Analyse UFAPEC Octobre 2022 par S. Ryelandt

15.22/ L’école ouverte à des partenariats éducatifs ? Pour qui et pourquoi ?

Introduction

Le milieu scolaire a été durant longtemps une communauté d’apprentissage fermée sur elle-même, un sanctuaire à l’écart de la société… Progressivement, des intervenants n’appartenant pas au monde scolaire, experts de certaines questions éducatives, sont pourtant rentrés dans les écoles et dans les classes. Les partenariats[1] éducatifs entre l’école et des organisations non scolaires ont augmenté. Un des derniers numéros du magazine « Prof », le magazine des professionnels de l’enseignement en FWB {Fédération Wallonie-Bruxelles}, permet de se rendre compte de l’ampleur de ce phénomène : dans des domaines aussi divers que l’orientation, l’esprit d’entreprendre, la sensibilisation à l’environnement, la prévention du harcèlement et le bien-être scolaire, des organismes accompagnent des enseignants et leurs élèves à travers des ateliers, des animations, des conférences[2]

Dans un rapport de 2001 traitant des objectifs concrets de l’éducation, l’Union Européenne incitait les établissements scolaires à « resserrer les liens avec l’environnement local » et à développer des partenariats[3]. Avec les nouveaux plans de pilotage des établissements scolaires en FWB (2018), le recours à des collaborations avec des intervenants externes fait partie des stratégies que chaque école peut utiliser pour répondre à ses objectifs spécifiques : pour remplir ces missions, l’équipe éducative peut associer des intervenants externes. Lorsqu’elle existe, cette collaboration n’enlève pas à l’équipe éducative la responsabilité première dans la réalisation de ces missions[4]. Le PECA {Parcours d’éducation culturelle et artistique}, qui mobilise et organise la mise en réseau du secteur éducatif et culturel, va plus loin en institutionnalisant les partenariats : les projets qui rentrent dans ce dispositif sont financés partiellement ou entièrement par les pouvoirs publics et organisés par des opérateurs culturels dédiés[5].

Pourquoi le monde politique encourage-t-il les écoles à développer des partenariats avec des acteurs externes ? Les enseignants ne seraient-ils plus aptes à assurer seuls leur mission d’éducation ? Sont-ils demandeurs de ce rapprochement avec des acteurs externes ? Ces collaborations sont-elles toujours intéressantes et positives pour les élèves ? Ne sont-elles pas la source de nouvelles inégalités entre les élèves ?

Société en mutation et diversification des missions scolaires

Les évolutions économiques, technologiques et sociétales importantes que nous vivons ces dernières années ne peuvent pas être ignorées par l’école. Elles nécessitent l’intégration de nouveaux objets d’apprentissage dans le cursus scolaire. Quelques exemples :

  • Alors que nous savons que la plupart des métiers de demain n’existent pas encore et que la mobilité professionnelle devient inhérente à tout parcours, il est nécessaire d’éduquer les élèves à l’orientation et à l’esprit d’entreprendre[6]... Une carrière linéaire menée de bout en bout à partir d’un choix initial fondateur et définitif semble de plus en plus improbable, affirme le pédagogue Philippe Meirieu[7].
  • Avec la crise écologique et les inégalités sociétales croissantes que nous vivons, il est fondamental de prendre en compte, dans tous les domaines d’apprentissage, l’éducation aux ODD {objectifs de développement durable}.
  • La mixité culturelle et sociale croissante de notre société hyperindividualiste qui s’accompagne trop souvent d’attitudes de peur et d’intolérance nécessite une éducation à l’interculturalité[8] et à un vivre ensemble respectueux des différences de chacun.
  • Des phénomènes inquiétants telles que la désinformation, l’infobésité[9], le cyber harcèlement[10], etc., sont une menace grave pour la démocratie et pour la santé mentale. Éduquer tous les élèves aux médias est crucial aujourd’hui.

