Analyse UFAPEC septembre 2024 par F. Baie

15.24/ Quand les enfants accompagnent les parents à l’école pour les aider à communiquer

Introduction

Certains parents ont des difficultés à communiquer avec l’école parce qu’ils ne maitrisent pas la langue française, parce qu’ils ne comprennent pas certains codes scolaires ou pour d’autres raisons que nous avons déjà abordées dans de précédentes études et analyses[1]. Dans le cas d’une difficulté à s’exprimer en français, ce sont parfois les enfants qui accompagnent les parents pour faciliter la communication avec l’école. Lors d’une étude réalisée par l’UFAPEC[2], nous avons fait le constat interpellant que près de la moitié des jeunes issus d’écoles secondaires à encadrement différencié que nous avons interrogés[3] ont déjà accompagné leurs parents à l’école pour les aider à communiquer.  

À l’UFAPEC, durant nos animations dans les écoles avec les parents, nous avons également l’occasion de rencontrer des adolescents qui accompagnement leurs parents[4] afin de traduire ou d’expliquer certaines informations. La réalité du terrain nous montre que certains élèves assument des tâches normalement assignées aux parents dans leur relation avec l’école et avec les différents acteurs de la sphère scolaire.

Selon les élèves que nous avons interrogés, pour pallier les difficultés de communication de leurs parents avec l’école lors de la remise du bulletin ou de réunions parents-professeurs, plusieurs cas de figure peuvent se présenter :

  1.  soit l’élève est mineur et il vient à l’école pour parler de sa scolarité en présence de ses parents ;
  2. soit l’élève est majeur et il vient à l’école pour parler de sa scolarité avec ou sans la présence de ses parents ;
  3. soit l’élève est majeur et il va à l’école pour parler de la scolarité de sa petite sœur ou de son petit frère avec ou sans la présence de ses parents.

Dans cette analyse, nous verrons s’il y a des procédures légales à respecter quand les enseignants sont confrontés à des parents qui ne maîtrisent pas le français. Nous examinerons également les enjeux de l’accompagnement des parents par leurs enfants, mais aussi quels peuvent être les problèmes engendrés par cette démarche. En effet, entre le droit de l’enfant à aider ses parents et le droit de l’enfant à rester dans son rôle d’enfant, n’y a-t-il pas parfois un dilemme ? L’élève, dans ce rôle de messager[5], n’est-il pas parfois dans un conflit de loyauté ou n’a-t-il pas tendance à déformer l’information quand cela le concerne, lui ou sa fratrie ? Et qu’en est-il de la situation des parents ? Sans l’accompagnement de leurs enfants, leurs droits sont-ils menacés ? L’élève est-il la seule personne pour aider les parents à prendre leur place à l’école et développer leurs droits d’expression et de participation ?

Y a-t-il des procédures légales à respecter quand les parents ne maîtrisent pas le français ?

Selon Geoffrey Van Puymbrouck, conseiller juridique au SeGEC, il n’existe rien de prévu au niveau légal quand les enseignants ont des difficultés de communication avec les parents qui ne maîtrisent pas la langue française ou les codes scolaires.[6] Chaque école fait donc avec les moyens du bord. Les directions et les enseignants gèrent cela en personnes prudentes et diligentes avec toute leur ingénierie, explique Geoffrey Van Puymbrouck. Ils font parfois appel à des interprètes, des enseignants ou éducateurs multilingues, d’autres parents, mais aussi aux élèves. Selon lui, il faut laisser cette liberté aux écoles. Les directions et les enseignants ne comptent donc pas absolument sur les enfants pour faire le lien avec les parents, mais saisissent parfois cette opportunité.

L’élève « messager » : conflit de loyauté et désinformation ?

L’élève qui accompagne ses parents est un « messager », car il fait le lien entre ses parents et l’école. Le sociologue Philippe Perrenoud parle de cet « élève messager » comme d’un « go-between »[7] c’est-à-dire d’un acteur bien conscient d’être l’enjeu d’échanges entre professeurs et parents. Parents et enseignants ne se rendent pas toujours compte que ceux dont ils parlent sont aussi ceux à travers lesquels ils se parlent. Ils mesurent moins encore que, bien loin d’être un messager docile, le go-between est l’arbitre des relations entre ses parents et ses maîtres[8]

Il met en évidence le fait que lorsque l’enfant sait ou pressent qu’il est question de lui, il sera tenté d’agir au mieux de ses intérêts et de contrôler la communication à son avantage. Sur des sujets brûlants, la déformation devient probable : (…) « Tu diras à ton prof de math qu’il vous donne des exercices sans intérêt », « Dis à ta mère qu’elle ne doit pas te faire apprendre par cœur le test de la semaine, c’est du travail de singe »… L’enfant se doute que de tels messages seront mal reçus s’il les transmet à la lettre. Il préférera les atténuer, taire ou euphémiser[9] les critiques[10].

