Analyse UFAPEC septembre 2021 par D.Houssonloge & A.Pierard

13.21/ Les écoles de devoirs : roue de secours de l’enseignement ?

Introduction

Si la crise sanitaire a été difficile à vivre pour tous, elle a été vécue très différemment en fonction du milieu socio-économique. Quand l’école ferme, c’est aux parents que l’on demande de prendre le relais. Certains disposent de l’environnement et des ressources nécessaires, mais d’autres sont seuls et démunis. Cela nous a amenés à questionner le rôle joué par des services d’aide à la jeunesse comme les AMO (Aide en milieu ouvert) traités dans une précédente analyse[1] et les EDD (écoles de devoirs), que nous abordons ici, pour éviter l’isolement et le décrochage du jeune et soutenir les parents en difficulté.

De façon générale, dans le cadre de la Déclaration internationale des droits de l’enfant[2], quel est le rôle des EDD pour accompagner et soutenir le jeune (articles 28, droit à l’éducation et 31, droit au repos, aux loisirs et à la participation libre à la vie culturelle et artistique) et sa famille ? A l’épreuve de la crise sanitaire, lors de périodes d’enseignement à distance, les EDD ont-elles dû prendre en charge l’externalisation de l’école et leur conséquence, à savoir, le creusement des inégalités sociales et scolaires ?

Partenaires de l’éducation, ne demande-t-on pas trop sur le plan scolaire aux EDD ? Ce sera le fil rouge de cette analyse : face à un système scolaire qui reste un des plus inefficace et inégal, les EDD doivent-elles devenir une roue de secours et être annexées au champ scolaire ? Quels enjeux, quels choix et quels risques cela représente-t-il ?

Pour nous aider dans notre réflexion, nous avons été à la rencontre d’une coordinatrice d’EDD ainsi que de la FFEDD (Fédération Francophone des Ecoles de Devoirs) dont nous mettons les interviews en annexe. Nous avons également pris l’éclairage d’un Centre PMS (Centre psycho médico-social), qui travaille au quotidien avec les EDD de son quartier.

Missions

Leur nom peut faire croire que les EDD ont avant tout un rôle scolaire. Les missions des EDD auprès des enfants sont bien plus larges. Il s’agit avant tout d’accompagner les enfants dans leur développement personnel en réduisant les inégalités. Au carrefour du scolaire, du social et du culturel, les EDD organisent des activités pour les enfants en pensant leur épanouissement global, leur insertion dans la société et une ouverture sur le monde. En se centrant sur l’éducation non formelle[4], les équipes des EDD éveillent à l’envie et au plaisir d’apprendre, aident à l’acquisition de compétences et d’attitudes.

Les EDD ont pour missions de favoriser :

  • le développement intellectuel de l’enfant (en faisant le lien avec les apprentissages scolaires, mais aussi les apprentissages de la vie) ;
  • le développement et l’émancipation sociale (dans un esprit de solidarité et le respect de chacun) ;
  • la créativité, l’accès et l’initiation aux cultures (par le jeu, des activités d’expression, la découverte de différentes cultures) ;
  • l’apprentissage de la citoyenneté et de la participation.[5]

Tout cela va bien plus loin qu’un « simple » accompagnement scolaire et pousse les EDD à agir auprès des enfants afin d’en faire des CRACS (citoyens responsables, actifs, critiques et solidaires). Dans un rôle de cohésion sociale, les EDD apprennent aux enfants à vivre et construire ensemble. Les EDD sont là pour écouter, apporter tout le capital culturel et citoyen dont le jeune a besoin ainsi que donner du sens aux apprentissages.[6]

Ces missions permettent aux EDD, dans une action locale de quartier, de faire des activités variées et d’être présents auprès des enfants et de leurs familles. Comme l’explique Emilie Vandeplas, coordinatrice d’une EDD pour l’asbl Coala à Gembloux, nous avons pour missions d’accorder du temps à l’enfant et sa famille, de les aider. Le soutien à la parentalité est une partie importante de notre travail, parfois pour d’autres choses que la scolarité de leur enfant. Nous sommes parfois à la limite du rôle d’assistant social, d’éducateur ou de médiateur.[7]

Faits et chiffres[8]

Sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il y a 346 EDD reconnues par l’ONE dont 296 pour les enfants de 6 à 15 ans.