Les pouvoirs publics ont bien compris la nécessité d’adapter les contenus scolaires pour mieux faire coller l’école à la société d’aujourd’hui et pour préparer les jeunes aux défis qui les attendent. Les référentiels du nouveau tronc commun[11], qui définissent ce qui doit être acquis pour chaque année scolaire dans huit grands domaines d’enseignement, prennent en compte l’intégration de nouveaux objets d’apprentissage, tels que le recommandait l’Avis n°3 du pacte : le nouveau tronc commun doit envisager de nouveaux grands domaines d’apprentissage, dont certains sont peu présents dans la formation actuelle, comme l’initiation a? la litte?ratie numérique, aux arts ou a? la créativité, l’esprit d’entreprendre, etc.[12].

Même si cela reste fondamental, éduquer à la langue française, aux mathématiques ou aux langues modernes ne suffit donc plus. Les missions de l’école se diversifient. Mais les écoles sont-elles préparées à prendre en charge ces nouvelles missions ? Le développement d’une stratégie partenariale entre les écoles et des intervenants non scolaires peut-il être un élément de solution pour répondre à ce nouveau défi ?

Des partenariats éducatifs plus nombreux, une demande des enseignants ?

Dans un travail de recherche mené au sein du Girsef {Groupe interdisciplinaire de recherche sur la socialisation, l’éducation et la formation} de l’UCLouvain, la sociologue Lisa Devos s’est intéressée à la question du partenariat entre écoles et acteurs éducatifs externes. Elle explique que les écoles utilisent de plus en plus des partenariats éducatifs pour répondre aux évolutions de leur environnement et remplir leurs missions : (…) Généralement, l’environnement des écoles apparait aujourd’hui comme un espace pourvoyeur de ressources humaines, matérielles, cognitives et financières qui peuvent être mises au service des missions scolaires[13].

Si la croissance des partenariats éducatifs semble indéniable, le recours à ceux-ci est-il perçu comme une solution par les enseignants ? Sont-ils demandeurs de ces collaborations ? 

Sollicité en 2021 par une étudiante de l’UCLouvain[14] dans le cadre d’un projet de co-construction d’ateliers d’éducation à l’orientation, Arnaud Serniclaes, professeur d’études du milieu dans le premier degré du secondaire au Lycée Martin V de Louvain-la Neuve, décide de répondre positivement à cette demande : je ne me sens actuellement pas à l’aise ni outillé pour m’emparer de ce domaine d’apprentissage [l’orientation] de façon autonome. Je pense pourtant que cette thématique, assez complexe, devrait faire partie de mes compétences et de ma formation. J’ai le sentiment que l’orientation est une mission qui incombe à l’enseignement et qu’elle devrait pouvoir l’assumer seul en interne. Cela devrait aller de soi mais ce n’est pas le cas et ce n’est pas du tout la priorité[15]. L’initiative des partenariats n’émane donc pas spécialement des acteurs scolaires. Le partenariat est ici envisagé par l’enseignant comme une solution provisoire pour répondre à un sentiment de désarroi vécu face à de nouveaux objets éducatifs encore peu investis. Pour Vincent Dupriez, professeur en sciences de l’éducation à l’UCLouvain, il faut miser sur une formation initiale des enseignants ambitieuse qui permettrait de préparer suffisamment les futurs enseignants afin que leur autonomie puisse être respectée[16].

Au-delà d’une formation initiale suffisamment solide, des enseignants sont demandeurs de formations continues pour pouvoir être outillé par rapport à une série de thématiques transversales, toujours dans un objectif d’autonomie. Si pour certains nouveaux domaines d’apprentissage, comme le PECA, ils savent que des partenariats vont être financés par les pouvoirs publics, des enseignants s’inquiètent des ressources financières réellement disponibles : La FWB a-t-elle les moyens de permettre à des artistes de venir travailler dans toutes les écoles pour accompagner les enseignants ? J’en doute[17] se demande cette enseignante qui, face à cette incertitude, souhaite pouvoir se former au PECA.

Ces deux témoignages montrent que, si les enseignants ne sont pas fermés à des partenariats, ils semblent avant tout soucieux de pouvoir continuer à assumer leurs missions éducatives de façon autonome.

Des partenariats a priori intéressants pour les élèves et pour les enseignants ?

