Analyse UFAPEC Octobre 2022 par A. Floor

13.22/ Quelle place à l’école pour les élèves atteints de maladies chroniques ?

Ecoutez-nous pour que vous puissiez nous aider
Garçon, 12 ans

Extrait du Rapport des enfants et des jeunes concernés par la santé mentale en Belgique, Rapport « What Do You Think ? »,
UNICEF Belgique, 2022

 

Introduction

L’idée de ce texte vient d’interpellations du terrain, soit des parents d’élèves concernés, soit des associations partenaires comme l’école à l’hôpital et à domicile[1] ou Class Contact[2]. Ces appels à l’aide se sont intensifiés depuis l’arrivée de la pandémie et surtout depuis l’arrêt de l’enseignement distanciel et hybride. L’organisation d’une soirée sur la communication entre les parents d’enfants en souffrance psychique et l'école, organisée en février dernier[3], a aussi créé une sorte d’appel d’air et nous avons reçu beaucoup de témoignages sur les parcours scolaires chaotiques de tous ces enfants en mal être psychologique, mais aussi physique. Nous avons voulu approfondir la question et voir ce que l’évolution vers une école inclusive annoncée par le pacte pour un enseignement d'excellence allait apporter comme soutien à ces élèves physiquement ou psychologiquement incapables de fréquenter l’école à temps plein, mais désireux de rester scolarisés dans leur école avec leurs ami.e.s.

Ces élèves, en dépit de leur état de santé et de leurs nombreuses absences, ont-ils droit à un enseignement de qualité ? Quelle est finalement leur place au sein de nos écoles ? Fréquenter l’enseignement ordinaire au prix de gymnastique adaptative en courant derrière les notes de cours manqués, en quémandant pour repasser les interros en raison d’un état de santé fluctuant ? Ou s’inscrire dans l’enseignement spécialisé de type 5 destiné à répondre aux besoins éducatifs et de formation des élèves malades ou convalescents, comme le stipule le code de l’enseignement ?[4] Le risque de décrochage scolaire est de facto plus important pour eux, surtout s'ils ne bénéficient pas d'un soutien familial important. Et les parents là-dedans, doivent-ils en plus de la gestion du suivi médical, des coûts financiers importants, devenir enseignants à domicile et pallier les manquements d'un système scolaire mis à mal par ces élèves "hors normes" ? Est-ce qu’un enseignement à temps partiel est envisagé dans la législation pour ces élèves ? Comment les écoles s’adaptent-elles à ces profils très variés et comment répondent-elles à leurs besoins ? De quels moyens disposent-elles pour ce faire ?

Maladie chronique

  • Définition

Le Haut Conseil de la santé publique a retenu une définition transversale de la maladie chronique dans son rapport de novembre 2009[5]. En voici les trois caractéristiques principales :
- la présence d’un état pathologique de nature physique, psychologique ou cognitive, appelé à durer ;
 -une ancienneté minimale de trois mois, ou supposée telle ;
- un retentissement sur la vie quotidienne comportant au moins l’un des trois éléments suivants :

  • une limitation fonctionnelle des activités ou de la participation sociale,
  • une dépendance vis-à-vis d’un médicament, d’un régime, d’une technologie médicale, d’un appareillage ou d’une assistance personnelle,
  •  la nécessité de soins médicaux ou paramédicaux, d’une aide psychologique, d’une adaptation, d’une surveillance ou d’une prévention particulière pouvant s’inscrire dans un parcours de soins médico-social.[6]

Selon l'OMS[7], une maladie chronique exige des soins à long terme, pendant une période d’au moins plusieurs mois. La notion de maladie chronique fait aussi référence aux maladies non transmissibles, comme le cancer, le diabète, l'asthme, la dépression, l'épilepsie, les troubles alimentaires…

  • Proportion de jeunes concernés en Belgique

Selon une enquête santé réalisée par Sciensano[8], il apparait qu'en 2018, 29,3 % de la population âgée de 15 ans ou plus a déclaré souffrir d’au moins une maladie chronique. Ce pourcentage augmente considérablement avec l’âge, allant de 14,1 % chez les jeunes de 15 à 24 ans jusque 44,1 % chez les 75 ans ou plus.[9]

Parmi les maladies chroniques les plus fréquentes, nous y trouvons la dépression (qui touche 6,2 % de la population et 25 % des malades chroniques en 2018), le diabète sans insuline (2,8 % de la population et 11 % des malades chroniques) et les maladies respiratoires (bronchopneumopathie chronique obstructive – BPCO : 2,5 % de la population et 10 % des malades chroniques ; asthme : 2,1 % de la population et 9 % des malades chroniques).

