Analyse UFAPEC septembre 2019 par A. Floor

14.19/ Garderies enfants non admis

Introduction

A l’heure actuelle, les élèves ne se contentent plus de venir à l’école seulement durant le temps scolaire des apprentissages. Ils sont aussi présents avant le début et après la fin des cours, ainsi que sur le temps de midi. Chaque école a donc à se positionner pour garantir un accueil de qualité pour les enfants durant ces temps extrascolaires. Même si cette organisation n'est en rien obligatoire, nous imaginons difficilement qu'une école puisse faire fi de ces moments et laisser les familles se débrouiller.

Nous sommes souvent interpellés par des parents et des parents actifs dans une association de parents qui s'étonnent des choix des écoles en matière de garderies. En effet, il arrive que des conditions posées par les écoles pour la fréquentation de ces garderies entrainent une exclusion d'une certaine catégorie d'enfants pour des raisons financières ou parce que les parents ne travaillent pas alors que d'autres écoles arrivent à accueillir tous les enfants à un tarif modéré. Pourquoi de telles différences ?

Quelques écoles s’engagent sur un terrain glissant en triant les élèves qui peuvent bénéficier des services de garderie le matin avant le début des cours, sur le temps de midi et après la fin des cours. Pour des raisons de places, les directions exigent que les parents fournissent une preuve de leur employeur qui confirme leur incapacité à s’occuper de leurs enfants à ces moments-là. D’autres écoles instaurent une garderie payante le matin qui contraint les enfants (niveau primaire) dont les parents ne savent pas payer à attendre sur le trottoir le début des cours. La gratuité d’accès à l’enseignement est obligatoire, mais que fait-on des temps qui précèdent le début et suivent la fin des cours ? Et ce temps de midi qui n’est ni un temps scolaire ni un temps extrascolaire s’apparente à une sorte de no man’s land où tout est permis. Les écoles ne devraient-elles pas développer, en complément et en lien avec le projet d’établissement, un projet spécifique à l’accueil « extrascolaire » et au temps de midi ? Les parents ont-ils leur mot à dire sur cet accueil ?

Garderies : obligations et sources de financement

Rappelons que les écoles ne sont en aucun cas obligées d’organiser des activités avant et après le temps scolaire ni d’ailleurs sur le temps de midi. Cependant, l’évolution de notre société et les rythmes de vie professionnelle des parents contraignent les écoles à prendre en main ces temps « extrascolaires ». Quelle école courrait le risque de n‘accueillir les enfants que durant le temps scolaire ?

Dans les écoles fondamentales, il existe quatre catégories d’activités hors temps d’apprentissage mais se déroulant dans l'enceinte de l'école et s'adressant directement aux élèves : les garderies du matin et du soir, la surveillance durant le temps de midi, des études et les activités para(extra)scolaires. Nous n'allons pas dans cette analyse envisager les cas où l'école confie les accueils du matin, du soir, des mercredis après-midi et des congés scolaires à des organismes extérieurs reconnus dans le cadre du décret ATL[1]. Nous allons uniquement parler de ce qui est mis en place par les écoles elles-mêmes durant les accueils du matin et du soir et durant le temps de midi.

Le décret du 13 juillet 1998 prévoit dans sa section 2 que le Pouvoir organisateur puisse charger les enseignants d’assurer la surveillance des élèves 15 minutes avant le début de cours et 10 minutes après leur fin, sans que la durée totale de leurs prestations de cours et de surveillance ne puisse dépasser 1560 minutes par semaine.

Une source de financement est à trouver au sein du décret relatif aux avantages sociaux[2]. Ce décret vise à assurer un principe égalitaire dans l’octroi d’avantages sociaux par une commune, une province ou la Cocof[3] à tout enfant, peu importe son réseau d’enseignement. Les communes qui accordent des avantages sociaux au bénéfice des élèves fréquentant les écoles qu'elles organisent accordent dans des conditions similaires les mêmes avantages au bénéfice des élèves fréquentant des écoles de même catégorie situées dans la même commune et relevant de l'enseignement libre subventionné par la Communauté française pour autant que le pouvoir organisateur de ces écoles en fasse la demande écrite à la commune[4].