Un intervenant d’éducation à l’environnement explique qu’il arrive souvent que les activités proposées par une association soient « utilisées » par l’école de façon purement consumériste :  dans beaucoup de cas c’est de la consommation. Parfois c’est de la consommation positive, c’est chouette pour les élèves qu’ils aient ce truc-là. Dans d’autres cas c’est de la consommation totalement stérile. Il n’y a pas de suivi, pas d’entrée, pas de rapport. C’est juste de l’exotisme, de la distraction à bon compte. Pour qu’une intervention soit intéressante pour les élèves, un continuum pédagogique entre ce que va faire l’enseignant et ce que va apporter l’association est nécessaire, ajoute cet intervenant[18].

Quels bénéfices les enseignants retiennent-ils des collaborations avec des intervenants externes ? Des enseignants d’une école secondaire bruxelloise, qui ont participé avec leurs élèves de troisième année aux activités liées au projet d’orientation positive « Story-me »[19], expliquent combien la relation prof-élèves a été renforcée grâce à ce projet :  il change l’image qu’on peut avoir d’eux. On les voit avec un autre œil, mais eux aussi nous voient autrement (…) Nous avons créé du lien (…) J’ai un autre regard. J’ai même découvert la voix de certains qui habituellement ne parlent pas (…)[20].

Pour Arnaud Serniclaes, le regard différent avec lequel les intervenants externes arrivent dans les classes permet de bousculer un état d’esprit parfois figé et certains à priori que peuvent avoir les enseignants sur les élèves[21]. Ce regard différent de l’intervenant ne doit pas pour autant minimiser l’expertise qu’ont les enseignants de leur groupe classe. Une des forces principales qui permet aux enseignants d’avancer avec leurs élèves est la connaissance qu’ils ont des forces et des faiblesses de ceux-ci, explique Valérie Vigant, enseignante en français et histoire au degré inférieur du secondaire général au collège Saint-Barthélémy de Liège[22]. Les intervenants externes n’ont pas cette connaissance et cela peut être problématique au niveau de l’interaction avec les élèves si aucun travail de préparation n’est effectué en amont des rencontres. Si elle perçoit le partenariat comme une occasion pour les élèves de rencontrer des personnes expertes dans leur domaine, avec un regard différent sur des problématiques, Valérie Vigant pointe ces heures de préparation indispensables que demande un partenariat pour qu’il puisse être réellement intéressant pour les élèves. Le travail en partenariat est formidable si l’enseignant peut lui consacrer du temps. C’est un peu comme avec les stagiaires : avant de les accueillir, il y a deux aspects sur lesquels on travaille, la matière et le groupe classe[23].

Parallèlement à ce travail à effectuer avec l’intervenant externe, il est important que l’enseignant puisse préparer ses élèves. Dans l’enseignement spécialisé, avec des enfants souffrant par exemples de troubles du spectre autistique, veiller à ce que les parents soient informés du projet et de la venue de l’intervenant est essentiel afin qu’ils puissent préparer leur enfant à cette rencontre.

Les heures à consacrer à la construction et à la bonne gestion d’un partenariat semblent difficiles à trouver pour de nombreux enseignants, dont certains craignent de « perdre des heures de cours » et de se laisser rattraper par le programme, témoigne Valérie Vigant[24]. Une tension peut se développer entre le contenu du projet de partenariat et les finalités du programme de l’enseignant : les ateliers ont eu pour conséquence que j’ai dû un peu courir après mon programme, explique Arnaud Serniclaes. Si la thématique de l’orientation fait partie des objectifs spécifiques que s’est fixé mon école, elle ne rentre pas dans mon programme de cours, l’étude du milieu. Elle rencontre heureusement certaines compétences du programme d’EPC {éducation à la philosophie et à la citoyenneté}[25], du coup j’ai pu « cocher » certaines cases de ce programme[26] ! Cet exemple d’une tension vécue entre une activité de partenariat, en l’occurrence des ateliers d’éducation à l’orientation, et les finalités d’un programme devrait pouvoir progressivement s’estomper avec la mise en œuvre du tronc commun et les contenus d’apprentissage redéfinis par les nouveaux référentiels[27].