Lorsque l’enfant est en présence de ses parents et en face du professeur, par exemple, lors d’une remise d’un bulletin, il peut se trouver dans un conflit de loyauté. Il aura parfois envie de ne pas traduire ce que l’enseignant va dire si c’est pour se mettre lui-même ou sa fratrie en danger et, dans ce cas, il pourrait se sentir coupable de ne pas tout traduire à la lettre. De même, l’élève peut parfois ne pas vouloir traduire ce que ses parents expriment si cela le concerne négativement. Son impartialité peut, dès lors, être remise en cause.

Toutefois, selon les élèves que nous avons interrogés, l’élève qui accompagne ses parents est très souvent investi dans sa scolarité et celle de ses frères et sœurs. Il désire donc aider ses parents à comprendre les messages et la complexité des codes scolaires. Geoffrey Van Puymbrouck va également dans ce sens en affirmant que le fait qu’un enfant accompagne son parent à la réunion de parent est tout à fait positif.

Il n’empêche que l’on peut également concevoir combien cet accompagnement peut représenter, dans certains cas, une responsabilité importante pour l’élève et le mettre en porte-à-faux.

L’élève : la seule chance pour ses parents de prendre leur place à l’école ?

C’est un fait, certains enfants aident leurs parents à prendre leur place à l’école, à défendre leurs droits (pouvoir communiquer, pouvoir comprendre, pouvoir se faire comprendre, pouvoir participer) et deviennent en quelque sorte les interlocuteurs privilégiés de l’école.

Mais l’enfant est-il, pour le parent, la seule occasion de pouvoir comprendre ce que l’école demande ou de communiquer avec elle ? Est-ce uniquement sur les épaules de l’enfant que repose l’enjeu de cette communication ? Sans leur enfant, les parents risqueraient-ils de perdre leurs droits d’expression et de participation ? N’y a-t-il pas d’autres alternatives que de demander aux enfants de jouer ce rôle de traducteur ?

Dans nos analyses précédentes[11], nous avons vu qu’il y avait d’autres possibilités. En effet, certaines associations de parents font appel à des interprètes, des personnes-relais ou emploient des applications pour pouvoir faciliter la communication. La technologie peut être une aide pour permettre aux parents et aux enseignants parlant des langues différentes de se comprendre.

Ainsi de nombreuses solutions existent pour éviter celle de « l’élève messager ». Cloé Bauret[12], présidente de l’AP du collège Saint-Louis à Liège, témoigne d’ailleurs du fait que son AP a réalisé un répertoire de parents traducteurs. En envoyant un formulaire, en début d’année, à l’ensemble des parents, l’AP a pu aider à une meilleure communication entre les parents, mais également entre les parents et l’école.

Pour éviter de faire porter un poids trop lourd à l’enfant quant à sa responsabilité de traducteur, de messager ou de le mettre dans une situation inconfortable, ne devrait-on pas nommer dans les écoles des personnes qui jouent le rôle de relais de manière officielle et systématique ?

Ne faut-il pas distinguer également les situations en fonction de l’âge de l’enfant ? Donner ce rôle d’interprète à un jeune enfant est certainement moins indiqué que s’il s’agit d’un adolescent ou d’un jeune adulte. Faire appel aux grands frères, grandes sœurs, proches ou connaissances n’étant plus élèves dans l’école est sans doute aussi plus approprié.

Pour Geoffrey Van Puymbrouck, l’idée de faire appel à une personne-relais issue de l’équipe éducative (enseignant, éducateur) pour faciliter le dialogue entre l’école et les parents ne maîtrisant pas le français lui semble intéressante. Cependant, il craint que cela soit compliqué d’avoir un référent qui puisse parler toutes les langues des différents parents. Il insiste également sur la liberté des écoles de gérer cela comme elles l’entendent et il affirme que le fait d’avoir une réunion professeur-parents-élèves sans personne-relais donne une forme d’intimité ou de proximité pédagogique.

Conclusion

Il est entendu que les parents ont évidemment le droit de pouvoir communiquer avec l’école et d’avoir accès à l’information, mais l’élève ne doit pas être obligatoirement leur seule « bouée de sauvetage ». Comme nous l’avons déjà exprimé dans une précédente analyse : Laissons à l’enfant l'opportunité de participer aux échanges, sans lui donner des responsabilités qui ne sont pas les siennes. L'enfant n'a pas à être le relais de tous les messages scolaires ![13]. Il existe, en effet, d’autres solutions.