Parmi les 246 EDD affiliées à la FFEDD (Fédération Francophone des écoles de devoirs), on peut en trouver :

  • 72 en province de Liège
  • 61 à Bruxelles
  • 39 en province du Hainaut
  • 33 en province de Namur
  • 31 en province du Brabant Wallon
  • 10 en province du Luxembourg

Ces EDD accueillent plus de 16.000 enfants et adolescents de 6 à 18 ans. Il y a une telle demande que certaines ont des listes d’attente.

Comme l’explique Christian Dengis, coordinateur régional pour la province de Liège, les EDD accueillent beaucoup de jeunes de 6-12 ans, un peu moins de 12-15 et quelques 15-18. Ces jeunes sont le plus souvent d’origine étrangère et viennent de familles qui maitrisent peu le français. Pour les familles « belgo-belges », c’est plus difficile de recourir aux services des EDD : sentiment de honte, mais aussi public plus déstructuré qui a du mal à respecter les règles d’un organisme.[9]

Dans l’EDD d’Emilie Vandeplas, nous accueillons 24 enfants de l’enseignement primaire. Nous leurs proposons de revenir d’année en année, une relation de confiance se crée avec les enfants et leurs parents. Les élèves que nous suivons déjà sont donc prioritaires pour l’année suivante, tout comme nous avons instauré une priorité pour les fratries des élèves que nous suivons. Il y a donc peu d’ouverture vers de nouveaux inscrits, car il y a peu de places…(nombre de places défini en fonction des locaux et de l’équipe…) Nous avions eu quatre nouveaux enfants en septembre 2020. Les trois quarts de nos bénéficiaires sont des élèves à besoins spécifiques. [10]

Le secteur des EDD est connu pour son dynamisme, sa créativité et sa solidarité. Nous faisons un maximum pour nous adapter aux enfants que nous avons en face de nous. Il est important de connaitre les enfants, leurs hobbys et leurs passions, pour créer une relation de confiance et les aider au niveau scolaire en s’appuyant sur des choses qui suscitent leur intérêt.[11]

Le bénévolat est un soutien important pour les équipes et le fonctionnement des EDD.[12] Certaines EDD fonctionnent essentiellement avec des bénévoles.

Les coordinateurs régionaux de la FFEDD font part de difficultés et d’inquiétudes concernant les professionnels du secteur. Selon eux, les emplois sont précaires et il est difficile de fonctionner avec des contrats de courtes durées. La petite taille et le turn-over des équipes n’aident pas. Nous sommes inquiets en termes de moyens et au vu de la précarisation des emplois. Il y a gel des contrats APE et ACS depuis la réforme APE et donc plus de possibilités de créer de nouveaux emplois. Ces emplois précaires sont occupés par trois quarts de femmes. Des emplois générés par des appels à projets resteront aussi précaires, un engagement pour deux, trois ans pour développer des projets spécifiques.[13]

La réforme de l’accueil temps libre (ATL), entamée par la ministre Alda Greoli et poursuivie par la ministre Bénédicte Linard, a pour objectif d’harmoniser les trois législations encadrant le secteur ATL : l’extrascolaire, les EDD et les centres de vacances. Ce travail, auquel l’UFAPEC a été appelée à contribuer, a pour objectif de faire du secteur un garant de la lutte contre les inégalités sociales (gratuité, accessibilité, variété des activités). Dans ce sens, il faut donner aux équipes du secteur les moyens humains pour développer leurs activités.