Au-delà des heures que les enseignants doivent pouvoir consacrer à la réalisation de projets de partenariat, il y a un travail administratif à assumer qui peut être énergivore pour des équipes éducatives déjà surchargées ! Dans le cas de partenariats institutionnalisés et subventionnés, des documents doivent être complétés, rédigés : conventions de partenariat, rapports d’activités… Le choix d’un partenaire peut également prendre du temps et s’avérer complexe. Dans le cadre de son engagement dans la cellule de travail, créée par plusieurs professeurs volontaires de son école, consacrée au harcèlement scolaire et à l’utilisation des réseaux sociaux, Arnaud Serniclaes témoigne des difficultés que l’équipe a rencontrées pour parvenir à choisir et trouver un spécialiste qui puisse travailler avec l’école : tous les spécialistes dans ce domaine-là sont overbookés, les échéances sont énormes… Ou alors il y a une pléthore d’acteurs et on ne sait pas lesquels choisir, chacun ayant sa spécificité, son approche de la thématique [28]Concernant ces approches différentes de thématiques qu’ont des organisations non scolaires, il est en effet important de veiller à ce que l’organisation choisie respecte le projet d’établissement de l’école. À l’UFAPEC, par exemple, nous avons été interpellés par des parents s’interrogeant sur des animations EVRAS[29] données dans l’école de leur enfant par une association faisant de l’endoctrinement anti-avortement ; nous avons dénoncé ce point de vue fermé et culpabilisant envers les élèves.

Les finalités poursuivies par des organisations externes peuvent donc rentrer en conflit avec celles visées par l’école. Parfois on choisit mal le partenaire et cela se passe mal, explique Valérie Vigant. Dans le cadre d’activités menées durant la semaine du développement durable pour lesquelles son école avait invité des personnes extérieures, un intervenant avait posé problème : je me souviens avoir été choquée par le vocabulaire trop familier employé par cette personne, par sa façon d’haranguer[30] les élèves, par son comportement inadapté au contexte scolaire[31]. Cette expérience d’un intervenant allant jusqu’à houspiller des élèves met en lumière ces différences d’objectifs éducatifs qui peuvent exister entre l’école et une organisation externe. La sociologue Lisa Devos explique que les acteurs non scolaires ont généralement des objectifs éducatifs porteurs d’une visée de transformation sociétale, assumant parfois même une fonction d’interpellation politique (…), alors que l’école fonde son travail éducatif sur les principes de rationalité, d’universalité et d’égalité, dans la perspective de transmettre à tous une culture partagée et les connaissances nécessaires pour s’intégrer à l’état-nation[32].

Dans ce sens, l’UFAPEC rappelle que les parents sont les premiers éducateurs de leur enfant, mais aussi partenaires de l’école. À ce titre, il est important d’informer les familles de ces animations et de leur objectif pour que le débat puisse se faire aussi à la maison.

Ce type d’expérience de partenariat, avec un intervenant qui harangue des élèves, n’est-il néanmoins pas intéressant pour ces derniers ? N’est-ce pas là l’occasion d’amener une dimension réflexive et critique intéressante par rapport à l’expérience vécue, que ce soit sur le fond ou sur la forme ? Avec le Pacte pour un enseignement d’excellence, développer une pensée critique et complexe, devient en effet une des visées d’apprentissage fondamentale et transversale à toutes les disciplines scolaires tout au long du nouveau tronc commun[33].

Des partenariats qui bousculent la « forme scolaire » 

Aux yeux de nombreux acteurs éducatifs, le système scolaire francophone ne remplit pas ses missions, entre autres à cause de l’utilisation de méthodes éducatives inadaptées aux besoins des jeunes et aux évolutions du monde : un enseignement de type magistral, où des savoirs abstraits sont transmis du « maître-instruit » à ses élèves, continuant à être privilégié[34].  Se distinguant de cette « forme scolaire »[35], les intervenants externes présentent en général des dispositifs pédagogiques innovants, inspirés des pédagogies actives, dans lesquels les interactions entre l’adulte et les jeunes sont davantage « égalitaires », l’adulte co-construisant avec les jeunes des savoirs à travers des activités interactives et participatives. Ces interactions et ce rapport au savoir différents peuvent être nécessaires par rapport à certains objets éducatifs. Une intervenante d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté, témoignant de son expérience dans des écoles, explique qu’éduquer à la philosophie demande de la part de l’adulte d’adopter un autre rapport au savoir et à l’autorité : « la philo pour enfants renverse vraiment le rapport au savoir. On n’est pas dans un rapport avec l’adulte qui va venir donner un savoir et l’enfant qui doit ingurgiter tout ça (…). On est dans un rapport de co-construction de savoirs où l’animateur est là pour mettre un cadre (…). Il va donner des outils pour penser, bien penser. (…) »[36].