Ce principe n’est malheureusement pas mis en application dans toutes les communes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans l’article 2 § 3, il est stipulé que « l'organisation de l'accueil des élèves, quelle qu'en soit la forme, une heure avant le début et une heure après la fin des cours » fait partie des avantages sociaux à prendre en considération. Ce qui veut dire concrètement que le coût des temps d’accueil, s'il est pris en charge (en tout ou en partie) dans au moins une école de la commune par la commune elle-même doit l'être de manière identique dans toutes les écoles situées sur son territoire quel que soit le réseau, une heure avant les cours et une heure après les cours. Une fois ce délai passé, l’école peut demander une participation financière aux parents et le montant de celle-ci est laissé au libre choix de l’établissement suivant l’accueil proposé.

  • Surveillance durant le temps de midi

Le temps de midi est un temps à part qui est considéré comme facultatif, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un temps pendant lequel la présence des élèves n'est pas obligatoire. Il ne s’agit donc pas d’un temps scolaire ni extrascolaire dans le sens où il n’est pas inclus dans le champ d’application du décret ATL. C'est donc un service rendu aux parents. L'école est en droit de demander le paiement des frais réels pour autant que l'école n'oblige pas les élèves à rester sur le temps de midi. Mais les frais de surveillance, de garderie dans l’enseignement fondamental ne peuvent être imputés qu’aux élèves qui bénéficient de cet encadrement. Le règlement d’ordre intérieur de chaque établissement scolaire organise la récupération des enfants par leurs parents durant le temps de midi, selon des modalités propres à l’environnement de l’école.

Pour les élèves du secondaire, ce sont les éducateurs qui assurent la surveillance du temps de midi ; pas question dès lors de demander une intervention financière pour la surveillance proprement dite. Mais une participation financière peut être demandée pour couvrir notamment les frais de chauffage, d’éclairage, de nettoyage, d’entretien et de réparation des équipements ainsi que des frais d’amortissement pour le mobilier.

En application de l’arrêté de l’Exécutif de la Communauté française du 18 juillet 1991 relatif aux surveillances de midi dans l’enseignement maternel, primaire ordinaire et spécialisé[5], le montant de l’intervention de la Fédération Wallonie-Bruxelles s’élève à un taux horaire de 5,87 euros/heure/jour par unité de surveillance. Le calcul des unités de surveillance se fait comme suit : on additionne les élèves du primaire et du maternel (pondération de 1,5 pour les élèves du maternel), on divise par 100 et on obtient le nombre d’unités de surveillance subventionnées pour un midi durant lequel une surveillance est organisée.

Par ailleurs, le temps de midi fait bien partie des avantages sociaux. Dans l’article 2 § 3, il est stipulé que « la garderie du repas de midi dont la durée, pour entrer dans le champ d'application du présent article, est comprise entre une demi-heure et une heure » fait partie des avantages sociaux à prendre en considération. Ce qui veut dire concrètement que le coût de la garderie du repas de midi est pris en charge par la commune durant une demi-heure à une heure. Passé ce délai, l’école peut demander une participation financière aux parents et le montant de celle-ci est laissé au libre choix de l’établissement suivant l’accueil proposé. Lorsqu'une participation aux frais est demandée aux parents, elle ne peut dépasser le montant correspondant au coût réel de la surveillance, diminuée du montant correspondant à l’intervention de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du montant versé s’il y a avantage social par la commune, la province ou la Cocof.

Les dérives

Le 5 juillet 2016, la commune de Forest adoptait un règlement d’ordre intérieur très problématique pour les écoles de son réseau.

En cas de retard ou de non-paiement, des sanctions peuvent être prises (ex : suppression des repas chauds, de l’accueil en garderie…). Les retards de paiement seront signalés par la Direction au Pouvoir organisateur et des frais de gestion de dossier seront appliqués[6].