Adaptation à la crise sanitaire

Avec la crise sanitaire, les EDD ont encore eu plus sur les épaules avec des moyens d’encadrement et des espaces d’accueil réduits. Comme l’explique Emilie Vandeplas, l’absence des bénévoles est à l’heure actuelle et depuis mars 2020 compliquée à gérer, mais est compensée en partie par l’aide des collègues des autres secteurs actuellement à l’arrêt (qui ont repris le travail depuis mai 2021 mais nos bénévoles restent absents eux).[14]

Comme l’expliquent les coordinateurs régionaux, suite aux décisions du Codeco entrainant la fermeture des écoles la semaine du 29 mars 2020, certaines EDD ont fermé également tout en proposant un kit d’activités aux enfants pour ne pas les abandonner sans rien. D’autres EDD devant la masse de travail donnée aux élèves ont choisi de rester ouvertes.[15] Avec les moyens du bord, les équipes des EDD ont tenté de maintenir le lien avec les enfants et leurs familles pendant le confinement (aide en ligne, appels, envoi de kits d’activités créatives, etc.), mais le secteur reconnait un impact réel de la crise sur les publics défavorisés : démotivation, décrochage scolaire, troubles de santé mentale, isolement, etc.

Lorsque les activités ont pu reprendre, des EDD ont privilégié des activités en extérieur, en plaçant les tables dehors, en faisant des reportages photos dans le quartier, etc. Comme lors de la règle concernant le port du masque en 5e et 6e primaire avant le congé de Pâques 2021, nous avons retrouvé des élèves en pleurs après leur journée d’école. C’était trop dur pour eux. Pour ne pas les obliger à garder le masque encore plus longtemps, lors de leurs activités à l’école de devoirs, nous avons organisé le travail dehors (un seul élève par table, distance entre les tables évidemment). Ils ont été ravis.[16]

Durant toute la crise sanitaire, les équipes des EDD n’ont jamais lâché leur public et ont fait preuve de créativité, de souplesse et d’élasticité. Un investissement énorme pour le bien-être des enfants que les EDD accueillent.

Un palliatif pour l’enseignement ?

Notre système scolaire actuel reste un des plus mauvais des pays de l’OCDE et ne parvient pas à réduire l’échec et les inégalités[17]. Un des grands défis du Pacte pour un enseignement d’excellence est de réduire de 50 % le redoublement[18] en Fédération Wallonie-Bruxelles pour 2030, tout en augmentant les résultats moyens des élèves dans les savoirs de base[19]. Mais comment faire d’ici-là ?

On le voit d’autant plus avec l’expérience de la crise sanitaire, la tendance est bien présente d’utiliser les EDD pour pallier les dysfonctionnements de l’école. Quels enjeux, quels choix et quels risques cela représente-il ?

Les EDD, lors de nos interviews et par ailleurs, dénoncent cette dérive de leur objet social qui mettrait à mal leur nature-même et ne leur permettrait plus d’exercer leurs missions auprès des jeunes et des familles.

Dans l’enseignement primaire, les coordinateurs pointent particulièrement l’usage abusif des devoirs qui représentent un stress pour les parents et qui renforcent toujours les inégalités sociales. Le décret Nollet[20] qui régule le temps consacré aux devoirs à la maison n’est pas respecté et la question des devoirs nous empêche d’accomplir certaines missions avec notre public. Par ailleurs, cette pression sur les devoirs contraint beaucoup de parents, dans l’incapacité d’accompagner leur enfant et de lui offrir de bonnes conditions de travail, de se tourner vers les EDD alors qu’elles n’ont pas la capacité d’accueillir autant de demandes. Quid des enfants en liste d’attente qui ne peuvent être pris en charge ?[21]

Stéphanie Demoulin, coordinatrice de la FFEDD et Marie-Hélène André, animatrice et formatrice EDD, soulignent, dans un article du journal Prof, le stress des parents par rapport aux devoirs. Ils ne remettent pas en question les devoirs à domicile, persuadés de leur importance pour la réussite des enfants. Mais ils posent des questions sur le sens et la difficulté d’une épreuve longue et difficile pour les enfants. On constate ainsi que le devoir, tel qu’il est conçu par certains enseignants, renforce les inégalités sociales.[22]