Ce rapport différent au savoir et cette façon distincte d’interagir avec les jeunes ne sont-ils pas intéressants et inspirants pour les enseignants, quel que soit l’objet d’apprentissage à « enseigner » ? Des intervenants externes, c’est une opportunité, du vent frais, des idées fraîches !  En tant qu’enseignant, si on a toujours le nez dans le guidon, qu’on voit toujours les mêmes personnes, on finit par avoir des habitudes et c’est difficile d’en sortir. Des animations avec un extérieur peuvent être un très bon moyen de faire découvrir à des enseignants d’autres pratiques pédagogiques. Mais laisser rentrer le dehors de l’école dans l’école, ce n’est pas tellement dans la culture, témoigne Arnaud Serniclaes[37]! Si elle est ouverte à d’autres dispositifs pédagogiques, Valérie Vigant pense quant à elle que les nouvelles pédagogies ne sont pas toujours efficaces et qu’il n’y a pas une bonne pédagogie qu’il conviendrait de suivre pour tous les cours et avec tous les élèves. Elle s’inquiète de cette demande pressante de la société de voir les professeurs enseigner différemment : On nous dit que tout doit venir des élèves, qu’il faut partir de leurs savoirs (…). J’ai l’impression qu’on nous demande de devenir de moins en moins enseignant et de plus en plus organisateur, animateur de ceci et de cela (…). J’ai l’impression que dans l’enseignement on veut de plus en plus nous formater et que tous les professeurs fassent la même chose de la même façon. J’ai un peu peur de cela[38].

Dans son mémorandum, l’UFAPEC encourage la multiplication des méthodes et des pratiques pédagogiques, sans pour autant abandonner les méthodes pédagogiques « classiques ». En effet, chaque élève apprend différemment et les apprentissages peuvent être abordés de manière très différente en fonction des objectifs, des contextes, des moyens à disposition[39]. Si des partenariats peuvent être une excellente occasion d’interroger la forme scolaire et de bousculer des habitudes pédagogiques, il ne s’agit certainement pas de minimiser l’expertise des enseignants à ce sujet !

Le recours à des partenariats crée-t-il des inégalités entre les élèves ?

Dans les écoles, le recours à des partenariats est souvent le fait d’initiatives personnelles, d’un seul, voire de deux enseignants travaillant sur un même projet. Si les enseignants doivent respecter leur programme et les projets pédagogique et éducatif de leur école, ils sont autonomes par rapport aux pratiques et aux stratégies éducatives qu’ils utilisent. Un professeur peut ainsi décider de faire appel à un intervenant externe pour tel projet éducatif sans devoir obligatoirement se concerter avec ses collègues afin que toutes les classes du même niveau et de la même discipline puissent bénéficier de ce partenariat. Pour Valérie Vigant, cette situation est délicate, car elle crée des inégalités pour les élèves. Pour cette raison, elle préfère que la décision d’accueillir un intervenant externe soit prise par la direction et que ce soit un projet collectif, qui concerne tout le monde[40].

Au-delà des inégalités au sein d’un même établissement scolaire, le sociologue François Baluteau, se basant sur une enquête réalisée dans les années 2010 dans des collèges et lycées français, explique que les partenariats scolaires constituent des facteurs de différenciation qui tendent à renforcer les disparités entre les établissements, car le type de partenariat choisi dépend en bonne partie de la composition sociale de l’école. Par exemple, des établissements scolaires favorisés socialement rechercheront plutôt « des partenariats à haute valeur symbolique » (musées, théâtres, médias reconnus…) qui « nourrissent » leur identité, alors que des écoles fréquentées par des milieux plus populaires privilégieront des partenaires qui puissent les aider à solutionner des problématiques d’échec scolaire, de décrochage, de santé, d’incivilité ou d’orientation scolaire[41]… Cette situation est sans doute valable pour notre système éducatif. Dans quelle mesure nos écoles en FWB nourrissent-elles également leur identité grâce au partenariat ? Cela reste difficile à évaluer sans une étude plus poussée. Le nouveau tronc commun et ses référentiels devraient permettre de garantir un certain équilibre dans les types de partenariat que choisiront les écoles.