Les pathologies chroniques principales ayant enregistré la plus forte évolution entre 2010 et 2018 sont :


· la dépression (prévalence qui passe de 5,1 % à 6,2 % entre 2010 et 2018)
· la BPCO (2,0 % en 2010 et 2,5 % en 2018)
· l’asthme (1,7 % en 2010 et 2,1 % en 2018)
· l’épilepsie (0,9 % en 2010 et 1,3 % en 2018)
· la psychose chez les moins de 70 ans (0,7 % en 2010 et 0,9 % en 2018)
· le cancer (0,6 % en 2010 et 0,8 % en 2018).[10]

Il y aurait donc en moyenne dans nos écoles 1 à 1,5 élève sur 10 touché par une maladie chronique en 2018. Tenant compte des conséquences de la pandémie sur la santé mentale de nos enfants, ce pourcentage ne fera qu’augmenter. Selon le rapport de l’UNICEF de 2021 sur la santé mentale d’enfants et d’adultes dans 21 pays, il ressort que plus de 13 % des adolescent·es âgé·es de 10 à 19 ans sont atteint·es d’un trouble mental. En Belgique, ce taux passe à 16,3 %. L’anxiété et la dépression représentent environ 40 % des troubles mentaux diagnostiqués ; parmi les autres pathologies figurent le trouble déficitaire de l’attention, l’hyperactivité, les troubles du comportement, la déficience intellectuelle, le trouble bipolaire, les troubles de l’alimentation, l’autisme, la schizophrénie et un groupe de troubles de la personnalité.[11]

Qui sont ces élèves atteints de maladies chroniques ?  - témoignages

Marine[12] est en 4e secondaire générale, elle souffre d'endométriose[13] et d'adénomyose[14] depuis 2 ans. Elle manque régulièrement et de plus en plus souvent l'école. Elle est couverte par un certificat médical délivré par le chirurgien et ce certificat la couvre uniquement si elle est absente des parties de journées. Or certains jours, elle est incapable physiquement d'aller à l'école tant la douleur et l'épuisement sont intenses. En 2020-2021, sa scolarité s'est bien déroulée malgré l'apparition de ses problèmes de santé. C'était l'année du confinement et de l'enseignement hybride. L'année 2021-2022 est beaucoup plus chaotique[15], l'école ayant repris en présentiel. Quand elle est absente, c'est de sa responsabilité de se mettre en ordre au niveau de ses cours. C'est Marine qui doit "harceler" les autres élèves pour recevoir les cours. Comme elle ne vient pas régulièrement à l'école, les relations avec ses pairs se sont distendues et même détériorées. Quand elle vient à l'école, elle mange dans les toilettes ; elle craint d'aller à l'école parce qu'elle se fait harceler par les autres élèves. Ils pensent que Marine profite de la situation et passe ses contrôles quand elle en a envie. Elle s'en sort bien à l'école, malgré ses nombreuses absences. Les enseignants n'ont pas non plus compris son état de santé, ils ne comprennent pas ce qu'est l'endométriose. Ils ont aussi l'impression qu'elle profite de la situation. Ils refusent l'installation de Class Contact[16] dans la classe malgré l'accord du pouvoir organisateur et de la direction. La jeune fille était d'accord de couper les caméras pour n'avoir que le son, car, ce qui lui manque, ce sont les explications. Elle a juste besoin d'écouter les cours. Seule son enseignante de mathématiques accepte de mettre Teams et ainsi Marine peut suivre les cours de la maison. Sa maman consacre énormément de temps pour la scolarité de sa fille ; elle la soutient et court aussi, quand sa fille n'en a plus la force, derrière les cours, le journal de classe, les dates des évaluations. Elles ne comprennent ni l'une ni l'autre pourquoi l'enseignement en distanciel a été possible en période de confinement et ne l'est plus maintenant, ni pourquoi un enseignant accepte de mettre en route Teams quand il donne cours et les autres refusent. Elles ne comprennent pas plus pourquoi Class Contact est refusé, ni pourquoi les cours ne peuvent pas être postés sur la plateforme de l'école plutôt que de la laisser courir derrière les autres élèves de sa classe.