Deux associations de défense des droits fondamentaux (La Ligue des droits humains et le Service droit des Jeunes) ont sollicité auprès du Conseil d’Etat la suspension et l’annulation du texte. Le Conseil d’Etat a statué le 8 novembre 2016 et n’a pas suspendu ce règlement. Néanmoins, le conseil Communal a modifié certains points litigieux du ROI sur base des interpellations des deux associations[7]. Michaël Lontie, secrétaire général adjoint de l’UFAPEC, affirme dans une étude récente que l'accueil extrascolaire remplit véritablement une mission d'intérêt public au même titre que l'enseignement. L'accès à cet accueil est donc un droit fondamental qui ne peut souffrir de conditions : L’accueil extrascolaire relève, de ce fait, d’une véritable mission d’intérêt public, tout comme l’enseignement. Il en découle qu’un accueil extrascolaire de qualité est un droit inconditionnel puisqu’il remplit une fonction sociale, économique et éducative. Il contribue en effet à la lutte contre la pauvreté et il participe à l’élaboration d’une alliance éducative entre tous les acteurs concernés.[8]

Comme nous le voyons ci-dessus, certaines écoles font pression sur les parents en les menaçant de ne plus prendre leurs enfants en charge sur le temps de midi s'ils ne paient pas leurs factures ou s'ils le font en retard. Comme ce temps de midi ne fait pas partie du temps scolaire ni du temps extrascolaire au sens du décret ATL, rien n’oblige les écoles à s’occuper des enfants des mauvais payeurs. Ce vide juridique donne donc l'opportunité aux écoles de faire pression sur les parents. De nombreuses écoles pâtissent de ces retards de paiement. Est-ce cependant la bonne manière de faire pour récupérer les sommes dues ? Exclure des enfants, les stigmatiser, les humilier ? Où iront ces enfants mineurs sur le temps de midi, le matin ou le soir ?

Cette tendance se développe ailleurs qu’à Forest. Comme le préconisent les deux associations ainsi que la ministre de l’enseignement dans une circulaire, le dialogue école-familles est la première des solutions. Dans la circulaire n°5796 du 30 juin 2016 relative à l’organisation de l’enseignement maternel et primaire ordinaire, la Ministre préconise que si un établissement scolaire est confronté à des difficultés de recouvrement de frais dus par des parents d’élèves, il convient d’abord de prendre le temps et l’espace d’un dialogue avec les familles pour comprendre l’ensemble du problème et tenter de trouver des solutions avec ou sans l’intervention de tiers. Pour les deux associations de défense des droits, il est essentiel que les directions trouvent également des alternatives pour éviter la stigmatisation et la honte subies par les enfants si ces derniers devaient être soustraits à l’une ou l’autre activité en raison de l’état de fortune de leurs parents[9].

Dans son rapport annuel 2017-2018, le délégué général aux droits de l’enfant relève de nombreux cas d’enfants exclus ou stigmatisés parce que les parents n’ont pas payé les factures. Le plus gros problème réside en général dans tous les frais relatifs aux temps non scolaires (garderies, repas…) pour lesquels aucune limite n’est fixée. (…) Lors de chaque saisine, le Délégué général interpelle les autorités scolaires pour tenter de trouver une solution adaptée. Il rencontre soit la direction, soit les membres du Pouvoir organisateur. La priorité absolue est de tenir les enfants à l’écart de ces considérations financières, pour qu’elles ne puissent pas entraver sa relation à l’école, ni son bien-être global[10].

Certaines écoles posent des conditions à la fréquentation des garderies du matin, midi et soir. Les parents doivent prouver qu’ils ont une activité professionnelle qui les empêchent de s’occuper de leurs enfants lors de ces moments-là de la journée. Une présidente d’AP nous a interpellés, car la direction d’école demande aux parents de produire une attestation de leur employeur avec leur horaire de travail pour que leur enfant puisse avoir accès aux services de garderie du matin, midi et soir. La direction se voit contrainte d’adopter un tel règlement, car les espaces collectifs ne peuvent plus accueillir tous les enfants de l’école. Elle donne donc la priorité aux enfants qui en ont réellement besoin, dont les parents sont au travail. Cette mesure semble louable et respecter l’intérêt des enfants qui ont un besoin d’espace minimal. Cependant, cette condition de fréquentation va aussi entrainer une stigmatisation des élèves qui ne pourront plus venir à la garderie parce que les parents ont perdu leur travail, parce qu’un des parents a fait le choix de s’occuper de ses parents malades, parce que … Il existe mille et une raisons pour lesquelles un parent ne pourra pas produire cette attestation. Est-ce que les enfants concernés doivent pour autant en pâtir et ne plus pouvoir jouer avec leurs copains ? N’est-il pas possible d’envisager d’autres solutions moins stigmatisantes ?