Conclusion

Face à la diversification des missions scolaires, les écoles mobilisent de plus en plus des partenaires externes pour remplir leurs missions éducatives. Ce recours à des partenariats par les écoles est encouragé, voire organisé et financé (dispositif PECA), par les pouvoirs publics.

Désemparés face à certains nouveaux objets d’apprentissage (éducation à l’orientation, éducation à la créativité et à l’esprit d’entreprendre, etc.), les enseignants semblent assez favorables au partenariat pourvu que cette « solution » soit provisoire. Ils souhaitent avant tout pouvoir se former afin d’être en mesure de continuer à assumer de façon autonome leurs missions éducatives. Pour que les enseignants puissent se sentir outillés par rapport à ces nouveaux objets d’apprentissage, les formations initiales et continuées auront un rôle majeur à jouer. Le métier d’enseignant va devoir évoluer et se mettre en phase avec les enjeux actuels de l’école.

Le recours à des partenariats est-il a priori intéressant pour les élèves ? La réponse est nuancée. Si le regard différent qu’ont des intervenants externes sur des thématiques est toujours intéressant pour les élèves, certains partenariats peuvent se révéler stériles si l’école, plutôt que d’assurer un continuum pédagogique entre les contenus scolaires et ce qu’apporte l’intervenant externe, se place dans une posture purement consumériste.

Les partenariats semblent jouer un rôle positif dans la relation enseignants-élèves. Ils permettent de changer le regard parfois figé que porte l’enseignant sur ses élèves et celui que les élèves portent sur l’enseignant et d’ainsi créer du lien.

Avec un rapport au savoir et une façon d’interagir avec les jeunes qui diffèrent de la forme scolaire classique, les interventions d’acteurs externes sont intéressantes, car elles permettent de bousculer des habitudes de travail parfois conservatrices chez certains enseignants.

Pour gérer convenablement des expériences de partenariat, les enseignants doivent par ailleurs pouvoir dégager du temps sur leur planning, ce qui semble très compliqué. L’une des raisons qui explique cette difficulté est la tension qui peut exister entre le projet de partenariat et les finalités du programme de l’enseignant. Comment l’enseignant peut-il justifier un projet externe qui ne remplit pas immédiatement les obligations du programme ? Les référentiels du nouveau tronc commun, qui intègrent de nombreux nouveaux objets d’apprentissage, devraient progressivement permettre de diminuer cette tension.

Les partenariats éducatifs entre l’école et des organisations non scolaires pourraient être une nouvelle source d’inégalités entre les élèves, que ce soit au sein d’un même établissement scolaire ou entre écoles. Les initiatives personnelles d’enseignants qui recourent à des partenariats mènent à des situations où certains élèves ont l’opportunité de rencontrer un acteur éducatif non scolaire, alors que d’autres ne l’ont pas. Cette situation discriminante pour les élèves ne devrait-elle pas amener les écoles à veiller à ce que ce type de projets puisse concerner un maximum d’élèves au sein d’une même école, sans pour autant brider l’esprit d’initiative de certains enseignants ? Travailler en lien avec la direction ne permettrait-il pas de favoriser cette dimension plus collective des projets de partenariat ? Ce serait également une manière, nous semble-t-il, de veiller à ce que les animations et les opérateurs non scolaires choisis soient en phase avec le projet d’établissement.

 

Sybille Ryelandt

 


[1] Dans cette analyse, nous utilisons le terme « partenariat » dans le sens de la définition proposée par la sociologue Lisa Devos : il s’agit de toutes les collaborations poursuivant des buts éducatifs pour les élèves durant le temps scolaire, quel que soit le degré de complémentarité, de symétrie ou de co-construction dans la réalisation du partenariat. Cf. DEVOS L., Le partenariat entre écoles et acteurs éducatifs externes. Différenciation et adaptation dans un contexte d’expansion éducative et organisationnelle, dans Les Cahiers de recherche du Girsef - UCLouvain, n°122 - novembre 2020, p. 2 – https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-girsef/122.pdf - lien vérifié le 30 août 2022.