Corentin[17] est en 4e secondaire, c'est la deuxième année consécutive qu'il est malade. Avant son covid long[18], il était un élève qui réussissait facilement et s'ennuyait en classe. En septembre de sa 3e secondaire, il a attrapé le covid et n'a pas su retourner à l'école avant le mois de décembre. Il a alors passé quelques examens et est rapidement retombé malade. Il a heureusement bénéficié de l'enseignement distanciel comme les autres élèves et il est juste venu en présentiel pour quelques examens durant sa 3e secondaire. Comme aménagements, il a bénéficié de Class Contact en mai-juin. Du point de vue des parents, cela se passait bien avec ce système et cela lui a permis de raccrocher entièrement à l'école. En 4e secondaire, il est retourné à l'école avec un certificat médical pour faire maximum un mi-temps en présentiel. À la fin de chaque mois, il remet des certificats pour couvrir les journées d'absence. L'école a mis en place un système de binômes : quand l'un est malade, l'autre se charge de la mise en ordre des cours. Il y a 4 à 5 élèves qui se répartissent tous les cours et qui veillent à reprendre les feuilles pour lui. Ils prennent des photos de leurs propres notes et les lui envoie par Instagram. Corentin doit donc se débrouiller avec les feuilles vierges distribuées pendant les cours par l'enseignant et les photos des autres élèves. La maman souligne les failles de ce système : en 4e secondaire, ils ne prennent pas encore bien note, les photos sont parfois floues ou coupées. Corentin doit se débrouiller sans avoir les explications des cours. Les parents ont demandé à nouveau Class contact mais, cette année-ci, cela a été refusé pour plusieurs raisons : difficulté à gérer simultanément la classe et le système Class Contact pour les enseignants, pas de réseau dans la classe de Corentin, ordinateur trop vieux. Class Contact a fourni du nouveau matériel et voulu installer une borne Wi fi spécifique pour cette classe, cela a été refusé par la direction.

Corentin est tout seul face à ses apprentissages et, pour un ado, le fait de travailler seul, c'est vraiment compliqué. Il organise ses horaires pour venir aux cours qui sont les moins évidents à réaliser à distance en étant tout seul à la maison. Les jours où il vient, il passe des évaluations, car les enseignants ont besoin de connaitre son niveau. Mais il manque alors encore des cours. Les enseignants attendent qu'il leur envoie des questions, qu'il soit acteur de ses apprentissages. Il faut que les choses viennent de lui. C'est difficile à entendre; alors qu'il se bat contre une fatigue extrême et se sent complètement abandonné dans ses études. Les enseignants refusent de poster les notes de cours sur la plateforme numérique de l'école. S'il est en échec, ils lui proposent de venir en remédiation, mais il manquera alors une demi-journée de cours en plus. La maman de Corentin aurait souhaité plus d'initiative et de suivi de l'école, au moins de la part d'un enseignant désigné pour cet accompagnement. Tout doit venir de mon enfant de 15 ans qui est malade et qui ne sait venir que moins d'un mi-temps à l'école. Jamais l'école n'a pris de ses nouvelles. Ils agissent avec lui comme avec un élève qui est absent trois jours pour un gros rhume. Quand il revient, il doit se mettre en ordre. Il n'y a pas d'alternatives : la classe continue, la matière continue. La maman a pris contact avec une association française de parents d'enfants malades. Ceux-ci peuvent faire un panaché d'enseignement à distance et d'enseignement présentiel. Alors qu’ici en FWB, l'enseignement est prévu pour du présentiel. Il faudrait réfléchir à un système mixte permettant pendant quelques semaines ou mois de faire de l'autoapprentissage, nous explique la maman de Corentin.[19]

Ces témoignages soulèvent beaucoup de questions. Un élève malade doit-il se mettre en ordre tout seul, l'école n'a-t-elle aucune obligation de suivi ? Le jeune serait-il mieux loti dans l'enseignement de type 5 ? Est-ce vraiment sa place à l'heure de l'école inclusive, des pôles territoriaux et de la suppression de l'intégration sans avoir fréquenté préalablement l'enseignement spécialisé ? N'est-il pas un élève à besoins spécifiques qui a droit à bénéficier d'aménagements raisonnables pour continuer à fréquenter l'enseignement ordinaire ? Comment se fait-il que les enseignants soient si peu sensibilisés à la particularité des maladies chroniques ? Un élève qui est capable un jour de venir à l'école et de suivre assidûment les cours et le lendemain qui est absent pour toutes les raisons médicales liées à sa maladie, est-ce nécessairement un élève qui abuse du système et qui ne vient à l'école que lorsqu'il en a envie ou quand il n'y a pas évaluation ?  