La question du manque de maitrise de la langue entraine également des incompréhensions de codes culturels et scolaires que l’enfant ne pourra pas traduire. Pour l’UFAPEC, mettre en place une procédure plus structurelle (faire appel à des personnes-relais attitrées et formées de manière spécifique), peut être une solution intéressante. En attendant, laissons la liberté pédagogique aux PO et aux directions d’utiliser un moyen ou un autre pour assurer des réunions parents-professeurs optimales. L’essentiel est d’être conscient du rôle et de la responsabilité que l’on donne à l’enfant et de prendre des précautions dans ce sens.

l’UFAPEC souhaiterait que l’accompagnement d’une tierce personne soit « une possibilité » pour les parents ne maîtrisant pas la langue française afin de faciliter la communication avec l’école. Ceci pour que les élèves ne soient pas obligés de tenir ce rôle de traducteur-messager, les parents ayant la liberté de choisir cette solution ou de de bénéficier d’autres moyens mis en place par l’école ou à disposition dans leur entourage proche.

Finalement, pour l’UFAPEC, il est important que les parents sachent, dès l’inscription de leur enfant à l’école, qu’ils ont la possibilité d’être aidés et accompagnés quand la communication avec l’école est difficile par manque de maitrise de la langue.

 

France Baie

 

 


[1] PIERARD A., La communication entre l’école et les parents qui ne parlent pas le français, analyse UFAPEC n°17.12, mai 2012 - https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2012/1712-parents-parlant-pas-francais.pdf

BAIE F., Comment faciliter le partenariat école-familles dans l’enseignement fondamental à encadrement différencié ?, étude UFAPEC n°11.18, août 2018 - https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2018/1118-ET1-partenariat-encadrement-differencie.pdf

FLOOR A., Comment être partenaire de l’école quand on est parent à besoins spécifiques ?, étude UFAPEC n°07.20, août 2020 -  https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2020/0720-ET1-PBS.pdf

BAIE F., Comment l’école communique-t-elle avec les parents qui ne maîtrisent ni la langue française ni les codes scolaires ?, analyse UFAPEC n°08.21, juin2021 -https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2021/0821-Parents-sans-codes-scolaires.pdf

BAIE F., Parents invisibles, pourquoi ?, analyse UFAPEC n°02.22, février 2022 - https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2022/UFAPEC_0222-Parents-invisibles.pdf

[2] BAIE F., Parents présents dans l’AP et le CoPa : partout ?, étude UFAPEC n°10.23, novembre 2023 - https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2023/UFAPEC_1023-Et3-Participation-differencie.pdf

[3] Les jeunes ont été interrogés lors d’une réunion organisée par France Baie avec le sociologue Bruno Derbaix à la maison de la Francité à Bruxelles, le 9 avril 2023

[4] Précisons que cet accompagnement est possible quand les parents savent se déplacer et ont encore toutes leurs facultés physiques et mentales. De nombreux enfants sont également aidants proches et doivent s’occuper à la maison de leurs parents malades, handicapés ou dépendants. Nous y avons également déjà consacré des analyses : LORIERS B., Les jeunes aidants proches ont-ils les mêmes chances d’insertion sociale que les autres ?, analyse UFAPEC n°10.18, juillet 2018 - https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2018/1018-jeunes-aidants-proches.pdf  et FLOOR A., Être un enfant aidant proche d’un parent en souffrance psychique et élève : un duo impossible ?, analyse UFAPEC, N°17.19, septembre 2019 - https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2019/1719-eleve-et-aidant-parent-troubles-psych.pdf

[5] Voir l’analyse de PIERARD A., L’enfant, un messager entre l’école et les parents ?, analyse UFAPEC n°34.16, décembre 2016 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/3416-enfant-messager.html

[6] Interview de Geoffrey Van Puymbrouck, le 9 avril 2024.

[7] Voir à ce sujet l’analyse de Pierard A, L’enfant, un messager op. cit. 

[8] PERRENOUD P., Le go-between : entre sa famille et l’école, l’enfant messager et message, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève, 1987, https://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1987/1987_05.html

[10] PERRENOUD P., Métier d’élève et sens du travail scolaire, in Pédagogies recherche, 2004,ESF éditeur, Paris, pp. 86 et 87.

[11] PIERARD A., La communication entre l’école et les parents qui ne parlent pas le français, analyse UFAPEC n°17.12, mai 2012 - https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2012/1712-parents-parlant-pas-francais.pdf BAIE F., Comment l’école communique-t-elle avec les parents qui ne maîtrisent ni la langue française ni les codes scolaires ?, analyse UFAPEC n°08.21, juin2021 -https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2021/0821-Parents-sans-codes-scolaires.pdf

BAIE F., Communiquer entre parents d’élèves quand on parle des langues différentes, analyse UFAPEC n°11.24, juin 2024 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/1124-parents-langues-differentes.html

[12] Interview de Cloé Bauret effectuée par France Baie, le 16 avril 2024.

[13] Pierard A, L’enfant, un messager… op. cit. 

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