[2] Collectif, Prof, le magazine des professionnels de l’enseignement, Numéro 54 - juin-juillet-août 2022 - http://www.enseignement.be/index.php?page=27203&navi=2884

[3] DEVOS L., François Baluteau – L’école à l’épreuve du partenariat, dans Émulations – Revue de sciences sociales / Presses universitaires de Louvain, 25 septembre 2020 - https://ojs.uclouvain.be/index.php/emulations/article/view/devos/54683 - lien vérifié le 30 août 2022.

[4] Cf. Code de l’enseignement, Livre 1er, Article 1.4.1-2. - https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/47165_000.pdf - lien vérifié le 30 août 2022.

Pour aller plus loin dans la compréhension des plans de pilotage : LONTIE, M., Nouvelle gouvernance du système éducatif : quels sont les enjeux du pilotage des écoles implémenté par le pacte ? analyse UFAPEC 2019 36.19 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/3619-gouvernance-pilotage.html - lien vérifié le 30 août 2022.

[5] Depuis septembre 2020, le PECA, actuellement dans une période transitoire, se met en place à travers tous les niveaux de l’enseignement obligatoire. Pour trouver des informations actualisées sur le PECA : http://www.culture-enseignement.cfwb.be/index.php?id=21031 - lien vérifié le 30 août 2022.

[6] Pour aller plus loin : RYELANDT S., Stimuler l’esprit d’entreprendre à l’école, une manière d’aider les jeunes à s’inventer et à construire le monde de demain ?, analyse UFAPEC 2022 06.22 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/0622-entreprendre-ecole.html - lien vérifié le 30 août 2022.

[7] MEIRIEU P., Être orienté ou s’orienter : l’orientation professionnelle, un enjeu éducatif et démocratique, dans Chronique du Café pédagogique, 7 novembre 2014 -https://www.meirieu.com/ACTUALITE/CAFE_PEDA_CHRO_5.pdf  - lien vérifié le 30 août 2022.
Pour aller plus loin, BAIE F., CEFA : Comment former à des métiers qui n’existent pas encore ?, analyse UFAPEC 2019 18.19. : https://www.ufapec.be/nos-analyses/1819-metiers-qui-existent-pas.html

[8] L’interculturalité, cette notion encore floue, provient pour l’essentiel des expériences pédagogiques menées en France depuis les années 1980 pour faciliter la socialisation et la scolarisation des enfants des communautés immigrées. Ces expériences visent à établir une reconnaissance, puis un dialogue et un enrichissement réciproque des cultures ; cf. https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/interculturalité/178843 - lien vérifié le 30 août 2022.

[9] Le terme infobésité, inventé en 1996 par l’écrivain américain David Shenk, signifie que la surcharge informationnelle dont nous sommes victimes pourrait avoir sur nous des effets aussi nocifs que la maladie de l’obésité en venant perturber nos processus cognitifs. Pour aller plus loin : https://www.culture-rp.com/strategie-dinfluence/infobesite-quand-linformation-devient-toxique/ - lien vérifié le 30 août 2022.

[10] Pour aller plus loin : Collectif, Comment prévenir le cyber harcèlement par l’éducation aux médias ? dans Repères, Conseil Supérieur de l’Éducation aux Médias, 2018 - https://www.ufapec.be/files/files/outils_brochures/publication-ressources/2018-CSEM-Reperes-Cyberharcelement.pdf - lien vérifié le 30 août 2022.

[11] Les référentiels du nouveau tronc commun ne sont pas les programmes scolaires, mais ils inspirent le contenu des programmes. Ces référentiels succèdent aux socles de compétences en vigueur depuis 1997. Seuls les référentiels de la 3e maternelle et des 1e et 2e primaires sont d’application cette année 2022-2023.

[12] Cf. l’Avis n°3 du groupe central du pacte pour un enseignement d’excellence, 7 mars 2017, p. 12 - http://enseignement.be/download.php?do_id=15735 - lien vérifié le 30 août 2022.