Obligation de suivi par les écoles ordinaires des élèves malades de longue durée : qu'en est-il ?

Au niveau de l'obligation de suivi par les écoles des élèves absents pour maladie, les avis sont contradictoires. Les circulaires encouragent les enseignants à veiller à ce suivi et à développer un partenariat avec les enseignants du type 5, si l'élève devait y être orienté. Dans la circulaire sur le type 5, il y a un questionnement qui est présenté pour les enseignants de l'école ordinaire afin de les aider dans les démarches à mettre en place pour les élèves absents depuis plusieurs jours. Tout d'abord, se questionner sur la cause de l’absence ? Sa durée ? Ce que l’école peut faire pour gérer la situation ? Est-ce que l’absence de l’élève nécessite une prise en charge spécifique ? Dans un second temps, si la raison médicale est confirmée, l’école d’origine doit prendre contact avec les parents afin d’assurer la continuité de la scolarité de l’élève (cf. décret mission) en collaboration éventuellement avec une école de type 5, ces dernières offrant des solutions personnalisées permettant au jeune et à sa famille de trouver une solution intérimaire plus que satisfaisante tant à l’hôpital, en centre de jour, via une classe SSAS ou à domicile.[20]

Dans la réalité, les situations sont extrêmement variables d'une école à l'autre, comme le démontrent aussi les témoignages ci-dessus. Certaines ont tiré des leçons positives du confinement et les enseignants continuent de poster leurs notes de cours, le journal de classe, d'interagir avec les élèves absents via les plateformes numériques, alors que d'autres sont revenues au système d'antan et c'est le règne de la débrouille. Nous avons encore reçu cette année beaucoup d'appels de parents perdus face à leur enfant en décrochage après des absences répétées pour cause de covid, de quarantaine ou de décompensation psychique. Lors d'une soirée organisée par l'UFAPEC sur la communication école et parents d'enfant en souffrance psychique, la question de ce suivi scolaire quand leur enfant est malade pour une longue durée a été posée par les parents. L'enseignante et l'éducatrice travaillant toutes deux au niveau secondaire confirmaient que l'école n'avait aucune obligation de suivi et que c'était à l'élève à se mettre en ordre.

Si l’enseignant est à l’école et qu’il donne son cours aux autres élèves, il n’a pas une obligation de suivi de la scolarité à l’extérieur. Ce n’est pas pour cela qu’ils ne le font pas. Je connais beaucoup d’enseignants qui préparent le travail et le font suivre via un autre élève, un éducateur ou un autre moyen. Ce suivi se met en place en collaboration avec le thérapeute. Si celui-ci conseille à l'élève de ne pas travailler, ce n’est pas à nous à le faire travailler. Tout cela se fait en concertation avec le thérapeute. (Éducatrice)

Il n'y a pas d’obligation quant au suivi à l’extérieur de l’école pour l’élève absent. En général, on attend un signe de l’élève absent ou de ses parents pour voir quel dispositif on va pouvoir mettre en place pour l'accompagner. Il peut y avoir convocation d'un conseil de classe extraordinaire, au cas par cas, en fonction du profil de l’enfant. (Titulaire en secondaire)

Dans le cas des élèves malades pour une courte durée, il est effectivement prévu que ceux-ci se mettent en ordre par eux-mêmes à leur retour. A partir de quand peut-on parler de maladie de longue durée ? Est-ce que des absences répétées pour raison médicale ou de quarantaine ne devraient pas donner lieu à un accompagnement et un soutien plus assidus de la part des enseignants ? Les témoignages reçus à l’UFAPEC tout au long de ces deux années très particulières sont unanimes pour lier le décrochage scolaire de leur enfant à une absence de suivi de la part des écoles et un sentiment d’abandon.

Vu le nombre exponentiel d’élèves encore impactés au niveau de leur santé physique ou psychique par la pandémie, il est bien nécessaire, pour l’UFAPEC, de clarifier l’encadrement de ces élèves auprès des écoles ordinaires et ce de manière décrétale.

Dans le type 5 ou à l'école ordinaire avec des aménagements raisonnables ?