Il nous a semblé également intéressant d’avoir l’éclairage d’un centre PMS, acteur scolaire, qui se situe lui aussi à la jonction entre l’école et la famille et qui travaille en collaboration avec les EDD. Etienne Jockir, directeur de Saint-Gilles 1, a accepté de répondre à nos questions et de nous partager son expérience.[23] Il voit dans la crise sanitaire l’occasion d’éclairer la réflexion et l’action des travailleurs sociaux dans la lutte contre les inégalités scolaires.[24] Pour ce directeur de centre PMS, il n’est pas pertinent d’intégrer les EDD au champ scolaire pour leur permettre de contribuer activement à lutter contre l’échec et le décrochage. Elles risqueraient de devenir des écoles « bis » ou écoles « de la remédiation » et perdraient ainsi leur raison d’être alors qu’elles sont essentielles dans l’accompagnement et le soutien de l’enfant au quotidien. Ce serait la dernière chose à faire. Elles ont leur propre fonctionnement, leurs propres objectifs. Dans notre travail de Centre PMS, nous invitons les familles à se tourner vers les EDD parce qu’elles leur offrent la proximité, la présence, l’aide et la disponibilité au quotidien. C’est ce qui fait la force et la qualité des EDD. Grâce à leur ancrage dans le quartier, dans la proximité, elles parviennent à (re)créer du lien entre les jeunes et la société ce qui contribue aussi à les raccrocher à l’école. A côté des écoles de plus en plus sous pression, les EDD sont des lieux de convivialité qui permettent une multitude d’apprentissages tout aussi importants que les remédiations mises en place par les établissements scolaires (reprendre confiance en soi et dans les autres, développer de la solidarité, s’ouvrir au monde, apprendre entre pairs, s’asseoir, se discipliner, être régulier…),. Les EDD sont un acteur complémentaire à l’école pour soutenir les élèves, et leurs familles dans une optique de la réussite pour tous.

Faire des EDD des acteurs scolaires en les annexant aux écoles c’est, souligne Etienne Jockir, risquer de dualiser davantage notre système scolaire. Continuer à distinguer et à articuler les écoles et les EDD c’est veiller à diversifier les approches et contribuer ainsi à ne pas créer ou renforcer une école à deux vitesses.

A côté de la remédiation mise en place à l’intérieur de l’école, où le recours à des « spécialistes » (coaches, orthopédagogues, logopèdes, profs particuliers) devient la norme, d’autres manières d’accompagner les élèves et leurs familles ont montré toute leur pertinence et les EDD en sont les dépositaires :  apprentissage par les « pairs », éducation citoyenne, soutien à la parentalité, … Les EDD doivent rester disponibles pour l’accueil et l’accompagnement des jeunes et des familles, avec leurs propres méthodologies et leurs objectifs spécifiques.

Ne pas ramener les EDD dans le champ scolaire, c’est aussi continuer à leur permettre d’exercer leur rôle de soutien à la parentalité. Accompagner les parents au quotidien, dans leur environnement, sans la pression qu’ils connaissent à l’école (contrôle des présences, échec, exclusion, décrochage, évaluation de leurs compétences parentales, etc.), c’est leur permettre de retrouver l’estime et la confiance en eux. Ce n’est qu’alors qu’un parent peut se sentir apte à exercer son rôle face à l’institution scolaire. Etienne Jockir attire l’attention sur la force des EDD. Elles sont là aussi pour permettre un soutien et une reconnaissance mutuels entre parents, pour permettre l’émergence de collectifs pour aller ensemble à la rencontre des acteurs scolaires et aider l’école à comprendre leurs réalités et leurs besoins. Quand un parent est seul face à l’école, face à des professionnels, la relation risque vite de devenir déséquilibrée (ou d’être vécue comme telle). Comme nous le faisons parfois en Centre PMS, les EDD peuvent rassembler des parents autour des enjeux scolaires de leurs enfants (projet d’intégration, décrochage, harcèlement,…), créant ainsi les conditions pour faciliter un mouvement vers l’école. Cela peut se faire également entre parents ou associations de parents, entre parents d’écoles différentes. Cela permet qu’une conscience collective émerge. C’est là que vous (UFAPEC) intervenez…

Les EDD sont un chainon essentiel entre l’enfant et sa famille d’une part et l’école d’autre part. Ce service permet, plus que l’école, par sa nature, sa petite taille et son équipe de travailleurs sociaux de rejoindre l’enfant là où il est, d’être dans une éducation non-formelle, de travailler l’estime de soi et la citoyenneté pour sortir de l’exclusion sociale et scolaire. Le témoignage d’Emilie Vandeplas est parlant. Cette année notre projet s’est porté sur le voyage autour du monde pour y découvrir la culture des pays, y vivre de chouettes activités, mais aussi parce que, vu la crise, il y a une absence de voyage… Et c’était donc l’occasion de voyager d’une certaine manière : nous avons décoré une salle en avion pour permettre aux élèves de décoller vers des pays lointains et découvrir d’autres cultures via la jeu, la cuisine, la danse, la musique, les activités artistiques... Nous simulons le vol de l’avion, les animateurs sont déguisés en hôtesse, steward et pilote d’avion et les enfants munis de leur passeport et billet d’avion embarquent vers une destination.

