton bouilli de l’entre-deux guerres. Le cartable en cuir aura son succès jusqu’au début des années ’80. Ensuite, il y aura une vraie affirmation du cartable vecteur d’identité, de marque, objet de consommation, réalisé en différentes matières pour arriver aux derniers cartables à roulettes ou sacs à dos dernier cri.

Depuis deux décennies, l’industrie spécialisée semble tenir compte des interrogations de certains spécialistes de la santé et des parents. Il y a eu une recherche et une production de cartables plus ergonomiques parce que beaucoup de familles pointaient déjà le poids du cartable.

Ce cartable reste nécessaire, voire indispensable pour transporter les nombreux livres, la collation ou le repas de midi et d’autres choses demandées par l’école. Malgré tout, le poids d’un cartable ne peut excéder un certain niveau pour ne pas engendrer de maux sur les lombaires.

Un cartable trop lourd 

La problématique du poids du cartable est soulevée depuis longtemps par les médecins et les associations de parents notamment. En 2003, Jean-Marc Nollet, alors ministre de la petite enfance et de l’enseignement fondamental, réunit des experts pour parler et réfléchir au problème récurrent du poids du cartable sur les épaules des élèves. Une campagne Mon cartable, poids plume[1] et un site sont créés afin de sensibiliser tous les acteurs du monde de l’enseignement. Cette campagne a duré quelques années et puis plus rien, le site « Moncartable.be » n’existe plus…

En 2008, en France, une circulaire du ministère de l’éducation nationale[2] parait sur la problématique du poids du cartable. Elle oblige prestement les écoles à intervenir. La circulaire dit expressément : Le poids du cartable est une question de santé publique pour nos enfants : je souhaite que les établissements scolaires s’emparent de cette question, dès à présent, dans le cadre de la prévention du mal de dos en milieu scolaire.

Régulièrement, des parents nous interpellent sur le sujet. En début d’année scolaire, des articles s’attardent sur le thème comme marronnier[3]. On a l’air de survoler le sujet. Les problèmes sont-ils pour autant résolus ? Les réponses ne semblent pas adéquates, quand réponse, il y a.

Avec le temps, le contenu du cartable évolue en fonction des années fréquentées dans l’enseignement obligatoire. Le cartable s’alourdit… Il atteint 15 à 20 % du poids du corps. Pourtant des études montrent que le poids du cartable ne peut excéder 10 %.[4] Dans un article[5], le professeur Marc Vanderthommen[6] dit : En primaire, le cartable doit être inférieur à 15 % du poids du corps. Par exemple, un enfant qui pèse 24 kg doit porter un sac de 4 kg maximum. Mais certains ont des cartables de 8 ou 10 kg avec les classeurs, les livres ! Rien de surprenant quand on sait que des cartables vides pèsent déjà 2 kg.

Les scientifiques ne s’accordent donc pas sur les chiffres. D’autres avancent encore qu’il n’y aurait pas de vraie corrélation entre le poids du cartable et le mal de dos. La revue scientifique European Journal Of Pain[7] a étudié cette corrélation sur des jeunes entre neuf et seize ans. En confrontant une dizaine d’études sur le sujet, la conclusion met en lumière que les cartables ne sont pas un danger pour le dos des enfants (certaines suggèrent même un effet positif sur la musculature), cependant il est difficile de dire à partir de quel poids le sac à dos peut devenir néfaste.[8]
Sur le terrain, certaines écoles affirment que le cartable n’est pas trop lourd. Une école libre du Hainaut semble vouloir gérer le problème en travaillant avec les élèves sur le contenu nécessaire du cartable pour assurer à tous un poids plus que supportable pour eux. Dans une école libre de Woluwe-St-Pierre, il semble que des parents abordent la situation en mettant en place du co-voiturage pour éviter à leurs enfants de porter trop longuement leur sac. On constate aussi que des familles précarisées n’ont pas trop de choix que d’accepter une certaine situation. Cependant, ces parents au même titre que les autres veulent protéger leur enfant des effets néfastes que peut avoir un cartable trop lourd parfois en portant eux-mêmes le cartable sur le trajet de l’école.

Des maux pourtant présents

Déjà en 2003, sous l’impulsion de Jean-Marc Nollet, des enquêtes indiquent que 20 % des enfants du primaire et 60 % des élèves du secondaire se plaignent déjà de maux de dos[9] Il peut y avoir de la fatigue et une déformation de la colonne vertébrale.

Du côté médical, une étude américaine de 2016[10] montre qu’un jeune (enfant et adolescent) sur trois souffre de maux de dos.

En Belgique, l’institut belge de santé Sciensano lors de son enquête en 2018 auprès de 11.000 personnes[11] montre que 12 % des 15-24 ans se plaignent de douleurs au dos. De plus, 23 % des hommes et 26,5 % des femmes entre 15 et 64 ans ont révélé souffrir de lombalgies (douleurs au bas du dos).
Un chiffre en constante augmentation depuis dix ans. Pire, on assiste à une véritable explosion des cas auprès des plus jeunes sur la même période (+ 6 % pour la tranche des 15-24 ans). Le mal de dos deviendrait-il le mal du siècle des générations futures ? se demande la mutualité chrétienne[12].

En Belgique, le coût total des maux de dos pour la société belge est de 1,6 milliard d'euros[13]. Les enjeux sociétaux sont considérables.

Il semble donc fondamental que les jeunes soient initiés le plus tôt possible aux mesures de prévention du mal de dos, qui impliquent par exemple : le port de charges (jeter un nouveau regard sur le cartable ou le sac à dos ?) ; l’adoption de bonnes postures ; la préhension et la manipulation de différents objets.[14]
En effet, des conséquences sur des parties du corps peuvent apparaitre.