L'élève malade chronique serait-il mieux loti dans l'enseignement de type 5 ? Est-ce vraiment sa place à l'heure de l'école inclusive, des pôles territoriaux et de la suppression de l'intégration sans avoir fréquenté préalablement l'enseignement spécialisé[21] ? N'est-il pas plutôt un élève à besoins spécifiques qui a droit à bénéficier d'aménagements raisonnables pour continuer à fréquenter l'enseignement ordinaire ? Le type 5 est destiné aux élèves qui, atteints d'une affection corporelle et/ou souffrant d'un trouble psychique ou psychiatrique, sont pris en charge sur le plan de leur santé par une clinique, un hôpital ou par une institution médico-sociale reconnue par les Pouvoirs publics. Ce type d'enseignement peut être dispensé quel que soit le lieu où séjourne l'élève durant sa maladie ou sa convalescence [...][22]. L'inscription des enfants et des adolescents dans un établissement, une école ou un institut d'enseignement spécialisé est subordonnée à la production d'un rapport précisant le type d'enseignement spécialisé qui correspond aux besoins de l'élève. Le rapport d'inscription donne lieu à l'établissement d'une attestation et d'un protocole justificatif. Ce rapport est établi sur la base d'un examen médical dont les conclusions sont consignées dans un rapport d'inscription et qui est effectué par un pédiatre ou le médecin référent du service de pédiatrie, de la clinique, de l'hôpital ou de l'institution médico-sociale reconnue par les pouvoirs publics. [23] Dans le cas particulier des maladies chroniques et en dehors des épisodes aigus nécessitant une hospitalisation, l'élève est encore capable de se rendre à l'école ordinaire, mais en aménageant son horaire en fonction de son état de santé journalier et en veillant au suivi des notes de cours. Il ne semble donc pas vraiment entrer dans les conditions pour fréquenter le type 5, lequel s'adresse plus particulièrement aux élèves hospitalisés, en convalescence avant de reprendre le chemin de l'école ou incapables physiquement ou psychiquement de s'y rendre. Ils entreraient plutôt dans la catégorie des élèves à besoins spécifiques ouvrant le droit à des aménagements raisonnables. Que dit d'ailleurs le décret relatif à l’accueil, à l’accompagnement et au maintien dans l’enseignement ordinaire fondamental et secondaire des élèves ? Ce décret prévoit que tout élève de l'enseignement ordinaire présentant un ou des besoin(s) spécifique(s) est en droit de bénéficier d'aménagements raisonnables appropriés, pour autant que sa situation ne rende pas indispensable une prise en charge par l’enseignement spécialisé. Et la définition des besoins spécifiques est la suivante : besoin résultant d'une particularité, d'un trouble, d'une situation permanents ou semi-permanents d'ordre psychologique, mental, physique, psycho-affectif faisant obstacle au projet d'apprentissage et requérant, au sein de l'école, un soutien supplémentaire pour permettre à l'élève de poursuivre de manière régulière et harmonieuse son parcours scolaire dans l'enseignement ordinaire fondamental ou secondaire.[24] Un élève atteint d'une maladie chronique peut donc être considéré comme élève à besoins spécifiques au regard du décret et ce tant que sa situation ne rend pas indispensable sa prise en charge par l'enseignement spécialisé. Comment ces élèves sont-ils présentés dans les fiches-outils destinées aux enseignants pour accompagner les élèves à besoins spécifiques ?[25] Les maladies chroniques sont intégrées dans une fiche globale réunissant les maladies invalidantes. Par maladie invalidante, il faut comprendre une maladie grave de longue durée (ex. cancer), une maladie chronique (ex. asthme, diabète, épilepsie…) ou une maladie psychique (ex. dépression, phobie scolaire, troubles anxieux, problèmes du comportement alimentaire, psychose…). [26]

Il est important de préciser que l’enseignement spécialisé de type 5 ne peut pas délivrer de certification. En effet, la règle générale veut que l’école d’origine – ou celle où l’élève est « régulièrement inscrit » - soit la seule habilitée pour la certification. Dans le type 5 en secondaire, le panel des enseignants n'est pas suffisant pour couvrir toutes les disciplines et ils ont une partie de leur charge horaire dévolue à la rencontre des partenaires internes (hospitaliers) et externes (écoles d'origine, CPMS…).[27]

Au niveau du suivi des notes de cours et du partenariat entre l'école d'origine et l'école de type 5, l'avis n°156 du CSES relève également des points de tension entre les écoles ordinaires et les pédagogues hospitaliers des écoles de type 5 : Certains établissements collaborent rapidement et activement - c’est généralement le cas au fondamental -tandis que d'autres répondent moins efficacement aux sollicitations : envois des copies de cours d'un élève annotées de toutes les réponses ; envois très tardifs du cours complet ; envois épisodiques après maints rappels ; refus de certains enseignants de transmettre leur cours, car c’est « leur propriété » ; envois de cours incomplets... Refus catégorique de toute collaboration.[28]

Que l'élève fréquente le type 5 ou essaie vaille que vaille de rester dans son école d'origine, une des grosses pierres d'achoppement réside dans le suivi de la scolarité par celle-ci. Les enseignants donnent cours en présentiel et ne sont pas contraints d'assurer le suivi des élèves à l'extérieur de l'école, même si la circulaire sur le type 5 le suggère.