Mais le secteur est en grande souffrance. Nous sommes la porte d’entrée de toute la misère du monde, les réalités sont hyper dures. Il faut pouvoir garder son idéal alors que les priorités ne sont pas données à ce genre de public. Il faut consacrer plus de moyens à l’extrascolaire sinon on ne sortira pas de cette misère qui est le lit de l’exclusion. [25]

Malgré l’investissement, la disponibilité, la créativité et le bénévolat dans les équipes, il leur est difficile d’assumer leurs missions et de rester motivées. La crise sanitaire l’a encore illustré : manque de reconnaissance, de moyens humains et financiers, manque de stabilité du personnel lié à des contrats précaires fragilisent le travail des EDD. La pétition lancée par la FILE[26] d’avril 2021, Parce que nous prenons soin de vos enfants mais pour combien de temps encore ?, témoigne du ras-le-bol du secteur et de l’urgence d’une réforme ambitieuse.[27]

Les EDD parce qu’elles concernent des publics fragilisés et qui ont du mal à faire entendre leur voix seraient-elles un parent pauvre du secteur de l’enfance ? En région bruxelloise, comme nous l’explique Véronique Marissal, coordinatrice régionale pour la ville de Bruxelles, la plupart des écoles de devoirs reconnues sont également financées comme opérateur de soutien scolaire dans le cadre du dispositif de cohésion sociale de la COCOF. Ce dispositif a octroyé des moyens supplémentaires aux EDD durant la crise sanitaire, notamment pour résorber la fracture numérique. Les EDD de Wallonie n’ont pas reçu pareil soutien alors qu’elles reposent plus sur des volontaires.[28] La reconnaissance et le financement des EDD résultent aussi de choix politiques.

Etienne Jockir, que nous avons interrogé sur cet aspect, identifie clairement la priorité à mettre. Si un choix politique est à faire pour aider à l’accrochage scolaire et social du jeune, ce n’est pas seulement dans le financement de professionnels hyperspécialisés mais aussi dans la stabilisation de l’emploi dans les lieux d’apprentissage extrascolaires comme les EDD. L’acte éducatif s’inscrit dans la durée. Dans mon métier de directeur de Centre PMS je constate à quel point il faut parfois des années pour pouvoir nouer une relation de confiance et accompagner un jeune et sa famille. C’est vrai aussi pour les EDD qui ont donc besoin de stabilité pour exercer un travail de qualité.

Comme déjà évoqué, l’UFAPEC s’implique dans la commission transversale ATL (accueil temps-libre) mise en place en 2021 dans le cadre de la réforme du secteur.[29] En tant qu’organisation représentative des parents et associations de parents d’élèves de l’enseignement catholique, l’UFAPEC est soucieuse de l’épanouissement et l’intégration de tous les enfants. A ce titre, elle est attentive à ce que les familles fragilisées aient accès à un lieu d’accueil de qualité et notamment aux EDD. L’étude consacrée en 2019 à l’ATL attirait déjà l’attention sur les besoins en la matière et soulignait la nécessité de permettre aux accueillants d'investir dans la relation avec les familles notamment celles dont la langue, les codes sont plus éloignés de ceux de l'école, dans une perspective de coéducation et de lien renforcé entre l'école et la famille.[30]

L’UFAPEC préconise aussi une approche interculturelle et sociale de l’enseignement, incluant des collaborations avec des services comme les EDD pour apprendre à reconnaitre les compétences parentales ; cette approche est nécessaire dans le quotidien des écoles comme dans la formation des enseignants[31].