Une problématique à gérer 

Et le cartable dans tout ça ? Certaines familles ont la possibilité d’accompagner leur enfant à pied ou en voiture pour lui éviter aussi de porter son cartable. D’autres enfants font le trajet à pied ou en transport en commun. Certaines écoles autorisent les cartables à roulettes, d’autres pas. Mais ceux-ci sont-ils la panacée surtout lorsque les élèves ont cours à l’étage ? Certains parents sont outillés pour faire le choix d’un cartable ergonomique, d’autres pas. Certaines inégalités et le mal de dos restent présents.

Le cartable reste un outil indispensable pour l’élève. Afin de prévenir aux mieux ces maux de dos, comment aider les jeunes à alléger le contenu du cartable, à faire le bon choix du contenant, à faire de cet outil un allié accessible pour chaque famille ? A chaque école, enseignant, élève, parent de trouver et chercher ensemble des solutions afin d’alléger le poids du cartable ou du sac à dos pour le bien-être de nos jeunes. Un projet d’établissement centré sur cette question pourrait déboucher sur des solutions constructives profitables aux jeunes, et par corolaire à toutes les familles. Mais compter sur la bonne volonté et les ressources de chaque acteur ne suffit visiblement pas c’est pourquoi l’UFAPEC demande que cette question soit examinée, qu’une réglementation souple définisse le poids du cartable et que chaque élève ait accès à un espace de rangement dans la classe ou l’école.

Les acteurs scolaires y compris le politique et les institutions reconnues de santé publique peuvent résoudre le problème. On l’a vu, en général, le poids du cartable représente plus de 20 % du poids de l’enfant ! Or, les médecins sont formels : ce ratio ne doit en aucun cas dépasser 10 %. Au-delà, les risques pour les dos des enfants sont réels.
Selon le Dr Catherine Marty[15], le port du cartable ou d'une charge lourde en général peut entrainer des douleurs musculaires entre les omoplates (sic) à la jonction entre le dos et les cervicales.[16]

Le service de promotion de la santé à l’école (PSE) [17] est un acteur de première ligne en matière de santé pour les établissements. Cela rentre dans leurs missions. Cette institution utile pour une société saine, juste et solidaire doit pouvoir faire contrôler et analyser cette problématique du mal de dos et faire remonter, à qui de droit, ces enjeux de santé publique. Il peut être un partenaire privilégié dans l’accompagnement de la mise en place d’un projet d’établissement travaillant ce sujet.

Un axe stratégique du Pacte pour un enseignement d’excellence[18] agit sur notre problématique selon deux lignes de force à savoir :  des infrastructures scolaires en quantité et qualité suffisantes pour tous les élèves et un développement de la qualité de la vie à l’école. On peut espérer que cela concerne aussi des casiers à disposition des élèves pour alléger le poids de leur cartable, par exemple.

Conclusion

Cette analyse a voulu mettre en lumière une problématique qui interpelle et questionne les parents. Des enfants en âge d’obligation scolaire commencent à se plaindre du dos. Si le poids du cartable ne semble pas le seul facteur aggravant du mal de dos, il est à prendre en compte urgemment par tous les acteurs du monde de l’école.

Le mal de dos est le mal du siècle dont se plaint une bonne frange de la population. Remédier dès l’école obligatoire à cet enjeu de santé publique apparait indispensable dès lors que le coût engendré par ces maux de dos est colossal.

Le politique a posé des balises en adoptant l’avis n°3 du Pacte pour un enseignement d’excellence met l’accent sur les infrastructures scolaires et sur le bien-être à l’école. Mais sera-ce suffisant ? Il faut assurer un suivi dans ces domaines.

Dans son dernier mémorandum, l’UFAPEC revendique une école du bien-être et de la citoyenneté.[19]Dans un environnement propice, adéquat et soutenant, l’élève peut appliquer des gestes de prévention et ajuster des stratégies d’utilisation performante de son « objet fétiche ». Il semble utile de proposer par exemple de :  mettre gratuitement à la disposition de chaque élève un espace sécurisé de rangement pour diminuer le poids moyen des cartables. Par espace sécurisé, nous entendons pour le primaire un banc ou une armoire dans la classe. Au secondaire, que des casiers individuels soient mis à disposition de tous les élèves.[20]

L’ensemble des acteurs du monde scolaire pourra porter au sein de l’établissement des projets concrets dans l’intérêt du jeune. Le service de promotion de la santé à l’école (PSE) peut agir sur demande ou de manière préventive dans les domaines qui nous préoccupent en éclairant, sensibilisant et en proposant des solutions à tous.

Alors, n’est-il pas opportun dans chaque école de se retrousser les manches tous ensemble afin de trouver des solutions concrètes à cette problématique ? L’utilisation du cartable évoluera encore, sans aucun doute… A nous de jouer et de conscientiser !

 

Jean-Philippe Schmidt

 


[3] Un marronnier en journalisme est un article ou un reportage d'information de faible importance meublant une période creuse, consacré à un événement récurrent et prévisible. https://fr.wikipedia.org/wiki/Marronnier_(journalisme)

[4] Clinical Orthopedics and Related Research 2003 ;409 :78-84.

[6] Professeur au département des sciences de la motricité à l’ULiège et kinésithérapeute à la Clinique du dos à Esneux.

[15] Rhumatologue à l’Hôpital Raymond Poincaré, Garches - France

[18] Assurer à chaque enfant une place dans une école de qualité, et faire évoluer l’organisation scolaire afin de rendre l’école plus accessible, plus ouverte sur son environnement et mieux adaptée aux conditions du bien-être de l’enfant. http://www.ufapec.be/files/files/chantiers-ufapec/pacte-excellence/2017-03-07-Avis3-GC-complet.pdf

p. 297-298

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