Réunions de concertation, protocole aménagements raisonnables, PIA, intégration et pôles territoriaux

Comment faire en sorte que ces élèves ne se retrouvent pas abandonnés à eux-mêmes en plus d'être confrontés à une maladie de longue durée ? Une partie de la réponse se trouve certainement dans la tenue de réunions de concertation, dans l'élaboration d'un protocole aménagements raisonnables ou d'un PIA dans l'enseignement spécialisé, comme le préconisait déjà l'ancienne ministre de l'Éducation, Marie-Martine Schyns dans sa circulaire d'octobre 2018 : (…) j’insisterais plus particulièrement sur l’indispensable partenariat entre les écoles de type 5 et les autres établissements et sur la responsabilité qui incombe aux écoles d’origine quant au suivi scolaire de leurs élèves mêmes malades et en particulier dans les « aménagements raisonnables » qu’il importe d’appliquer au niveau du processus d’évaluation et de certification. Afin d’assurer un suivi optimal, et dans le respect des règles déontologiques, le recours au P.I.A[29] est certainement l’outil à privilégier.[30]

Pour les élèves malades de longue durée fréquentant l’enseignement ordinaire, les aménagements sont élaborés dans le cadre de réunions collégiales de concertation rassemblant le directeur ou son délégué, l'équipe éducative dans l'enseignement fondamental, le conseil de classe dans l'enseignement secondaire, ou leurs représentants ; un représentant du centre PMS compétent pour l'école ordinaire concernée, si l'un des partenaires ou le directeur du centre PMS l'estime nécessaire, les parents de l'élève ou l'élève lui-même s'il est majeur et un représentant du pôle territorial compétent lorsque la prise en charge de l'élève concerné par le pôle pourrait être nécessaire.[31] La présence d’un expert susceptible d’éclairer les acteurs est possible à la demande des parents et avec l’accord du chef d’établissement. En cas d’accord, les aménagements sont consignés dans un protocole qui fixe les modalités et les limites des aménagements. Ce protocole est signé par le chef d’établissement et les parents. L’établissement scolaire doit mettre en place le ou les aménagement(s) raisonnable(s) dans les plus brefs délais.[32]

Une autre partie de la réponse est à chercher au niveau des pôles territoriaux initiés par le Pacte pour un enseignement d'excellence. Ces pôles territoriaux attachés à un établissement de l’enseignement spécialisé sont entrés en fonction depuis septembre 2022 pour accompagner concrètement et activement les établissements de l'enseignement ordinaire dans la mise en place des aménagements raisonnables et dans la poursuite des projets d'intégration en cours et à venir. Les défis à relever pour les personnels des pôles territoriaux sont multiples. Espérons que les écoles ordinaires leur ont ouvert largement les portes pour profiter de leur expertise en termes d'accompagnement des élèves à besoins spécifiques.

L'intégration est aussi une piste à suivre pour permettre aux élèves atteints de maladies chroniques, qui ont préalablement fréquenté l'enseignement spécialisé, de réintégrer leur école d'origine à temps plein ou partiel. Le conseil supérieur de l’enseignement aux élèves à besoins spécifiques, dans son avis 156 du 6 octobre 2021[33], mettait néanmoins en évidence que les cas d’élèves dépendant du type 5 qui se retrouvaient en intégration dans l’enseignement ordinaire étaient peu nombreux (mise en œuvre par sept écoles d’enseignement spécialisé de type 5). Tout comme le conseil, l’UFAPEC préconise de soutenir les élèves dans leur retour vers leur école d’origine ou une autre école. Cependant, le fait de devoir avoir fréquenté l’enseignement spécialisé de type 5 depuis un an à partir du 15 octobre avant de pouvoir bénéficier d’une intégration est un véritable frein. En effet les élèves qui fréquentent l’enseignement de type 5 ne choisissent pas le début ni la durée de leur hospitalisation. Pour l'UFAPEC, le simple fait d'avoir précédemment fréquenté l'enseignement spécialisé de type 5 devrait leur ouvrir le droit à l'intégration, sans pour autant préciser la durée de cette fréquentation.