Cette approche permettra aussi de réduire l’inefficacité et l’inégalité de notre système scolaire auquel le Pacte a commencé à s’attaquer, notamment à travers l’axe stratégique 4. Cet axe vise à améliorer le rôle de l’enseignement comme source d’émancipation sociale notamment en réduisant le décrochage et le redoublement et en ramenant la remédiation à l’intérieur de l’école pour contrer la marchandisation dont l’école obligatoire fait l’objet.[32]

Enfin des ponts sont à faire entre l’école et les EDD qui accueillent les mêmes enfants et leur famille. Ces ponts peuvent se faire via des protocoles de collaboration entre l’enseignement et le secteur de l’enfance ou au quotidien, par exemple en permettant à des parents, qui ne comprennent pas la langue ou les attendus scolaires, d’être accompagnés par des personnes ressources lors des rencontres avec l’école.

Conclusion

Chainon, sas, bulle d’oxygène, pont, cocon, deuxième maison, espace de vie… toute une série de mots qui rappellent le caractère essentiel des EDD et leur identité bien distincte. Face à une paupérisation grandissante qui fait le lit de l’exclusion, les EDD offrent un lieu de vie adapté aux besoins des enfants avec des animateurs rémunérés ou bénévoles pour les aider à grandir, s’ouvrir au monde, s’épanouir sereinement et faire une multitude d’apprentissages informels que l’école ne peut offrir de cette façon.

Aujourd’hui, plus de 16.000 enfants sont concernés et bien d’autres attendent que des places se libèrent. Les EDD offrent aussi un soutien aux parents pour retrouver confiance en eux et être acteurs dans l’éducation de leur enfant. Permettre aux EDD d’accompagner le parent qui le souhaite à des réunions est un prolongement de ce soutien à la parentalité et du rôle complémentaire des EDD. A ce titre, chaque parent devrait pouvoir être accompagné d’une personne de son choix pour tout contact individuel avec l’école.  

Par ailleurs, si l’aide aux devoirs et la remédiation scolaire sont une des missions des EDD, elles ne peuvent servir de roue de secours à l’enseignement, qui ne parvient pas à être efficace et équitable. D’autant que cela augmenterait le risque de développer un école à deux vitesses. C’est au système scolaire de trouver, comme le Pacte s’y applique, ses propres remèdes.

Enfin, la crise sanitaire a généré des réalités très dures avec des écoles fermées et des familles désemparées dans la prise en charge de leur enfant. Cette crise a contraint les EDD à aller au-delà de leurs missions pour ne pas abandonner leur public et a illustré une fois de plus la nécessité de leur donner des moyens en adéquation avec leur rôle de service public. Cela demande un engagement politique dans le cadre de la réforme de l’ATL. Investir dans les EDD, c’est permettre à des enfants de se construire, de sortir de la précarité et de devenir des adultes debout qui feront la société de demain. Nous avons tous à y gagner.

 

 

Alice Pierard & Dominique Houssonloge

 


[1] Houssonloge, D., Schmidt, J.-P., Que choisir entre risques sanitaires et laisser les jeunes livrés à eux-mêmes ? L’exemple des AMO, analyse UFAPEC 2020 n°18, UFAPEC - analyse AMO-Covid

[2] ONU, Convention internationale des droits de l’enfant, 1989, DGDE - convention ONU. Rappelons au passage que nous avons déjà consacré une étude en 2019 à la question de l’accueil extrascolaire : Gillot, D., Lontie, M., L’accueil extrascolaire, un outil pour lutter contre les inégalités sociales ?, étude UFAPEC 2019 n°1/13.19 ,UFAPEC - étude accueil extra scolaire

[3] Ces photos ont été prises dans le cadre d’une action lancée par les Organisations de Jeunesse et les Maisons de jeunesse « # LaJeunesseFaitPartieDeLaSolution » en avril 2021.

[4] Pour approfondir le sujet de l’éducation non formelle : Schmidt, J.-P., Education formelle et non-formelle, complémentaires ?, analyse UFAPEC 2017 n°02, UFAPEC - éducation formelle - non formelle

[6] Interview FFEDD, réalisée le 13 avril 2021, par Dominique Houssonloge.

[7] Interview d’Emilie Vandeplas, coordinatrice EDD pour Coala, réalisée le 22 avril 2021, par Alice Pierard.