En laissant ces temps non scolaires sans cadre précis, le risque est grand de voir des écoles élever les prix des garderies et des activités organisées afin de trier les élèves lors des inscriptions. Dans un contexte de concurrence entre les écoles, les services proposés aux parents via l'établissement scolaire constituent indéniablement des différences potentielles d'attractivité d'une école par rapport à une autre[11].

Une autre école instaure un service de garderie payant le matin avant le début des cours. Les élèves, parfois très jeunes, arrivent par les transports en commun trop tôt et devraient se rendre à la garderie payante. Or les parents ne savent pas la payer. Les enfants attendent sur le bord du trottoir en jouant et ceci en pleine ville. Une maman active dans l’association de parents a interpellé la direction sur le danger que courent ainsi les enfants tous les matins. La direction ne sait rémunérer qu’une seule personne pour cette garderie du matin et a peur d’accidents dans l’enceinte de l’école vu le trop grand nombre d’enfants. Mais, si l'accident a lieu devant l'école, celui-ci est assimilé à un accident se produisant sur le chemin de l’école et il sera couvert par l’assurance « accidents corporels » de l’école. Un accident survenant devant l’établissement scolaire en attente de l’ouverture des portes de l’école est donc aussi couvert et pris en charge par l’assurance de l’école. N’y aurait-il pas dès lors moyen de trouver d’autres solutions moins dangereuses et plus accueillantes pour les enfants ?

Conclusion

Tous ces moments qui ne font pas partie des apprentissages scolaires sont pris en charge vaille que vaille par les écoles qui font souvent de leur mieux. Pour l’UFAPEC, il est urgent de se pencher sur ces temps extrascolaires et de leur attribuer davantage de moyens en termes de personnel et d’équipements. L’accueil extra-scolaire décliné sous différentes formes a un rôle primordial et social à jouer. D‘un côté, il se positionne comme la continuité de l’école et de l’autre, il assure aussi un lien social avec les familles. Consolider ce lien, passe nécessairement par plus de moyens tant au niveau du personnel qu’au niveau des équipements. [12] Dans son mémorandum, l'UFAPEC revendique que le temps de midi soit assimilé à du temps scolaire et demande une approche éducative. Actuellement, les temps de midi ne sont pas considérés comme du temps scolaire et sont payants dans certaines écoles. Il importe que ce temps fasse bien partie de la journée scolaire. Abordé de manière éducative, ce temps a en effet toute sa place à l’école. On peut alors y aborder l’éducation à la nourriture saine, apprendre à manger calmement, etc. Cela nécessite par ailleurs des accompagnants formés.

Le conseil de participation de chaque école a aussi un rôle à jouer en matière de gratuité d’accès à l’enseignement en menant une réflexion globale sur les frais réclamés en cours d'année, en étudiant et proposant la mise en place d'un mécanisme de solidarité entre les élèves et en informant les parents ou l’élève majeur sur le cadre légal et réglementaire en matière de gratuité d’accès à l’enseignement et en veillant à leur bonne application au sein de l’établissement. Par ailleurs, le pouvoir organisateur ou le chef d’établissement doit fournir, aux membres du conseil de participation, une information claire et transparente concernant les moyens relatifs à la gratuité d’accès reçus ou collectés, directement ou indirectement, et l’utilisation de ceux-ci. Il est aussi important pour l’UFAPEC de construire le projet pédagogique de la structure accueillante avec le projet pédagogique de l’école afin d’assurer une continuité et une cohérence des différents acteurs autour d’un même objectif.

 

 

Anne Floor

 


[1] Pour ce cas précis, nous vous renvoyons à l’étude Michaël Lontie « L’accueil extrascolaire, un outil pour lutter contre les inégalités sociales ? ».

[2] https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/25875_001.pdf

[3] Commission communautaire française

[4] Article 3 du décret sur les avantages sociaux. https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/25875_001.pdf

[7] A. DOCKEYT-YEMALAYEN, C. TRIFAUX et A-S. Leloux, Le règlement d’ordre intérieur des écoles communales de Forest Du retard à l’exclusion scolaire, n’y aurait-il qu’un pas ? SDJ, Janvier 2017.

[11] M. Lontie, op.cit., p.24.

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