Conclusion

Nous sommes en 2022. Les plateformes collaboratives se sont multipliées dans les écoles à cause de la pandémie, l'équipement informatique des élèves s'est considérablement développé[34], l'enseignement hybride a été testé et mis en place pendant quelques mois, le décret AR est en vigueur depuis septembre 2018 et, en dépit de tout cela, certains élèves malades de longue durée se retrouvent encore sur le carreau, à se démener tout seuls pour obtenir des notes de cours et bénéficier d'un suivi minimal de leur scolarité. Pour l'UFAPEC, il n'est pas admissible de faire peser le suivi de la scolarité des élèves malades uniquement sur les épaules de leurs pairs et de leurs parents. Dans le pire des cas, la qualité de ce suivi dépendra du degré de popularité de l'élève malade, de la disponibilité parentale et de leurs compétences en termes de suivi scolaire ou de leur capacité financière à assurer un enseignement payant parallèle...

La proportion des élèves malades de longue durée va clairement augmenter au vu des impacts de la pandémie sur la santé mentale des jeunes. Pour l'UFAPEC, le soutien de la scolarité des élèves malades de courte ou de de longue durée est primordial et est un des leviers de prévention du décrochage scolaire. L'année dernière encore, bon nombre d'élèves se sont, en effet, retrouvés absents pour de courtes périodes à cause du coronavirus ou de quarantaine ; ils ont dû se débrouiller pour se mettre en ordre et tout rattraper. Les élèves les plus en difficulté n'ont pas su raccrocher le train à grande vitesse engagé dans la course aux programmes à tout prix dans certaines écoles (et malgré la réinstauration des balises et essentiels en février 2022[35]). L'UFAPEC a tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises sur cette situation et continuera à le faire. Vu le nombre exponentiel d’élèves encore impactés au niveau de leur santé physique ou psychique par la pandémie, il est bien nécessaire, pour l’UFAPEC, de clarifier l’encadrement de ces élèves auprès des écoles ordinaires et ce de manière décrétale.

L'UFAPEC soutient également un assouplissement du processus d'intégration pour permettre aux élèves de retourner dans leur école d'origine après un passage dans l'enseignement spécialisé, mais sans préciser de durée de fréquentation. Il serait aussi urgent d'autoriser le retour à temps partiel des élèves, si leur état de santé l'exige. Nous avons vu dans les témoignages combien les parents doivent jongler avec les certificats médicaux. Cette pratique de retour progressif existe dans le monde du travail et s'appelle le mi-temps médical. Pourquoi ne pas l'instaurer de manière structurelle dans l'enseignement également ? Dans certains cas de maladies très invalidantes, la possibilité de parcours scolaire à temps partiel devrait aussi être envisagée en échelonnant les années scolaires.

L'UFAPEC préconise, par ailleurs, de mettre en place des référents santé dans chaque école. Ils joueraient le rôle de courroie de transmission entre les familles et les enseignants pour le suivi de la scolarité (notes de cours, contacts personnalisés, organisation des évaluations…).

 

Anne Floor 

 


[1] EHD offre à tout enfant malade un soutien scolaire continu durant le temps de sa maladie : elle lui donne ainsi la possibilité de ne pas décrocher sur le plan scolaire et de réintégrer son école d’origine dans les meilleures conditions. https://www.ehd.be/

[2] ClassContact est une ASBL active en Fédération Wallonie-Bruxelles. L’objectif est d’aider les enfants malades de longue durée dans leur parcours scolaire en les connectant à leur classe. https://www.classcontact.be/

[3] Pour plus de précisions sur cette soirée, voir l’analyse « Les élèves en souffrance psychique sont-ils aussi des élèves à besoins spécifiques ? UFAPEC 05.22 https://www.ufapec.be/nos-analyses/0522-eleve-soufrance-psy.html

[4] Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire, publié le 19/09/2019 et mis à jour le 12/04/2022, Livre 1, Ch. VIII. Des élèves à besoins spécifiques. LOI - WET (fgov.be)

[5] Haut Conseil de la Santé publique, La prise en charge et la protection sociale des personnes atteintes de maladie chronique, novembre 2009. https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=94

[6] Dossier coordonné par Serge Briançon, Geneviève Guérin et Brigitte Sandrin-Berthon, Maladies chroniques, Quelles définitions pour la maladie chronique ? Nelly Agrinier et Anne-christine Rat, adsp n° 72 septembre 2010, pp. 13-14.