[13] Devos L., Le partenariat entre écoles et acteurs éducatifs externes. Différentiation et adaptation dans un contexte d’expansion éducative et organisationnelle, Les Cahiers de recherche du Girsef – UCLouvain, n°122, novembre 2020, p. 6 - https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-girsef/122.pdf - lien vérifié le 30 août 2022.

[14] Étudiante finalisant le certificat en orientation scolaire et professionnelle de l’UCLouvain.

[15] Interview d’Arnaud Serniclaes réalisée par Sybille Ryelandt le 23 juin 2022.

[17] Cf. page Facebook du PECA, post effectué en 2021 sur https://www.facebook.com/people/PECA/100067748315217/ - lien vérifié le 30 août 2022.

[18] DEVOS L., op.cit., p. 22.

[19] Pour en savoir plus sur le projet « Story-me » : https://www.story-me.be - lien vérifié le 30 août 2022.

[20] Collectif, op.cit., p. 7.

[21] Interview d’Arnaud Serniclaes réalisée par Sybille Ryelandt le 23 juin 2022.

[22] Interview de Valérie Vigant réalisée par Sybille Ryelandt le 12 août 2022.

[23] Idem

[24] Idem

[25] Dans le réseau d’enseignement libre confessionnel, le programme d’EPC doit être vu de façon transversale dans différentes disciplines, dont le cours d’EDM.

[26] Interview d’Arnaud Serniclaes réalisée par Sybille Ryelandt le 23 juin 2022

[27] Les nouveaux référentiels s’intègrent dans un cadre incluant cinq domaines d’apprentissages spécifiques et trois domaines d’apprentissages transversaux. L’éducation à l’orientation est un des trois domaines transversaux, qui doit pouvoir se décliner dans toutes les disciplines.

[28] Interview d’Arnaud Serniclaes réalisée par Sybille Ryelandt le 23 juin 2022.

[29] L’EVRAS est l’acronyme pour éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. L’EVRAS est organisé dans les écoles sur base volontaire. Pour aller plus loin : LONTIE M., L’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) : quels enjeux et perspectives ?, étude UFAPEC 2017 13.17 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/1317-evras-et1.html - lien vérifié le 6 octobre 2022.

[30] Dans son sens péjoratif, haranguer signifie : s’adresser à des personnes assemblées d’une manière insistante, voire sermonner des personnes.

[31] Interview de Valérie Vigant réalisée par Sybille Ryelandt le 12 août 2022.

[32] DEVOS L., op.cit., pp. 15-16.

[33] Cf. Présentation générale des référentiels du tronc commun dans le référentiel des compétences initiales du Pacte pour un enseignement d’excellence de la Fédération Wallonie-Bruxelles, p. 8 : http://www.ifc.cfwb.be/documents/multi/tc/REF%20CI%20version%201LG.PDF - lien vérifié le 30 août 2022.

[34] DEVOS L., op.cit., p. 10.

[35] Le concept de « forme scolaire » a été créé par le sociologue Guy Vincent en 1994. La « forme scolaire » est ce qui structure la relation pédagogique (entre un professeur, ses élèves et des savoirs) au sein de l’école en la différenciant des modes « informels » qu’elle peut prendre par exemples dans la famille ou par l’expérience cf. https://www.cairn.info/dictionnaire-des-concepts-fondamentaux-des-didacti--9782804169107-page-107.htm - lien vérifié le 30 août 2022.

[36] Idem, p. 17.

[37] Interview d’Arnaud Serniclaes réalisée par Sybille Ryelandt le 23 juin 2022.

[38] Interview de Valérie Vigant réalisée par Sybille Ryelandt le 12 août 2022.

[39] Mémorandum UFAPEC 2019, p. 44 - https://www.ufapec.be/files/files/Politique/memorandum/MEMORANDUM-2019.pdf - lien vérifié le 30 août 2022.

[40] Interview de Valérie Vigant réalisée par Sybille Ryelandt le 12 août 2022.

[41] DEVOS L., L’école à l’épreuve du partenariat, op.cit., p. 4.

Vous désirez recevoir nos lettres d'information ?

Inscrivez-vous !
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de Cookies pour vous proposer des publicités adaptées à vos centres d'intérêts, pour réaliser des statistiques de navigation, et pour faciliter le partage d'information sur les réseaux sociaux. Pour en savoir plus et paramétrer les cookies,
OK