[8] Chiffres disponibles sur le site de la FFEDD : Les Écoles de Devoirs (ecolesdedevoirs.be)

[10] Interview d’Emilie Vandeplas, op cit.

[11] Interview d’Emilie Vandeplas, op cit.

[12] Deux vidéos pour avoir le regard d’un coordinateur d’EDD et d’une bénévole sur ces personnes essentielles pour soutenir les équipes des EDD.

[13] Interview FFEDD, op cit.

[14] Interview d’Emilie Vandeplas, op cit.

[15] Interview FFEDD, op cit.

[16] Interview d’Emilie Vandeplas, op cit.

[17] Au vu des résultats de l’enquête PISA 2018 (antérieure à l’implémentation des différentes mesures du Pacte pour un Enseignement d’excellence), force est de constater que l’enseignement en FWB fait toujours partie des systèmes éducatifs les moins équitables. Singulièrement clivé, à l’image du profil très hétérogène des établissements, remarquablement hors normes au niveau du taux de retard scolaire, tristement inégal quant à la répartition des ressources humaines et matérielles aux différentes écoles, … en matière d’équité, notre système scolaire se distingue, et ce n’est pas nouveau, comme l’un des plus mauvais élèves de la classe OCDE. Source : ULiège, FWB, Résultats de Pisa 2018 en Fédération Wallonie-Bruxelles. Des différences aux inégalités, p. 53 - enseignement.be - PISA

[18] Pour approfondir la question du redoublement : Houssonloge, D., Schmidt, J.-P., Redoublement : la Fédération Wallonie-Bruxelles toujours championne, Analyse UFAPEC 2021 n°07, UFAPEC - analyse redoublement

[19] Pacte d’Excellence, Avis n°3 du groupe central, 7 mars 2017, Pacte d'excellence - avis n°3, p. 23.

[20] Le décret adapte les devoirs à l’âge et au rythme des enfants : devoirs interdits en 1e et 2e, limités à 20 minutes en 3e et 4e et à 30 minute en 5e et 6e. Les devoirs ne peuvent pas être cotés et doivent pouvoir être réalisés seuls. Source : Circulaire n° 108, Régulation des travaux à domicile dans l’enseignement fondamental, 13 mai 2002, circulaire 108

[21] « Les Écoles de devoirs ont bien d’autres missions », in Prof, n° 34, 01 juin 2017, prof - article EDD

[22] Idem.

[23] Interview réalisée le 30 août 2021.

[24] Pour en savoir plus : Etienne Jockir, « Apprendre de la crise sanitaire pour mieux lutter contre les inégalités scolaires », in Pauvérité, trimestriel de Forum-Bruxelles contre les inégalités, juin 2021, n° 31 - https://www.le-forum.org/uploads/pauve%CC%81rite%CC%81-31-Forum-Web_1.pdf

[25] Interview FFEDD, op. cit.

[26] Fédération des Initiatives Locales pour l’Enfance.

[27] Source : pétition ATL

[28] Interview FFEDD, op. cit.

[29] Source : commission ATL

[30] Gillot, D. Lontie, M., op. cit, p. 41.

[31] Mémorandum UFAPEC 2019, p. 116, UFAPEC - Mémorandum - et Dominique Houssonloge, Mieux accompagner et soutenir les élèves précarisés en maternelles par une approche interculturelle et sociale de l’enseignement, analyse UFAPEC 2015 n°32, UFAPEC - analyse interculturel et social en maternelle

[32] Axe stratégique 4 du Pacte - Afin d’améliorer le rôle de l’enseignement comme source d’émancipation sociale tout en misant sur l’excellence pour tous, favoriser la mixité et l’école inclusive dans l’ensemble du système éducatif tout en développant des stratégies de lutte contre l’échec scolaire, le décrochage et le redoublement. Le Pacte vise un enseignement de haut niveau et la lutte contre le redoublement y contribue indéniablement. Le Groupe Central considère que la lutte contre le l’échec et le redoublement constitue un objectif essentiel du Pacte.
Source : Pacte d’Excellence, Avis n°3 du groupe central, 7 mars 2017, Pacte d'excellence - avis n°3, p. 223.

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