[7] Organisation mondiale de la santé.OMS, Maladies non transmissibles, 2018, www.who.int.

[8] L’institut Sciensano, le KCE et l’INAMI ont publié un rapport « Vers une Belgique en bonne santé » qui recense les indicateurs de santé et de soins.Health Interview Survey, Sciensano, 1997-2018. https://www.sciensano.be/fr/projets/enquete-de-sante

[11] UNICEF, La situation des enfants dans le monde 2021, Dans ma tête. Promouvoir, protéger et prendre en charge la sante? mentale des enfants, 2021. https://www.unicef.be/fr/news/rapport-la-situation-des-enfants-dans-le-monde-2021#:~:text=Le%20rapport%20La%20situation%20des,d'enfants%20au%20XXIe%20si%C3%A8cle%2C

[12] Prénom d’emprunt.

[13] L’endométriose est une maladie gynécologique chronique, encore largement sous- estimée et qui touche environ 10 % des femmes en âge de procréer. https://toimonendo.com/l-endometriose/

[14] Chez les femmes atteintes d’endométriose, des cellules semblables à l’endomètre migrent et s’implantent soit en dehors de leur place habituelle qu’est l’utérus (le système reproducteur, l’appareil urinaire/digestif/pulmonaire…) et on parle alors d’endométriose, soit s’infiltrent dans le myomètre (qui est le muscle utérin) et on parle alors d’adénomyose, autrement dit, la cousine de l’endométriose. https://toimonendo.com/l-endometriose/

[15] Témoignage recueilli par téléphone le 28 février auprès de la maman de Marine

[16] Depuis 2006, Class Contact connecte des centaines d’enfants malades de longue durée pour leur permettre de garder l’accès à la scolarité. Quel que soit leur établissement en Fédération Wallonie-Bruxelles, de la 3e maternelle à la 6-7e secondaire, les jeunes patients peuvent ainsi continuer à suivre les cours en restant en lien avec leurs camarades et leurs professeurs. https://www.classcontact.be/

[17] Prénom d’emprunt.

[18] Symptômes en 2020-2021 :  fatigue extrême, maux de ventre, difficultés circulatoires, douleurs thoraciques, difficultés à se concentrer…

[19] Témoignage recueilli par téléphone le 1er mars auprès de la maman de Corentin.

[20] Circulaire 6853 du 05/10/2018 Objet : « Enseignement spécialisé de type 5 ». 2018-2019 et suivantes.

[21] Voir FAQ sur le sujet : Réforme du mécanisme de l’intégration depuis le 1er septembre 2021.

[22] Décret du 3 mars 2004 organisant l’enseignement spécialisé – article 8 § 5.

[23] Décret du 3 mars 2004 organisant l’enseignement spécialisé – article 12§ 1.

[25] Circulaire 6831 du 19 septembre 2018[25] dont l’objet est la mise en œuvre des aménagements raisonnables permettant l’accueil, l’accompagnement et le maintien dans l’enseignement ordinaire, fondamental et secondaire des élèves présentant des besoins spécifiques Source : http ://enseignement.be/index.php ?page=26823&do_id=7075

[27] CSES n°156, p. 24.

[28] CSES n° 156, p. 18.

[29] Le PIA dans l'enseignement spécialisé est un outil méthodologique élaboré pour chaque élève et ajusté durant toute sa scolarité par le conseil de classe, sur base des observations fournies par ses différents membres et des données communiquées par l’organisme de guidance des élèves. Il énumère des objectifs particuliers à atteindre durant une période déterminée. C’est à partir des données du P.I.A. que chaque membre de l’équipe pluridisciplinaire met en œuvre le travail d’éducation, de rééducation et de formation. L’élève et ses parents ou, à défaut, leur délégué, sont invités à l’élaboration du P.I.A. Décret du 3 mars 2004 organisant l’enseignement spécialisé.

[30] Circulaire 6853 du 05/10/2018 Objet : « Enseignement spécialisé de type 5 ». 2018-2019 et suivantes.

[31] Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire, publié le 19/09/2019 et mis à jour le 12/04/2022, Livre 1, Ch. VIII. Des élèves à besoins spécifiques. LOI - WET (fgov.be)

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